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poet77
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Troisième (dans l’ordre d’écriture) de la série de romans écrits par Cecil Scott Forester sur les aventures maritimes du Capitaine Horatio Hornblower, publié en 1938, ce volume se distingue des deux précédents qui racontaient des faits survenus, essentiellement, sur les navires que commandaient notre héros, du côté du Nicaragua dans L’heureux Retour et en Méditerranée dans Un Vaisseau de ligne. Précisément, Pavillon haut s’inscrit directement dans la continuité du volume précédent. Après avoir accompli de nombreux exploits contre les vaisseaux français de Napoléon, Hornblower, cerné par l’ennemi, fut contraint de faire reddition et d’abandonner son navire, le Sutherland, aux Français. Fait prisonnier par ceux-ci, il doit être convoyé depuis les rives de la Méditerranée jusqu’à Vincennes où son sort est d’avance scellé : il y sera jugé, condamné et exécuté !
Les trois quarts de Pavillon haut n’ont donc pour cadre ni l’océan ni la mer, mais la terre ferme et les cours d’eau français. Avec Hornblower sont acheminés deux autres prisonniers, deux de ses compagnons, Bush (blessé et amputé d’une de ses jambes) et Brown. Le chemin est long pour aller à Vincennes et l’on imagine bien que les trois prisonniers ne demandent qu’à profiter d’une occasion propice pour s’évader. Avec cependant cette inquiétude supplémentaire pour Hornblower : étant donné qu’il a abandonné son navire aux Français, il craint fort, s’il parvient à regagner Londres, de devoir être traduit devant une cour martiale (elles n’ont pas pour réputation d’être portées à l’indulgence). D’autre part, Hornblower est hanté par le souvenir des deux femmes de sa vie : son épouse légitime qui est enceinte et Lady Barbara, celle pour qui il éprouve un amour apparemment sans issue. Toutes deux le croient probablement déjà mort.
Plus introspectif que les volumes précédents, mais non moins captivant, le récit ne se prive pas cependant de quelques coups de théâtre et de quelques exploits bien amenés. Dans leur périple, une fois évadés (on se doute bien, dès le début, que ce sera le cas), Hornblower et ses deux compagnons profiteront de la Loire, tout en devant en subir les caprices et les dangers, et seront heureusement secourus par le comte de Graçay et son épouse (dont le charme ne sera pas indifférent à notre héros !). Passionnant d’un bout à l’autre, même s’il n’y est question d’exploits maritimes qu’à la fin, Pavillon haut excelle tout particulièrement à décrire de fines analyses de situation. Ainsi du rapport entre Hornblower et ses deux compagnons, Bush et Brown, ou comment préserver les convenances de la hiérarchie, même quand on doit partager l’espace réduit d’une embarcation dérivant sur la Loire ! Un excellent cru, quoi qu’il en soit, que ce roman, avec son attachant héros, si imaginatif quand il s’agit de mettre en échec les soldats de ce scélérat de Napoléon ! 8/10
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Dans les années 1870, un jeune homme du nom de Will Andrews, fraîchement émoulu de Harvard, décide de quitter son confort pour vivre la grande aventure de l’Ouest américain, là où, se dit-il, il pourra s’épanouir pleinement au contact de la nature. Arrivé dans la petite bourgade, peuplée de quelques chasseurs de bisons et de prostituées, de Butcher’s Crossing dans le Kansas, il fait la connaissance d’un homme du nom de Miller, qui ne tarde pas à vouloir le convaincre de financer une expédition. Les troupeaux de bisons ayant été décimés et se faisant rares, l’homme prétend connaître une vallée du Colorado où subsiste encore un grand nombre de ces ruminants.
C’est le point de départ d’un roman dont on peut dire qu’il s’agit d’un anti-western car, même s’il y est question d’hommes plus ou moins frustes, de prostituées, de grands espaces et de bisons, la plupart des codes habituels du genre « western » sont soit absents soit détournés. Toute l’intrigue se concentre ici en une seule aventure, celle qui conduit Miller, Andrews et deux recrues (Charley Hoge, conducteur de char à bœufs, homme religieux et volontiers sermonneur ; et Schneider, engagé comme écorcheur) à la chasse aux bisons. Depuis les préparatifs de cette équipée jusqu’au retour à Butcher’s Crossing et à un final hallucinant de noirceur, en passant par le massacre des ruminants, tués presque exclusivement pour leur peau, et à une longue et terrible hibernation que les aventuriers n’avaient pas prévue, tout est narré avec une extrême minutie et un sens des détails qui laissent pantois.
Il ne faut pas lire Butcher’s Crossing dans l’espoir d’être captivé par des scènes d’action. Elles ne sont pas absentes, mais le livre se focalise bien davantage sur l’intériorité des personnages, sur la description attentive de leurs épreuves, sur leurs travaux somme toute assez fastidieux, tout comme sur l’environnement, les paysages, les mœurs des animaux, etc. S’il s’agit bel et bien d’un roman, le livre s’apparente aussi, très clairement, à un genre typiquement américain des États-Unis, le nature writing. John Williams décrit chacune des scènes avec une précision telle qu’elles semblent avoir été rédigées sur le vif, comme si l’auteur avait été le témoin de ce qu’il raconte.
Pour les quatre hommes emportés dans une aventure qui les dépasse, en tout cas pour les trois qui parviennent à survivre, plus rien ne saurait être comme avant. La chasse aux bisons telle que l’avait fantasmée Will Andrews a tourné en un abominable massacre, une boucherie immonde orchestrée par Miller, obsédé au point de ne vouloir laisser aucun animal vivant. La vallée jonchée de cadavres pourrissants se referme bientôt sur les quatre hommes, surpris par la survenue de l’hiver et, de ce fait, contraint à survivre, réduits eux-mêmes à leur propre animalité, pendant de longs mois.
Quant au final, sans vouloir trop en dire, notons cependant combien implacablement il illustre la vanité des entreprises humaines, surtout quand elles dévient en folie qui détruit tout. Tant de souffrances endurées pour pas grand-chose, sauf peut-être, en ce qui concerne Will Andrews, le seul des quatre aventuriers qui, peut-être, saura tirer un bénéfice moral de l’équipée folle et sauvage. 8/10
