Hou Hsiao Hsien

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Alibabass
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Alibabass »

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tenia
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par tenia »

Alibabass a écrit :Tu as quand même aimé la musique du film ?
Absolument et copieusement détesté, d'une part musicalement (notamment ce thème, qui fait penser à un thème de Zelda SNES, façon Hyrule le matin), mais encore plus par son aspect répétitif totalement abrutissant. Ce serait des nappes plus longues, je ne dirais pas, mais on dirait que les quelques (3 ?) pistes musicales durent 3 min chacune et tournent en boucle 12 fois chacune.
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tenia
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par tenia »

tenia a écrit : 5 août 20, 17:24EDIT : failli oublié : je n'ai pas été époustouflé par la resto 4K, qui rajeunit sans doute le film (c'est propre, stable, etc) mais que j'ai trouvé bien lisse.
Je reviens là dessus ayant maintenant vu le BR Carlotta et jeté un oeil à droite à gauche sur le net, et c'est effectivement totalement dégrainé. :|
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Mama Grande!
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Mama Grande! »

Demi-Lune a écrit : 5 août 20, 19:28 L'abolissement de la notion de temps me semble, en effet, être le pari de ce film qui précède quelque part les recherches sur la narration cinématographique sous-tendant Millennium mambo et Three times du même réalisateur. Même si je comprends parfaitement qu'on se fasse royalement chier dessus, reprocher au film son absence d'histoire ou de personnages déchiffrables me semble être un mauvais procès dans la mesure où, premiers films exceptés, ce n'est pas le cinéma qui caractérise et motive HHH. A l'instar de son chef-d’œuvre The assassin qui pousse encore plus loin la démarche, le film doit plutôt s'envisager comme une expérience sensitive - le genre de film auquel on repense le lendemain matin comme d'un rêve beau et mystérieux -, comme un souvenir encapsulé et raffiné des vapeurs de la Chine du XIXe siècle dont le confinement de la salle de cinéma (je rejoins Alibabass, pour l'avoir découvert lors de la rétrospective consacrée au cinéaste à la Cinémathèque, l'enfermement joue à plein) doit entrer en écho avec l'enfermement des protagonistes, qu'il soit littéral avec cette maison de jeu, ou symbolique avec leur addiction au jeu. Au fond, les personnages des Fleurs de Shanghai sont prisonniers de ce tripot (je ne me souviens pas d'une seule scène à l'extérieur, et la répétition de ces soirées à la bougie, qui s'égrènent par fondus au noir, a un effet volontairement inextricable évoquant quelque chose de l'ordre du rituel auquel se soumettent complaisamment les personnages), comme Noodles peut l'être de la fumerie d'opium d'Il était une fois en Amérique, ou les prostituées de Bertrand Bonello, de l'Apollonide. Pour reprendre le sous-titre du film de Bonello, ils sont des "souvenirs" de cette maison close, ils ont une existence moins en tant que personnages en chair et en os, qu'en tant que spectres qui hanteraient encore les lieux, des vieux portraits jaunis auquel un contemporain imaginerait vaguement des histoires, des contrariétés. C'est sûr que c'est pas très bandant dit comme ça, et que les spectateurs en quête d'histoire en bonne et due forme en seront pour leurs frais, mais c'est une vision d'auteur puissante, volontairement impressionniste pour être d'autant plus évocatrice. Si l'on consent à s'abandonner à cette vision, à ce rythme engourdi par la méticulosité princière des plans-séquences, et à cette photo mordorée qui semble reléguer cette époque à un songe exquis et mélancolique, le film agit comme un puissant opium dont le souvenir s'imprime durablement en mémoire. Il est certain que c'est un cinéma qui a le défaut de ses qualités - un intérêt très ténu car conditionné à l'abandon du spectateur - mais c'est clairement pour moi l'une des réussites de HHH, auteur ardu auquel je goûte modérément, au demeurant.
Tout à fait d'accord avec toi. La première vision des Fleurs de Shanghai il y a une douzaine d'années m'avait pourtant bien ennuyé, à une époque où j'étais en pleine phase HHH. Je l'avais vu lors d'une séance spéciale où la scénariste était invitée, et ses premiers mots après la projection furent "ça va? vous n'avez pas trop dormi?" :mrgreen: Je ne m'étais en effet pas intéressé aux personnages et à leurs vies, contrairement à ceux de Millennium Mambo qui vivaient à mon époque et étaient de ma génération. Sans compter le doublage en shanghaien pas toujours très convaincant.
Mais en le revoyant lors de cette ressortie, il m'a plus captivé. L'intrigue (Tony Leung pris entre deux courtisanes) m'est apparue plus claire, et la profondeur de champ incroyable des plans, outre la performance technique, leur donne une vie, un pouls, un parfum, qui est resté avec moi pendant plusieurs jours après la projection. Comme si leur durée leur avait laissé le temps de m'imprégner, et ensuite de fleurir dans ma mémoire pour pouvoir dans quelques années peut-être les revisiter, et y découvrir de nouvelles richesses. HHH avait dit dans une interview que plus que des intrigues, il voulait transmettre des atmosphères et ambiances à partir desquelles des histoires pourraient naître. Ca n'a jamais été aussi vrai qu'avec celui-là.
Je préfère les HHH contemporains et autobiographiques, mais Les Fleurs de Shanghai reste à mon avis une réussite.
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Profondo Rosso
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Profondo Rosso »

Green, Green Grass of Home (1982)

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Une institutrice de village déménage en cours d’année et se fait remplacer par son frère, Ta-nien, originaire de Taipei. Celui-ci fait la connaissance de ses nouveaux élèves, notamment le groupe des « trois mousquetaires » composé des espiègles Cheng-kuo, Chin-shui et Wen-chin. Séduit par une de ses collègues, le citadin Ta-nien prend progressivement goût à sa nouvelle vie à la campagne…

Troisième film de Hou Hsiao Hsien, Green, Green Grass of Home vient conclure une trilogie de films sentimentaux et ruraux tournés avec l'acteur (et vedette de la canto-pop) Kenny Bee après Cute Girl (1980) et Cheerful Wind (1981). Green, Green Grass of Home est donc une œuvre de transition entre le Hou Hsiao Hsien première manière et la veine plus personnelle de sa tétralogie autobiographique (Les Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand-père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985) et Poussières dans le vent (1986)). Cette bascule est notamment formelle puisque la tonalité romantique des premiers films s'articule dans une veine plus documentaire.

