Ernst Lubitsch (1892-1947)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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The Eye Of Doom
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par The Eye Of Doom »

Sur le fond, je te reponds ce soir…,
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Alexandre Angel
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Alexandre Angel »

Lohmann a écrit : 22 sept. 21, 13:42 ne reste que le personnage joué par Margaret Sullavan, bécasse fleur bleue que James Stewart châtie assez sévèrement lors de la dernière séquence.
:shock:
Là, tu es en train d'envoyer sur une drôle de piste celui qui te lit et qui n'a jamais vu le film!
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Lohmann
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Lohmann »

Alexandre Angel a écrit : 22 sept. 21, 14:02
Lohmann a écrit : 22 sept. 21, 13:42 ne reste que le personnage joué par Margaret Sullavan, bécasse fleur bleue que James Stewart châtie assez sévèrement lors de la dernière séquence.
:shock:
Là, tu es en train d'envoyer sur une drôle de piste celui qui te lit et qui n'a jamais vu le film!
C'est à dire?
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Alexandre Angel
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Alexandre Angel »

Tu parles de châtier!

Et puis "bécasse Fleur Bleue" : je la vois surtout comme une esthète secrète, amoureuse des mots et délicate (ce n'est pas pour rien que Margaret Sullavan est distribuée).
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Lohmann »

Alexandre Angel a écrit : 22 sept. 21, 14:43Et puis "bécasse Fleur Bleue" : je la vois surtout comme une esthète secrète, amoureuse des mots et délicate (ce n'est pas pour rien que Margaret Sullavan est distribuée).
Oui peut-être. Ce qui n'enlève rien à ce qu'elle subit. Il n'est pas innocent qu'elle reste dans l'ignorance jusqu'au bout, quand James Stewart découvre le pot aux roses à mi-film. Et lorsqu'il se joue une dernière fois d'elle, mon sentiment intérieur c'est que j'aurais préféré qu'il écourte au plus vite cette épreuve, la pauvre au bord des larmes, à deux doigts d'aller se pendre pour le réveillon de Noël, par pur plaisir sadique.
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par The Eye Of Doom »

Content que in fine, on est une discussion sur ces Lubitsch musicaux.
Je vais pas chercher a defendre mordicus Monte Carlo mais ce qui est sur c’est que j’y ai pris plus de plaisir que pour Love Parade et Smiling Lieutenant, principalement parcecque Jeanette y est plus « en liberté ». Les intrigues de ses films me semblent dans tout les cas tres secondaires….

Pour The Shop around the corner, ton analyse est interessante. Par contre je ne suis pas sur que ce soit son premier film centré sur un personnage masculin.
Mes souvenirs datent un peu mais Old Heidelberg, Eternal Love ou l’homme que j’ai tué sont des films centrés sur les turpitudes d’un personnage masculin.
De plus je ne garde non plus le souvenir d’une galerie de personnages feminins si négatifs dans The shop, ou en tout cas pas plus ni moins que les autres personnages dd second ou troisième rangs dans ses films precedents. On est pas chez Duvivier !
Bon tout cela invite a re-revoir les films.
Ou a lire des textes…
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Lohmann »

The Eye Of Doom a écrit : 22 sept. 21, 21:17Pour The Shop around the corner, ton analyse est interessante. Par contre je ne suis pas sur que ce soit son premier film centré sur un personnage masculin.
Mes souvenirs datent un peu mais Old Heidelberg, Eternal Love ou l’homme que j’ai tué sont des films centrés sur les turpitudes d’un personnage masculin.
Je pense que dans la majeure partie des films de Lubitsch le rôle central est celui d'un homme. Mais ça n'est pas ce que je voulais souligner. Peu importe qui est au centre, le sexe qui fait bouger les lignes est quasi toujours le sexe féminin. C'est le cas dans l'un des exemples que tu prends. Dans Eternal Love, Barrymore se saoule et Pia en profite pour s'introduire chez lui; sous l'emprise de l'alcool et son haut niveau de testostérone aidant il va la culbuter, ce qui l'oblige à se marier avec elle et à abandonner Ciglia. Les 2 autres sont des films un peu à part, néanmoins dans L'Homme que j'ai tué c'est bien Elsa qui ouvre son cœur à Paul Renard, et qui l'autorise à l'aimer, pas l'inverse. Et dans Old Heidelberg, finalement ce n'est ni le prince ni sa douce mais l'étiquette qui décide (le vieux qui a choisi la future épouse). Enfin dans tous les cas, les femmes ont du caractère !
Pour en revenir à The Shop around the corner, elles sont soit transparentes (les tantes, les collègues), soit totalement hors champs (les épouses), et celle qui reste se fait jouer un bien sale tour par Mr Kralik. Je ne vois pas d'équivalent (pour l'instant, ça va peut être changer avec les 5 derniers films qu'il me reste à voir) chez Lubitsch où la gent féminine est autant dominé par l'autre sexe.
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Lohmann »

Rétro terminée, pour ce que ça vaut mes commentaires (plus ou moins détaillés).

Je ne voudrais pas être un homme (1918)
Assez époustouflant pour un film de plus de 100 ans, rythme d'une grande modernité et justesse dans le traitement et le jeu des acteurs, subversif sans jamais sombrer dans la vulgarité (l'amitié virile entre Ossi et son tuteur qui se transmue subrepticement en romance est génialement mise en scène), sur le sujet rebattu du travestissement pas sûr que l'on ait fait beaucoup mieux par la suite au cinéma.
4.5/6

Carmen (1918)
Quoi de plus approprié pour lancer le ballet de ses films historiques qu'une adaptation de Carmen ? Et je doute que Lubitsch partage (à cette époque en tout cas), comme le faisait Mérimée (citant lui-même Palladas), l'idée selon laquelle toute femme est amère comme le fiel, mais elle a deux bonnes heures, une au lit, l’autre à sa mort.
3/6

Madame du Barry (1919)
Historiquement important puisque premier film allemand exporté à l'international (avec déluge de quolibets de la critique française à la clé, d'aucuns opposant le cinéma commercial à l'allemande, dénué de toutes qualités artistiques, à l'excellence de la production française qui elle malheureusement ne s'exportait pas encore - je ne pensais pas les racines de l'exception française si ancienne!), si le traitement à l'emporte pièce de la Révolution française n'a rien à envier à celui de Griffith dans Les Deux Orphelines, c'est surtout la première partie décrivant la fulgurante progression sociale de la courtisane Du Barry qui retient l'intérêt (et dont on retrouvera l'écho dans Liliane de Alfred E. Green), le film raccordant dans sa seconde partie de manière lourdement mélodramatique la petite et la grande histoire.
3/6

La Poupée (1919)
Sans oublier les fondements anarchiques du genre, Lubitsch le transcende dans cette fantaisie burlesque pleine d'inventivité qui redouble tant sur le fond que dans la forme les questions de l'apparence et des faux-semblants, où tout est factice du décor au cheval ridiculement incarné par deux acteurs glissés dans un large costume, jusqu'au neveu que l'on cherche à marier et dont l'homosexualité est patente. Ossi Oswalda rayonne plus que jamais de par son naturel et ses facéties, je m'étonne que sa collaboration avec Lubitsch n'ait pas perduré au-delà du film suivant.
4.5/6

La Princesse aux huîtres (1919)
Cette fois ce n'est plus Ossi qui usurpe sa propre identité, mais son prétendant de prince qui envoie son majordome (et probablement pas que) à son propre mariage. Richesse de la composition des plans, somptuosité des mouvements de foule où la croissance exponentielle du nombre de domestiques est mise en scène tel un ballet.
5/6

Les Filles de Kohlhiesel (1920)
Comédie un peu niaise qui a tout de l’intermède mineur.
2/6

Roméo et Juliette dans la neige (1920)
A la manière du précédent film Lubitsch se joue non seulement de la rudesse des mœurs bavaroise, mais également du romantisme allemand. Roméo et Juliette qui pensaient s'empoisonner boivent en fait de l'eau sucré, personne ne meurt et les deux familles se rabibochent gaiement.
3/6

Anne Boleyn (1920)
Fresque historique qui ne bénéficie malheureusement pas de l'ambiguïté de la courtisane Madame du Barry qui privilégiait l'ambition aux sentiments. Anne Boleyn est à l'opposé un être au cœur pur, trop lisse (que le rôle soit tenu par l'actrice des Filles de Kohlhiese n'aide pas), qui en est réduit à subir les écarts de son mari lubrique. Ne reste alors que le jeu outrancier des acteurs, Emil Jannings en tête.
2/6

La Chatte des montagnes (1921)
La plus délirante de ses comédies grotesques, où l'on croise un queutard invétéré qui a engrossé tout ce que sa garnison comptait de gent féminine (prétexte à de gargantuesques scènes de foules) et des brigands qui aiment se faire fouetter les fesses, mais surtout orgie visuelle qui regorge de trouvailles, des décors (de l'énorme château garnison bardé de canons, à mi-chemin entre Alice au pays des merveilles et Le Roi et l'Oiseau, aux scène dans les montagnes dont certaines anticiperaient presque Alexandre Nevski - les scènes sur le lac gelé) au moindre élément de décoration ou vestimentaire conçus spécifiquement pour le film, et ce jusqu'aux cadres sans cesse renouvelés (la forme des caches évoquant ici un œil, là une bouche, plus tard des dents...). Un pur régal.
5/6

La Femme du Pharaon (1922)
Les héroïnes se faisant de plus en plus virginales, l’intérêt principal de ses films historiques se limitent progressivement à la variété dans le sadisme de leur exécution. Après 2 décapitations, petite touche d'originalité ici avec une lapidation, sans compter celle avortée de Ramphsis que l'on s’apprêtait à écraser entre deux immenses blocs de pierre. Ce qui reste néanmoins le plus fascinant dans cet orientalisme de pacotille est la prestation de Jannings, qui quasiment 10 ans avant l'Ange bleu semble déjà se délecter de sa déchéance progressive.
2/6

Rosita, chanteuse des rues (1923)
Malgré ses défauts (une première partie trop molle et trop longue où le roi d'Espagne - joué par un quasi sosie de Lubitsch - préfère conter fleurette que de s'occuper de paperasseries, et un scénario aux ressorts trop artificiels), ce premier film américain est tout de même une réussite, le premier où Lubitsch allie avec succès en évitant tout pathos ses deux genres de prédilections (la grosse comédie et le drame historique) et qui pour la première fois réussit à profondément toucher le spectateur dans ses moments les plus dramatiques. Et puis il y a surtout ce magnifique personnage de la reine d'Espagne, qui semble mineur mais est pourtant ô combien important, une épouse régulièrement trompée qui ne semble pas prendre ombrage de la nature volage de son mari mais dont l'ultime intervention viendra à la fois sauver la vie de Don Diego et signifier avec malice à son mari de Roi qu'il est temps de mettre un terme à ses activités extra-conjugales.
4/6