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« Colette, c’est la vie, estimait J. M. G. Le Clézio, selon une citation rapportée par Antoine Compagnon à la fin de cet ouvrage. Qui l’a rencontrée (…) quand il commençait à lire par plaisir et non plus par obligation scolaire (…), il ne peut plus l’oublier. » Cette rencontre, pour ce qui me concerne, n’a pas eu lieu, ou quasiment pas. Dans le cahier où je prends scrupuleusement note de toutes mes lectures depuis janvier 1975, il n’est fait mention de Colette (1873-1954) qu’une seule fois, précisément en octobre de cette année-là où j’ai lu Dialogues de Bêtes, le charmant ouvrage dans lequel l’écrivaine fait parler les animaux. Depuis, plus rien, mais, si j’ai bonne mémoire, j’ai dû lire Claudine à l’école en 1973 ou 74.
Je suis donc passé, presque complètement, à côté de Colette, non pas par manque d’intérêt, mais parce qu’on ne peut pas tout lire et que j’ai préféré consacrer mon temps à d’autres auteurs, qu’il me semblait plus urgent de découvrir. Je n’en ai pas moins été curieux de lire le livre d’Antoine Compagnon, nouvelle parution de l’excellente collection « Un été avec… », curieux et, très rapidement, au fil des pages, séduit par les nombreuses facettes d’un personnage, somme toute, incontournable de la littérature française et qu’il n’est pas impossible que je mette à lire désormais…
En février 1953, Jean Cocteau notait ceci à propos de notre écrivaine : « Vie de Colette. Scandale sur scandale. Puis tout bascule et elle passe au rang d’idole. » Voilà très succinctement résumée l’étonnante destinée d’une femme de lettres presque malgré elle, qui se considérait plutôt comme une journaliste et qui détestait plus que tout le mot « littérature ». Après la guerre, les dernières années de sa vie furent celles d’une écrivaine reconnue, fêtée, consacrée, élue au jury Goncourt dont elle devint même la présidente.
Mais il est beaucoup plus intéressant de découvrir ou redécouvrir la Colette des débuts, puis celle de la maturité, plutôt que celle des années de vieillesse. C’est la Colette qui créa des mythes littéraires, ceux de Claudine, de Sido, de Gigi, celle que Francis Jammes qualifiait, dès 1904, de « légende parisienne », celle qui, dès son premier livre, Claudine à l’école, coécrit avec Willy, son mari de l’époque, bousculait les convenances au moyen d’un pamphlet teinté d’érotisme sur l’école laïque, c’est elle qui suscite un irrésistible attrait. Bien avant tous les autres, elle osa traiter sans détours de questions de genre, de l’homosexualité féminine et du travestissement. Elle fut une femme libre, et c’est la seule étiquette qui lui convient, celle de « féministe » n’étant pas totalement adaptée à son personnage.
En vérité, elle fut une personnalité complexe, qu’il est impossible de résumer au moyen de formules lapidaires. Durant quelques années, au temps de sa jeunesse, elle se produisit au music-hall en tant que mime et danseuse. Son génie d’écrivaine, elle le découvrit grâce à la collaboration de son premier mari, Willy, ce qui ne l’empêcha pas, plus tard, quand elle fut divorcée de lui, de le poursuivre de sa haine. Un traitement du même genre fut d’ailleurs réservé à un autre de ses maris, Henry de Jouvenel.
Dans ses livres, elle prit soin de dépeindre des « vies minuscules », celles des « petites gens », plutôt que celles des importants (ou qui se croient tels). Elle se passionna aussi, non seulement pour les bêtes, mais pour la botanique. Elle perçut aussi, très tôt, l’importance du cinéma naissant et se passionna également pour la musique, au point d’écrire le livret de L’Enfant et les Sortilèges, dont la musique fut confiée à Ravel. Et, parmi les écrivains, elle en révéra particulièrement deux : Balzac et Proust. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne se trompait pas dans ses goûts. 8/10
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« Je suis curieux de la curiosité ». Ainsi commence ce copieux essai de l’écrivain argentino-canadien Alberto Manguel (né en 1948), qui se poursuit ainsi : « L’un des premiers mots que nous apprenons dans l’enfance est pourquoi. » Désireux d’en savoir plus sur ce monde auquel nous appartenons, avides d’en comprendre le fonctionnement, les rouages, et d’en sonder les mystères, nous ne finissons pas, si nous demeurons fidèles à nos curiosités enfantines, de demander pourquoi notre vie durant. Utilisée selon cette acception, non seulement la curiosité n’est pas un « vilain défaut », mais elle est, au contraire, une qualité ô combien précieuse, à la base de tout questionnement philosophique ou scientifique. À quoi il faut aussitôt ajouter, comme le fait Manguel, que « cette curiosité est rarement récompensée par des réponses significatives ou satisfaisantes, mais plutôt par un désir accru de poser d’autres questions et par le plaisir de converser avec autrui. »
Dans le vaste parcours que propose l’écrivain, nombreux sont les livres, les auteurs, les chercheurs qui sont nommés, cités, commentés : la Bible, le Talmud, Platon, Aristote, Thomas d’Aquin, Dickens, Lewis Carroll, Lévi-Strauss ou Primo Levi et bien d’autres encore. Mais ce sont deux autres personnalités qui scandent tout l’ouvrage de leur présence obsédante : Dante et son guide Virgile, tous deux parcourant l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis de la Divine Comédie. Ce n’est que tardivement, à la soixantaine, que Alberto Manguel s’est décidé à faire cette lecture et bien lui en a pris : c’est elle qui alimente de son questionnement chacun des dix-sept chapitres de l’ouvrage, tous se présentant en point d’interrogation précisément : Que voulons-nous savoir ? Comment raisonnons-nous ? Qu’est-ce que le langage ? Que faisons-nous ici ? Qu’est-ce qu’un animal ? Quelles sont les conséquences de nos actes ? Pourquoi les choses arrivent-elles ? Qu’est-ce qui est vrai ? Telles sont quelques-unes des questions que pose Manguel, convoquant alors Dante et Virgile et d’autres témoins pour composer des chapitres en forme de méditations sur l’un ou l’autre aspect de la Divine Comédie. Précisons-le, même ceux qui n’ont pas lu le livre de Dante n’éprouveront pas de peine à apprécier les toujours pertinentes réflexions d’Alberto Manguel.