Tout au long du film Hou Hsiao Hsien n'a de cesse d'imprégner le spectateur de la topographie du village, des spécificités de ces différents environnements, et il rebondit toujours sur ce socle géographique pour développer la dramaturgie du récit, la caractérisation des personnages. Le magnifique plan d’ensemble d’ouverture laissant voir en plongée tout le village et les immenses collines verdoyantes en arrière-plan est une note d'intention. Les multiples trajets que va effectuer le jeune instituteur Ta-nien de son domicile à l'école travaille à la fois l'idée d'un quotidien où se développe à la fois la complicité à ses élèves qu'il croise, mais aussi le rapprochement amoureux avec sa collègue Su-yun (Meifeng Chen). C'est sur ce même chemin qu'empruntent nonchalamment les enfants quand ils se rendent le matin à l'école, et qu'ils dévalent dans l'autre sens à cor et à cris quand ils la quittent. C'est une manière de dessiner la personnalité de quelques-uns dont les très turbulent "trois mousquetaires". Enfin ce trajet est coupé par le chemin de fer et son wagon qui traverse la ville, symbole d'arrivée anonyme puis de départ émouvant de Ta-nien en début et fin de récit, ainsi que l'introduction de la modernité en ces lieux encore bercés de tradition.

Hou Hsiao Hsien apporte d'infinies variations à ces vas et vient. Un délicat panoramique en longue focale suit les déambulations complices entre Ta-nien et Su-yun, plus tard un mouvement de grue accompagne le retour chez lui de Cheng-kuo, l'un des trois mousquetaires. Le réalisateur applique le même dispositif aux autres espaces du film, à savoir une dimension poreuse où l'individu est toujours dépendant du collectif dans ses aspirations, que ce soit pour être loué, épié ou calomnié. On en a un versant comique quand la sœur aînée de Cheng-kuo le démasque en train de signer lui-même un contrôle raté et le dénonce à leur père. Elle surgit dans un coin du cadre quand Cheng-kuo effectue son méfait et Hou Hsiao Hsien nous fait passer d'une pièce à l'autre par un mouvement de caméra qui aboutit sur l'engueulade paternelle. Dans des proportions plus grandes, l'arrivée impromptue d'une prétendante de Ta-nien en plein cours le désavoue face à Sun-yun, et symboliquement le fait que l'intruse l'entraîne en voiture aux limites du village traduit le statut d'encore étranger de la ville pour Ta-nien.

Il y a d'autres lieux qui seront tour à tour motifs d'ouvertures ou de ruptures. La rivière où certains pêcheurs s'adonnent la pêche à la tige électrique désastreuse pour l'environnement sera le cadre à la fois d'élans collectifs, de maux intimes mais aussi de réconciliation. Là encore Hou Hsiao Hsien passe par toutes les émotions, et qu'ils répercutent sur tous les personnages. Une bagarre burlesque s'entame quand Ta-nien cherche à stopper un pêcheur destructeur, puis ce sera un sentiment plus douloureux quand le père du "mousquetaire" Wen-chin sera vu par tous ses camarades en train de pêcher à la tige électrique. L'école est l'espace de transition où Ta-nien octroie ses vertus humanistes et écologiques pour éveiller la conscience de ses élèves (très belle et simple explication des raisons de préserver la nature lors d'une scène), tout en étant ceux où leur différences (sociale, de caractère, de niveau scolaire) se ressentent à vif et entraînent des conflits.

Le ton du film est avant tout bienveillant, et donc tous les espaces du film fonctionnent en écho les uns des autres pour célébrer un rapprochement, le positif d'une vie en communauté, qu'elle soit intime dans le foyer ou collective dans le village. Le monde extérieur (et par extension la modernité) n'est jamais un ennemi, mais contribue à ce bien vivre ensemble. C'est l'annonce d'une initiative similaire lue dans le journal qui incite Ta-nien à monter un fond collectif visant à protéger la rivière. La fugue de Wen-chin vers Taipei et le retour auprès de son père permet de crever l'abcès lors d'une poignante scène de réconciliation. La fin du film offre un magnifique condensé de cette philosophie en deux scènes. La pièce de théâtre des élèves exprime dans le même élan la spontanéité, la communion et la responsabilité dans un cadre scénique introduit dès le début du film. Et enfin la dernière scène nous fait effectuer une ultime fois le trajet du train-wagon de la gare vers l'extérieur, emmenant certains personnages vers un autre destin mais chargés de souvenir, et poursuivis par un groupe d'enfants rieurs pour un bel au revoir. Hou Hsiao Hsien a certainement fait plus profond, sophistiqué et cérébral par la suite dans ses films plus acclamés, mais des œuvres "mineures" comme celle-ci on en demande tous les jours. 5/6
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Les Garçons de Fengkuei (1983)

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Dans le village de pêcheurs de Penghu, Ah-Ching et ses amis, Ah-jung et Kuo-tzu, tuent le temps en buvant, se battant et commettant quelques larcins. Suite à une bagarre qui dégénère, les trois amis partent pour la ville portuaire de Kaohsiung, afin de trouver du travail. Le changement d'environnement est un véritable test pour leur amitié. Ils vont également devoir faire face à la dure réalité de la vie en ville.

Les Garçons de Fengkuei est considéré par Hou Hsiao Hsien comme son vrai premier film, celui où il développe des thématiques et une esthétique personnelle dont il creusera les sillons dans ses œuvres suivantes. Le film entame un cycle autobiographique qui s'étalera sur quatre opus (Un été chez grand-père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985), Poussières dans le vent (1986)) et se basera sur les souvenirs de Hou Hsiao Hsien ou ceux de sa scénariste Chu Tien-wen avec laquelle il collabore pour la première fois. On retrouve ici la dichotomie entre la campagne et la ville au cœur des premiers films du réalisateur (Cute Girl (1980), Cheerful Wind (1981) et Green, Green Grass of Home (1982)) mais sans la célébration pastorale de ces derniers et avec une intrigue se déroulant majoritairement dans le cadre urbain.

