Pandora (Albert Lewin - 1951)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Watkinssien
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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par Watkinssien »

Profondo Rosso a écrit :Merci toujours inspiré pour Ava :mrgreen: :wink:
8)

Ava inspire et continuera d'inspirer !
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Droudrou
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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par Droudrou »

prix et versions dissuasifs sur FNAC et AMAZON !...
John Wayne : "la plus grande histoire jamais contée" - It was true ! This man was really the son of God !...
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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par kiemavel »

Droudrou a écrit :prix et versions dissuasifs sur FNAC et AMAZON !...
Le DVD Montparnasse ? Oui, il y en a comme ça quelques uns chez eux : L'homme tranquille, Opération jupons, etc…qu'il faut mieux avoir acheté au moment de la sortie. Saleté de spéculateurs :mrgreen:
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Jeremy Fox
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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par Jeremy Fox »

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Demi-Lune
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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par Demi-Lune »

Copié-collé d'un ancien commentaire :

Il y a un certain nombre de choses qui me laissent pour le moins circonspect... Je trouve que le couple Ava Gardner/James Mason manque d'alchimie (Mason m'a paru très compassé, pas très à l'aise) et avoue avoir peu cru en leur amour immémorial, moins à cause de la bizarrerie du postulat que de la manière un peu superficielle avec laquelle se développe leur relation. Ça manque de passion, je trouve. On compare Pandora à L'Aventure de Mrs Muir et ce dernier me paraît plus incarné, beau et finalement magique dans sa dimension de mélo.
En outre je ne suis pas fan de ce récit en voix-off qui n'apporte pas grand-chose de plus que ce que nous pouvons voir à l'écran. Le personnage de Geoffrey Fielding rapporte ses souvenirs mais sans que l'on perçoive vraiment bien l'intérêt d'une narration en flash-back façon film noir. D'ailleurs, en parlant de flash-back, même scepticisme face à celui qui concerne le personnage de Mason au XVIe siècle, avec voix-off lourdement explicative alors que le film est justement unique lorsqu'il s'émancipe des conventions et fait primer son pouvoir formel, aux confins du rêve.
Car si ces réserves sont là, elles n'entachent pas le pouvoir de fascination authentique qui se dégage de Pandora, objet hors norme et beaucoup plus proche dans l'esprit comme dans l'exécution du cinéma surréel et novateur de Michael Powell que de ce que pouvait faire Hollywood à la même époque. Le travail plastique est sensationnel, presque expérimental. Lewin et Cardiff cisèlent des plans littéralement obsédants, semblant provenir de l'inconscient. Les plans sur la plage avec les statues, l'iconisation absolue du plus bel animal du monde (c'est LE film du mythe gardnerien, bien plus pour moi que La comtesse aux pieds nus), l'ambiance ibérique et caniculaire... mémorable. Grand film imparfait dont je ne m'étonne pas qu'il ait profondément marqué Scorsese. Et puis, c'est quand même un sacré pied-de-nez que de faire du personnage de Pandora quelqu'un d'aussi antipathique.
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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par Federico »

Demi-Lune a écrit :Copié-collé d'un ancien commentaire :

Il y a un certain nombre de choses qui me laissent pour le moins circonspect... Je trouve que le couple Ava Gardner/James Mason manque d'alchimie (Mason m'a paru très compassé, pas très à l'aise)
Mason est un immense acteur et sa filmo est exceptionnelle mais son jeu tout en prévention donne dans plus d'un film cette sensation qu'il a - pardon pour l'expression - un instrument de ménage dans le fondement (ceci dit, cette raideur ultra-british permet des moments géniaux comme lors de son intérêt subit pour la tarte aux cerises dans Lolita ou son réflexe de dégoût poli à la fin du Verdict de Lumet). En règle générale, je ne le trouve jamais meilleur que dans des rôles ambigus ou négatifs comme dans ses films en costume des années 40, en vilain du Prisonnier de Zenda, en capitaine Nemo et surtout dans ce qui est pour moi sa plus grande interprétation : L'affaire Cicéron.
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Et à mon avis, il aurait fait un mémorable Empereur Palpatine mais bon là je pars dans le HS gratuit... :wink:
En outre je ne suis pas fan de ce récit en voix-off qui n'apporte pas grand-chose de plus que ce que nous pouvons voir à l'écran. Le personnage de Geoffrey Fielding rapporte ses souvenirs mais sans que l'on perçoive vraiment bien l'intérêt d'une narration en flash-back façon film noir. D'ailleurs, en parlant de flash-back, même scepticisme face à celui qui concerne le personnage de Mason au XVIe siècle, avec voix-off lourdement explicative alors que le film est justement unique lorsqu'il s'émancipe des conventions et fait primer son pouvoir formel, aux confins du rêve.
La voix off, comme tous les effets, il ne faut pas en abuser. Hollywood en fut très friand dans les années 40-50 (sans doute l'influence de la mode psychanalytique, tout comme le flash back). Dans le meilleur des cas, quand c'est savamment distillé, ça donne Laura et surtout Chaines conjugales...
Car si ces réserves sont là, elles n'entachent pas le pouvoir de fascination authentique qui se dégage de Pandora, objet hors norme et beaucoup plus proche dans l'esprit comme dans l'exécution du cinéma surréel et novateur de Michael Powell que de ce que pouvait faire Hollywood à la même époque.
Tout à fait d'accord.
(c'est LE film du mythe gardnerien, bien plus pour moi que La comtesse aux pieds nus)
Tout à fait d'accord-bis.
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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par Strum »