À cela s’ajoute, au début de chaque chapitre, un court texte tirant sa matière d’un épisode autobiographique. Chaque fois, Alberto Manguel propose un lien intéressant entre ce qu’il va développer dans son chapitre et un élément de sa propre vie : de son enfance à Tel-Aviv, par exemple (où son père était ambassadeur) ; de sa distraction quand il était enfant, au point qu’une fois il se perdit en rentrant de l’école ; de la méthode dont usait un professeur de littérature ; des deux langues dans lesquelles il fut élevé, l’anglais et l’allemand ; de l’impossibilité de trouver des mots en certaines circonstances ; de la difficulté de se reconnaître soi-même sur certaines photos ; des règles qu’on impose aux enfants pour distinguer, sinon séparer, filles et garçons ; des deux chiens qu’il eut dans sa vie ; d’un tableau de Lucas Cranach ; de deux sœurs canadiennes qui transportèrent de l’héroïne (peut-être) sans le savoir ; etc. De ces judicieux rapprochements entre des faits de sa propre vie, de ses réflexions, ou de quelques témoignages et de sa longue méditation sur la Divine Comédie, le tout sous l’angle de la curiosité insatiable, l’auteur tire un livre savant, certes, mais nullement réservé aux érudits. Toutes celles et tous ceux qui sont animés par la curiosité non seulement s’y reconnaîtront mais y trouveront de quoi alimenter encore davantage leurs déjà généreux « pourquoi » ! 8,5/10
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Publiée aux États-Unis en 1983 sous forme de feuilleton, Blackwater, ambitieuse saga de Michael McDowell (1950-1999), vient enfin de sortir en traduction française, de manière échelonnée, aux éditions Monsieur Toussaint Louverture. Les six volumes sont maintenant à disposition des lecteurs. Il paraît d’ailleurs qu’il s’agit, d’ores et déjà, d’un gros succès d’édition. Ce qui ne me surprend guère, étant donné les qualités addictives du texte, mais peut-être étonnerait l’auteur lui-même, s’il vivait encore, lui qui estimait qu’écrire pour la postérité était totalement illusoire.
Sans être très innovante ni sur le fond ni sur la forme, la saga, qui compte, au total, quelques 1540 pages, se dévore avec gourmandise. En la lisant, on songe à ces succès populaires que furent les romans-feuilletons du XIXème, ceux d’un Alexandre Dumas, d’un Eugène Sue ou d’un Charles Dickens, pour ne prendre que ces exemples. D’autres y verront réunis, avec raison, tous les ingrédients nécessaires à la réalisation d’une série télévisée.
Michael McDowell, qui fut, entre autres, le scénariste du Beetlejuice (1987) de Tim Burton, nous transporte ici dans une contrée de l’Alabama, à Perdido, ville qui tient son nom d’un des deux cours d’eau qui la traverse, l’autre étant celui qui donne son titre à la saga, la Blackwater, l’ensemble romanesque couvrant les années 1919-1969. Des années riches en évènements, que ce soit en raison de la Grande Histoire (l’un des volumes s’intitule La Guerre, en l’occurrence celle de 1939-1945) ou du point de vue de l’histoire locale, les deux ayant, bien évidemment, de nombreuses interconnexions.
Mais c’est bel et bien le signe de l’eau qui s’impose tout au long du cycle romanesque. D’entrée, dès les premières pages, l’auteur décrit, de façon impressionnante, la crue qui submerge la ville, dont les habitants ont été évacués. Néanmoins, deux hommes qui parcourent la ville en canot découvrent une rescapée, une femme ayant passé plusieurs jours à l’étage supérieur d’un hôtel aux trois quarts inondé. Comment a-t-elle fait pour survivre tout ce temps ? Répondant au nom d’Elinor Dammert, « grande, mince, pâle, altière et belle, aux épais cheveux (…) d’un intense rouge argileux », elle est appelée à jouer un rôle de premier plan dans l’ensemble de la saga. Elle épousera, en effet, l’un de ses deux sauveurs, Oscar Caskey, propriétaire d’une des trois scieries de la ville, malgré l’hostilité de Mary-Love, la mère de ce dernier.
Cinquante ans plus tard, le cycle s’achève avec un nouveau déluge, sans discontinuer, pendant sept jours. Entre les deux, nous nous serons passionnés pour les destinées des membres de la famille Caskey, les circonstances et les intuitions de certains d’entre eux leur donnant, au fil du temps, de plus en plus de pouvoir et, surtout, de richesse. Mais si l’auteur parvient à subjuguer son lecteur, ce n’est pas seulement parce qu’il s’impose comme un conteur de premier ordre, mais c’est aussi parce que la plupart des personnages qu’il a imaginés ont une identité si forte qu’ils ne peuvent que marquer durablement le lecteur. C’est vrai, en particulier, de tous les personnages féminins : ce sont eux qui tiennent les rôles de premier plan dans le récit, ce sont eux qui, davantage que leurs interlocuteurs masculins, frappent les esprits.
De plus, il faut faire droit à cette singularité de la saga : elle conte les aventures de ses personnages au moyen de deux approches qui, subtilement, se confondent, l’une classiquement romanesque, l’autre fantastique. Ce deuxième aspect, s’il imprègne tout le roman, se détache parfois pour passer au premier plan, avant de se fondre dans l’épique, pour reparaître plus loin. Ainsi s’intègrent dans le récit des scènes de pur fantastique, certains des personnages, des femmes d’une même lignée (Elinor, sa fille Frances et l’une de ses petites-filles), ayant une double identité, humaine et infrahumaine, celle-ci dans un rapport étroit avec la rivière Perdido. Car, même dissimulé derrière des digues construites, malgré l’hostilité d’Elinor, après la crue dévastatrice par laquelle s’ouvre la saga, le cours d’eau impose sa présence obsédante tout au long de l’œuvre, au point qu’on peut le désigner comme un personnage à part entière.
Le grand nombre des personnages, les multiples évènements auxquels ils sont confrontés, tout est prétexte, enfin, à aborder de nombreux sujets, toujours avec sagacité : la place des femmes (elle est prépondérante, tout au long des six volumes), les questions d’héritage, de ségrégation raciale, de pouvoir, de richesse, etc. Il y a tout ce qu’il faut, dans cette grande fresque romanesque, non seulement pour tenir le lecteur en haleine mais pour lui donner de multiples occasions de réfléchir à la marche du monde. 8,5/10
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Message par Watchsky »