S'inspirant de sa jeunesse tumultueuse, Hou Hsiao Sien nous fait suivre le quotidien des trois petites frappes Ah-Ching (Doze Niu), Ah-jung (Chang Shih) et Kuo-tzu (Chao Peng-chue) dans leur village de pêcheurs. Une existence sans but fait d'oisiveté, de petits larcins et de bagarre jusqu'à ce que l'écart de trop les forces à migrer vers la grande ville voisine de Kaohsiung. Les Garçons de Fengkuei est un récit d'apprentissage fait d'espoirs et de désillusions assez classique dans son contenu et toute l'originalité du film viendra du traitement de Hou Hsio Hsien. Les élans naturalistes entrevus dans Green, Green Grass of Home sont encore accentués ici, plus documentaire (y compris dans le choix d'engager des acteurs non professionnels) et moins contemplatif dans son utilisation des décors. Cela passe notamment par l'usage du plan fixe. Hou Hsiao Hsien fige par ces plans fixes les silhouettes des personnages, toujours filmés de loin, dans leur environnement. Les superbes plan large de certains espaces du village n'ont plus cette dimension radieuse et élégiaque mais au contraire avec sa mer à perte de vue un horizon sans but, un mur symbolique ou concret (Kuo-tzu qui travaille au port avec son père) sur lequel viennent se heurter tous leurs espoirs. Il en va de même dans le cadre familial où le travail sur le cadre enferme aussi par le plan fixe Ah-Ching dans lieu qu'il n'a de cesse de fuir. Si ce n'est l'ennui ordinaire qui vous fige, ce seront les aléas de la vie tel le père de Ah-Ching réduit à l'état végétatif suite à un accident, et qui assis placidement observe le monde qu'il entoure avec le même regard vide que les jeunes gens valides. Même quand il capture les soubresauts de cette jeunesse délinquante, ce traitement du plan fixe nous évoque plutôt d'une agitation dans le vide. Lors de la scène de rixe puis ensuite celle de la fuite, Hou Hsio Hsien exprime une distanciation par cette image figée et ce cadre dans le cadre où entrent et sortent les combattant. L'énergie juvénile et le mouvement qui se dégage habituellement de ce genre de séquences n'exprime ici que la vacuité d'une agitation inutile. On retrouve cette idée même dans une scène légère comme lorsque les trois amis cherchent à séduire une jeune fille. On l'a elle d'un côté ancrée dans le monde réel qui travaille et le contrechamp des trois héros dansants, là encore avec un cadre de le cadre et un arrière-plan sur la mer sans les moindres velléités contemplative.

Si les scènes rurales perdent les personnages dans un environnement vide où ne se passe, les séquences en ville les perdent dans le grouillement urbain où ils sont cette fois condamnés à suivre la norme d'un quotidien programmé. C'est une aliénation dont la voie ordinaire nous enferme dans un job ennuyeux (nos trois héros qui finissent à l'usine) et où les tentatives de raccourcis vers la réussite sont déshonorants (la sœur de Ah-jung et son bienfaiteur suspect joué par Hou Hsiao Sien lui-même, le colocataire Huang Chin-ho (Toua Chung-hua) qui vole du matériel à l'usine). Hou Hsiao Hsien offre des échappées vouées à l'échec et au surplace pour ses personnages, parfois de façon triviale comme cette promesse de séance de cinéma coquine qui débouche sur la simple observation du panorama de la ville via, une fois de plus, un cadre dans le cadre. PourAh-Ching ce sera la fuite dans le passé et des flashbacks vers son enfance à travers plusieurs souvenirs. Hou Hsiao Hsien matérialise comme rarement au cinéma la divagation de la pensée lors de la scène où Ah-Ching, alors qu'il regarde au cinéma Rocco et ses frères de Luchino Visconti (autre récit de déracinement et d'implosion familiale dans la ville et ses valeurs corruptrices) pense à l'accident cause du handicap de son père. Le moment le plus poignant arrive vers la fin où, observant le siège désormais vide de son père disparu, Ah-Ching est ramené vers le passé par un panoramique où il retrouve ce père vivant et rajeuni. La photo surexposée de Chen Kun-Hou nous laisse bien comprendre que nous sommes dans un flashback, et quand le panoramique nous ramène vers Ah-Ching redevenu petit garçon, c'est toute la nostalgie d'une époque où tout était plus simple qui se ressent.

La possible romance avec Hsiao-hsing (Hsiu-ling Lin) est la seule éclaircie du présent et le seul motif d'espoir du futur. Malheureusement elle aussi est rongée par ses propres démons, frappée par la désillusion et laisse un Ah-Ching démuni. La conclusion nous laisse dans un entre-deux où le contexte politique d'alors à Taïwan redevient concret (l'épée de Damoclès du service militaire qui coure tous le film) et où le sursaut d'énergie final peut être interprété comme désespéré ou au contraire une volonté de surmonter la fatalité. 5/6
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Jack Carter
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:)
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The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Profondo Rosso »

Jack Carter a écrit : 12 janv. 21, 09:28:)

Un des premiers twists de 2021 ça, je découvre que j'aime Hou Hsiao Hsien :mrgreen: vraiment très bien ce coffret sur les oeuvres de jeunesse. Prochain sur la liste Un été chez grand-père sur lequel j'ai mis l main !
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Profondo Rosso
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Profondo Rosso »

Un été chez grand-père (1984)

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Tung-tung et sa petite sœur Ting-ting partent pour quelques semaines chez leur grand-père, leur mère étant très malade. À travers les vacances des enfants, lumineuses et gaies, à travers leurs jeux anodins, la mort et des drames insoupçonnés jaillissent dans le monde des adultes.

Un été chez grand-père poursuit le virage personnel et autobiographique entamé par Hou Hsiao-hsien avec Les Garçons de Fengkuei (1983). Après avoir dépeint sa jeunesse délinquante dans le film précédent, ce sont cette fois les souvenirs de sa scénariste Chu Tien-wen qui vont servir de base à Un été chez grand père. Au premier abord on pense retrouver l'imagerie pastorale idéalisée et naïve de ses premiers films comme Green Green the Grass of Home (1982), mais cet aspect va finalement se mélanger au traitement aride de cette campagne expérimenté sur Les Garçons de Fengkuei. On est ici plus proche d'une variation taïwanaise de Du Silence et des ombres de Robert Mulligan (1962). En effet, l'échappée de Tun-tung (Chi-Kuang Wang) et sa petite sœur Tin-ting (Shu-Chen Li) et leur découverte a déjà des prémices douloureux puisqu'ils partent en vacances chez leur grands-parents le temps leur mère malade subisse une opération. Cette peur de la perte et l'ombre de la mort plane sur l'ensemble du récit (et anticipe Mon voisin Totoro d'Hayao Miyazaki au point de départ proche et tout aussi autobiographique), où cette campagne est autant un vaste terrain de jeu que le cadre d'un difficile apprentissage des maux adultes.

