Eric Rohmer (1920-2010)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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cinéfile
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Re: Eric Rohmer (1920-2010)

Message par cinéfile »

El Dadal a écrit : 12 mai 21, 10:25 Excuses au passage à cinéphile pour avoir hijacké son commentaire...
Ne t’excuse surtout pas :wink: C’est le propre d’un fil de discussion que de passer d’un sujet/film à un autre, à l’image du fil de la pensée. De plus, j’avais moi-même citer le Rayon Vert dans mon message et j’avoue y avoir penser plus d’une fois en regardant ce film-ci (La Femme de l’Aviateur), très surpris de voir Marie Rivière dans un registre de jeu assez différent du Rayon Vert qui reste son rôle « phare ».

Nouvelle séance Rohmer dimanche dernier avec une révision du Genou de Claire, qui restait dans mon souvenir un des Rohmer qui m’avaient le moins plu lors de sa découverte. Et ce malgré l’énorme capital sympathie dont il jouissait auprès de moi, étant Annécien d’origine (parti à 20 ans, mes parents y habite toujours). Malgré les années, c’est resté sans doute le film le plus célèbre tourné dans la région. A vrai dire, l’œuvre est paradoxalement une sorte de huit clos à ciel ouvert. Hormis quelques plans tournés à Annecy-même, certainement en une seule et même journée, et une escapade au pied du massif de la Tournette, le décor se limite à l’intérieur de la maison de Brialy/Jérôme et au jardin de la famille de deux jeunes filles (Claire et Laura). Le film réussit d’ailleurs plutôt bien son coup dans la mesure ou il se suit sans souci, à deux-trois faiblesses près. A ce sujet, je citerais (et c’est d’ailleurs ce qui m’avait déjà fait tiquer la première fois) le jeu très approximatif d’Aurora Cornu*. Intellectuelle roumaine assez importante à l’époque semble-t-il, ce sera son unique rôle au cinéma. A plusieurs reprises, elle donne l’impression de réciter scolairement son texte et de ne pas vraiment comprendre ce qu’elle dit… Elle ne devait pas être si à l’aise que ça en français et le tort en revient surtout à Rohmer pour le coup, même si l’origine étrangère du personnage est totalement justifiée par l’intrigue. Heureusement, on ne la voit plus du tout dans la seconde partie au moment où la Claire du titre débarque. Le reste du casting est en revanche exempt de tout reproche. Béatrice Romand** semble poser rétrospectivement les bases de son personnage du Beau Mariage, en interprétant ici une jeune « chieuse » dans la plus grande tradition rohmérienne ! Claire/Laurence de Monaghan, 16 ans à peine, apporte un contre-point idéal par sa beauté énigmatique et son fameux « genou », objet de fascination pour Jérôme. Le spectateur d’aujourd’hui pourrait s’offusquer de la différence d’âge, mais j’y vois pour ma part une référence à Lolita. Comme dans le roman de Nabokov, les velléités de Jérôme (l’homme « mâture », dandy et sûr de son charme) finissent par faire plouf et le film s’amuse de ses déboires. Son aisance rhétorique cache un comportement pleutre, parfois risible. Brialy se montre extrêmement à l’aise dans l’exercice et rappelle le bélâtre de La Collectionneuse (Patrick Bauchau), qui finissait déjà en dindon de la farce. Pour filer la comparaison, Le Genou de Claire appartient également aux cycles des films d’été de Rohmer (suivront Pauline à la Plage, Le Rayon Vert, Conte d’Eté). Je regrette d’ailleurs l’image fatiguée de mon vieux DVD. Il est certain que les restaurations récentes auront su rendre grâce au travail de composition de N. Almendros, déjà fabuleux dans La Collectionneuse. Tout comme ce dernier, le Genou de Claire parvient à trouver un bel équilibre être verbiage, manipulation et sensualité. Révision à la hausse, donc.

*Je découvre d’ailleurs qu’elle est décédé en mars dernier à l’âge de 89 ans.
**C’est dingue comme elle ressemble à Alyssa Milano dans ce film. Oui, j'avoue ça fait bizarre de la citer sur un topic Rohmer...
Thaddeus
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Ma nuit chez Maud (1969)

Message par Thaddeus »

Texte déplacé ici.
Dernière modification par Thaddeus le 28 août 24, 17:10, modifié 2 fois.
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El Dadal
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Re: Eric Rohmer (1920-2010)

Message par El Dadal »

Merci beaucoup Thaddeus pour ce cadeau de Noël avant l'heure. Encore un beau texte, qui révèle avec beaucoup d'à propos l'acuité du réalisateur sur les phénomènes du trouble de la raison, du doute et des fausses certitudes, de l'hésitation, de la pertinence des dogmes et de leur confrontation. Un contenu à la fois textuel et souterrain, car non pas court-circuité mais rehaussé, comme porté au pinacle, par la plus élégante, charnelle et intime des mises en scène. D'une étrange manière, un "film-champagne".
Décidément, le programme parfait des réveillons réussis. Et ce n'est pas Ed qui me contredira.
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AtCloseRange
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Re: Eric Rohmer (1920-2010)

Message par AtCloseRange »

J'en ai profité pour relire le grand débat de 2016... c'était le bon temps.
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cinéfile
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Re: Eric Rohmer (1920-2010)

Message par cinéfile »

Conte d’hiver

Bon, sans surprise (je m’aperçois que je truste le topic Rohmer depuis quelques pages pour en dire toujours du bien), ce film m’a énormément emballé.