Comédiennes (1924)
La naissance d'une grammaire cinématographique (la fameuse Lubitsch Touch) dans ce vaudeville avec ses incontournables mari et épouse trompés, amant dans le placard et déluge de quiproquos. Pour amateur du genre. Je me demande tout de même si Wilder, pour la scène où le chariot d'alcool navigue d'un bout à l'autre de la chambre de Gary Cooper dans Ariane, s'est inspiré de celle similaire dans ce film.
4/6

L’Éventail de Lady Windermere (1925)
Nouveau vaudeville d'une intelligence indéniablement supérieur à Comédiennes (il n'y a qu'à comparer leur scène finale respective), riche d'innombrable détails de mise en scène (la longue séquence de l'hippodrome, l'arrivée de Mrs. Erlynne à l'anniversaire de Lady Windermere, et toutes les scènes avec Ronald Colman, un acteur d'une grande subtilité), et qui traite avec justesse et malice du poids de la réputation dans la haute société de l'époque. Reste que je trouve (comme souvent avec ce genre) la mécanique scénaristique lourde (Mrs. Erlynne à qui l'on empêche de dire à Lady Windermere qu'elle est sa fille, l'autre d'alors imaginer qu'elle serait l'amante de son mari, ces situations ne finiront jamais de me gaver).
5/6

Vieil Heidelberg (1927)
Solitude du pouvoir et renoncement du fait de la fonction contre permanence de l'amour. D'un matériau originel qui n'était pas sien (Thalberg avait tout d'abord pensé à von Stroheim), Lubitsch y a injecté suffisamment de lui-même pour que ce film ne dénote pas dans sa filmographie : ton humoristique et précision de la mise en scène lors de quelques moments clés (le premier baiser entre le Prince Karl Heinrich et Kathi hors-champ signifié par un teckel qui rebrousse chemin une fois qu'il les a vu, ou encore la très belle séquence finale ou le Prince devenu Roi est seul dans le cadre, excluant du champ de la caméra celle qu'on lui a imposé pour épouse). Reste que la romance se fait parfois un peu trop mièvre et Ramon Novarro, archétype de la star du cinéma muet, peine à dépasser le statut de bellâtre falot.
4/6

L'Abîme (1929)
Ne pas croire ce qu'en dit Skip McKoy sur son blog, si ce n'est certes pas son meilleur film muet c'est pourtant une œuvre profondément lubitschienne qui traite à la fois du sens du sacrifice, du poids du qu'en dira-t-on et d'amour éternel (le titre original du film). Et puis il y a l'une des plus belles litotes cinématographiques de toute sa filmographie (Marcus sous l'emprise de l'alcool dont le regard parcours circulairement les murs de son chalet jusqu'à tomber sur le masque de Pia, scellant son infidélité). La séquence finale, sous intervention divine, aurait par contre plus sa place chez DeMille voir rappelle le von Trier de Breaking the Waves, et il faut également passer outre le jeu outré de John Barrymore (que je découvrais dans ce film), pâle copie de George Bancroft et l'une des pires stars du cinéma muet qu'il m'ait été donné de voir.
3/6

Parade d'amour (1929)
Pour ce premier film parlant, bien que l'on ressente les contraintes inhérentes à la prise de son (même si Lubitsch essaie de les dynamiser par le montage, les scènes de dialogue sont trop statiques), et si les intermèdes chantés hachent le rythme, on se réjouit de retrouver la frivolité et l'espièglerie qui caractérisaient ses comédies burlesques, incarnés à merveille par le duo Maurice Chevalier/Jeanette MacDonald. La morale, somme toute assez simple, selon laquelle le bonheur d'un couple se trouve dans l'harmonie et le respect mutuel, et ici révélée en inversant le rapport de domination usuel entre époux : lui, qui semble avoir été choisi pour mari pour ses seuls talents de coureurs de jupon (au terme de la plus belle séquence du film, celle de leur premier dîner en privé scruté de toutes parts et à laquelle Wilder rendra hommage dans Sabrina, lorsqu’Audrey Hepburn observe la soirée mondaine perchée dans son arbre), endosse les habits du Prince consort dont le seul rôle se limite à celui qui lui est réservé dans le secret de l'alcôve, quand la Reine Louise édicte à la fois les règles dans son royaume et son couple mais est également sujette aux contraintes de l'étiquette (ce qui était déjà le cas de Karl Heinrich dans Vieil Heidelberg), ce dont Alfred Renard saura tirer profits en usant de subterfuges généralement réservés au sexe féminin (chantage quant à sa potentielle présence lors de la première sortie officielle du couple royal et autres caprices de diva).
4.5/6

Monte Carlo (1930)
Parfaite intégration des numéros musicaux à la narration, rythme fluide, il n'aura pas fallu plus d'un film à Lubitsch pour parfaitement s'adapter au parlant et corriger les faiblesses de Parade d'amour. Mais, est-ce parce qu'il s'est particulièrement attaché à régler ce problème de rythme, j'ai trouvé celui-ci moins enlevé que le précédent, soit il n'est pas avare en allusions grivoises, mais la mise en scène est moins vive, moins riche de ces détails qui font le sel de ses meilleurs films (le meilleur étant ici ce moment où la Comtesse Mara cache les clés de sa chambre l'une après l'autre, source d'un probable nouvel hommage dans La Scandaleuse de Berlin - à croire que chaque film de Wilder recèle au moins un clin d’œil à l'attention de son maître), quand le scénario se contente lui de progressivement basculer dans une énième romance (soit agrémenté d'un nouveau discours sur le poids des conventions dans la haute société - le parallèle fait avec l'opéra Monsieur Beaucaire auquel les deux amants assistent). Et Jack Buchanan, sans être déplaisant, ne vaut pas Maurice Chevalier.
4/6

Le Lieutenant souriant (1931)
Évidence dès la scène liminaire que le cinéma de Lubitsch a soudainement basculé dans quelque chose de plus profond et plus précis, la quintessence de son cinéma en quelque sorte. C'est à la fois drôle, poignant, économe dans ses effets (il n'y a par exemple besoin que d'un seul quiproquo, fugace, un clin d’œil adressé à l'être aimé mais intercepté par une tierce personne, pour changer le cours de l'histoire), d'une précision diabolique dans l'écriture (on pourrait citer à peu près n'importe laquelle des lignes de dialogue en exemple, si je ne devais en citer qu'une ce serait le fabuleux Girls who starts with breakfast usually don’t stay for supper qui contient absolument tout ce que le film représente). Et puis il y a le plaisir de retrouver Maurice Chevalier, tour à tour enjôleur, carnassier, graveleux, filou (la séquence où en quelques minutes il passe d'une potentielle radiation de l'armée à prétendant de Miriam Hopkins, le tout en récupérant subrepticement un billet de banque, est de bout en bout irrésistible), le séducteur par excellence qui se fera finalement prendre à son propre jeu. Parce qu'enfin, la progression la plus décisive ici est que les personnages principaux ont pris une vraie épaisseur et ne sont plus enfermés dans un rigide carcan. Loin semble Ramon Novarro dans Vieil Heidelberg qui épouse à contrecœur celle qu'on lui a imposé tout en se lamentant de celle qu'il aimait. La Princesse Anna saura elle, sur les bons conseils de Franzi, comment achever sa conquête de Kiki et lui faire oublier son amante violoniste - en se faisant à son tour plus séductrice et aguicheuse afin de réveiller sa libido. En un mot, virtuose.
5.5/6

L'Homme que j'ai tué (1932)
Mise en scène terne qui ne parvient pas à faire oublier son origine théâtrale, acteurs principaux horriblement lourd (Phillips Holmes et Nancy Carroll dont je n'avais jamais entendu parler), c'est dans ses à-côtés que Lubitsch a laissé sa marque, dans la description de cette mesquinerie d'une petite ville d'Allemagne, où la rancœur contre les français est encore vive, où il est mal vu de sympathiser contre l'ancien ennemi mais où, lorsque l'on voit une jeune femme se promener au bras d'un parisien de passage le commerçant s'empresse alors de remplacer l'étiquette indiquant le prix d'une robe en la remplaçant par une nouvelle où celui-ci a soudain pris 10%.
3/6

Une heure près de toi (1932)
Remake de Comédiennes qui ne me convainc pas plus que le film original. Bien que Lubitsch essaie d'insuffler plus de légèreté que dans sa version muette (le choix de l'opérette, le couple MacDonald/Chevalier qui était parfait dans Parade d'amour, et surtout un scénario qui limite cette fois les situations de quiproquos), ça ne prend pas vraiment, le film restant le cul entre deux chaises, la faute à un carcan vaudevillesque dont il ne parvient pas à parfaitement s'extraire et à certaines ellipses qui rendent certains enchaînements proprement incompréhensibles si on n'a pas vu la version de 1924 (et ce ne sont pas les quelques afféteries de mise en scène - les nombreux dialogues face caméra à l'attention direct des spectateurs - qui changent quoi que ce soit à l'affaire). Pour s'en convaincre il suffit d'observer la prestation de Maurice Chevalier, tout engoncé dans son costume et ce rôle mal taillé pour lui, bien loin de la liberté de ton qui faisait le charme de ses deux premières apparitions chez Lubitsch.
4/6

Haute pègre (1932)
Deux scènes identiques (la restitution de ce que les deux escrocs ont subtilisé à leur partenaire), l'une au début qui voit le couple Hopkins/Marshall se former, la seconde à la fin comme une confirmation de leur complicité intangible, cristallisent (de par leur vitalité et leur espièglerie) ce qui par ailleurs manque terriblement dans ce film pour véritablement me toucher. Parce que pour le reste, j'ai eu l'impression de voir consciencieusement déroulé une recette éprouvée (on ne m’ôtera pas de l'idée que resservir pour la 4ème fois le même élément scénaristique - le placement des noms lors d'un banquet - est tout de même le signe d'une certaine facilité), certes très brillamment, mais sans âme.
4/6

Si j'avais un million (segment "The Clerk", non crédité, 1932)
On ne peut plus en prise avec son époque (on est alors en pleine Grande Dépression), les 7 sketchs sont autant d’exutoires de la frustration plébéienne contre la tyrannie du patronat ou l'iniquité de leur condition. Le dernier segment est particulièrement intéressant en ce qu'il nous montre qu'il y a 90 ans se posait déjà la question de l'abandon des ainés dans des institutions qui privilégiaient l'appât du gain au bien-être de ses pensionnaires. Pour ce qui est de la contribution de Lubitsch, elle est de l'ordre de l’haïku puisque son sketch dure moins d'une minute montre en main. C'est pourtant le meilleur de tous, à la fois économe dans ses effets et précis dans ce qu'il décrit (Laughton reçoit le courrier avec le chèque d'un million, il se lève de son bureau, passe plusieurs portes comme autant de marches dans la hiérarchie qu'il monte, ouvre la porte du grand patron et se contente de mimer le bruit d'un pet avec sa bouche).
3/6