La candeur du monde de l'enfance trouve tout au long du récit son contrepoint (pas forcément négatif) rattaché au monde des adultes. On le comprend dès la scène anodine où Tung-tung tente de chasser sa petite soeur alors qu'il se baigne nu avec ses camarades. L'indifférence de la fillette trahit son innocence intacte quand la préoccupation de son aîné exprime déjà une pudeur (et un machisme feutré) plus mature. La vengeance espiègle de Ting-ting est d'ailleurs contrebalancée par une angoisse morbide (mais sans conséquence) lorsqu'un camarade s'égarera nu et sera cherché par sa mère. Le fil rouge de la voix-off épistolaire de Tung-tung écrivant à ses parents marque aussi la bascule et le changement de ton du film au fur et à mesure des expériences de l'enfant. Sans trame principale, l'intrigue propose une suite de vignettes où de plus en plus la carte postale rurale se verra noircie par différents évènements observé à hauteur d'enfant, mais surtout à distance et dans l'incompréhension à travers la mise en scène de Hou Hsiao-hsien. C'est d'abord la violence du monde extérieur qui s'impose aux enfants lorsqu'ils sont témoins d'un vol, mais cela s'exprimera surtout par la figure de "la folle du village", une femme-enfant attardée rôdant sans but. Elle passe de bête curieuse et moquée à victime lorsque Tung-tung verra sans le comprendre le viol dont elle est victime, à travers ce travail sur la violence en sortie de champs typique de Hou Hsiao-hsien. Les préjugés s'estompent quand elle sauvera Ting-ting et où par un simple panoramique Tung-tung comprend que "la folle" ramène en fait sa soeur chez eux. Cette évolution des enfants s'oppose à la position tranchée des adultes qui ne voit dans la jeune femme qu'un fardeau ou une proie, et où cette vulnérabilité accentue le modèle familial oppressant (le père regrettant la perte de l'enfant issu du viol, pensant que la maternité apportera l'équilibre à sa fille).

L'autre découverte sera celle de la fragilité de la cellule familiale. Le grand-père s'avère au départ sévère et intimidant, mais constitue en fait un socle de droiture au sein de la famille et de la communauté par sa fonction de médecin. Ces réactions à vif prêtent à rire (son arrivée tonitruante alors que Tung-tung et Ting-ting chahutent, sa réaction violente face au déshonneur de son fils) mais se révèleront justifiées, tandis que dans la vraie tourmente il s'avère stoïque et rassurant (les nouvelles alarmantes de la santé de la mère, le séjour en prison de l'oncle). Hou Hsiao-hsien travaille de nouveau cette notion de proximité et de distance pour traduire l'assimilation de la logique et droiture du grand-père par les enfants. Tung-tung regarde son oncle banni en plongée depuis l'extérieur de la maison, un peu plus tôt cet oncle est pourchassé par le grand-père furieux et sa silhouette disparait et se fait plus floue dans le cadre. La confrontation directe sert le désenchantement quand Tung-tung tombe nez à nez avec les voleurs chez son oncle, ou quand Ting-ting voit la jeune attardée s'effondrer devant elle. Cette alternance entre esthétique douce et péripéties douloureuse donne un ton assez unique au film, ni parenthèse enchantée, ni retour au réel, c'est un entre-deux ténu et touchant. L'interprétation des enfants y est pour beaucoup, la relation fraternelle à cet âge-là est merveilleusement spontanée, et la dernière partie où Ting-ting reste au chevet de son amie inconsciente fera fondre le plus insensible. Tout cela se fait par la grâce d'une tonalité feutrée qui fait de l'ensemble du film un épisode contrasté à l'image de l'enfance, où tout se vit dans l'instant sans que la nostalgie sous-jacente des premiers films n’ait sa place. 5/6
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Re: Hou Hsiao Hsien

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Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985)

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Le film est la chronique de la vie de Ah-hsiao, surnommé Ah-ha par sa grand-mère. Sa famille vit dans une petite ville du sud de Taïwan, après avoir quitté la Chine continentale quelques années auparavant.

Un temps pour vivre, un temps pour mourir est le troisième film du virage thématique et stylistique plus personnel de Hou Hsiao-hsien. On reste dans une veine biographique avec l'évocation de la jeunesse délinquante du réalisateur dans Les Garçons de Fengkuei (1983), les souvenirs d'enfance de sa scénariste Chu Tien-wen sur Un été chez grand père (1984) et cette fois ceux de son scénariste Wu Nien-jen (également acteur vu chez Edward Yang dans Taipei Story (1985), Mahjong (1996) et Yi Yi (2000)). Cette écriture à six mains entre Chu Tien-wen, Wu Nien-jen et Hou Hsiao-hsien pose un socle culturel et d’expériences communes dans cette veine biographique et nostalgique, tout en donnant des films à chaque fois très différente dans leur approche. On peut par exemple penser que le contexte de Un temps pour vivre, un temps pour mourir avec arrière-plan de dictature militaire, ces rixes de voyous et ses exilés chinois usés préfigure A Brighter Summer Day (1991) d'Edward Yang (certaines images comme les uniformes scolaires féminins ravivent ce souvenir même si le rôle est moindre ici) et constitue un vrai sillon thématique du cinéma taïwanais.

Un temps pour vivre, un temps pour mourir se distingue donc par sa nostalgie plus prononcée que marque la voix-off, et un rythme et ton posé qui suit le cycle dépeint par son titre français. On y suit le quotidien d’Ah-ha garçon de dix ans vivant avec sa famille dans une petite ville de Taïwan. Tout dans la narration et le filmage de Hou Hsiao-hsien sert à illustrer l'équilibre des générations au sein de cette famille. Le film s'ouvre ainsi sur la grand-mère (Tang Yu-yuen) sillonnant les rues à la recherche d’Ah-ha, que l'on découvre ensuite jouant aux billes avec ses amis avant de rentrer chez lui où se révèleront le foyer et l'ensemble de ses membres. Ce cadre familial fonctionne avec des compositions de plans fonctionnant par strates ( (la maison ayant une topographie coulissante à la japonaise, Hirokazu Kore-eda, grand admirateur de Hou Hsiao Hsien saura s'en souvenir dans son Still Walking (2008))) où l'activité, l'âge et la capacité de chacun s'étend dans la profondeur de champs. Le père souffrant et asthmatique apparait ainsi souvent statique, assis et assoupi à chercher son second souffle et lorsqu'on sort de cette imagerie pour s'attarder sur un détail ce sera notamment pour laisser voir les gouttes de sang échappé de sa dernière quinte de toux. La vie et la mort cohabite donc au sein du foyer, entre ce père discret qui ne sera bientôt plus là, cette grand-mère fantasque et une mère qui tient la famille à bout de bras. Hou Hsiao-hsien exprime cette approche en strates par des ruptures de ton qui créent des moments particuliers, heureux ou tristes qui caractérisent chaque protagoniste et travaille aussi la notion de répétitivité d'une image (les pousses-pousses ramenant la grand-mère égarée à la maison).. Le mal du pays et l'obsession de la grand-mère cherchant en vain à regagner le "continent" Chinois en oubliant que Taïwan est une île est le prétexte à une échappée loufoque qui façonne un souvenir d'enfance inoubliable pour Ah-ha. La sœur aînée exprime résignée son dépit quand malgré ses examens réussis elle doit laisser la priorité au garçon d'aller à l'université. Cet art de la révélation intime par un focus discret sera même bouleversant lors de la conclusion où le tempérament distant du père aura pour explication posthume la peur de contaminer ses enfants par son mal.