Avis rapide sur L'attrait de la fête foraine

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Le cinéma ayant été une attraction foraine à ses débuts, il est finalement assez logique d'avoir un livre étudiant les liens entre les films et la fête foraine.

Ainsi, l'auteur Théo Esparon va passer en revue la manière dont le cinéma aborde et utilise le parc d'attractions, et ce au travers de films connus ( L'aurore, L'inconnu du Nord-Express, Lettre d'une inconnue).

De manière générale, la fête foraine sert de métaphore à l'histoire que vit le héros. Par exemple, le rendez-vous entre Joan Fontaine et Louis Jourdan dans Lettre d'une inconnue se déroule dans une foire pour renforcer le côté factice et illusoire de leur liaison. Quant à La Dame de Shangaï, les manèges aux miroirs grossissants et autres labyrinthes symbolisent la perte des repères du héros dans son enquête.

Enfin, la fête foraine avec ses couleurs vives et ses attractions détonantes permet au réalisateur d'amplifier et de magnifier des scènes de son film. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que beaucoup de séquences finales se jouent dans une fête foraine, et ce afin d'augmenter le climax (Inconnu du Nord-Express, Comme un torrent, etc...).

Bref, c'est une jolie petite lecture (le livre fait 100 pages) proposant d'analyser des films que nous connaissons sous un jour nouveau.
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poet77
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Message par poet77 »

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Un excellent documentaire (Hedy Lamarr : From Extase to Wifi), sorti sur les écrans en 2018, m’avait fait découvrir l’histoire étonnante de cette star d’Hollywood des années 1940 et 1950 qui, lorsqu’elle avait du temps libre, le consacrait à des recherches scientifiques qui se soldèrent par de grandes inventions, tout particulièrement, pendant la deuxième guerre mondiale, celle d’un système de téléguidage des torpilles par saut de fréquences, système qui fut à l’origine de l’invention, bien des années plus tard, de la wifi.
Une telle histoire méritait amplement de faire le sujet d’un livre, ce à quoi s’est attelée l’écrivaine Marie Benedict qui l’a façonnée en forme de biographie romancée écrite à la première personne du singulier, comme si c’était Hedy Lamarr en personne qui se confiait au lecteur. Ce procédé est parfaitement admissible, d’autant plus qu’en l’occurrence il donne lieu à un ouvrage à la fois bien documenté et aussi captivant que le meilleur des romans d’aventures.
L’intérêt de ce livre provient aussi de son intéressante structure en deux parties, la première se situant en Autriche durant les années 30, très exactement jusqu’en 1937, et la deuxième en Amérique, particulièrement à Hollywood. Marie Benedict consacre, en effet, un grand nombre de pages à la vie de celle qui s’appelait Hedwig Kiesler (Hedy Lamarr fut le pseudonyme qui lui fut imposé, plus tard, à Hollywood), jeune femme juive, d’une famille bien intégrée à la société autrichienne, n’ayant d’ailleurs quasiment aucune pratique religieuse. Or, à l’âge de dix-neuf ans, alors qu’elle avait joué un rôle qui fit sensation dans le film Extase en 1933, elle épousa un riche industriel du nom de Friedrich Mandl, espérant ainsi pouvoir au mieux protéger ses parents, l’antisémitisme se manifestant de plus en plus ouvertement non seulement en Allemagne mais aussi dans la société autrichienne. En l’épousant, son mari tyrannique, ayant lui-même quelques ascendances juives, se targuait de l’exhiber à son bras ni plus ni moins que comme un bel objet. Humiliée et toujours plus désireuse, au fil du temps, de prendre ses distances d’avec un mari jaloux et possessif dont elle n’était nullement éprise, elle n’en écouta pas moins attentivement les discussions de ce dernier avec les dignitaires qu’il recevait chez lui, discussions dont le sujet principal était celui de l’armement, Friedrich Mandl étant lui-même un marchand d’armes proche de la mouvance d’extrême-droite. Hedwig en apprit beaucoup sur ce qui se tramait à l’époque, aussi bien du côté autrichien que du côté de l’Allemagne nazie.
En 1937, ayant réussi à fausser compagnie à son mari et, au bout du compte, à parvenir à entrer en Amérique, elle ne tarda pas à trouver sa place à Hollywood, grâce à l’appui de Louis B. Mayer, le puissant vice-président de la MGM, qui lui fit signer un contrat. Elle déchanta rapidement en constatant qu’on ne s’intéressait nullement à ses supposés talents d’actrice, mais bien plutôt à son physique avantageux qu’elle devait se contenter d’exhiber. En somme, elle avait fui un mari oppressif qui la traitait comme une potiche pour intégrer l’industrie américaine du cinéma qui ne la considérait pas sous un angle différent. Or, si sa beauté était certes impressionnante et si Hedy Lamarr passa, dès lors, volontiers d’un mari à un autre, derrière l’apparence, se cachait une femme de génie, qui se rongeait de culpabilité parce qu’elle estimait n’en avoir pas fait suffisamment pour alerter la communauté internationale sur les visées d’Hitler, elle qui, en Autriche, avait entendu nombre de conversations qui ne laissaient planer aucun doute sur ce que fomentait celui-ci. D’une certaine façon, comme le souligne Marie Benedict, c’est autant pour essayer de se racheter que par passion des sciences que l’actrice, aidée par le musicien-compositeur George Antheil, réussit à mettre au point ce système de radio-téléguidage des torpilles qui fut l’ancêtre de notre wifi.
Le plus effarant, c’est que cette découverte exceptionnelle ne fut pas exploitée, pendant la guerre, par l’armée américaine, peu encline à mettre en service l’invention d’une femme, qui plus est d’une actrice d’Hollywood. Ce n’est que plus tard qu’on s’avisa enfin de la qualité du travail accompli par la star. Malheureusement, comme le fait remarquer Marie Benedict dans sa postface, les préjugés concernant les femmes restent tenaces, si tenaces qu’ils font commettre d’incroyables impairs. Quoi qu’il en soit, fort heureusement, le livre de Marie Benedict rend pleinement justice à la femme remarquable que fut Hedy Lamarr. 8/10
The Eye Of Doom
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Message par The Eye Of Doom »