Sérénade à trois (1933)
Avant de me lancer dans cette rétrospective je n'avais vu que 3 films de Lubitsch, dont celui-ci. La seconde vision fut salutaire, tant elle a bénéficié d'être effectuée dans la perspective de ses œuvres précédentes. Parce que la figure du triangle amoureux, abondamment traitée dans sa filmographie, a ceci de particulier dans Sérénade à trois qu'elle perdure (le seul autre exemple serait celui de La Princesse aux huîtres, mais il est beaucoup moins explicite), ce qui est rendu possible par l'adjonction d'un quatrième larron dans l'équation sentimentale, la parfaite antithèse au trio Hopkins/Cooper/March qui leur permet de prendre conscience de ce qui a un temps perverti leurs relations (la réussite sociale au détriment du bonheur amoureux). Alors que le couple semblait être le seul horizon viable jusque là (couple de la haute société qui plus est, le ou la perdante étant toujours situé plus bas que les 2 autres dans l'échelle sociale), la permanence de ce ménage à trois ici est une quasi victoire de classe, celle des opprimés sur les oppresseurs, comme celles des idéalistes sur les petits calculateurs égoïstes. Pour autant, et même si les éclairs brillant abondent (le vase renversé 2 fois lors de la nuit de noces, la machine à écrire que Gilda réussit à remettre en marche), je n'ai pas retrouvé dans Sérénade à trois la constance de ses meilleurs films, la faute à quelques baisses de rythme (certaines longues scènes de dialogue) et autres brusques rebondissements directement imputables à son origine théâtrale (le découpage originel de la pièce est ainsi trop aisément identifiable, le départ de Thomas pour Londres et son retour provoquant la fuite de Gilda étant deux marqueurs évidents de la fin d'un acte).
4.5/6

La Veuve joyeuse (1934)
Je m'étonne du peu de considération pour cette ultime opérette, dans les rares critiques que j'ai pu lire on lui concède, du bout des lèvres, que c'est évidemment un film qui n'est pas totalement dénué d'intérêt (puisque c'est un film de Lubitsch), mais que c'est tout de même une œuvre mineure. Pour ma part je trouve au contraire que c'est une œuvre majeure du maître berlinois, qui reprend les motifs esquissés dans la meilleure de ses opérettes (Le Lieutenant souriant), et dans laquelle il insuffle la truculence et la vitalité de ses comédies grotesques (jamais Maurice Chevalier n'aura mieux incarné la frivolité et la concupiscence que pendant la première heure du film), et dont il reprend également la verve visuelle (que ce soit dans l'originalité des costumes et l'énormité des décors à la manière de La Chatte des montagnes, ou les splendides scènes de foule en intérieur qui rappellent celles de La Princesse aux huîtres). Et il n'est pas anodin que le film fasse directement suite à Sérénade à trois, puisqu'il est une nouvelle démonstration de la primauté des sentiments sur les conventions, le couple MacDonald/Chevalier faisant peu de cas de la pression d'état qui entoure leur relation naissante, acceptant de finalement s'unir non pour répondre à l'injonction qui leur est faite mais simplement pour satisfaire aux élans de leur cœur (l'ultime séquence qui voit le couple enfermé dans une geôle et où on leur passe tour à tour du champagne puis les alliances par la trappe alimentaire est probablement l'une des plus savoureuse de toute sa filmographie).
5/6

Ange (1937)
Ange marque une nette rupture dans la filmographie de Lubitsch, et qu'il soit directement postérieur à l'exubérant La Veuve Joyeuse renforce d'autant plus cette impression. Mise en scène d'une grande sobriété (on pourrait même parler d'épure), acteurs constamment sur la retenue et empreints d'une gravité inhabituelle, jamais le hors-champ n'avait jusqu'à alors pris une importance aussi décisive (il y a cette scène fameuse où en cuisine on inspecte les assiettes qui reviennent pour y discerner l'humeur de chaque convive, mais c'est également le cas lorsque "Poochy" veut offrir un bouquet à Ange, et dont on ne voit la fuite qu'au travers du visage de la vendeuse de fleurs, ou encore lorsqu'il s'approche de la photo de Lady Barker posée sur le piano). C'est que le plaisir, voir plus largement encore les émotions n'ont plus leur place dans cet univers sclérosé, où le couple ne tient plus que par la force des habitudes. Si Ange est allé ce fameux mercredi chez la grande-duchesse Anna à Paris, c'était, à la manière d'une Emma Bovary, pour rompre avec la monotonie de son quotidien et tenter de rallumer l'étincelle de la passion amoureuse. Mais cela ne devait pas durer plus qu'une nuit. Que l'amant d'un jour, du fait d'un improbable concours de circonstances (le mari et l'amant ont, 15 ans plutôt, partagé la couche d'une même femme à Paris, sans jamais s'y croiser), fasse alors irruption dans son quotidien, et c'est le château de cartes des conventions contre lesquelles Lubitsch s'est si longtemps battues qui risque de s'écrouler. Cette situation, aussi étonnant que cela puisse paraître, est inhabituelle chez Lubitsch. On ne l'aura vu que dans Comédiennes (et son remake), et elle était évacuée d'un revers de la main (le mari, incapable de s'imaginer son épouse infidèle, simulait avec l'amant un court emportement). Mais le temps où l'on prenait l'adultère à la légère n'est plus (est-ce l'influence du code Hays sur le film? Pourtant Lubitsch n'était pas spécialement dans le collimateur de la censure, au contraire même, eux qui louaient son art de l'ellipse), que l'on soit la personne qui trompe ou celle qui est trompée. Sa résolution, dans une dernière séquence parisienne d'une puissance à couper le souffle, passera alors par le reconnaissance des torts partagés et la promesse d'une attention renouvelée... pour combien de temps? L'amour n'est fait d'aucunes certitudes (et surtout pas celle de son infinitude), et c'est aveuglément que l'on décide de suivre sa voie, à nos risques et périls.
6/6

La Huitième femme de Barbe-bleue (1938)
Première collaboration avec Wilder où l'on ressent étonnement plus la patte du scénariste (malheureusement pas ce que je préfère chez lui, la parenté se situe plutôt du côté de ses comédies frénétiques et épuisantes telles Certains l'aiment chaud ou Un, deux, trois) que celle du réalisateur. Loin des sommets atteints avec Ange, La Huitième femme de Barbe-bleue est une screwball comedy qui apparaît comme particulièrement laborieuse, privilégiant l'abattage de ses acteurs et l'accumulation de situations "désopilantes" à la finesse d'écriture.
3/6

Ninotchka (1939)
Pas sûr que d'avoir fait cohabiter une romance aussi mièvre (il faut remonter à ses films muets pour retrouver une telle lourdeur mélodramatique) avec un positionnement politique douteux (russes blancs et rouges renvoyés dos à dos, les derniers pas les moins coupables d'avoir corrompus l'équilibre naturel entre hommes et femmes - les aristocrates russes étaient peut-être des salauds, mais eux au moins savaient faire la cour avec élégance !) ait été la meilleure idée de Lubitsch. Alors quand en plus l'actrice principale est mauvaise... Et pourtant, malgré tous ses défauts, les traits humoristiques font souvent mouche.
4/6

Rendez-vous (1940)
Je tiens pour l'un des aspects les plus réjouissants dans l’œuvre de Lubitsch ses magnifiques portraits de femmes, personnages aux caractères affirmés, véritable pilier sur lequel se fait la cohésion du couple (l'homme étant à l'inverse inconstant et queutard). Quel étonnement de voir dans Rendez-vous ce brusque retournement de point de vue, où la gent féminine est croquée sous les traits de vieilles filles godiches (les tantes de Karla et ses collègues de travail) et épouses antipathiques (celles de Pirovitch et Matuschek), quand Karla (la seule qui dépasse le statut de simple caricature) devient le jouet des manipulations de Mr Kralik jusque dans une ultime séance de torture mentale où il prend manifestement un plaisir non dénué de sadisme à faire s'écrouler l'image de l'amoureux épistolaire qu'elle s'était forgée. La note de gaieté sur lequel se termine le film ne doit pas tromper, l'ensemble se teintant d'une profonde amertume sur le côté peu amène de la vie de couple, entre routine du quotidien (Pirovitch) et sortie de route adultérine (Matuschek). Un peu comme si Lubitsch concluait qu'avec tout ce que les femmes font subir aux hommes une fois mariées, elles méritent bien qu'avant on les fasse tourner un peu en bourrique ! Enfin, tout ça pour dire que cet aspect un tantinet misogyne m'a tout de même gâché un film par ailleurs pétri de qualités...
4.5/6

Illusions perdues (1941)
D'un triangle amoureux sinon identique, du moins proche de celui d'Ange (Jill souffre pareillement du manque d'attention de son époux, ce qui provoque chez elle d’irrépressibles hoquets et de longues nuits d'insomnie), Lubitsch tire un constat radicalement opposé (et dont on retrouve l'origine dans Comédiennes), le mari trompé faisant peu de cas de l'infidélité de son épouse, convaincu qu'il est de l'évanescence de sa relation extra-conjugale et qui finira effectivement par privilégier son confort bourgeois à l'excentricité de son amant pianiste, par ailleurs terriblement antipathique (Burgess Meredith, l'un des pires miscast lubitschien).
3/6

Jeux dangereux (1942)
Il m'a fallu un peu de temps pour passer outre ma déception initiale. Parce que le sujet du film n'est finalement ni le triangle amoureux formé par le couple Tura et le Lieutenant Sobinski, qui n'a d'autre utilité que celle purement fonctionnelle qui lui est assignée dans le scénario (et autorise quelques bons mots savoureux, dont le gag récurrent qui donne le titre au film), pas plus qu'il n'est une charge politique (je l'ai au contraire trouvé totalement inoffensif sur ce point, les nazis étant réduits à une bande de pieds nickelés - on est tout de même très loin d'un Chaplin, qui en utilisant pareillement la satire, entreprenait de déconstruire la figure du Führer en en prenant la pleine mesure). Non, et c'est ce qui m'a perturbé parce que je n'attendais pas cela de la part de Lubitsch, le cœur du film c'est cette troupe de comédiens médiocres (d'où le fameux What he did to Shakespeare we are now doing to Poland), qui ont une occasion unique de jouer le rôle de leur vie, l'un celui d'Hitler qu'il n'a pu tenir sur scène après l'annulation de leur pièce, l'autre celui de Shylock dans Le Marchand de Venise - la référence la plus évidente à la judéité de la troupe. C'est touchant, profondément humain, mais totalement inattendu.
4.5/6