La candeur de l'enfance laisse place à l'adolescence désabusée pour Ah-ha et Hou Hsiao-hsien restreint son dispositif pour rendre la mort plus présente dans le cycle de la famille. Cela correspond à la fois au regard du héros plus conscient de ce genre de chose, mais aussi de l'épreuve du temps qui s'abat sur le foyer. Les strates se réduisent dans les plan fixes de l'intérieur de la maison, au fil de la diminution de ses membres et l'enfance lumineuse laisse place à une atmosphère funèbre telle cette scène où la mère souffrante est veillée par sa fille dans une sombre et voilée. Les respirations du récit sont plus tendre que drôle désormais comme cette magnifique scène de confidence mère/fille où se partage la difficulté de la condition féminine. Le monde extérieur devient un exutoire pour le mausolée que devient progressivement la maison avec ses bagarres de bandes futiles. Un temps pour vivre, un temps pour mourir tient avec brio la promesse de son titre en étant jamais totalement euphorique, ni complètement dépressif. Les détails triviaux servent l'intimité et la proximité pour rire (les éjaculations nocturnes, les toilettes qui sentent le lait dont se gave un des petits frères) en signe de vie, tout comme ils indiquent la présence de la mort comme ses fourmis prévenant du dernier sommeil de la grand-mère. Ah-ha traverse le récit et se construit dans cette découverte de l'équilibre régissant l'existence, tout en conservant son fond bienveillant (les larmes lors des funérailles de la mère sont très touchantes au vu du stoïcisme du personnage). Un œuvre magnifique, à l'émotion sobre ((très beau leitmotiv de piano de Chu-chu Wu) et toujours juste. 5/6
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Re: Hou Hsiao Hsien

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Poussières dans le vent (1986)

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A Yuan et A Yun ont grandi côté à côte dans un petit village de montagne. Un jour, A Yuan décide de partir à Taipei pour y trouver du travail et suivre les cours du soir. A Yun le rejoint peu de temps après. Ils se familiarisent petit à petit à leur nouvelle vie dans la capitale, tout en revenant de temps en temps dans leur village natal. Leur amitié se mue sensiblement en amour jusqu'à ce qu'A Yuan soit appelé pour effectuer son service militaire...

Poussières dans le vent est le quatrième et dernier film du cycle autobiographique de Hou Hsiao-hsien après Les Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand père (1984) et Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985). Tout comme Un temps pour vivre, un temps pour mourir, Hou Hsiao-hsien s'inspire des souvenirs de son scénariste Wu Nien-jen. Après la tonalité nostalgique et l'éveil à la morbidité du monde de ce précédent film, le récit se penche ici sur une histoire d'amour (élément peu exploré jusque-là dans le cycle) mais forcément sous un angle désenchanté. Il est d'ailleurs plus question de romance manquée et nourrie de regret plutôt que de passion amoureuse dans Poussières dans le vent. Amis d'enfances, A Yuan (Wang Chien-wen) et A Yun (Xin Shufen) sont presque implicitement destinés l'un à l'autre, mais cet acquis empêche finalement l'expression plus affirmée de leur affection mutuelle. Cela relève de petites attentions l'un pour l'autre, d'un regard affectueux, du souci pour leur famille respective, sans qu'une grande déclaration ne soit nécessaire. Mais ce sont ces mêmes détails épars et insignifiants qui vont parfois semer l'incompréhension, l'attente, et faire de leur union un rendez-vous manqué.

L'ouverture dans le village montagneux exprime ainsi à la fois une proximité naturelle (ils sont voisins), une connaissance de l'autre, mais avec une forme de timidité qui exclut la complicité et la spontanéité dans leur rapport mutuel. On ne sait si cette réserve est venue de l'adolescence et ce sentiment amoureux latent, notamment le rapport garçon-fille à cet âge-là. Dans la douceur de leur village, cet amour a le temps d'évoluer à son rythme mais lorsqu'ils s'exileront à Taipei pour gagner leur vie, l'urgence et les affres du quotidien urbain les en empêchera. Hou Hsio-hsien fait de chaque rencontre du couple un moment contrasté, où une parole maladroite, un évènement inattendu, empêche l'épanouissement d'un sentiment amoureux explicite. Ce va et vient entre espérance et repli est symboliquement annoncé dans la première scène où le train passe de la lumière du jour aux ténèbres des tunnels. Pour A Yuan, A Yun est au départ seulement une camarade de son village qu'il se doit d'accompagner pour ses premiers pas dans la ville. A Yun attend plus que cette bienveillance fraternelle, mais est malgré elle cause d'ennuis (le repas du fils de la patronne d'A Yuan gâché, la moto volée) et d'embarras (la montre qui rappelle à A Yuan le dénuement de sa famille aux yeux de tous). De même la rudesse pourtant nourrie de bonnes intentions d'A Yuan pourra être cause de malentendu (la réflexion sur le bandage). Hou Hsiao-hsien réserve pourtant de superbes scènes romantiques, souvent silencieuses, lorsque les sentiments des deux jeunes gens sont au diapason. On pense à la très belle séquence où A Yuan suit longuement du regard A Yun rentrant chez elle, après que celle-ci l'ai veillé plusieurs jours quand il était malade. La manière qu'ils ont alors de se regarder a changée, soudain s'efface la distance invisible (et parfois explicite avec le soupirail par lequel A Yuan vient rendre visite à A Yuan sur son lieu de travail) ressentie auparavant à chaque fois qu'ils évoluaient ensemble à l'écran.