Il y a trois choses qui relient Pandora au cinéma de Powell & Pressburger :

1. L'importance accordée à la peinture en termes d'influence sur la direction artistique.

2. Jack Cardiff en directeur de la photo bien sûr, ce qui a certainement influencé la direction artistique.

3. L'attrait pour le mythe, les mythes et les légendes faisant le fond de ce cinéma néo-romantique dont Powell & Pressburger étaient les hérauts.

Et pour revenir au fait que Pandora est un personnage "anthipathique" comme dit Demi-Lune, c'est assez cohérent avec le mythe de Pandore. Pandore dans le mythe, qui est un mythe assez misogyne propre à l'époque de sa conception, est un personnage négatif. Selon les mots même d'Hésiode, qui a écrit le texte de référence sur le mythe, Pandore possède "l'art du mensonge... et un caractère perfide". Elle est une "attrayante et pernicieuse merveille".
Dernière modification par Strum le 28 sept. 15, 15:04, modifié 1 fois.
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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par cinephage »

Federico a écrit :
Demi-Lune a écrit :En outre je ne suis pas fan de ce récit en voix-off qui n'apporte pas grand-chose de plus que ce que nous pouvons voir à l'écran. Le personnage de Geoffrey Fielding rapporte ses souvenirs mais sans que l'on perçoive vraiment bien l'intérêt d'une narration en flash-back façon film noir. D'ailleurs, en parlant de flash-back, même scepticisme face à celui qui concerne le personnage de Mason au XVIe siècle, avec voix-off lourdement explicative alors que le film est justement unique lorsqu'il s'émancipe des conventions et fait primer son pouvoir formel, aux confins du rêve.
La voix off, comme tous les effets, il ne faut pas en abuser. Hollywood en fut très friand dans les années 40-50 (sans doute l'influence de la mode psychanalytique, tout comme le flash back). Dans le meilleur des cas, quand c'est savamment distillé, ça donne Laura et surtout Chaines conjugales...
Pour moi, la mécanique qui est en œuvre ici est celle de la tragédie, d'un drame pré-écrit, d'un destin tracé d'avance par une prédiction bien ancienne. Et si le flashback est choisi pour la narration, c'est précisément pour appuyer ce poids du destin (c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles le flashback est si souvent utilisé dans le film noir, pour des héros porteurs d'un fatum funeste, mais c'est un autre débat).

Par ailleurs, concernant le jeu en retenue de Mason, cette prédestination est connue par le personnage de James Mason. Tel que je ressens les choses, savoir qu'on va tomber amoureux, malgré soi, et que la femme qu'on aimera va mourir pour soi n'incite certainement pas au laisser-aller. A ce titre, ce jeu d'un homme qui refuse de s'abandonner, de se laisser aller, me parait parfaitement adapté au personnage. Hendrik est forcément un personnage mal à l'aise, en retenue et un peu déplacé...

Donc si je comprends ces réserves, elles m'apparaissent moins comme des siglamements de défauts que comme des remarques sur des choix de mise en scène validant à mes yeux la narration de Lewin : un drame où tout est joué d'avance, et dont les protagonistes ne sont hélas pas dupes.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par Federico »

Strum a écrit :Il y a trois choses qui relient Pandora au cinéma de Powell & Pressburger :

1. L'importance accordée à la peinture en termes d'influence sur la direction artistique.

2. Jack Cardiff en directeur de la photo bien sûr, ce qui a certainement influencé la direction artistique.

3. L'attrait pour le mythe, les mythes et les légendes faisant le fond de ce cinéma néo-romantique dont Powell & Pressburger étaient les hérauts.
Et je suis sûr que P&P appréciaient, comme Lewin (et nombre d'artistes hollywoodiens curieux et cultivés de cette époque, tel von Sternberg) la poésie épicurienne du poète persan Omar Khayyâm.
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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par Strum »