Le Ciel peut attendre (1943)
Film somme, qui a une valeur quasi testamentaire en ce qu'il opère la fusion du meilleur du cinéma de Lubitsch (d'une part la légèreté (de ton et de mœurs) de ses films-opérettes, et de l'autre la maturité de ses œuvres les plus graves - Ange), et qu'il adopte une hauteur de vue qui siérait parfaitement à un réalisateur au crépuscule de sa carrière, alors qu'il n'avait alors que 51 ans (mais déjà une crise cardiaque derrière lui). A croire qu'il avait le pressentiment de sa fin proche. Premier film en couleur également, comme une évidence, comme s'il avait fallu attendre que toutes les pièces de son puzzle sentimental soient assemblées pour que la lumière jaillisse.
Dans la quasi totalité de son œuvre, Lubitsch semble avoir cherché une solution à l’insoluble problème de la pérennité du bonheur dans le couple. Certaines de ses œuvres sont heureuses, d'autre plus sombres quand les personnages principaux se résolvent à endurer les contraintes de l'étiquette. Il y est toujours question de sacrifice, que ce soit de l'amour pour l'être aimé ou de sa position sociale. Le Ciel peut attendre c'est tout cela à la fois, et encore un petit peu plus. Parce que, fait unique, il entreprend de nous montrer en même temps ces deux facettes : d'un côté le couple qui s'englue dans une monotonie routinière, laissant monter une acrimonie réciproque (la scène du petit déjeuner chez les Strable en est le meilleur exemple, scène d'une parfaite acuité et d'une profonde humanité, qui nous montre à voir la triste déréliction de ce couple que le retour inopiné de leur fille ravive immédiatement), de l'autre un dandy coureur de jupons (génial Don Ameche, qui reprend un flambeau longtemps laissé orphelin par Maurice Chevalier), qui sans jamais cesser d'aimer sa femme n'en courtisera pas moins de nombreuses autres. Que le fait soit découvert après de 10 ans de mariage met la relation en péril. Au bout de 20 ans, sa femme n'en prend plus ombrage, puisqu'avec le temps elle a bien compris que c'était la clef de leur équilibre et de leur bonheur (il va sans dire qu'à l'aune de notre époque, le film se ferait étriller pour sa masculinité toxique, malgré l'intemporalité de ce qui y est exposé et la finesse de son traitement). Point d'orgue lorsque van Cleeve arrive à l'accueil des Enfers, convaincu qu'il devra ici passer le restant de ses jours, en récompense de ses constantes infidélités (mais une fois l'histoire de sa vie exposée, le diable lui signifiera que sa place est non pas aux Enfers mais au Paradis (peut-être après quelques centaines d'années au purgatoire, pour faire amende honorable), les pêchés de van Cleeve étant bien anodins au regard du bonheur qu'il aura donné aux nombreuses femmes qui ont croisées sa route !)
Et non content d'avoir semble-t-il enfin trouvé une solution à son problème, Lubitsch y adjoint une savoureuse description du cycle de la vie, déjà esquissée dans Rendez-vous (les 4 rôles masculins principaux incarnant autant d'étapes dans la vie d'un homme), approfondie ici en nous narrant l'intégralité des 80 années de la vie de Henry van Cleeve, de nourrisson (où il appris très tôt à manipuler les femmes - sa mère et sa grand-mère) à vieillard qui jouit de ses dernières années par procuration (rôle que tenait avant lui son grand-père, campé par un truculent Charles Coburn - les seconds rôles sont dans leur ensemble éblouissants), en passant par cet âge intermédiaire où l'on se sent encore d'humeur à courir la donzelle mais où celle-ci nous préférera de jeunes étalons plus vigoureux. De la franche comédie qu'il semblait être initialement, le film bascule insensiblement dans une profonde mélancolie, la vie de van Cleeve étant rythmée par la disparation progressive de ses proches.
Film ample et ambitieux, placé sous le signe de l'apaisement, sur la corde raide entre mélo et comédie sans aucun faux pas (on ne pleure ni ne rit plus qu'il ne faut), définitivement l'une des œuvres majeures du maître berlinois, que je recommande chaudement à tous ceux qui ne l'ont pas encore vu (voir à ceux pour qui Lubitsch reste à découvrir), je suis convaincu que ça peut sincèrement toucher le plus grand nombre.
5.5/6

La Folle ingénue (1946)
Si le précédent est testamentaire, celui-ci a une forte connotation autobiographique, si ce n'est dans les faits, du moins dans l'esprit. Parce que cet émigré tchèque qui s'est réfugié à Londres pour fuir le régime nazi, affable et courtois ce qui ne l'empêche pas de se comporter comme un pique-assiette, moins occupé à organiser une quelconque résistance qu'à s'amuser des us et coutumes de ses hôtes, c'est évidemment Lubitsch. Et force est de constater que de toute sa filmographie, c'est probablement celui où il est à la fois le plus acerbe (les anglais, toutes castes confondues, prennent très chers), le plus grivois (Jennifer Jones avec sa passion pour la plomberie, elle dont l’œil s'illumine à la simple idée de déboucher une canalisation), mais dans le même temps le plus détaché, Belinski n'ayant d'autres ambitions que de mettre la main sur la plus délurée de toute, laissant les autres à leur (triste) sort. Un grand film de jouisseur. Et il n'est pas anodin que pour l'incarner il ait choisi Charles Boyer, dont la décontraction n'est pas sans rappeler celle d'un autre acteur français précédemment passé entre ses mains. Si les piques à l'attention de la France n'ont jamais manqué dans son cinéma, il est évident qu'il y trouvait également une vraie communauté d'esprit.
5/6

La Dame au manteau d'hermine (1948)
C'est tout de même fou comme la fin de carrière de Lubitsch ressemble à un dernier tour d'honneur, après le film testament et la pseudo-autobiographie ce dernier (que Preminger a terminé, Lubitsch étant mort pendant le tournage suite à sa seconde crise cardiaque) est un véritable pot-pourri de ce que sa filmographie recelait de plus libre et de plus trivial, reprenant les motifs de ses opérettes (Parade d'amour en particulier) et de ses comédies grotesques (La Poupée dont il s'inspire énormément, de la figure féminine principale redoublée au travestissement). Si le film n'est pas l'une de ses oeuvres majeures, ça n'est malgré tout pas la catastrophe que je craignais.
4/6

Top global
1. Ange (1937)
2. Le Ciel peut attendre (1943)
3. Le Lieutenant souriant (1931)
4. L’Éventail de Lady Windermere (1925)
5. La Veuve joyeuse (1934)
6. La Folle ingénue (1946)
7. La Chatte des montagnes (1921)
8. La Princesse aux huîtres (1919)
9. La Poupée (1919)
10-14.
Parade d'amour (1929)
Jeux dangereux (1942)
Rendez-vous (1940)
Sérénade à trois (1933)
Je ne voudrais pas être un homme (1918)
15-22.
Ninotchka (1939)
Vieil Heidelberg (1927)
Rosita, chanteuse des rues (1923)
Monte Carlo (1930)
Comédiennes (1924)
Une heure près de toi (1932)
Haute pègre (1932)
La Dame au manteau d'hermine (1948)
23-29.
Illusions perdues (1941)
La Huitième femme de Barbe-bleue (1938)
L'Abîme (1929)
L'Homme que j'ai tué (1932)
Carmen (1918)
Madame du Barry (1919)
Roméo et Juliette dans la neige (1920)
30-32.
Les Filles de Kohlhiesel (1920)
Anne Boleyn (1920)
La Femme du Pharaon (1922)
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Jeremy Fox
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Jeremy Fox »

Merci pour cette rétrospective notée et annotée :)
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Flol
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Flol »

Lohmann a écrit : 22 oct. 21, 14:30
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Rétro terminée, pour ce que ça vaut mes commentaires (plus ou moins détaillés).

Je ne voudrais pas être un homme (1918)
Assez époustouflant pour un film de plus de 100 ans, rythme d'une grande modernité et justesse dans le traitement et le jeu des acteurs, subversif sans jamais sombrer dans la vulgarité (l'amitié virile entre Ossi et son tuteur qui se transmue subrepticement en romance est génialement mise en scène), sur le sujet rebattu du travestissement pas sûr que l'on ait fait beaucoup mieux par la suite au cinéma.
4.5/6

Carmen (1918)
Quoi de plus approprié pour lancer le ballet de ses films historiques qu'une adaptation de Carmen ? Et je doute que Lubitsch partage (à cette époque en tout cas), comme le faisait Mérimée (citant lui-même Palladas), l'idée selon laquelle toute femme est amère comme le fiel, mais elle a deux bonnes heures, une au lit, l’autre à sa mort.
3/6

Madame du Barry (1919)
Historiquement important puisque premier film allemand exporté à l'international (avec déluge de quolibets de la critique française à la clé, d'aucuns opposant le cinéma commercial à l'allemande, dénué de toutes qualités artistiques, à l'excellence de la production française qui elle malheureusement ne s'exportait pas encore - je ne pensais pas les racines de l'exception française si ancienne!), si le traitement à l'emporte pièce de la Révolution française n'a rien à envier à celui de Griffith dans Les Deux Orphelines, c'est surtout la première partie décrivant la fulgurante progression sociale de la courtisane Du Barry qui retient l'intérêt (et dont on retrouvera l'écho dans Liliane de Alfred E. Green), le film raccordant dans sa seconde partie de manière lourdement mélodramatique la petite et la grande histoire.
3/6

La Poupée (1919)
Sans oublier les fondements anarchiques du genre, Lubitsch le transcende dans cette fantaisie burlesque pleine d'inventivité qui redouble tant sur le fond que dans la forme les questions de l'apparence et des faux-semblants, où tout est factice du décor au cheval ridiculement incarné par deux acteurs glissés dans un large costume, jusqu'au neveu que l'on cherche à marier et dont l'homosexualité est patente. Ossi Oswalda rayonne plus que jamais de par son naturel et ses facéties, je m'étonne que sa collaboration avec Lubitsch n'ait pas perduré au-delà du film suivant.
4.5/6

La Princesse aux huîtres (1919)
Cette fois ce n'est plus Ossi qui usurpe sa propre identité, mais son prétendant de prince qui envoie son majordome (et probablement pas que) à son propre mariage. Richesse de la composition des plans, somptuosité des mouvements de foule où la croissance exponentielle du nombre de domestiques est mise en scène tel un ballet.
5/6

Les Filles de Kohlhiesel (1920)
Comédie un peu niaise qui a tout de l’intermède mineur.
2/6

Roméo et Juliette dans la neige (1920)
A la manière du précédent film Lubitsch se joue non seulement de la rudesse des mœurs bavaroise, mais également du romantisme allemand. Roméo et Juliette qui pensaient s'empoisonner boivent en fait de l'eau sucré, personne ne meurt et les deux familles se rabibochent gaiement.
3/6