Pas tres satisfait de ma pioche de lecture estivale, avec pourtant deux « pointures ».
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3ieme et probablement dernière incursion dans l’oeuvre de Murakami pour moi, apres 1Q84 et Kafka sur la plage.

C’est répétitif, longuet, … il y a facilement 1/3 de pages de trop.
Je n’ai lu que le tome1.
Le fond serait interessant mais j’accroche pas du tout au fantastique de Murakami.
J’ai l’impression a chaque fois que c’est une solution de facilité, un jouet qui lui evite d’adresser ses sujets sérieusement.
C’est criant ici : que viennent ajouter a son histoire l’apparition du commandeur et la clochette magique…?
Tout son recit aurait eu la meme portée sans.
Comme je redoute que ca s’arrange pas dans le tome 2, et un survol sur le web me le confirme (ca tourne apparemment au n’importe quoi) je vais en rester la.
D’autant que si Murakami a un certain don pour poser des énigmes fantastiques (ici la fosse), leur résolution s’evere bien decevante (cf Kalfa).
Soyons clair, ca se lit sans deplaisir. Il y a des passages tres forts, autour de l’acte creatif, de la jeune soeur disparue, le l’episode avec la fille et l’homme a la Subaru,…

Si un connaisseur de Murakami passe par la, je suis preneur d’un conseil pour un receuil de nouvelles et/ou un texte court.,sans fantastique.

Autre deconvenue:
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La c’est plutot le style de Peace que j’ai eu du mal à supporter. Extrêmement haché, par la presence des pensées (?!?) du personnage en parallèle. Extrêmement repetitif de plus : on doit bien avoir droit au total a 20 pages du bouquin consacré au fait que ca le demange et il se gratte.
L’intrigue policière s’avere d’un intérêt limitée (un serial killer) et le sous texte politico-sociologique pas toujours tres clair (bref j’ai pas bien compris).
La force du livre est de restituer l’ambiance désespérée du japon de la capitulation, la misere, l’effondrement du monde, le ridicule de vouloir calquer des valeurs occidentales sur les ruines d’un « univers » construit autrement, habité d’autres valeurs.
Le cinéphile n’a bien sur aucun mal a mettre des images sur ces visions d’apocalypse : ce sont celles de L’ange ivre, Chiens enragés ou La barriere de chair. Ou pour les souvenirs de guerre de L’ange rouge ou d’Histoire d’une prostituée.

Mais c’est dur a lire… dommage.
Je passerais donc sur les deux autres volumes si le style reste le meme.

De ma selection, il me reste a lire :
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J’espere que j’accrocherais plus.
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Mama Grande!
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Message par Mama Grande! »

The Eye Of Doom a écrit : 5 août 22, 11:18 Si un connaisseur de Murakami passe par la, je suis preneur d’un conseil pour un receuil de nouvelles et/ou un texte court.,sans fantastique.
Murakami était l’idole de ma jeunesse, mais après 1Q84 et encore plus Tazaki Tsukuru je m’en suis lassé.
Néanmoins, je garde des souvenirs assez forts de Danse Danse Danse et Chroniques de l’oiseau à ressort. Ces deux derniers intègrent du fantastique mais la formule n’est pas encore trop éprouvée, et ils possèdent une certaine fraîcheur qu’il perdra ensuite. La Fin des Temps est assez différent des autres. Plus ouvertement fantastique/SF, mais aussi plus “cohérent” dans le sens où son fantastique trouve des explications au-delà de l’onirisme.
Le seul auquel je pense sans fantastique est La Ballade de l’Impossible, dont je garde un souvenir bon mais lointain.
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Message par The Eye Of Doom »

Mama Grande! a écrit : 8 août 22, 09:52
The Eye Of Doom a écrit : 5 août 22, 11:18 Si un connaisseur de Murakami passe par la, je suis preneur d’un conseil pour un receuil de nouvelles et/ou un texte court.,sans fantastique.
Murakami était l’idole de ma jeunesse, mais après 1Q84 et encore plus Tazaki Tsukuru je m’en suis lassé.
Néanmoins, je garde des souvenirs assez forts de Danse Danse Danse et Chroniques de l’oiseau à ressort. Ces deux derniers intègrent du fantastique mais la formule n’est pas encore trop éprouvée, et ils possèdent une certaine fraîcheur qu’il perdra ensuite. La Fin des Temps est assez différent des autres. Plus ouvertement fantastique/SF, mais aussi plus “cohérent” dans le sens où son fantastique trouve des explications au-delà de l’onirisme.
Le seul auquel je pense sans fantastique est La Ballade de l’Impossible, dont je garde un souvenir bon mais lointain.
Merci je vais essayer les receuils de nouvelles.
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Re: Vos dernières lectures

