Nouveau prétendant et celui ci pourrait être le bon jusqu'à la fin du mois,
Anni difficili de Luigi Zampa, démontre que l'oeuvre du réalisateur, souvent à cheval entre plusieurs genres, drame, néo réalisme rose, comédie grinçante dénonçant les travers politiques de l'Italie mussolinienne et post fasciste, est pourtant d'une insidieuse cohérence thématique. Les personnages des films de Zampa sont très souvent de modestes citoyens, tenaillés entre leurs convictions et une idéologie dominante répressive, autoritaire. Ils sont de fait, souvent isolés, renoncent en apparence à leurs idéaux pour s'extirper du mieux qu'ils peuvent d'un cauchemar inéluctable. Cette appartenance à plusieurs genres dominants du cinéma italien de l'après guerre, ou plutôt cette volonté farouche de s'affranchir des codes de ces genres, explique en partie le relatif oubli dans lequel Luigi Zampa est tombé auprès d'une critique qui n'aime pas qu'on échappe à sa manie de la classification. Une position singulière qui rend d'autant plus passionnante et imprévisible la découverte de son oeuvre.
L'analyse de Bertrand Tavernier :
ANNI DIFFICILI. C’est sous ce titre qu’il faut acheter le film de Luigi Zampa que je viens de découvrir dans une copie restaurée par la Cinémathèque de Milan en VO sous-titrée. Sous le titre français on a le droit à une version de LCV qui mélange des bouts en VO et en Version doublée. C’est une oeuvre passionnante qui traite de la montée, de la prise du pouvoir du fascisme sous un angle original, à travers des sous-fifres souvent suivistes fascinés, un héros hésitant que l’on force à s’engager. Bon nombre de notations sont âpres et percutantes et n’épargnent pas les puissants toujours du côté du manche. Zampa et Brancati montrent bien que la ferveur fasciste se nourrit souvent de principes irresponsables (la mère ou la fille du héros en sont des exemples parfaits) et aussi les profiteurs sournois qui retournent leur veste. J’ai adoré le Baron cauteleux et répugnant qui devient podestat puis retourne sa veste. Il y a des moments percutants : les deux plans du cheval blanc de Mussolini qui n’arrivera jamais à Alexandrie. Décrire cette horreur sur un ton qui parait léger est passionnant mais, comme le dit Tullio Kesich, en fait c’est un film profondément tragique. Là encore, plein de bonus passionnants dont une longue analyse des affrontements que provoqua le film, avec la commission de Censure et avec le parti communiste (Italo Calvino ne put jamais publier sa défense dans l’Unita où il disait que c’était le film anti-suivisme, moralement exemplaire). La bataille avec la Censure fut réglée par Andreotti qui défendit le film et avec le PC par Togliatti qui le jugea juste, ce qui fit changer d’avis les critiques du Parti. Un historien déclare que Zampa dont l’oeuvre est considérable a été brusquement oublié, rayé des mémoires : « C’était le héros des fins de films. Il avait un sens de la synthèse dramatique qui lui permettait de tout recentrer dans les dernières images. »
Celle de Bruce Randylan avec lequel je ne suis pas (pour une fois) d'accord :
Les années difficiles (Anni difficili - 1947)
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Modeste employé de mairie, Piscitello est contraint d'adhérer au fascisme s'il veut conserver son poste même si cela reste contraire à ses opinions.
Il fallait sans doute du courage et de l'audace pour traiter un tel sujet dès 1947 d'autant que Zampa prône déjà une écriture basée sur des personnages/situations nuancés, refusant les facilités du manichéisme. La première moitié est assez habile de ce point de vue et l'on trouve déjà quelques touches humoristiques bien intégrés qu'on pourrait considérer comme séminales à "la comédie italienne".
Cependant, et malgré ses qualités, il faut admettre que le film a mal vieilli, rapidement prisonnier d'une dimension bien trop didactique et mécanique. En voulant couvrir l'ensemble de la seconde guerre mondiale, Zampa se tire une balle dans le pied alourdissant considérablement la narration qui se cantonne à un état des lieux linéaire et chronologique.
Toute la seconde moitié m'a semblé interminable à dérouler des scènes qui répondent inlassablement à la précédente ("oh mon pauvre fils, il manquerait plus que le gouvernement l'envoie en Afrique" ; "Ah mon pauvre fils, on t'envoie en Afrique !").
Une approche scolaire que la réalisation ne parvient pas à faire dépasser la frise historique bardée de stock-shots.
Les dernières scènes renouent avec une approche plus humaine (pour ne pas dire tragique) mais tombent justement dans le piège d'une psychologie plus shématiques et banals (le retournement du maire).