Anne Boleyn (1920)
Fresque historique qui ne bénéficie malheureusement pas de l'ambiguïté de la courtisane Madame du Barry qui privilégiait l'ambition aux sentiments. Anne Boleyn est à l'opposé un être au cœur pur, trop lisse (que le rôle soit tenu par l'actrice des Filles de Kohlhiese n'aide pas), qui en est réduit à subir les écarts de son mari lubrique. Ne reste alors que le jeu outrancier des acteurs, Emil Jannings en tête.
2/6

La Chatte des montagnes (1921)
La plus délirante de ses comédies grotesques, où l'on croise un queutard invétéré qui a engrossé tout ce que sa garnison comptait de gent féminine (prétexte à de gargantuesques scènes de foules) et des brigands qui aiment se faire fouetter les fesses, mais surtout orgie visuelle qui regorge de trouvailles, des décors (de l'énorme château garnison bardé de canons, à mi-chemin entre Alice au pays des merveilles et Le Roi et l'Oiseau, aux scène dans les montagnes dont certaines anticiperaient presque Alexandre Nevski - les scènes sur le lac gelé) au moindre élément de décoration ou vestimentaire conçus spécifiquement pour le film, et ce jusqu'aux cadres sans cesse renouvelés (la forme des caches évoquant ici un œil, là une bouche, plus tard des dents...). Un pur régal.
5/6

La Femme du Pharaon (1922)
Les héroïnes se faisant de plus en plus virginales, l’intérêt principal de ses films historiques se limitent progressivement à la variété dans le sadisme de leur exécution. Après 2 décapitations, petite touche d'originalité ici avec une lapidation, sans compter celle avortée de Ramphsis que l'on s’apprêtait à écraser entre deux immenses blocs de pierre. Ce qui reste néanmoins le plus fascinant dans cet orientalisme de pacotille est la prestation de Jannings, qui quasiment 10 ans avant l'Ange bleu semble déjà se délecter de sa déchéance progressive.
2/6

Rosita, chanteuse des rues (1923)
Malgré ses défauts (une première partie trop molle et trop longue où le roi d'Espagne - joué par un quasi sosie de Lubitsch - préfère conter fleurette que de s'occuper de paperasseries, et un scénario aux ressorts trop artificiels), ce premier film américain est tout de même une réussite, le premier où Lubitsch allie avec succès en évitant tout pathos ses deux genres de prédilections (la grosse comédie et le drame historique) et qui pour la première fois réussit à profondément toucher le spectateur dans ses moments les plus dramatiques. Et puis il y a surtout ce magnifique personnage de la reine d'Espagne, qui semble mineur mais est pourtant ô combien important, une épouse régulièrement trompée qui ne semble pas prendre ombrage de la nature volage de son mari mais dont l'ultime intervention viendra à la fois sauver la vie de Don Diego et signifier avec malice à son mari de Roi qu'il est temps de mettre un terme à ses activités extra-conjugales.
4/6

Comédiennes (1924)
La naissance d'une grammaire cinématographique (la fameuse Lubitsch Touch) dans ce vaudeville avec ses incontournables mari et épouse trompés, amant dans le placard et déluge de quiproquos. Pour amateur du genre. Je me demande tout de même si Wilder, pour la scène où le chariot d'alcool navigue d'un bout à l'autre de la chambre de Gary Cooper dans Ariane, s'est inspiré de celle similaire dans ce film.
4/6

L’Éventail de Lady Windermere (1925)
Nouveau vaudeville d'une intelligence indéniablement supérieur à Comédiennes (il n'y a qu'à comparer leur scène finale respective), riche d'innombrable détails de mise en scène (la longue séquence de l'hippodrome, l'arrivée de Mrs. Erlynne à l'anniversaire de Lady Windermere, et toutes les scènes avec Ronald Colman, un acteur d'une grande subtilité), et qui traite avec justesse et malice du poids de la réputation dans la haute société de l'époque. Reste que je trouve (comme souvent avec ce genre) la mécanique scénaristique lourde (Mrs. Erlynne à qui l'on empêche de dire à Lady Windermere qu'elle est sa fille, l'autre d'alors imaginer qu'elle serait l'amante de son mari, ces situations ne finiront jamais de me gaver).
5/6

Vieil Heidelberg (1927)
Solitude du pouvoir et renoncement du fait de la fonction contre permanence de l'amour. D'un matériau originel qui n'était pas sien (Thalberg avait tout d'abord pensé à von Stroheim), Lubitsch y a injecté suffisamment de lui-même pour que ce film ne dénote pas dans sa filmographie : ton humoristique et précision de la mise en scène lors de quelques moments clés (le premier baiser entre le Prince Karl Heinrich et Kathi hors-champ signifié par un teckel qui rebrousse chemin une fois qu'il les a vu, ou encore la très belle séquence finale ou le Prince devenu Roi est seul dans le cadre, excluant du champ de la caméra celle qu'on lui a imposé pour épouse). Reste que la romance se fait parfois un peu trop mièvre et Ramon Novarro, archétype de la star du cinéma muet, peine à dépasser le statut de bellâtre falot.
4/6

L'Abîme (1929)
Ne pas croire ce qu'en dit Skip McKoy sur son blog, si ce n'est certes pas son meilleur film muet c'est pourtant une œuvre profondément lubitschienne qui traite à la fois du sens du sacrifice, du poids du qu'en dira-t-on et d'amour éternel (le titre original du film). Et puis il y a l'une des plus belles litotes cinématographiques de toute sa filmographie (Marcus sous l'emprise de l'alcool dont le regard parcours circulairement les murs de son chalet jusqu'à tomber sur le masque de Pia, scellant son infidélité). La séquence finale, sous intervention divine, aurait par contre plus sa place chez DeMille voir rappelle le von Trier de Breaking the Waves, et il faut également passer outre le jeu outré de John Barrymore (que je découvrais dans ce film), pâle copie de George Bancroft et l'une des pires stars du cinéma muet qu'il m'ait été donné de voir.
3/6

Parade d'amour (1929)
Pour ce premier film parlant, bien que l'on ressente les contraintes inhérentes à la prise de son (même si Lubitsch essaie de les dynamiser par le montage, les scènes de dialogue sont trop statiques), et si les intermèdes chantés hachent le rythme, on se réjouit de retrouver la frivolité et l'espièglerie qui caractérisaient ses comédies burlesques, incarnés à merveille par le duo Maurice Chevalier/Jeanette MacDonald. La morale, somme toute assez simple, selon laquelle le bonheur d'un couple se trouve dans l'harmonie et le respect mutuel, et ici révélée en inversant le rapport de domination usuel entre époux : lui, qui semble avoir été choisi pour mari pour ses seuls talents de coureurs de jupon (au terme de la plus belle séquence du film, celle de leur premier dîner en privé scruté de toutes parts et à laquelle Wilder rendra hommage dans Sabrina, lorsqu’Audrey Hepburn observe la soirée mondaine perchée dans son arbre), endosse les habits du Prince consort dont le seul rôle se limite à celui qui lui est réservé dans le secret de l'alcôve, quand la Reine Louise édicte à la fois les règles dans son royaume et son couple mais est également sujette aux contraintes de l'étiquette (ce qui était déjà le cas de Karl Heinrich dans Vieil Heidelberg), ce dont Alfred Renard saura tirer profits en usant de subterfuges généralement réservés au sexe féminin (chantage quant à sa potentielle présence lors de la première sortie officielle du couple royal et autres caprices de diva).
4.5/6

Monte Carlo (1930)
Parfaite intégration des numéros musicaux à la narration, rythme fluide, il n'aura pas fallu plus d'un film à Lubitsch pour parfaitement s'adapter au parlant et corriger les faiblesses de Parade d'amour. Mais, est-ce parce qu'il s'est particulièrement attaché à régler ce problème de rythme, j'ai trouvé celui-ci moins enlevé que le précédent, soit il n'est pas avare en allusions grivoises, mais la mise en scène est moins vive, moins riche de ces détails qui font le sel de ses meilleurs films (le meilleur étant ici ce moment où la Comtesse Mara cache les clés de sa chambre l'une après l'autre, source d'un probable nouvel hommage dans La Scandaleuse de Berlin - à croire que chaque film de Wilder recèle au moins un clin d’œil à l'attention de son maître), quand le scénario se contente lui de progressivement basculer dans une énième romance (soit agrémenté d'un nouveau discours sur le poids des conventions dans la haute société - le parallèle fait avec l'opéra Monsieur Beaucaire auquel les deux amants assistent). Et Jack Buchanan, sans être déplaisant, ne vaut pas Maurice Chevalier.
4/6

Le Lieutenant souriant (1931)
Évidence dès la scène liminaire que le cinéma de Lubitsch a soudainement basculé dans quelque chose de plus profond et plus précis, la quintessence de son cinéma en quelque sorte. C'est à la fois drôle, poignant, économe dans ses effets (il n'y a par exemple besoin que d'un seul quiproquo, fugace, un clin d’œil adressé à l'être aimé mais intercepté par une tierce personne, pour changer le cours de l'histoire), d'une précision diabolique dans l'écriture (on pourrait citer à peu près n'importe laquelle des lignes de dialogue en exemple, si je ne devais en citer qu'une ce serait le fabuleux Girls who starts with breakfast usually don’t stay for supper qui contient absolument tout ce que le film représente). Et puis il y a le plaisir de retrouver Maurice Chevalier, tour à tour enjôleur, carnassier, graveleux, filou (la séquence où en quelques minutes il passe d'une potentielle radiation de l'armée à prétendant de Miriam Hopkins, le tout en récupérant subrepticement un billet de banque, est de bout en bout irrésistible), le séducteur par excellence qui se fera finalement prendre à son propre jeu. Parce qu'enfin, la progression la plus décisive ici est que les personnages principaux ont pris une vraie épaisseur et ne sont plus enfermés dans un rigide carcan. Loin semble Ramon Novarro dans Vieil Heidelberg qui épouse à contrecœur celle qu'on lui a imposé tout en se lamentant de celle qu'il aimait. La Princesse Anna saura elle, sur les bons conseils de Franzi, comment achever sa conquête de Kiki et lui faire oublier son amante violoniste - en se faisant à son tour plus séductrice et aguicheuse afin de réveiller sa libido. En un mot, virtuose.
5.5/6

L'Homme que j'ai tué (1932)
Mise en scène terne qui ne parvient pas à faire oublier son origine théâtrale, acteurs principaux horriblement lourd (Phillips Holmes et Nancy Carroll dont je n'avais jamais entendu parler), c'est dans ses à-côtés que Lubitsch a laissé sa marque, dans la description de cette mesquinerie d'une petite ville d'Allemagne, où la rancœur contre les français est encore vive, où il est mal vu de sympathiser contre l'ancien ennemi mais où, lorsque l'on voit une jeune femme se promener au bras d'un parisien de passage le commerçant s'empresse alors de remplacer l'étiquette indiquant le prix d'une robe en la remplaçant par une nouvelle où celui-ci a soudain pris 10%.
3/6