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Qu’elle était verte ma vallée ! Si ce titre est connu aujourd’hui, c’est sans doute, en premier lieu, du fait du film réalisé par John Ford en 1941, un des films les plus célèbres de ce réalisateur (et pour de bonnes raisons, car c’est, sans nul doute, un de ses chefs d’œuvre). Cependant, comme toujours, y compris quand il est question de films ayant une grande et juste renommée, il est intéressant, voire passionnant, d’aller à la découverte des romans que les scénaristes se sont ingéniés à adapter. Qui plus est, dans le cas de Qu’elle était verte ma vallée, c’est la promesse d’un constant bonheur de lecture qui se présente à qui aura la curiosité d’en parcourir le texte.
Richard Llewellyn, l’auteur, écrivit une petite dizaine de romans, qu’il serait peut-être judicieux d’éditer ou de rééditer en français. Dans Qu’elle était verte ma vallée !, ouvrage qui fut édité en 1939, lui qui était né à Londres, mais dont les parents étaient gallois d’origine, il évoqua cette terre de ses ancêtres à laquelle il demeura, sa vie entière, très attaché. Pour ce faire, il situa l’action du roman dans la vallée qui lui donne son titre, vallée où l’on a trouvé du charbon que l’on s’est empressé, bien sûr, d’exploiter. Tout au long du récit, l’on perçoit d’ailleurs les changements qui, du fait de la mine, affectent de plus en plus l’environnement. Encore bien verte au début du roman, la vallée devient, au fil du temps, de plus en plus grise du fait des déblais que l’on extrait du sous-sol et dont on ne sait rien faire d’autre que les entasser sous forme de terrils.
C’est dans ce cadre que l’auteur nous fait faire la connaissance d’une famille, la famille Morgan, dont tous les membres de sexe masculin travaillent déjà à la mine, excepté le petit dernier, le jeune Huw, qui n’a que douze ans au début du livre. C’est le regard de cet enfant, bientôt adolescent, que Richard Llewellyn eut la bonne idée de privilégier. Tout ce que l’auteur rapporte, c’est ce que ce garçon perçoit, ce qui donne au roman un ton particulier et en fait un magnifique récit d’apprentissage.
Les principaux événements rapportés par l’auteur furent fidèlement conservés dans l’adaptation cinématographique de John Ford, si ce n’est que certains d’entre eux, sans doute sous l’influence du producteur Darryl F. Zanuck, furent minimisés par rapport à la place qu’ils occupent dans le roman. C’est le cas, en particulier, de tout ce qui touche aux grèves et à la constitution d’un syndicat. On notera, à ce sujet, les dissensions au sein de la famille Morgan, entre Gwilym, le père, homme très croyant qui s’en remet à la volonté de Dieu, et ses fils, tous engagés dans la lutte pour les droits et la justice, quitte à se quereller avec leur père et même à quitter le foyer. « Je parlerai dans cette maison et partout où je rencontrerai l’injustice », s’exclame Owen, un des fils, face à Gwilym qui lui enjoignait de se taire. D’autres tensions surgissent, plus tard, quand Morgan le père est nommé inspecteur des mines, ce que beaucoup de ceux qui y travaillent conçoivent comme une trahison.
Même si elles ne vont pas à la mine, les femmes, elles aussi, occupent une place importante dans le roman, que ce soit la mère de Huw, une femme qui, à l’occasion, sait faire preuve d’une belle indépendance d’esprit (ainsi quand elle donne son approbation à Huw qui est allé traiter d’hypocrites ceux qui fustigeaient une femme accusée d’adultère), ou sa sœur Angharad ou sa belle-sœur Bronwen. Au cœur de l’ouvrage, se déploie une histoire particulièrement touchante, dont Huw est l’un des témoins privilégiés. Elle concerne Gruffyd, le pasteur de la communauté villageoise, et Angharad, la sœur de Huw, qui est une femme mariée. Gruffyd est décrit, au long de l’ouvrage, de manière contrastée : assez peu sympathique au début, parfois dur dans ses jugements, il s’humanise de plus en plus, se dépensant sans compter, par exemple, pour nourrir des affamés, et fait preuve d’une grande lucidité (pour lui, il en est persuadé, la plupart de ceux qui viennent à la chapelle le font parce qu’on leur a inculqué la peur et non par amour du Christ). Or, entre ce pasteur et Angharad, grandit un amour réciproque qui ne peut se concrétiser, mais que les médisants du village ne se privent pas de commenter abondamment. Huw, qui n’hésite pas, quand il le juge nécessaire, à se battre au nom de la justice, se montre particulièrement proche du pasteur.
Il y a abondance de personnages dans ce roman, mais ceux que j’ai nommés se détachent d’une manière particulière. Et, bien sûr, au centre du dispositif romanesque, il y a le narrateur, le jeune Huw, qui, à la surprise quasi générale, fait le choix d’aller, à son tour, travailler à la mine, plutôt que de briguer un métier mieux reconnu, lui qui le pourrait, ses capacités intellectuelles étant suffisamment remarquables pour ce faire. Mais le garçon se refuse à abandonner les siens, il ne se croit nullement supérieur à eux. C’est avec lui, par ses yeux, que nous appréhendons toute chose, la vallée de moins en moins verte, le travail éreintant de la mine, les injustices, les querelles, les solidarités, les amours, les épreuves, les préjugés, les engagements, la religion, le temps qui passe et efface tout. Un roman en tout point remarquable, sans nul doute, tout comme le formidable film de John Ford. 9/10
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Alexandre Angel
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Message par Alexandre Angel »

Vendu!
le livre, pas toi, tu penses
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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poet77
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Message par poet77 »