Les films de Rohmer, j’y rentre depuis quelques années comme dans des chaussons. Mais le cinéaste possède cette faculté d’être à la fois très reconnaissable, mais aussi surprenant pour ces adeptes « récents » comme moi, à qui il reste encore quelques films à découvrir.

En parlant de surprise, l’ouverture de Conte d’Hiver a de quoi stupéfier : un montage vif et sans parole d’une rencontre de vacances idyllique (on y voit Charlotte Véry/Félicie et son amant dans le plus simple appareil comme des nouveaux Adam et Eve) agrémenté d’une ritournelle extradiégétique (rarissime chez Rohmer et composée par lui-même). Séquence-vignettes époustouflante qui vaut à elle seule la vision du film. Skorecki avait trouvé, je crois, un bel oxymore pour parler du cinéma de Rohmer : c’est Hélène et les Garçons avec de l’intelligence. Faire ressortir la plus incroyable profondeur de situations qui dans d’autres mains sembleraient confondantes de naïveté béate. D’autant plus qu’ici, cette introduction sert de contraste, de parenthèse enchantée, à une ellipse brutale de 5 ans qui nous transporte dans un univers parisien hivernal, peu engageant a priori, mais que Rohmer sublime par son approche.

Contrairement à ce que j’ai pu lire (pas forcément ici même, mais souvent ailleurs sur la toile), Charlotte Véry/Félicie a recueilli toute ma sympathie dès le départ. En guise de comparaison, il m’aura fallu bien une heure pour m’attacher à l’exaspérante héroïne du Rayon Vert (qui m’a bouleversé à la toute fin, en revanche), pour citer cet autre film de Rohmer, sans doute le plus proche de Conte d’Hiver sur de nombreux autres aspects (personnage qui trouve un sens à son existence dans une foi absolue contre tout entendement et toute probabilité, pour finalement
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être récompensé de sa détermination
). Cela tient en partie à la réalité assez modeste de sa condition, femme seule avec enfant (la fillette est super bien en plus). Quoique les héros/héroïnes rhomériennes roulent rarement sur l’or (celles de La Femme de l’aviateur et L’Amie de mon ami sont de « petites » employées de bureau). On confond parfois capital financier et capital culturel. Cela dit, la sociologie de Rohmer est totalement unique : Félicie se dit inculte, mais sa sagacité rivalise avec les personnages forts cultivés qu’elle côtoie (Loïc/Hervé Furic). Idem pour sa mère qui vit dans un petit pavillon de banlieue parisienne. Tout le charme de Rohmer se trouve dans ce genre de choix. Au passage, je ne souviens pas d’avoir vu beaucoup de parents chez Rohmer (exception faite de Bernard Verley dans L’Amour l’après-midi). Il est vrai qu’à partir des Comédies et Proverbes, les personnage principaux types sont des jeunes femmes de 20-25 ans dont la situation amoureuse n’est pas encore stabilisée (soit le sujet même de ces histoires).

Rohmer respecte vraiment tous ses personnages, donne à chacun voix au chapitre et le droit d’expliquer/exprimer son points de vue et ses choix. C’est particulièrement vrai ici pour un personnage secondaire qui prêterait vraiment à rire aux premiers abords : la femme que Félicie croise chez Loïc (le soir où il va le quitter). On découvre dans un premier temps cette adepte de la théorie de la réincarnation (« Bonne année karmique ! »), hors champ, puis de face, sous des attraits peu avantageux (voix snob horripilante, pincée, tenue et posture à l’avenant). On se gausse dans les premières minutes, avant que ne s’engage la discussion avec Loïc (catholique cultivé et excellent débatteur), discussion lors de laquelle elle fait jeu égal avec lui, pointe ses contradictions (surnaturel chrétien contre surnaturel de la réincarnation).

Les scènes entre Félicie et Loïc sont parmi les plus réussies (Hervé Furic est parfait). Là encore, Loïc est un personnage fort cultivé, mais qui ne roule pas sur l’or (bibliothécaire). L’humanité de Félicie s’exprime dans sa gêne lorsqu'elle lui annonce qu'elle va le quitter (« crois bien que je souffre autant que toi, si ce n’est même plus »). Son honnêteté ne fait pas de doute sur ce coup. Son idée fixe, son espoir fou (retrouver son amant de vacances d’il y a cinq ans, le père de sa fille qui devait partir pour les États-Unis) ne l’empêche pas de comprendre le monde qui l’entoure et la propre « folie » de son entreprise.
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In fine, elle se trouve récompensée de son entêtement, là où j’aurais plutôt imaginé une déconvenue, un retour cinglant à la trivialité de la vie. Ses pleurs de joie à la fin resonnent à l’inverse de ceux, de dépit, déchirant, de Pascale Ogier à la fin des Nuits de la pleine Lune.
Encore une fois, une merveille :D