Une heure près de toi (1932)
Remake de Comédiennes qui ne me convainc pas plus que le film original. Bien que Lubitsch essaie d'insuffler plus de légèreté que dans sa version muette (le choix de l'opérette, le couple MacDonald/Chevalier qui était parfait dans Parade d'amour, et surtout un scénario qui limite cette fois les situations de quiproquos), ça ne prend pas vraiment, le film restant le cul entre deux chaises, la faute à un carcan vaudevillesque dont il ne parvient pas à parfaitement s'extraire et à certaines ellipses qui rendent certains enchaînements proprement incompréhensibles si on n'a pas vu la version de 1924 (et ce ne sont pas les quelques afféteries de mise en scène - les nombreux dialogues face caméra à l'attention direct des spectateurs - qui changent quoi que ce soit à l'affaire). Pour s'en convaincre il suffit d'observer la prestation de Maurice Chevalier, tout engoncé dans son costume et ce rôle mal taillé pour lui, bien loin de la liberté de ton qui faisait le charme de ses deux premières apparitions chez Lubitsch.
4/6

Haute pègre (1932)
Deux scènes identiques (la restitution de ce que les deux escrocs ont subtilisé à leur partenaire), l'une au début qui voit le couple Hopkins/Marshall se former, la seconde à la fin comme une confirmation de leur complicité intangible, cristallisent (de par leur vitalité et leur espièglerie) ce qui par ailleurs manque terriblement dans ce film pour véritablement me toucher. Parce que pour le reste, j'ai eu l'impression de voir consciencieusement déroulé une recette éprouvée (on ne m’ôtera pas de l'idée que resservir pour la 4ème fois le même élément scénaristique - le placement des noms lors d'un banquet - est tout de même le signe d'une certaine facilité), certes très brillamment, mais sans âme.
4/6

Si j'avais un million (segment "The Clerk", non crédité, 1932)
On ne peut plus en prise avec son époque (on est alors en pleine Grande Dépression), les 7 sketchs sont autant d’exutoires de la frustration plébéienne contre la tyrannie du patronat ou l'iniquité de leur condition. Le dernier segment est particulièrement intéressant en ce qu'il nous montre qu'il y a 90 ans se posait déjà la question de l'abandon des ainés dans des institutions qui privilégiaient l'appât du gain au bien-être de ses pensionnaires. Pour ce qui est de la contribution de Lubitsch, elle est de l'ordre de l’haïku puisque son sketch dure moins d'une minute montre en main. C'est pourtant le meilleur de tous, à la fois économe dans ses effets et précis dans ce qu'il décrit (Laughton reçoit le courrier avec le chèque d'un million, il se lève de son bureau, passe plusieurs portes comme autant de marches dans la hiérarchie qu'il monte, ouvre la porte du grand patron et se contente de mimer le bruit d'un pet avec sa bouche).
3/6

Sérénade à trois (1933)
Avant de me lancer dans cette rétrospective je n'avais vu que 3 films de Lubitsch, dont celui-ci. La seconde vision fut salutaire, tant elle a bénéficié d'être effectuée dans la perspective de ses œuvres précédentes. Parce que la figure du triangle amoureux, abondamment traitée dans sa filmographie, a ceci de particulier dans Sérénade à trois qu'elle perdure (le seul autre exemple serait celui de La Princesse aux huîtres, mais il est beaucoup moins explicite), ce qui est rendu possible par l'adjonction d'un quatrième larron dans l'équation sentimentale, la parfaite antithèse au trio Hopkins/Cooper/March qui leur permet de prendre conscience de ce qui a un temps perverti leurs relations (la réussite sociale au détriment du bonheur amoureux). Alors que le couple semblait être le seul horizon viable jusque là (couple de la haute société qui plus est, le ou la perdante étant toujours situé plus bas que les 2 autres dans l'échelle sociale), la permanence de ce ménage à trois ici est une quasi victoire de classe, celle des opprimés sur les oppresseurs, comme celles des idéalistes sur les petits calculateurs égoïstes. Pour autant, et même si les éclairs brillant abondent (le vase renversé 2 fois lors de la nuit de noces, la machine à écrire que Gilda réussit à remettre en marche), je n'ai pas retrouvé dans Sérénade à trois la constance de ses meilleurs films, la faute à quelques baisses de rythme (certaines longues scènes de dialogue) et autres brusques rebondissements directement imputables à son origine théâtrale (le découpage originel de la pièce est ainsi trop aisément identifiable, le départ de Thomas pour Londres et son retour provoquant la fuite de Gilda étant deux marqueurs évidents de la fin d'un acte).
4.5/6

La Veuve joyeuse (1934)
Je m'étonne du peu de considération pour cette ultime opérette, dans les rares critiques que j'ai pu lire on lui concède, du bout des lèvres, que c'est évidemment un film qui n'est pas totalement dénué d'intérêt (puisque c'est un film de Lubitsch), mais que c'est tout de même une œuvre mineure. Pour ma part je trouve au contraire que c'est une œuvre majeure du maître berlinois, qui reprend les motifs esquissés dans la meilleure de ses opérettes (Le Lieutenant souriant), et dans laquelle il insuffle la truculence et la vitalité de ses comédies grotesques (jamais Maurice Chevalier n'aura mieux incarné la frivolité et la concupiscence que pendant la première heure du film), et dont il reprend également la verve visuelle (que ce soit dans l'originalité des costumes et l'énormité des décors à la manière de La Chatte des montagnes, ou les splendides scènes de foule en intérieur qui rappellent celles de La Princesse aux huîtres). Et il n'est pas anodin que le film fasse directement suite à Sérénade à trois, puisqu'il est une nouvelle démonstration de la primauté des sentiments sur les conventions, le couple MacDonald/Chevalier faisant peu de cas de la pression d'état qui entoure leur relation naissante, acceptant de finalement s'unir non pour répondre à l'injonction qui leur est faite mais simplement pour satisfaire aux élans de leur cœur (l'ultime séquence qui voit le couple enfermé dans une geôle et où on leur passe tour à tour du champagne puis les alliances par la trappe alimentaire est probablement l'une des plus savoureuse de toute sa filmographie).
5/6

Ange (1937)
Ange marque une nette rupture dans la filmographie de Lubitsch, et qu'il soit directement postérieur à l'exubérant La Veuve Joyeuse renforce d'autant plus cette impression. Mise en scène d'une grande sobriété (on pourrait même parler d'épure), acteurs constamment sur la retenue et empreints d'une gravité inhabituelle, jamais le hors-champ n'avait jusqu'à alors pris une importance aussi décisive (il y a cette scène fameuse où en cuisine on inspecte les assiettes qui reviennent pour y discerner l'humeur de chaque convive, mais c'est également le cas lorsque "Poochy" veut offrir un bouquet à Ange, et dont on ne voit la fuite qu'au travers du visage de la vendeuse de fleurs, ou encore lorsqu'il s'approche de la photo de Lady Barker posée sur le piano). C'est que le plaisir, voir plus largement encore les émotions n'ont plus leur place dans cet univers sclérosé, où le couple ne tient plus que par la force des habitudes. Si Ange est allé ce fameux mercredi chez la grande-duchesse Anna à Paris, c'était, à la manière d'une Emma Bovary, pour rompre avec la monotonie de son quotidien et tenter de rallumer l'étincelle de la passion amoureuse. Mais cela ne devait pas durer plus qu'une nuit. Que l'amant d'un jour, du fait d'un improbable concours de circonstances (le mari et l'amant ont, 15 ans plutôt, partagé la couche d'une même femme à Paris, sans jamais s'y croiser), fasse alors irruption dans son quotidien, et c'est le château de cartes des conventions contre lesquelles Lubitsch s'est si longtemps battues qui risque de s'écrouler. Cette situation, aussi étonnant que cela puisse paraître, est inhabituelle chez Lubitsch. On ne l'aura vu que dans Comédiennes (et son remake), et elle était évacuée d'un revers de la main (le mari, incapable de s'imaginer son épouse infidèle, simulait avec l'amant un court emportement). Mais le temps où l'on prenait l'adultère à la légère n'est plus (est-ce l'influence du code Hays sur le film? Pourtant Lubitsch n'était pas spécialement dans le collimateur de la censure, au contraire même, eux qui louaient son art de l'ellipse), que l'on soit la personne qui trompe ou celle qui est trompée. Sa résolution, dans une dernière séquence parisienne d'une puissance à couper le souffle, passera alors par le reconnaissance des torts partagés et la promesse d'une attention renouvelée... pour combien de temps? L'amour n'est fait d'aucunes certitudes (et surtout pas celle de son infinitude), et c'est aveuglément que l'on décide de suivre sa voie, à nos risques et périls.
6/6

La Huitième femme de Barbe-bleue (1938)
Première collaboration avec Wilder où l'on ressent étonnement plus la patte du scénariste (malheureusement pas ce que je préfère chez lui, la parenté se situe plutôt du côté de ses comédies frénétiques et épuisantes telles Certains l'aiment chaud ou Un, deux, trois) que celle du réalisateur. Loin des sommets atteints avec Ange, La Huitième femme de Barbe-bleue est une screwball comedy qui apparaît comme particulièrement laborieuse, privilégiant l'abattage de ses acteurs et l'accumulation de situations "désopilantes" à la finesse d'écriture.
3/6

Ninotchka (1939)
Pas sûr que d'avoir fait cohabiter une romance aussi mièvre (il faut remonter à ses films muets pour retrouver une telle lourdeur mélodramatique) avec un positionnement politique douteux (russes blancs et rouges renvoyés dos à dos, les derniers pas les moins coupables d'avoir corrompus l'équilibre naturel entre hommes et femmes - les aristocrates russes étaient peut-être des salauds, mais eux au moins savaient faire la cour avec élégance !) ait été la meilleure idée de Lubitsch. Alors quand en plus l'actrice principale est mauvaise... Et pourtant, malgré tous ses défauts, les traits humoristiques font souvent mouche.
4/6