Hou Hsio-hsien différencie le temps de la campagne, celui qui laisse patiemment les sentiments éclore dans leur conscience et expression, à celui de la ville qui n'autorise pas les tergiversations. La mise en scène se fait longuement contemplative à travers de somptueux plans d'ensemble où l'on ressent le lent mouvement de la végétation sous le souffle du vent, la photo de Mark Lee Ping-Bin qui souligne sa verdure, les nuages qui traversent paisiblement l'écran... A l'inverse la ville ne s'illustre que par ses instantanés furtifs, les imprévus ou la présence constante des autres empêche toute proximité. Ces deux temporalité se confrontent d'ailleurs lors des retrouvailles à la gare du couple, où A Yun encore dans la lenteur rêveuse de sa province est malmenée par un quidam et sauvée par A Yun déjà au fait des désagréments de la ville. Et lorsque ce train de vie éreintant force parfois notre corps à ralentir, ce seront les aléas du monde extérieur (en l'occurrence une convocation pour le service militaire) qui viendront interrompre cet apaisement. Il n'est d'ailleurs pas innocent que le dépit amoureux s'exprime dans son versant le plus démonstratif chez le garçon taciturne, tandis que la mise en scène se plie à la pudeur de la sensible A Yun en la filmant de dos alors qu'elle apprend la mobilisation et le départ imminent de A Yuan. Le réalisateur fait cohabiter le personnage du grand-père, robuste et pétri de traditions rurales, avec celui du père dont les aspirations furent en son temps aussi éteinte par le contexte (Taïwan cédé par le Japon à la Chine ce qui rendit toutes ses connaissances inutiles). Hou Hsiao-hsien prolonge ainsi cette frustration à la génération suivante avec son amère et déchirante conclusion. Cependant la dernière scène semble faire de cette déception une étape supplémentaire de l'éveil à l'âge adulte, notamment par la réflexion du grand-père sur les légumes de plus en plus durs à faire pousser. Hou Hsiao-hsien semble ici grandement se rapprocher de la forme de ses films les plus célébrés, avec une épure narrative et formelle pleine de poésie, et dont la mélancolie est essentiellement appuyée par les images et la superbe bande-originale folk de Chen Ming-Chang. C'est sans doute le plus frustrant et difficile à apprivoiser des quatre films de ce cycle biographique, mais aussi un des plus beaux. 5/6
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Re: Hou Hsiao Hsien

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La Fille du Nil (1987)

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A la suite du décès de sa mère, la jeune Lin Hsiao-yang doit s'occuper de son frère et de sa soeur, tout en travaillant comme serveuse et en suivant des cours du soir. Une bande dessinée, dont l'héroïne est "la fille du Nil", lui permet de s'évader de son quotidien.


Les précédents de Hou Hsiao-hsien étaient, par leur dimension biographique et/ou leur cadre rural, souvent situé dans le passé ou en dégageait néanmoins l'aura nostalgique. La Fille du Nil est une œuvre de transition située entre les cycles biographiques (Les Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985), Poussière dans le vent (1986)) et historiques (La Cité des douleurs (1989), Le Maître de marionnettes (1993) et Good Men, Good Women (1995)) de Hou Hsiao-hsien où il décide pour la première fois de regarder frontalement à la fois le présent mais aussi la modernité, l'urbanité et la jeunesse de Taipei.

Nous allons y suivre le destin de la jeune Hsiao-yang (Lin Yang) et de sa famille. Dès la scène d'ouverture, les images et la voix-off de la jeune fille dresse le passé douloureux (la mort de la mère) et même le futur funeste (l'annonce de la fermeture du restaurant du frère) de la famille. Hou Hsiao-hsien construit une dichotomie entre cette cellule familiale et le monde extérieur. On retrouve ce leitmotiv d'un plan iconique signifiant la douceur de ce foyer avec cette image de l'embrasure d'une porte donnant sur une table de salle à manger, où l'on fait ses devoirs, mange, discute et qui en arrière-plan donne sur un extérieur où défilent d'autres personnalités chaleureuses comme le truculent grand-père (Li Tianlu qui retrouve un rôle proche de Poussière dans le vent). C'est l'espace où l'on vient se réfugier après les mésaventures à l'extérieur (y compris sous forme de rêve), celui où on laisse sa pensée divaguer (Lin Hsiao-yang écoutant son walkman dans sa chambre) et qui réserve les petits instants complices et taquins entre la grande et la petite sœur. L'extérieur est synonyme d'hédonisme, de tentation mais aussi de danger. Hou Hsiao-hsien observe une jeunesse en avide de sensations et évoluant dans une Taipei nocturne grouillante et illuminée de néons, aux lieux de plaisirs multiples avec ses boites de nuits bouillantes. Cet ancrage dans le présent se ressent particulièrement dans ces moment-là, de manière intra diégétique (la bande-son gorgés de tubes anglo-saxon contemporains, les personnages allant voir Chambre avec vue (1985) de James Ivory au cinéma) et extra diégétique puisque l'actrice Lin Yang est une star de la pop taïwanaise du l'époque. Cette quête d'adrénaline pousse également ces jeunes gens vers la délinquance et ces risques. La tranquillité du foyer et le confort matériel ne suffit pas au grand frère Hsiao-fang (Jack Kao) comme à son ami Ah-sang (Fan Yang) qui se placent dans des situations périlleuses, comme si le menace son excitation était une façon de se sentir en vivant en fin de compte.

La force du film est de ne pas expliciter ces écarts, de laisser leurs raisons sous-jacente (le conflit avec le père, une expérience douloureuse d'exil aux Etats-Unis) et de ne faire reposer cette fuite en avant que sur un mal existentiel dégagé par les visages juvéniles et taciturnes des personnages. Cette mélancolie fonctionne dans l'errance urbaine et les vues splendides de Taipei by night, et mêmes les instants de d'insouciance se teinte des angoisses du contexte socio-politique (le professeur dénoncé pour ses idées et forcé à partir). Il n'y a pas ici le côté ample des précédents films, c'est une photographie immédiate et moderne où Hou Hsiao-hsien fait pourtant peser le même poids d'inéluctable sans l'idéalisation du souvenir. 4,5/6
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Re: Hou Hsiao Hsien

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Three Times (2005)

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Trois époques, trois histoires, 1911, 1966, 2005, incarnées par le même couple de comédiens. Ce conte sentimental évoque ainsi la triple réincarnation d'un amour infini...
1966, Kaohsiung : le temps des amours : Chen tombe amoureux de May, rencontrée dans une salle de billard. Mais il doit partir faire son service militaire.
1911, Dadaocheng : le temps de la liberté : Une courtisane est éprise d'un révolutionnaire qui la néglige, préférant se consacrer à ses activités politiques.
2005, Taipei : le temps de la jeunesse : Jing, jeune chanteuse épileptique, vit une aventure avec une femme, Micky. Employé dans une boutique de photos, Zheng trompe Blue, sa petite amie, avec Jing.


