Hou Hsiao Hsien

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

bruce randylan
Mogul
Messages : 11652
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par bruce randylan »

Bilan de la dernière semaine.

J'ai plutôt bien aimé Le voyage du ballon rouge (2006) sans vraiment savoir pourquoi d'ailleurs.
Le début m'a un peu effrayé pour un univers à la Hong Sang-soo ( :mrgreen: ) mais finalement la dimension naturaliste passe très bien avec une réalisation, certes discrète, mais dont la longueur des plans parvient toujours à maintenir l'intérêt en glissant subtilement d'un personnage ou d'une information à l'autre tout en élargissant scènes après scènes l'appartement de Binoche (et les implications personnelles que ça amène). La simplicité des acteurs aide beaucoup aussi dans cette "immersion distanciée" (à part 2-3 fausses notes de Binoche)
Ca fonctionne très bien durant un peu plus d'une heure mais après on se rend que ça tourne un peu à vide et que ça ne raconte pas grand chose au final... ou du moins que ça aurait pu être plus court (grief qui revient souvent pour ma part chez le cinéaste).

La fille du nil (1987) est une oeuvre de transition après sa période autobiographique. On y trouve encore quelques passages touchants et simples dans les rapports aux seins d'une même familleet qui semble poursuivre certains aspects de Poussières dans le vent (on retrouve le "même" grand-père). Mais les choix narratifs annihilent à mes yeux tout attachement envers les personnages avec ses ellipses à profusions. Comme d'hab, j'ai pas trouvé ça foncièrement ch**** mais une impression de vacuité est vraiment prédominante ; voire de prétention à force de jouer avec les attentes du spectateur. On peut presque dire qu"il malmène les amateurs de films de jeunesse/triades comme il malmène aujourd'hui ceux du Wu xia pian.
Etant donné qu'on se fiche des protagonistes, on se moque bien qu'ils peuvent mourir (ou qu'ils meurent).

Les fleurs de Shanghai (1997) m'a presque déçu au vu de sa réputation. :P
Cela dit, ça reste assez difficile d'accès, froid et étiré jusqu'à l'abstraction quasiment. Le genre de films qui pourrait durer 20 minutes comme 5h que ça changerait pas grand chose. Toujours est-il qu'au bout d'une heure et des poussières, j'avais fait le tour de ce que le film a à proposer.
Mais en effet, c'est loin d'être vilain à regarder.

Poussières dans le vent
(1986) est pour le moment, et de loin, ce que j'ai vu de mieux chez le cinéaste.
Peut-être pas le plus abouti formellement ou le plus audacieux dans sa structure mais au moins des personnages vivants, attachants, une émotion réelle, un regard tendre et juste mais jamais idéalisé etc... Et ça n'empêche pas non plus la forme d'être soignée avec un vrai sens du cadre et du rythme.
La seconde moitié possède par contre plusieurs "relâchements" dans la fluidité du récit qui sont déjà des tentatives du cinéaste de fragmenter sa narration.
Mais comme les dernières séquences sont magnifiques, j'en suis sortis vraiment emballé.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
Avatar de l’utilisateur
Jack Carter
Certains l'aiment (So)chaud
Messages : 30177
Inscription : 31 déc. 04, 14:17

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Jack Carter »

bruce randylan a écrit :
Poussières dans le vent
(1986) est pour le moment, et de loin, ce que j'ai vu de mieux chez le cinéaste.
Peut-être pas le plus abouti formellement ou le plus audacieux dans sa structure mais au moins des personnages vivants, attachants, une émotion réelle, un regard tendre et juste mais jamais idéalisé etc... Et ça n'empêche pas non plus la forme d'être soignée avec un vrai sens du cadre et du rythme.
La seconde moitié possède par contre plusieurs "relâchements" dans la fluidité du récit qui sont déjà des tentatives du cinéaste de fragmenter sa narration.
Mais comme les dernières séquences sont magnifiques, j'en suis sortis vraiment emballé.
:D
Image
The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
bruce randylan
Mogul
Messages : 11652
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par bruce randylan »

Cheerful wind (1982)
Second film du réalisateur et encore une anodine comédie romantique commerciale dans la lignée de Cute girl qui réunit d'ailleurs le même trio d'acteurs (et les mêmes chansons pop on jurerait :mrgreen: ). C'est surtout plus réussi.
Le scénario est un mieux construit, les personnages plus attachants pour un duo qui fonctionne mieux à ce titre. Il y a aussi un peu plus d'originalité dans diverses séquences comme le début avec le tournage d'une publicité qui permet une petite satire du milieu. On sent en tout cas quelques touches plus personnelles occasionnellement.