Next : Conte d'Automne !
Dernière modification par cinéfile le 9 sept. 22, 15:32, modifié 3 fois.
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Re: Eric Rohmer (1920-2010)

Message par Alexandre Angel »

J'aime beaucoup ton analyse cinéfile :wink:
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Re: Eric Rohmer (1920-2010)

Message par Supfiction »

AtCloseRange a écrit : 19 janv. 16, 14:46
Oui, Rohmer garde encore un côté "happy few" et on a tendance à "suraimer" des plaisirs plus intimes.
Exact.

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Re: Eric Rohmer (1920-2010)

Message par cinéfile »

Alexandre Angel a écrit : 9 sept. 22, 12:28 J'aime beaucoup ton analyse cinéfile :wink:
Merci Alexandre :D
A te lire régulièrement sur Rohmer, je crois qu'on est souvent sur la même longueur d'onde au sujet du cinéaste.
Supfiction a écrit : 9 sept. 22, 15:18
AtCloseRange a écrit : 19 janv. 16, 14:46
Oui, Rohmer garde encore un côté "happy few" et on a tendance à "suraimer" des plaisirs plus intimes.
Exact.

Tu me régénères/Tu es le rayon vert
Oh les rabat-joies, les gueux ! :uhuh:

Blague à part, l'observation soulevée par ACR est assez pertinente. Comme la Félicie du Conte d'Hiver, qui s'avère lucide sur son entreprise, je réfléchis beaucoup sur ma propre cinéphilie (ciné-folie, partagée par beaucoup ici c'est rassurant) et comment les circonstances (appartenance générationnelle, préjugés, doxa critique ou cinéphile qu'on peut suivre ou rejeter) influent sur la perception d'un film, qu'on ne reçoit jamais que pour et par lui-même, d'un cinéaste, d'un mouvement...

J'ai officilellement découvert Rohmer au moment de sa mort (je le connaissais de nom avant, mais c'est l'hommage d'Arte avec Les Nuits de la pleine lune en 2010 qui constitue ma véritable découverte à 21 ans, pas tellement enthousiaste d'ailleurs). Je n'ai pas connu en direct son succès assez important des années 80. Je n'ai pas vu un seul Rohmer en salle, à l'exception d'une reprise en ciné-club étudiant de Ma Nuit Chez Maud à Clermont-Fd où j'étudiais alors. Je noue d'autant plus un lien particulier avec lui que j'ai grandi à Annecy où Le Genou de Claire reste un film emblématique (enfin pour les cinéphiles du coin). Contrairement à d'autres films ou réalisateurs, mon goût pour Rohmer n'a jamais trouvé d'écho dans mon entourage (pas excessivement cinéphile cela dit), même ponctuellement. Aujourd'hui, il est plus facile de parler de Romero que de Rohmer. C'est finalement logique qu'il compte parmi les cinéastes sur lesquels j'interviens le plus ici. Quand je dis que je rentre dans ses films comme dans mes chaussons, c'est aussi à prendre au sens littéral. Lorsque j'ai lancé le film l'autre soir, il était déjà assez tard, l'ambiance autour de moi était très calme (pas un bruit dans la rue, personne chez moi), j'étais en chaussons devant la téloche... et le film ne m'a pas lâché. Aurais-je autant aimé Rohmer si j'avais eu 30 ans en 1985 ? Si tout le monde autour de moi m'en rabâchant les oreilles ? Aimerai-je encore autant Rohmer dans 10, 15 ans ? Rien n'est moins sûr. Le surplus d'ivresse lié au sentiment d'être un happy-few peut-il intervenir dans nos expériences face aux films ? Sommes-nous conditionnés à un moment ou un autre ? C'est probable. Mais le résultat, le panard que je prends devant de nombreux Rohmer est on-ne-peut-plus réel :D
Dernière modification par cinéfile le 9 sept. 22, 21:49, modifié 1 fois.
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Re: Eric Rohmer (1920-2010)

Message par Flol »

J'aime beaucoup ce que tu dis. Je trouve ça très beau mais aussi très rassurant, bizarrement (sûrement pour le côté chaussons).
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Re: Eric Rohmer (1920-2010)

Message par hansolo »

Top 10 des meilleurs films de l'histoire établi par Rohmer en 1961

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- Well, if you fold 'em, they fire you. I usually throw 'em out.

Le grand saut - Joel & Ethan Coen (1994)
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Re: Eric Rohmer (1920-2010)

Message par Thaddeus »

Plus de soixante ans après, au moins trois d'entre eux le sont toujours.
À noter que trois des films cités ont moins de trois ans au moment où Rohmer se prête à l'exercice. Peut-être à l'époque était-on moins frileux de statufier des films récents. Il est vrai que le cinéma était alors deux fois plus jeune.
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