Three Times est une belle œuvre-somme entre la première et la seconde partie de la filmographie de Hou Hsiao Hsien, d'abord centré sur le passé intime du réalisateur et celui de Taïwan dans les 80's, puis plus spécifiquement à sa grande Histoire dans 90's. Hou Hsiao Hsien a le sentiment qu'il y a certains souvenirs fugaces dont la simple évocation forge la personne que nous sommes. Il souhaite explorer le sujet un film omnibus divisé en trois époques dont il partagerait la mise en scène avec deux réalisateurs taïwanais débutants. Le projet n'aboutit pas faute de financement et de disponibilité et Hou Hsiao Hsien va décider de réaliser et produire l'ensemble du film. Dès le départ l'idée est d'avoir Shu Qi dans les trois parties afin de prolonger la collaboration entamée sur Millenium Mambo (2001), et le charismatique Chang Chen sera choisi pour former le couple traversant les époques. Chacune des parties entremêle subtilement éléments romanesques, politiques et sociologiques intimement reliés au contexte historique. Le film s'ouvre en 1966 sur une histoire directement inspirée d'un souvenir de jeunesse de Hou Hsiao Hsien. Sur le point d'être mobilisé pour son service militaire, il tomba amoureux d'une "fille de billard", fonction en vogue pour les jeunes femmes alors que les salles de billard pullulaient à Taïwan, avec laquelle il entretiendra une relation épistolaire avant de brièvement la retrouver par la suite. C'est un segment au romantisme lumineux et positif dont le charme repose la manière d'exprimer l'amour par le non-dit. May tombe amoureuse de Chen à travers ses mots avant même de le voir, en lisant la déclaration qu'il a écrite à sa prédécesseuse et sa rencontre ne fera que confirmer cet émoi. Hou Hsiao Hsien filme avec grâce les regards à la dérobée, le jeu de billard hésitant car troublé par la proximité de l'autre, et capture par son seul sens de l'atmosphère la naissance du sentiment amoureux. L'arrière-plan socio-politique contrasté est sobre mais bien présent que ce soit par sa dimension oppressante (ce service militaire qui nous oblige à tout quitter) mais aussi euphorisant avec l'influence angle vue sous un angle positif avec la bande-son gorgée de tubes dont la répétitivité accentue magnifiquement l'emphase romantique - le premier frôlement de main qui conclut le segment. Hou Hsiao Hsien enveloppe ses acteurs d'une photogénie baignée de la grâce du souvenir, en particulier une Shu Qi solaire et si attachante, notamment la superbe scène de sa réaction surprise, gauche et émerveillée lors des retrouvailles avec Chen.

La seconde partie en 1911 rappelle les atmosphères de Les Fleurs de Shanghai (1998) situé dans ce même monde des courtisanes. Si l'urgence et le contexte de la première partie rendait le contact fugace mais ardent, le hiératisme et la solennité de ce segment ils signifient ici l'impossibilité de l'accomplissement de la romance entre la courtisane (Shu Qi) et le révolutionnaire. Hou Hsiao Hsien façonne cette distance dans son dispositif où les dialogues passent par des intertitres à la façon du cinéma muet (solution esthétique pour pallier au manque de temps des acteurs pour apprendre la langue chinoise très spécifique de l'époque). La proximité physique ténue du couple correspond aux mœurs de l'époque où elle n'était possible qu'à l'abri des maisons closes, mais signifie aussi l'inévitable séparation à laquelle les condamne leurs aspirations différentes. L'horizon de sa possible émancipation s'éloigne pour la courtisane tandis que le révolutionnaire n'aspire qu'à poursuivre son activisme politique sur le continent. La texture de tableau, d'enluminure figée dont on est prisonnier se ressent ainsi dans la composition de plan et les postures de statues de cires, le jeu contenu où la passion n'existe que par le seul regard ardent, vient entériner par l'image cet amour impossible.

La troisième partie est contemporaine et si l'arrière-plan politique (une période d'élection mouvementée où Hou Hsiao Hsien s'engage d'ailleurs directement) n'est pas directement évoqué, il se reflète dans l'instabilité émotionnelle des personnages. Les scènes d'amour sensuelles et explicites montrent un contact physique désormais frontal mais auquel s'oppose contrairement aux précédents segments des sentiments incertains. Les couples se font et défont, se trompe et ne s'arrête pas à la seule hétérosexualité. Pourtant aucune des situations de couple ne façonne ce cocon aimant et hors du monde ressenti dans les autres parties, la relation amoureuse n'est qu'un prolongement de l'incertitude sociale ambiante et ne suffit plus à l'apaisement. Hou Hsiao Hsien anticipe un élément existant (et d'ailleurs inspiré d'une de ses connaissances) en 2005 mais amené à s'amplifier largement avec les réseaux sociaux, le contraste de libération et d'isolation de l'individu par internet. Jing se perd dans un couple lesbien où elle se montre absente tout comme avec un amant hétéro qu'elle se partage avec sa vraie petite amie (jouée par la même actrice qui éconduit initialement Chen dans la première partie). Dès lors le seul lieu où être elle-même et exposer ses fêlures est internet et le personnage insaisissable qu'elle s'y construit. Les atmosphères urbaines ternes, fait de quartier banlieusard à la lisière de Taipei ou de réseau routier terne, exprime cette déshumanisation du monde extérieur à travers la photo grise de Mark Lee Ping-bin.

L'ensemble forme un tout cohérent témoignant dans une approche plus fugace mais tout aussi passionnante de cette notion de souvenir, de réminiscence et de réincarnation s'inscrivant avec les éléments intimes et contextuels de leur temps. 4,5/6
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Re: Hou Hsiao Hsien

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Millennium Mambo (2001)

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Vicky travaille le soir dans une boîte de nuit alors que son copain Hao-hao est au chômage. Ce dernier est très jaloux et la surveille étroitement. Elle ne le supporte plus et va se réfugier chez son ami Jack, demi mafieux zen.