Rendez-vous (1940)
Je tiens pour l'un des aspects les plus réjouissants dans l’œuvre de Lubitsch ses magnifiques portraits de femmes, personnages aux caractères affirmés, véritable pilier sur lequel se fait la cohésion du couple (l'homme étant à l'inverse inconstant et queutard). Quel étonnement de voir dans Rendez-vous ce brusque retournement de point de vue, où la gent féminine est croquée sous les traits de vieilles filles godiches (les tantes de Karla et ses collègues de travail) et épouses antipathiques (celles de Pirovitch et Matuschek), quand Karla (la seule qui dépasse le statut de simple caricature) devient le jouet des manipulations de Mr Kralik jusque dans une ultime séance de torture mentale où il prend manifestement un plaisir non dénué de sadisme à faire s'écrouler l'image de l'amoureux épistolaire qu'elle s'était forgée. La note de gaieté sur lequel se termine le film ne doit pas tromper, l'ensemble se teintant d'une profonde amertume sur le côté peu amène de la vie de couple, entre routine du quotidien (Pirovitch) et sortie de route adultérine (Matuschek). Un peu comme si Lubitsch concluait qu'avec tout ce que les femmes font subir aux hommes une fois mariées, elles méritent bien qu'avant on les fasse tourner un peu en bourrique ! Enfin, tout ça pour dire que cet aspect un tantinet misogyne m'a tout de même gâché un film par ailleurs pétri de qualités...
4.5/6

Illusions perdues (1941)
D'un triangle amoureux sinon identique, du moins proche de celui d'Ange (Jill souffre pareillement du manque d'attention de son époux, ce qui provoque chez elle d’irrépressibles hoquets et de longues nuits d'insomnie), Lubitsch tire un constat radicalement opposé (et dont on retrouve l'origine dans Comédiennes), le mari trompé faisant peu de cas de l'infidélité de son épouse, convaincu qu'il est de l'évanescence de sa relation extra-conjugale et qui finira effectivement par privilégier son confort bourgeois à l'excentricité de son amant pianiste, par ailleurs terriblement antipathique (Burgess Meredith, l'un des pires miscast lubitschien).
3/6

Jeux dangereux (1942)
Il m'a fallu un peu de temps pour passer outre ma déception initiale. Parce que le sujet du film n'est finalement ni le triangle amoureux formé par le couple Tura et le Lieutenant Sobinski, qui n'a d'autre utilité que celle purement fonctionnelle qui lui est assignée dans le scénario (et autorise quelques bons mots savoureux, dont le gag récurrent qui donne le titre au film), pas plus qu'il n'est une charge politique (je l'ai au contraire trouvé totalement inoffensif sur ce point, les nazis étant réduits à une bande de pieds nickelés - on est tout de même très loin d'un Chaplin, qui en utilisant pareillement la satire, entreprenait de déconstruire la figure du Führer en en prenant la pleine mesure). Non, et c'est ce qui m'a perturbé parce que je n'attendais pas cela de la part de Lubitsch, le cœur du film c'est cette troupe de comédiens médiocres (d'où le fameux What he did to Shakespeare we are now doing to Poland), qui ont une occasion unique de jouer le rôle de leur vie, l'un celui d'Hitler qu'il n'a pu tenir sur scène après l'annulation de leur pièce, l'autre celui de Shylock dans Le Marchand de Venise - la référence la plus évidente à la judéité de la troupe. C'est touchant, profondément humain, mais totalement inattendu.
4.5/6

Le Ciel peut attendre (1943)
Film somme, qui a une valeur quasi testamentaire en ce qu'il opère la fusion du meilleur du cinéma de Lubitsch (d'une part la légèreté (de ton et de mœurs) de ses films-opérettes, et de l'autre la maturité de ses œuvres les plus graves - Ange), et qu'il adopte une hauteur de vue qui siérait parfaitement à un réalisateur au crépuscule de sa carrière, alors qu'il n'avait alors que 51 ans (mais déjà une crise cardiaque derrière lui). A croire qu'il avait le pressentiment de sa fin proche. Premier film en couleur également, comme une évidence, comme s'il avait fallu attendre que toutes les pièces de son puzzle sentimental soient assemblées pour que la lumière jaillisse.
Dans la quasi totalité de son œuvre, Lubitsch semble avoir cherché une solution à l’insoluble problème de la pérennité du bonheur dans le couple. Certaines de ses œuvres sont heureuses, d'autre plus sombres quand les personnages principaux se résolvent à endurer les contraintes de l'étiquette. Il y est toujours question de sacrifice, que ce soit de l'amour pour l'être aimé ou de sa position sociale. Le Ciel peut attendre c'est tout cela à la fois, et encore un petit peu plus. Parce que, fait unique, il entreprend de nous montrer en même temps ces deux facettes : d'un côté le couple qui s'englue dans une monotonie routinière, laissant monter une acrimonie réciproque (la scène du petit déjeuner chez les Strable en est le meilleur exemple, scène d'une parfaite acuité et d'une profonde humanité, qui nous montre à voir la triste déréliction de ce couple que le retour inopiné de leur fille ravive immédiatement), de l'autre un dandy coureur de jupons (génial Don Ameche, qui reprend un flambeau longtemps laissé orphelin par Maurice Chevalier), qui sans jamais cesser d'aimer sa femme n'en courtisera pas moins de nombreuses autres. Que le fait soit découvert après de 10 ans de mariage met la relation en péril. Au bout de 20 ans, sa femme n'en prend plus ombrage, puisqu'avec le temps elle a bien compris que c'était la clef de leur équilibre et de leur bonheur (il va sans dire qu'à l'aune de notre époque, le film se ferait étriller pour sa masculinité toxique, malgré l'intemporalité de ce qui y est exposé et la finesse de son traitement). Point d'orgue lorsque van Cleeve arrive à l'accueil des Enfers, convaincu qu'il devra ici passer le restant de ses jours, en récompense de ses constantes infidélités (mais une fois l'histoire de sa vie exposée, le diable lui signifiera que sa place est non pas aux Enfers mais au Paradis (peut-être après quelques centaines d'années au purgatoire, pour faire amende honorable), les pêchés de van Cleeve étant bien anodins au regard du bonheur qu'il aura donné aux nombreuses femmes qui ont croisées sa route !)
Et non content d'avoir semble-t-il enfin trouvé une solution à son problème, Lubitsch y adjoint une savoureuse description du cycle de la vie, déjà esquissée dans Rendez-vous (les 4 rôles masculins principaux incarnant autant d'étapes dans la vie d'un homme), approfondie ici en nous narrant l'intégralité des 80 années de la vie de Henry van Cleeve, de nourrisson (où il appris très tôt à manipuler les femmes - sa mère et sa grand-mère) à vieillard qui jouit de ses dernières années par procuration (rôle que tenait avant lui son grand-père, campé par un truculent Charles Coburn - les seconds rôles sont dans leur ensemble éblouissants), en passant par cet âge intermédiaire où l'on se sent encore d'humeur à courir la donzelle mais où celle-ci nous préférera de jeunes étalons plus vigoureux. De la franche comédie qu'il semblait être initialement, le film bascule insensiblement dans une profonde mélancolie, la vie de van Cleeve étant rythmée par la disparation progressive de ses proches.
Film ample et ambitieux, placé sous le signe de l'apaisement, sur la corde raide entre mélo et comédie sans aucun faux pas (on ne pleure ni ne rit plus qu'il ne faut), définitivement l'une des œuvres majeures du maître berlinois, que je recommande chaudement à tous ceux qui ne l'ont pas encore vu (voir à ceux pour qui Lubitsch reste à découvrir), je suis convaincu que ça peut sincèrement toucher le plus grand nombre.
5.5/6

La Folle ingénue (1946)
Si le précédent est testamentaire, celui-ci a une forte connotation autobiographique, si ce n'est dans les faits, du moins dans l'esprit. Parce que cet émigré tchèque qui s'est réfugié à Londres pour fuir le régime nazi, affable et courtois ce qui ne l'empêche pas de se comporter comme un pique-assiette, moins occupé à organiser une quelconque résistance qu'à s'amuser des us et coutumes de ses hôtes, c'est évidemment Lubitsch. Et force est de constater que de toute sa filmographie, c'est probablement celui où il est à la fois le plus acerbe (les anglais, toutes castes confondues, prennent très chers), le plus grivois (Jennifer Jones avec sa passion pour la plomberie, elle dont l’œil s'illumine à la simple idée de déboucher une canalisation), mais dans le même temps le plus détaché, Belinski n'ayant d'autres ambitions que de mettre la main sur la plus délurée de toute, laissant les autres à leur (triste) sort. Un grand film de jouisseur. Et il n'est pas anodin que pour l'incarner il ait choisi Charles Boyer, dont la décontraction n'est pas sans rappeler celle d'un autre acteur français précédemment passé entre ses mains. Si les piques à l'attention de la France n'ont jamais manqué dans son cinéma, il est évident qu'il y trouvait également une vraie communauté d'esprit.
5/6

La Dame au manteau d'hermine (1948)
C'est tout de même fou comme la fin de carrière de Lubitsch ressemble à un dernier tour d'honneur, après le film testament et la pseudo-autobiographie ce dernier (que Preminger a terminé, Lubitsch étant mort pendant le tournage suite à sa seconde crise cardiaque) est un véritable pot-pourri de ce que sa filmographie recelait de plus libre et de plus trivial, reprenant les motifs de ses opérettes (Parade d'amour en particulier) et de ses comédies grotesques (La Poupée dont il s'inspire énormément, de la figure féminine principale redoublée au travestissement). Si le film n'est pas l'une de ses oeuvres majeures, ça n'est malgré tout pas la catastrophe que je craignais.
4/6

Top global
1. Ange (1937)
2. Le Ciel peut attendre (1943)
3. Le Lieutenant souriant (1931)
4. L’Éventail de Lady Windermere (1925)
5. La Veuve joyeuse (1934)
6. La Folle ingénue (1946)
7. La Chatte des montagnes (1921)
8. La Princesse aux huîtres (1919)
9. La Poupée (1919)
10-14.
Parade d'amour (1929)
Jeux dangereux (1942)
Rendez-vous (1940)
Sérénade à trois (1933)
Je ne voudrais pas être un homme (1918)
15-22.
Ninotchka (1939)
Vieil Heidelberg (1927)
Rosita, chanteuse des rues (1923)
Monte Carlo (1930)
Comédiennes (1924)
Une heure près de toi (1932)
Haute pègre (1932)
La Dame au manteau d'hermine (1948)
23-29.
Illusions perdues (1941)
La Huitième femme de Barbe-bleue (1938)
L'Abîme (1929)
L'Homme que j'ai tué (1932)
Carmen (1918)
Madame du Barry (1919)
Roméo et Juliette dans la neige (1920)
30-32.
Les Filles de Kohlhiesel (1920)
Anne Boleyn (1920)
La Femme du Pharaon (1922)
C'est tout ?
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Lohmann »

Flol a écrit : 22 oct. 21, 14:43C'est tout ?
Il me manque 3 muets que je voulais voir (So this is Paris, 3 Women et Forbidden Paradise), mais impossible de mettre la main sur des copies :D
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Flol
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Flol »

Oui ce serait bien que tu les voies, parce que là c'est un peu court quand même.
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par The Eye Of Doom »

Three women
Une mere et sa fille sont le jouet d’un escroc charmeur (enfin charmeur version quadra 1920..) qui en a bien sur apres leurs fortune.