Federico a écrit :Et je suis sûr que P&P appréciaient, comme Lewin (et nombre d'artistes hollywoodiens curieux et cultivés de cette époque, tel von Sternberg) la poésie épicurienne du poète persan Omar Khayyâm.
Fort possible, en effet. Il y a d'ailleurs encore un rapport entre Pandora et Powell&Pressburger : l'acteur Marius Goring.
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Thaddeus
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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par Thaddeus »

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La déesse d’Esperanza


Voilà bien un film légendaire qui se nourrit de légende, trahissant la fascination de son réalisateur pour les fables inépuisables de la mythologie. Aux brumeuses sagas nordiques, Albert Lewin arrache le Hollandais Volant en quête de la femme qui lui serait éternellement fidèle, et lui fait jeter l'ancre dans une baie de la Costa Brava. À la Théogonie d'Hésiode il emprunte Pandore, l'émissaire de tous les maléfices, celle que façonnèrent les dieux de l'Olympe lorsque Zeus voulut châtier l'homme coupable d'avoir reçu le feu prométhéen, pour en faire la reine d'une tribu extravagante, désenchantée, échappée d'un roman de Fitzgerald ou d’Isherwood. Il soustrait ces deux personnages-symboles au temps et à l'espace de leur mythe respectif et les réunit dans un décor folklorique et contemporain, l’Espagne du flamenco et de Salvador Dalí, au moment où la grande nouba des Années folles bat son plein. À Esperanza se retrouvent donc les exilés, les déracinés, les vacanciers perpétuels de la "Génération perdue". Autour de l’astre Pandora Reynolds papillonne un petit monde d’oisifs et de dilettantes anglo-saxons brûlant leur vie dans l'alcool, la frénésie, tous les débordements que peut inventer une imagination désabusée qui n'aspire plus qu'à l'autodestruction. Nulle malice dans le cœur de la jeune femme, irisée d’or, de bleu nuit et de vieux rose, prisonnière de sa mesure d’idole et apte à immoler, par son rayonnement et sa beauté sculpturale, la terre tout entière. Mais une soif d'absolu qui exige des gestes définitifs et des serments irrévocables. "Que feriez-vous pour moi de parfaitement incroyable ?" demande-t-elle après une course insensée sur la corniche ; et son bellâtre de conducteur de lui sacrifier son bolide argenté en le précipitant par-dessus la falaise. Avec une indifférence un peu lasse, elle reçoit les hommages de plus en plus fous de ses courtisans. Comme ce taureau que le gitan Juan Montalvo affronte pour elle seule aux premières lueurs de l'aube dans l'arène déserte, ou comme ce record de vitesse qu'établit Stephen Caneton en lançant sa torpédo en flammes à 300 km/h dans l'écume du rivage. Son érotisation se raffine encore à être privée de tout geste explicite. Elle vit une transfiguration, sortant d’une existence d’Américaine riche, séduisante et cynique pour entrer dans la fatalité poétique d’une légende dont elle est la cause et l’objet.


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Ce qui frappe à voir ou à revoir Pandora, c'est à quel point son secret en est perdu. Pas seulement le secret de son aura, de sa substance immatérielle. Mais tout simplement sa formule technique, son processus de fabrication, tributaires d’un savoir-faire aujourd’hui bel et bien révolu. Ce Technicolor rutilant, ces phosphorescentes nuits américaines, ces transparences spectrales, cette photographie entre soleil et ombre, jaune profond et azur diaphane, il y a là toute une alchimie plastique que rendaient possible l'appareil sophistiqué des studios et l'incomparable maîtrise des opérateurs anglais dans le domaine de la couleur (Jack Cardiff s’y livre à des expérimentations ébouriffantes). La mise en scène même se distingue par une science consommée de l'alliage et de la transmutation qui semble répondre à la mixtion héllénico-wagnérienne inspirant le sujet : ambiance kitsch dominée par une inspiration néoclassique ; hybridation d’un style qui amalgame les expériences et les acquis des années quarante en combinant la dynamique wellesienne (construction en puzzle, enchaînés et fondus raffinés, alternance de flashes et de plans longs et profonds) à l'esthétique décorative de la MGM ; fusion des factures et des manières, quand l'influence du cinéma américain croise celle du cinéma britannique ; effets de perspective qui voient les figures se dérober vers le point de fuite où l'espace s'écoule dans le temps. Les sortilèges de Pandora relèvent d’une évidence supérieure et semblent amoncelés par l'avidité d'un amateur d'art conscient qu’un tel thesaurus ne sera jamais plus rassemblé. Si le film traduit la coexistence étrange (et somme toute ponctuelle) qu’Hollywood entretint entre culture européenne et formes populaires du spectacle moderne, il relève surtout l’étonnant pari de laisser avoisiner tous leurs éléments hétérogènes sans les fondre, sans les articuler, sans leur donner l’apparence d’un lien logique. Les bribes de références, les lambeaux d’Histoire ou les usages contemporains s’exposent dans un bric-à-brac assumé, recherché, une interférence du tangible et du surnaturel commandant à la fois l'économie du récit (coïncidences, prémonitions, hasards "objectifs") et les penchants surréalistes de l'imagerie.