Après la veine biographique de ses premières œuvres des années 80 (Les Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985), Poussière dans le vent (1986)) , et le cycle des 90's sur l'histoire de Taïwan(La Cité des douleurs (1989), Le Maître de marionnettes (1993) et Good Men, Good Women (1995)), Millenium Mambo participe à ancrer de nouveau Hou Hsiao Hsien dans une certaine contemporanéité. Il s'agit ici de capturer le spleen et les doutes de la jeunesse taïwanaise (mais le propos est plus universel) à l'aune du nouveau millénaire à travers le destin de Vicky (Shu Qi).

Les questionnements de la jeune femme s'incarnent à travers la construction singulière du film. Vicky est partagée entre deux hommes, le marginal, névrosé et maladivement jaloux Hao hao (Tuan Chun-hao) et le plus posé et rassurant Jack (Jack Kao) qui néanmoins navigue dans de dangereuses sphères criminelles. Hou Hsiao Hsien n'use pas d'une narration linéaire pour définir la progression de ce triangle amoureux, mais ne produit pas l'inverse non plus en construisant un récit en kaléidoscope que le spectateur devrait reconstituer. Le réalisateur façonne plutôt un espace mental doté de sa logique propre qui s'accroche au point de vue de Vicky, où l'image traduit l'immédiateté et la confusion de ses sensations tandis que la voix-off à la troisième personne (qu'on peut interpréter comme la personne plus apaisée qu'elle est devenue) explicite par avance les sentiments en creux et certains évènements à venir. Ainsi la tumultueuse relation entre Vicky et Hao hao semble comme former une boucle de conflits, d'abus et de réconciliation sans que l'on distingue à quel stade de son union autodestructrice se trouve le couple. C'est une manière de montrer la nature toxique et conjointement alimentée par Vicky et Hao hao. Le sentiment d'insécurité de Hao hao se traduit par ses excès opiacés mais également ceux de sa jalousie psychotique qui le pousse à renifler l'odeur d'un homme à chaque fois qu'elle rentre, et de frénétiquement fouiller son sac à la recherche d'une preuve de son infidélité. Hou Hsiao Hsien alterne filmage où ces abus s'exposent crûment à la face du spectateur et une sorte de distance et hauteur où l'on observe de loin (et l'usage de longue focale) le mécanisme de cette relation toxique. Ce dispositif laisse donc la tension s'amplifier par de long plan fixe et des panoramiques dans l'exiguïté de l'appartement, où l'on est dans l'attente de l'explosion. Hao hao n'est paradoxalement jamais explicitement violent (dans le sens brutal physiquement), il tourmente Vicky par le verbe et la répétition de ses attitudes qui trahissent sa propre vulnérabilité. Hou Hsiao Hsien joue alors de l'espace restreint de l'appartement où il filme Hao hao qui suit et invective Vicky se déplaçant pour échapper à ce harcèlement psychologique. La voix-off tout comme une scène explicite nous fait comprendre que Vicky est libre de partir et l'a déjà fait, mais pour toujours revenir à Hao hao. Le sentiment d'insécurité de Vicky existe donc par cette inexorabilité de renouer avec Hao hao, de se repaître de cette jalousie voire de provoquer et d'attendre les dérapages de ce dernier. C'est ce double régime de filmage, frontal et distancié qui nous fait progressivement comprendre la nature plus complexe de cette relation toxique. La photo de Mark Lee Ping-bin par la récurrence de certaines couleurs prolonge ainsi le malaise qui habite Vicky au-delà de son seul couple, le motif du bleu existant à la fois dans l'appartement (la première apparition de Hao hao plongée dans une obscurité bleutée) et la boite de nuit peuplée de fréquentations peu recommandables qui enferment également Vicky dans son cycle destructeur.

Lorsque Vicky quitte enfin Hao hao pour emménager chez Jack, Hou Hsiao Hsien atténue ses effets mais suit la même logique. Le filmage distant, les panoramiques passant de l'un à l'autre sont toujours là mais le fossé latent entre les personnages a remplacé le conflit permanent et finalement la passion. C'est une autre forme de vide qui s'exprime, Vicky était tout pour Hao hao qui l'étouffait, elle n'est qu'un élément parmi d'autres des préoccupations de Jack et ses affaires douteuses. Les séparations vont dans ce sens, laborieuses et douloureuses avec Hao hao qui poursuit Vicky de son amour tourmenté, et radicale pour Jack qui disparait du jour au lendemain quand il se sentira menacé par ses acolytes criminels. Le bien ou le mal ne réside ainsi pas seulement dans l'autre, mais surtout dans l'environnement vicié dont il faut s'échapper. Les échappées au Japon (eldorado culturel de la jeunesse chez Edward Yang et plutôt refuge intime avec Hou Hsiao Hsien) constituent donc une respiration qui déleste Vicky du bruit et de la fureur de Taïwan. Les couleurs chaudes et le tumulte incarnaient Taïwan et la confusion de Vicky, la quiétude d'Hokkaido et la blancheur immaculée de son hiver symbolisent l'âme plus paisible de notre héroïne. L'aspect flottant et chaotique s'estompe pour un bonheur plus simple, l'amorce d'une romance plus légère. Ce sera le rôle de la reconnaissance internationale (ratée une première fois en abandonnant le tournage de Tigre et Dragon d'Ang Lee) pour une incroyable Shu Qi qui crève l'écran par une mise à nu fascinante, une aptitude inouïe à s'oublier et capturer l'écran pour être l'incarnation de la jeune fille moderne dans ses doutes, indécisions et égarements. 5/6
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Alexandre Angel
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Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Alexandre Angel »

Profondo Rosso a écrit : 26 janv. 21, 02:52 Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985)

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Un temps pour vivre, un temps pour mourir tient avec brio la promesse de son titre en étant jamais totalement euphorique, ni complètement dépressif.
J'en ressort quand même avec un gros cafard (mais sans doute que ça résonne trop avec un certain état d'esprit actuel tout à fait personnel ).
Cela dit, c'est un beau film que tu m'as incité à voir et je t'en remercie ( toutefois, la copie visionnée est non anamorphique et non restaurée : le coffret BR est du coup très envisagé).

On pense effectivement beaucoup à A brighter summer day sans la violence et la résolution funeste mais avec le même genre d'amplitude romanesque et de raffinement âpre. Le Yang est toutefois plus "visionnaire".
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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