Rue des prairies de Denys de La Patellière (1959) – Jean Gabin, Pierre Brasseur, Marie-Josée Nat, Roger Dumas.
Henri Neveu, prisonnier de guerre rentre d’Allemagne en 1942, veuf, il se retrouve avec un enfant illégitime sur les bras. Il l’élèvera, en bon père de famille avec son fils et sa fille. Devenus jeunes adultes, ils représentent une nouvelle jeunesse, en rupture avec le monde d’avant.
Quand le patriarcat titube sous la poussée des années 60.
Le recul aidant, on ausculte mieux une période révolue. On observe les métamorphoses qu’elle a subies. Et ici, on assiste à la friction de deux mondes. En 1959, les jeunes turcs avaient tiré leur première slave - Les cousins et Le beau Serge de Chabrol, Les 400 coups de Truffaut, Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle. Godard, lui, dégoupillerait sous peu son A bout de souffle. Les films d’une nouvelle génération de cinéastes vent debout contre le conformisme du cinéma français. Cette révolte qui secoue la société de l’époque, Denys de La Patellière, la reprend à son compte et l’écrit dans son style.
Critique sociale, examen du milieu ouvrier.
Jean Gabin, riche d’un passé prolétaire sur l’écran, enfile sans peine, les habits du contremaître du bâtiment. Travailleur, attaché aux valeurs de la famille, honnête homme et père protecteur, il mène une vie simple et sans histoire. Bien élever ses gamins et boire un coup au bistrot du coin avec les copains, c’est son idée du bonheur.
La jeunesse en quête d’argent facile, de statut social, de gloire rapide.
La nouvelle génération cherche à s’émanciper de ce modèle. Louis (Claude Brasseur) entame une carrière de coureur cycliste, en acceptant compromis et magouilles de son entraîneur pour atteindre son but. Odette (Marie-Josée Nat) plaque son emploi de vendeuse de chaussures, pose pour des photos de mode et devient la maîtresse d’un riche quinquagénaire marié.
Radioscopie d’un Paris bouleversé / Emergence des cités-dortoir
Le cinéaste soigne aussi la toile de fond. Aux petits commerçants de la rue des Prairies, à ses riverains qui se connaissent tous, il oppose la construction des premiers HLM de Sarcelles, la restructuration à la verticale d’une vie de quartier qui va distendre le tissu social et raréfier les relations. En s’inscrivant dans la tradition d’un cinéma populaire, De la Patellière jette un regard nostalgique sur un monde en train de disparaître.
Bon sang saurait mentir.
C’est Fernand, l’enfant illégitime qui va contrebalancer cette effervescence par son mutisme, sa pudeur à exprimer ses sentiments, sa loyauté et son sens moral. Contre toute attente, il incarne l’héritier des valeurs d’Henri Neveu contrairement à ses enfants qui répugnent à marcher dans ses pas.
Un film de son temps.
Au final, le cinéaste aura su saisir avec une certaine justesse, l’air du temps et en restituer une photographie non dénuée d’intérêt. Ajoutons à cela des dialogues aux petits oignons et une distribution « au poil » et on obtient une recette efficace pour apprécier pleinement Rue des Prairies.