De Peter Ibbetson au Portrait de Jennie, d’Une Question de Vie ou de Mort à L’Aventure de Mme Muir, l’œuvre fait la somme de tout un cinéma voué au thème des amours d'outre-tombe et d'outre-temps. Mais elle le parachève en le dotant d'une sorte de syncrétisme religieux qui, comme aux derniers temps du paganisme, tendrait à ramener au principe de l'unité les conceptions mythologiques les plus diverses. Le Vaisseau Fantôme, indique l’archéologue, représente un avatar de la barque des morts et, selon le Hollandais qui semble partager ses vues, Pandora est à la fois l’Ève de la Bible et l’œuf originel dont est issue la race humaine. Un rapport s’établit entre cette androgyne luni-solaire et Diane-Artémis, interprétée dans certaines sectes mystiques comme une intermédiaire de salut éternel, émanation de l'Isis égyptienne. Patronne des marins, elle était l'objet au printemps d'une procession fastueuse qui se dirigeait vers le littoral et faisait glisser sa statue sur l'eau. Le clair de lune qui baigne en permanence le visage extatique d'Ava Gardner lors des nombreuses scènes nocturnes ne fait-il pas allusion au culte de la déesse qu'on glorifiait dans l'office solennel du soir ? Quand Pandora abandonne Fielding et Cameron à la contemplation stérile et morbide des antiquités découvertes pendant les fouilles et, tous ses vêtements quittés, nage jusqu'au yacht immobile et silencieux puis s'enfonce doucement dans ses profondeurs, quand dans le décor lunaire de l’amphithéâtre la cape du matador tourbillonne autour d'une tête bondissante, quand dans le miroir de la cabine, la jeune femme surgit, enveloppée d’une voile blanche et les cheveux ruisselants, et que les mêmes paroles qu'à sa première apparition reviennent sur ses lèvres et celles de Van der Zee, le cinéma redevenu lanterne magique emporte haut et loin sur l'aile des songes.


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Si le récit se déroule à Esperanza, c’est peut-être parce que l'espérance est le seul des maux divins que n'ait pas répandu sur la terre la jarre de Pandore, cette cruche brisée que Fielding tente de reconstituer à l'heure de l'épilogue. Parce que le sable de ses plages et le roc de ses falaises, regorgeant de vestiges gréco-romains, exhalent les parfums oubliés d’autres temps, d’autres civilisations. Le petit port est un pont jeté entre l'ancien et le nouveau monde (boîtes de nuit, parties, villégiature). Un de ces lieux prédestinés où peut s'effectuer l'éternel retour puisque s'y télescopent le passé et le présent, que s'y chevauchent même, à la faveur d'un micro-flashback, le XVIIème et le XXème siècle, que s'y croisent les représentants de la vieille Espagne traditionnelle et les transfuges de l'Angleterre des années trente. Familier de Chirico et de Delvaux dont le Hollandais fait la synthèse sur sa toile, le cinéaste se plaît à juxtaposer dans un même plan des signes antinomiques : rencontres aussi saugrenues que celle d'une machine à coudre et d'un parapluie sur une table de dissection, comme ce trompettiste lové contre le sein d'une déesse de pierre ou comme ces jazzmen qui font danser les noctambules sur l'air de You're driving me crazy au milieu de colonnes, chapiteaux et bas-reliefs du temps de Périclès. Gros plan d’un saxophone posé sur une gigantesque tête de Neptune. Contre-plongée faisant apparaître dans l’angle du cadre un clavier de piano qui se découpe obliquement sur fond de mer. Jusque dans l'éclatante lumière solaire de Pandora, les statues mutilées conservent un pouvoir magique. Elles ont le regard fixe et aveugle du destin que le savant parvient à déchiffrer entre les lignes d'un grimoire néerlandais, mais dont il est incapable de conjurer les arrêts. À la fois spectateur, acteur et narrateur des évènements, ce témoin hautement cultivé et pourtant condamné à ne jamais connaître l'ivresse de la passion ou de la création représente possiblement l'effigie de Lewin. Ne demeurer qu'un observateur, un collectionneur de choses mortes, telle pourrait bien être la hantise de l’auteur.