Attention, s’il y a deux ou trois clins d’oeuil comiques, ce n’est pas une comédie mais bien un mélodrame « mondain ».
Le titre indique 3 femmes mais la troisième, maitresse de l’escroc, n’a qu’un role tres secondaire.
Et si on y croisse forcément quelques portes, la mise en scène de Lubitsch est limpide er souvent remarquable.
Il s’appuie sur une interprétation tres forte et sensible du trio principal.
Pauline Frederick a le role difficile de la femme vieillissante. La scene d’introduction la montre se pesant et constatant le « poids » des ans. Entete de film qui donne le ton.
May MacAvoy a celui de la jeune femme, plus facile mais, la de même, joué tres finement.
Enfin Lew Cody sur qui repose in fine le tout, je l’ai trouvé tres bon. J’ai redouté un soupçon de surjeu au debut mais dans toutes les scenes importante, il assure.

Tres bon casting donc, pour une histoire de compétition mere/fille.
Lubitsch joue le tout tres en finesse.
Un exemple au debut du film avec un des créanciers de l’escroc mondain qui pousse ce dernier à s’acoquiner avec la belle fortunée « mature » dans l’espoir d’etre payé. Tres caustique, typiquement lubitschien. La seconde intervention du creanciers un peu plus tard est encore plus cynique (willard Louis tres bien dans le role : le personnage est sympathique alors que pour lui clairement tout les moyens sont bons).
Tres bon Lubitsch a découvrir grace à Kino.
Deux choses a noter:
Le bluray est all zone (donc pas d’excuse)
La copie est belle mais n’ a pas ete nettoyée: trace de griffures, stries, … Rien de redibitoire mais c’est comme pour Eureka, les scans sont 4k mais on ne nettoie pas complètement.
Ma reference c’est le travail remarquable fait par/pour Gaumont sur Tih Minh: somptueux .
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Supfiction »

Ann Harding a écrit : 30 sept. 11, 19:26 Das Weib des Pharao (La Femme du pharaon, 1922) d'Ernst Lubitsch avec Emil Jannings,Image
Encore un qui n’est pas prêt de sortir. :)
Kiké a écrit : 12 juin 23, 20:49 si un panneau de quelques secondes au début du film permet la restauration d'un Lubitsch intéressant, tant mieux!
En l’occurence, ce film, Die Augen der Mumie Ma, n’a que très peu d’intérêt autre que critique et historiographique (Jannings a dû faire très peur, pas étonnant qu’il ai plu à Goebbels), on est à des années-lumière de ses chef-d’œuvre américains, comme si c'était un autre réalisateur.
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Profondo Rosso »

Ninotchka (1939)

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Iranoff, Buljanoff et Kopalski sont chargés par le gouvernement soviétique d'écouler à Paris des bijoux saisis pendant la révolution, et d'acheter avec l'argent ainsi obtenu des machines agricoles. L'ancienne propriétaire des bijoux, la grande Duchesse Swana, demande à un de ses amis, Léon, d'empêcher la vente et de récupérer les joyaux. Or Léon est précisément le guide, dans la capitale, des trois Russes. Ayant eu vent de l'affaire, les Soviétiques envoient à Paris Ninotchka, qui trouve les trois compères en train de mener la grande vie.

Les bijoux de la Lubitsch’s touch signés par le réalisateur durant les années 30 se caractérisaient par une merveille d’équilibre entre leur contexte social frivole (la haute société européenne) et des questionnements intimes et sentimentaux forçant les personnages à sortir de la posture distanciée. Cela donnera des chefs d’œuvres comme Haute Pègre (1932) et Sérénade à trois (1933) notamment, même si un virage vers une gravité plus explicite s’amorce avec Ange (1937) qui sera d’ailleurs un échec commercial. Ninotchka marque une volonté d’Ernst Lubitsch d’inscrire ses films dans un cadre plus conscient des soubresauts politiques de son temps. La nostalgie et la tendresse baignant l’espace de la boutique tchèque de The Shop around de corner (1940) fait écho à l’envahissement du pays par l’Allemagne nazie, cette dernière sera explicitement moquée dans l’excellent To Be or not to be (1942), tandis que les conséquences du conflit sur la diaspora tchèque sont en filigrane dans La Folle ingénue (1946).

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Ninotchka se propose de moquer le rigorisme et l’austérité inhérent au communisme du régime soviétique en l’opposant à l’idéal hédoniste de l’époque qu’incarne la ville de Paris. La première partie du film exploite cette dualité en faisant du communisme une matière de peur et de culpabilité plutôt que de conviction, tandis que la tentation capitaliste est une forme bienvenue d’abandon à ses envies et pulsions. Les trois émissaires soviétique Iranoff (Sig Ruman), Buljanoff (Felix Bressart) et Kopalski (Alexander Granach) n’ont pas besoin d’être « corrompus » par les fastes de l’Ouest, mais doivent simplement se faire suffisamment pousser par le roublard Léon (Melvyn Douglas) pour céder à une tentation du luxe déjà bien explicite. Lubitsch procède en trois temps pour traduire cette bascule, tout d’abord l’observation hésitante de la scène d’ouverture où les trois agents défilent à tour de rôle dans le hall du palace parisien avant d’en ressortir sans oser aller plus loin. Ce seront ensuite les dialogues hilarants fait d’auto-conviction par lesquels ils se délestent de l’idéologie et s’autorise un confortable séjour dans la suite royale.

"That's an idea but who said we were to have an idea. "

L’étape suivante consiste à enfin se délecter des plaisirs de la chair (dans tous les sens du termes) et du luxe qu’offre le capitalisme dans une séquences géniale où, hors-champ devant une porte fermée l’on ne constate que de manière sonore l’extase croissante du trio tandis que défilent les mets fastueux et les soubrettes courtes vêtues. Plus tard dans le film en écho à cette séquence, un même plan de porte close exprimera le message de révolte qu’insuffle Ninotchka (Greta Garbo) aux ouvrières et clientes d’un club depuis les toilettes. Ce parallèle fait du capitalisme un virus qui s’infuse, tandis que la bonne parole communiste est une « maladie » qui se diffuse, deux manières différentes d’endoctriner l’interlocuteur à sa cause.
L’adhésion de la très austère Ninotchka est différente des trois compères, la posture raide, le visage impassible, la tenue austère et les répliques cinglantes en faisant une personnalité bien moins perméable aux joies parisiennes.

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Le monde capitaliste ne sera une option que quand il sera incarné, de chair et de sang, mais sous son jour purement matériel et mercantile, il désintéresse totalement Ninotchka. C’est ce qui fait fonctionner le début de la romance entre Léon et Ninotchka. Léon ignore que Ninotchka est une proie qui ferait avancer ses affaires, et est simplement séduit par sa beauté et son ton laconique. Ninotchka quant à elle ne voit en Léon qu’un guide dans son observation des choses pratiques de l’Ouest à intégrer au régime, mais va perdre de sa froideur pour céder aux charmes du bonimenteur. Le jansénisme décalé de l’une et la légèreté de l’autre les séduisent mutuellement, faisant du décorum et des objets un motif échappant à l’idéologie communiste et à la frivolité capitaliste pour ne plus qu’être des motifs romantiques. Après avoir déploré le gaspillage d’électricité en observant l’urbanité parisienne éclairée du haut de la tour Eiffel, Ninotchka se laisse submerger par l’atmosphère sentimentale instaurée. Lorsque Leon allume sa radio quand Ninotchka pénètre son appartement, ce n’est pas dans une volonté d’épate mais dans l’espoir de détendre la jeune femme et lui voler un baiser. Comme pour exprimer la manière dont l’attrait amoureux déleste le duo des préoccupations terre à terre (la politique comme le profit), Lubitsch adopte un point de vue « divin » et omniscient pour filmer leur premier baiser en plongée. Plus tard Ninotchka va acheter un chapeau qu’elle avait regardé avec mépris dans la vitrine d’un magasin, et longuement se scruter devant un miroir en le portant sur sa tête. Le geste n’a rien de narcissique, la préoccupation de soi en tant qu’individu s’est éveillé en envisageant d’endosser l’attribut pour l’homme qu’elle aime.

Image

Le réalisateur tout en tissant cet écrin chatoyant reste alerte et conscient des maux du monde qui l’entoure. Lors de l’arrivée en gare de Ninotchka où le trio d’émissaire est venu la chercher, ils la confondent avec une autre avant de se raviser en la voyant effectuer un salut hitlérien. Comme il le fera dans To Be or not to be (le fameux surnom de « Erhard camp de concentration » d’un personnage), toutes les répliques les plus mordants fustigeant les pratiques du régime soviétique correspondent bien à une triste réalité de celui-ci.

“ What are the news from Moscow? “
“ Good, very good. The last mass trial were a great success. There is going to be fewer but better Russians “

Cette approche n’est cependant pas là pour vanter les mérites du capitalisme puisque sans y toucher Lubitsch évoque aussi le conditionnement soumis des démunis quand Ninotchka vise juste (malgré la tournure amusée et décalée des répliques) en dénonçant certaines inégalités.

« What do you want? »
« May I have your bags Madam? »
« Why? »
« He is a porter, he wants to carry them »
« Why? Why should you carry other people's bags »
« Well, that's my business madam »
« That's no business, that's social injustice »
« That depends on the tip »

Image

De même, les antagonismes entre l’ancien régime tsariste et l’actuel se rejouent à travers le personnage de la duchesse exilée Swana (Ina Claire). Au départ simplement désireuse de récupérer ses bijoux, elle constate qu’une femme de classe inférieure comme Ninotchka est non seulement capable de paraître plus resplendissante qu’elle en société, mais aussi de lui voler son amant par un attrait amoureux plutôt que pécuniaire. Dès lors le but pour elle sera de renvoyer celle qui lui dérobe ses prérogatives même loin du pays dont elle dut s’exiler. Les travers de chaque idéologie et mode de pensée qui privilégient arbitrairement le collectif (le communisme) ou égoïstement l’individu (le capitalisme) sont subtilement dénoncés, Lubitsch ramenant les enjeux à ce qui réunit le meilleur des deux avec l’entité intime du couple formé par Ninotchka et Léon, clairement transformés mutuellement par leur rencontre. Une mue qui sera aussi un argument marketing mémorable en vendant le film comme le premier où Greta Garbo rit, dans une séquence admirablement amenée et où le jeu de la star se fait aussi subtil que spontané.

Un des sommets de Lubitsch qui initie donc une suite plus politisée de sa filmographie, et un récit dont le potentiel sera exploité sous forme de comédie musicale dans La Belle de Moscou de Rouben Mamoulian (1957). Billy Wilder ici scénariste saura prolonger les leçons du maître dans la tendresse comme la satire avec La Scandaleuse de Berlin (1948) et le furieux Un, deux, trois (1961). 5/6
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