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Qui, en France, connaît le nom de Benito Pérez Galdós et, parmi les rares qui le connaissent, qui a lu l’un ou l’autre de ses ouvrages ? De l’autre côté des Pyrénées, pourtant, et dans tout le monde hispanique, cet écrivain, né en 1843 à Las Palmas de Gran Canaria et mort en 1920 à Madrid, est considéré comme un classique incontournable, l’équivalent de ce qu’est, pour les francophones, un romancier comme Balzac. Les cinéphiles, eux, ont tout lieu de connaître au moins trois titres de romans de Pérez Galdós, tous trois adaptés au cinéma par Luis Buñuel : Nazarin en 1959, Viridiana en 1961 et Tristana en 1970. Mais quant à lire les romans en traduction française ! En dehors de Tristana, qu’on peut trouver aux éditions Garnier-Flammarion, impossible de mettre la main sur quelque ouvrage que ce soit jusqu’à ce que paraisse récemment, aux éditions du Cherche-Midi, ce volume regroupant deux romans de Pérez Galdós : Tormento et Madame Bringas. Or la lecture de ceux-ci confirme les propos de Mario Vargas Llosa, l’un des préfaciers du livre, qui parle de Pérez Galdós comme du « meilleur écrivain espagnol du XIXème siècle et probablement [du] premier écrivain professionnel de notre langue. »
Oui, sans nul doute, les deux romans rassemblés en un volume sous le titre Les Romans de l’Interdit attestent que l’on a affaire à un romancier de premier ordre que l’on peut comparer, sans aucune exagération, à notre Balzac. Comme chez ce dernier d’ailleurs, d’un roman à l’autre paraissent des personnages récurrents dont notre auteur, manifestement, se plaît à fignoler les descriptions au moyen d’intrigues qui mettent en évidence leurs caractères et, en particulier, leurs travers.
Ainsi retrouve-t-on, dans Tormento tout comme dans le roman suivant, le couple Bringas : Don Francisco, deuxième officier du Commissariat royal aux lieux saints, considéré par les plus hautes autorités comme un « excellent sujet », et son épouse Rosalia. Tous deux, parents de trois enfants, habitent en plein cœur de Madrid et hébergent, chez eux, une jeune fille très belle et très pauvre, une orpheline prénommée Amparo, qui les sert comme une domestique et à qui Madame Bringas assure que, d’ici quelque temps, elle devra entrer dans les ordres, étant donné qu’il n’y a pas d’autre avenir possible, pour elle, que de devenir religieuse. Or, bien sûr, le destin ne tarde pas à contrecarrer ces plans, du fait de la survenue d’Agustin, un cousin extrêmement riche qui, après avoir pas mal baroudé, aspire à mener une vie plus calme. Or, quand ce dernier découvre la présence d’Amparo, il en tombe aussitôt raide amoureux. Qu’importe qu’elle soit pauvre ! Il ne songe à rien d’autre qu’à en faire son épouse, ce qu’il finit par lui faire savoir, non sans difficultés, car il est timide.
Pour Amparo, une telle perspective, c’est un cadeau tombé du ciel. Elle, qui n’est qu’une domestique, devenir la femme d’un homme élégant et riche ! Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si, pour son malheur, Amparo n’était pas liée à un homme avec qui elle a eu une relation coupable. Cet homme, personnage le plus impressionnant du roman, c’est Don Pedro Polo, qui n’est autre qu’un prêtre débauché dont la malheureuse Amparo risque d’avoir bien du mal à se dépêtrer. La voilà bientôt prise dans un sérieux dilemme, car quelle attitude adopter avec Agustin, son amoureux ? Lui dire la vérité, au risque de tout perdre ? Lui mentir ? Mais n’apprendra-t-il pas, tôt ou tard, la vérité ? Tel est le fil conducteur d’un roman qu’avec son art consommé du récit Benito Pérez Galdós peut mener à sa conclusion en tenant constamment en haleine le lecteur.
Dans le deuxième roman, c’est un autre débat intérieur qui occupe l’essentiel du récit, celui auquel est confrontée la femme qui lui donne son titre, Madame Bringas. Nous retrouvons donc le couple Bringas, qui avait déjà tenu une place importante dans le premier roman. Mais ici, ce sont leurs particularités de caractère, qu’on avait entrevus dans Tormento, qui forment la clef de l’intrigue : Don Francisco, en effet, quoique riche, se distingue par son extrême pingrerie, alors que Rosalia, contrainte de ne pas déplaire à son époux, essaie néanmoins, sous l’influence de son amie Milagros, de profiter en cachette de quelque plaisir vestimentaire, en petite-bourgeoise vaniteuse qu’elle est. Tout se corse bientôt lorsque Rosalia se retrouve empêtrée dans une accumulation de dettes qu’il faut, par tous les moyens dissimuler à un mari qui, s’il l’apprenait, se mettrait dans tous ses états. Or, voilà que le mari en question attrape une maladie qui le rend momentanément aveugle, ce qui ne l’empêche pas de palper régulièrement son argent pour vérifier qu’il n’en manque pas. L’intrigue, pleine de toutes sortes de rebondissements, se délecte à décrire les tourments de Rosalia et les combines au moyen desquelles elle s’efforce de dissimuler à son avaricieux d’époux qu’elle a puisé dans sa cassette.
De quelles facultés, de quelle inventivité fait preuve Benito Pérez Galdós dans ces deux romans ! Au moyen de courts chapitres, il manifeste un sens aigu du récit, et il sait à la perfection comment en relancer sans arrêt l’intérêt. Il faut dire aussi que l’on a affaire à un portraitiste hors pair : ses personnages sont quasi tous inoubliables, avec une mention spéciale pour l’étonnant prêtre débauché Don Pedro Polo ! 9/10
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Les mots employés par John Banville pour parler de ce que fut l’Église d’Irlande jusqu’à une époque récente cognent fort. « L’Église fut notre goulag ! », dit-il ainsi dans une interview donnée à l’hebdomadaire L’Express. Et comment ne pas agréer, tant ce que l’on a appris sur les méthodes employées par les ecclésiastiques et les religieuses dans ce pays, comme d’ailleurs dans d’autres pays du monde (pensons au Canada), nous sidère et nous terrifie à bon droit ! On sait ce qu’il advenait, en Irlande, lorsqu’une fille était ne serait-ce que soupçonnée d’avoir eu une relation jugée coupable avec un garçon : elle était enfermée dans un des couvents des tristement célèbres Magdalen Sisters où elle devait travailler comme une esclave. Quant aux garçons, en tout cas ceux d’entre eux qui donnaient le sentiment d’être tant soit peu rebelles au bon ordre de la société, le traitement qui leur était réservé n’était guère plus enviable : enfermés de force dans des maisons de correction, ils étaient livrés au sadisme tant de leurs compagnons de servitude que des prêtres ou des religieux frères qui dirigeaient ces institutions. « On était tous prisonniers », dit l’un de ces prêtres dans le roman de John Banville. Certes, mais à condition de préciser que, parmi les ecclésiastiques, il en était qui profitaient de ces lieux pour assouvir leurs pulsions pédophiles, se choisissant l’un ou l’autre « chouchou » pour en abuser en toute impunité. Quant aux autorités religieuses, à commencer par les évêques, leur souci premier étant de protéger l’institution, en Irlande comme ailleurs, quand ils avaient connaissance qu’un des prêtres était déviant, ils se contentaient de le déplacer d’un endroit à un autre où, bien sûr, il pouvait continuer à perpétrer ses crimes.