Le recours à plusieurs strates narratives, leur remaniement, le jeu de la vérité qui s’opère à travers et autour d’elles, n’est pas sans rappeler subtilement l’univers de Borgès. L’une des grandes vertus du cinéaste réside dans ce "travail" de la légende et de ses différents niveaux d’accès : Fielding la connaît dans son entier mais n’y participe pas ; Pandora y concourt sans la connaître puis en la découvrant peu à peu ; Hendrick en est le héros principal, mais à trop la connaître il en subvertit le fonctionnement, comme le révèle son apparente indifférence pour sauver Pandora du sacrifice que son amour lui imposerait ; enfin les autres personnages qui ont une place importante dans la fiction ignoreront toujours tout du drame auquel ils n’ont en fait jamais pris part. Cette complexité est significative d’un esprit pour lequel rien n’est simple car il consiste à multiplier les facteurs esthétiques comme autant de principes de distraction. Ce n’est pas un hasard si Lewin a aussi adapté Oscar Wilde, pour qui les rapports du mythe et du réel ne sont prétextes, en dehors de toute morale, qu’à valoriser la beauté. Et à travers elle, préférer l’instant à l’éternité : le baiser final des deux protagonistes abolit le temps parce qu’il est plus intense que des siècles d’attente. Lorsque Pandora, refusant d’être la déesse qui sème la mort et la désolation, saccage le tableau de Van der Zee et invite l’artiste à se déprendre d’une image trop vénérée pour embrasser l’éphémère réalité, elle exorcise un destin semblable à celui de Dorian Gray. Hendrick reçoit alors le plus précieux des dons : cet amour fou que lui voue une créature mortelle et par lequel s’accomplira enfin sa rédemption. Ainsi l’histoire de Pandora n’est-elle pas celle, édifiante, d’une boîte qu’il fallait ou ne fallait pas ouvrir ; c’est l’histoire merveilleuse d’une boîte dont on a su utiliser le contenu.


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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par Barry Egan »

Un film légendaire, qui ne m'aura jamais ému. Cérébralement, il est un peu plus stimulant, y a des questions éternelles sur le destin, la vie après la mort, etc. qu'on ne peut s'empêcher d'aligner dans la tête en le visionnant, et esthétiquement, sa photographie et ses décors sont irréprochables. Et dans le fond, difficile de ne pas y voir une œuvre cohérente, qui se tient du début à la fin. Mais je n'ai pas accroché, à cause d'un élément : James Mason, dont le jeu monolithique m'a renvoyé à... Christophe Lambert dans "Highlander". Une seule et unique expression pour figurer le désarroi de sa condition d'immortel. Sauf que Mason, ici, n'a pas le charisme roublard de Lambert et qu'il n'a pas à porter le film, cette tâche étant attribuée à Ava Gardner, réifiée à mort, ou plutôt jusqu'à la mort. Et comme je n'ai pas cru que Gardner puisse s'attacher autant à Mason (alors que Lambert et ses conquêtes dans "Highlander", ça semblait aller de soi), le film n'a pas fonctionné pour moi. La situation de la découverte du bonhomme avec sa peinture dans le bateau est bien amenée et dans le principe fascinante, mais l'acteur en ruine tout le potentiel. J'ai de loin préféré toutes les scènes de folklore espagnol, le moment musical au début dans le bar, la corrida (avec ce matador au regard de feu), aussi hypnotiques que les meilleurs moments du "Salon de musique" de Ray. Pour le reste, sans moi.
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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par Alexandre Angel »

Barry Egan a écrit : 8 janv. 23, 09:13 Sauf que Mason, ici, n'a pas le charisme roublard de Lambert
J'espère que tu réalises les conséquences induites par cette assertion :lol:
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par Barry Egan »

Je réalise la portée de vos applaudissements, je ne me savais pas si lucide :P
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Re: Pandora (Albert Lewin - 1951)

Message par Barry Egan »

Enfin, blague à part, ce rôle d'immortel tristounet aurait été ingrat pour n'importe qui. Cette légende porte dans son principe même sa propre faiblesse.
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