Tous ces éléments, toutes ces effarantes révélations sur l’Église, nous les retrouvons dans le roman de John Banville, un roman qui s’articule tout entier autour d’une affaire de meurtre, l’assassinat d’un prêtre, durant l’hiver 1957, à Ballyglass House, alors qu’il neige depuis deux jours sans discontinuer. Le Detective Inspector Strafford, dépêché sur les lieux, découvre l’horrible réalité : guidé par le colonel Osborne, le maître des lieux, il est conduit jusqu’à la bibliothèque de la fastueuse demeure où gît le corps du père Tom Lawless, un ami de la maison, à qui l’on a non seulement tranché la gorge mais qu’on a également châtré !
Avec le concours de son adjoint Ambrose Jenkins, surnommé Banban, et de trois autres membres de la police, Strafford entreprend de résoudre l’énigme de ce meurtre en en désignant le (ou les) coupable(s). À Ballyglass House, outre le colonel Osborne et son épouse Sylvia, il faut compter avec leurs deux enfants Dominic et Lettie, mais aussi avec d’autres personnages intervenant au cours du récit, comme Fonsey, le garçon d’écurie, un marginal qui n’a pour domicile que sa caravane, ou le Dr Hafner que la mort du père Tom ne surprend pas : « ça devait arriver ! », affirme-t-il. Dominic, quant à lui, lorsqu’il est interrogé, affirme que le père Tom « n’aurait jamais dû entrer dans la prêtrise. Il n’était pas fait pour ça. »
Je n’en dis pas plus afin de ne pas trop en dévoiler sur une intrigue construite, habilement sans nul doute, mais, comme on a déjà pu le deviner, à la manière des romans d’Agatha Christie. C’est exagéré, à mon avis, que d’affirmer, comme le fait le critique du New York Times Book Review, dont la citation est reproduite sur la couverture du livre, que l’auteur finit par faire « voler en éclats » les codes des romans de cette dernière. En vérité, si John Banville réussit à composer un récit qui tient le lecteur en haleine, ce n’est pas tant du fait de l’originalité de l’intrigue que des thèmes abordés et de la singularité de certains personnages. Le chapitre le plus impressionnant de l’ouvrage, d’ailleurs, m’a paru être celui qui se détache de l’enquête proprement dite pour ramener le lecteur dix ans en arrière, dans la maison de correction de Carricklea où « oeuvra », si l’on peut dire, pendant un temps, le père Tom. Mais on sera interloqué aussi, sans nul doute, par les quelques passages du roman où il est question de McQuaid, l’archevêque de Dublin, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’émane pas de son personnage une image reluisante de l’Église catholique d’Irlande ! 7/10
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J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer mon admiration pour le talent littéraire de Bernard Malamud (1914-1986), écrivain juif new-yorkais dont le nom, s’il est moins connu que ceux de certains de ses pairs, n’en est pas moins celui d’un romancier et novelliste de premier plan. Philip Roth (1933-2018) en personne le considérait comme l’un des maîtres du roman juif américain.
Si des romans comme L’Homme de Kiev et Le Commis, pour ne citer que ces deux titres, prouvent de manière évidente que l’on a affaire à un admirable romancier, la parution aux éditions Rivages du Tonneau magique démontre que notre écrivain était également un excellent auteur de nouvelles. La forme courte lui convenait tout aussi bien que la forme longue, chacune des treize nouvelles contenues dans ce recueil pouvant être considérée comme un petit bijou du genre.
On pourra, sans trop de peine, relever quelques caractéristiques parcourant l’ensemble du recueil. Les personnages que met en scène l’auteur, dont il raconte, de façon concise mais jamais bâclée, les destinées, sont uniformément des gens modestes, artisans, épiciers, voire étudiants, menant des vies étriquées auxquelles, même quand ils ont l’ambition d’accéder à un autre statut, ils sont, en fin de compte, comme condamnés, les écueils auxquels ils se heurtent les empêchant d’atteindre la vie meilleure qu’ils souhaitent. Il semble que le poids du déterminisme pèse sur eux, les contraignant à l’échec.
Ces personnages, animés par des désirs louables, mais confrontés à d’imparables revers, il ne nous est pas difficile de deviner combien ils étaient proches de l’auteur, très certainement semblables aux hommes et aux femmes qu’il côtoyait quotidiennement dans son quartier de New-York. Ainsi de Feld, le cordonnier, qui souhaite marier sa fille à Max l’étudiant et doit se contenter, pour finir, d’un gendre qui lui convient beaucoup moins. Ou de Kessler, un retraité, que le propriétaire de son appartement veut chasser de chez lui. Ou de Manischewitz, un tailleur qui perd tout et se retrouve aussi pauvre que Job. Ou de Carl Schneider, un étudiant venu à Rome pour y finir sa thèse sur le Risorgimento, qui se met en quête d’un appartement décent et se retrouve manipulé par un faux agent immobilier. Ou de Tommy Castelli, qui surprend une fillette dérobant des bonbons dans son magasin et qui décide de la laisser faire. Ou de Henry Levin qui, en villégiature au bord du lac Majeur, découvre une jeune fille superbe mais laisse passer sa chance à cause d’un mensonge. Ou de Fidelman, qui séjourne en Italie pour rédiger une étude critique sur Giotto et se fait voler le premier chapitre de son travail. Ou enfin de Leo Finkle, un apprenti rabbin qui, souhaitant se marier, ne trouve rien de mieux que de s’en remettre à un marieur.
Publié aux États-Unis en 1958, cet excellent recueil trouve, comme il convient, sa place parmi les éditions des œuvres de Bernard Malamud entreprises chez Rivages. À ne pas manquer. 8,5/10
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