Assez sympathique au final pour qui aime ce genre de production... moi ça me rappelle les comédies gnagnan cantonaises de la même époque :)
Dommage que Carlotta n'intègre pas ce dernier au lieu de Cute girl dans leur futur coffret.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
Avatar de l’utilisateur
Demi-Lune
Bronco Boulet
Messages : 14958
Inscription : 20 août 09, 16:50
Localisation : Retraité de DvdClassik.

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Demi-Lune »

Image

La rétrospective Hou Hsiao-hsien à la Cinémathèque touche à sa fin. Le hasard des disponibilités et de la programmation aura fait que le dernier HHH que je verrai dans ce cadre, est pour beaucoup la pièce maîtresse de sa filmo : Millennium mambo. Confirmation que les meilleurs HHH sont ceux avec Shu Qi. Le cinéaste s'emploie ici à relever un double défi : immortaliser un certain air du temps avec ce passage au nouveau millénaire à Taïwan, et associer à ce geste une formalisation qui porterait en elle-même son propre commentaire sur la modernité. Cela donne un témoignage sur son temps mais aussi un film qui, pour moi, réfléchit justement à l'essence cinématographique de son propos. Un film qui fait en quelque sorte le pont entre les recherches esthétiques du Wong Kar-waï contemporain et les expérimentations sensorielles du Michael Mann des 2000's. Ne pas y chercher non plus un trip vertigineux et radical, le style de Hou Hsiao-hsien ne se portant pas spécialement à cette inclination. Mais les néons multicolores des clubs, les éclairages chauds des petits appartements, les plages techno soft en fond sonore, la ritualisation de l'allumage d'une clope, le glamour moderne de Shu Qi, le tempo contemplatif, l'évanescence mêlée à l'excitation de la vie nocturne, cette espèce de recherche de l'essence (très michael-mannienne) dans les relations sentimentales, tout ça concourt à l'envoûtement et à la réussite du projet, qui se regarde seize ans plus tard comme un petit manifeste. Dommage que les dernières 45 minutes traînent la patte et ne parviennent pas toujours à maintenir cet envoûtement ; on regarde sa montre. Mais cela reste une jolie conclusion à un cycle de découvertes qui n'auront pas toutes été probantes, l'hermétisme du cinéma de HHH et ses problèmes d'incarnation le condamnant à mes yeux à n'être grand que lorsqu'il s'agit avant tout de formalisme. Par conséquent, The Assassin reste clairement pour moi son meilleur film.
bruce randylan
Mogul
Messages : 11652
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par bruce randylan »

Fin de rétrospective pour moi aussi avec deux titres : Le maître de marionnettes (1992) et La cité des douleurs (1989).

Le premier m'a bien assommé durant la première heure avant de redresser un peu la barre par la suite tandis que le second se suit étonnement bien vu son parti-pris non linéaire qui est d'une belle fluidité où les 2h40 avancent sans ennui.

Par contre, comme d'habitude, je trouve les résultats totalement vains, désincarnés, froids et finalement superficiels.
En fait, je ne comprends que pas l'intérêt et la raison d'être de ces partis pris, ce qu'ils racontent, ce qu'ils évoquent, ce qu'ils veulent dire.

Je repensais justement aux Im Kwon-taek découverts récemment qui possèdent quelques points communs avec cette série de films "historiques" de Hou : la volonté de brasser l'histoire de son pays, un montage non chronologique et une réalisation assez distante, comme le point de vue d'un observateur extérieur.
Sauf que le cinéaste coréen (qui usait de ces procédés dès les années 70's) parvient à dépasser la seule figure de style pour créer une réelle ambiguïté dans la progression psychologique et narrative qui déstabilise et brouille les repères du spectateur, interrogeant ainsi les implications du passé sur le présent.

Chez le taïwanais, je n'arrive pas vraiment à voir ce que cela crée ou ajoute, à part échapper à une structure classique (et qui sert donc d'artifices "auterisant"). Car en fin de compte, dans la cité des douleurs, sa déconstruction du récit n'enrichit pas le propos... Par exemple, le carton de fin qui renvoie à des événements historiques précis pourrait intervenir 1h avant (ou après une heure de plus), ça ne changerait rien au final. On dirait presque une sorte de guillotine pour conclure le film. (c'est pareil sur le maître des marionnettes cela dit) mais le poids de l'Histoire (avec un grand "H") me parait hors-jeu, nébuleux. Quant aux personnages hormis la relation un peu touchante entre Tony Leung et sa copine, le reste est vraiment vide.

Enfin, c'est un impression très personnel.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
Avatar de l’utilisateur
Demi-Lune
Bronco Boulet
Messages : 14958
Inscription : 20 août 09, 16:50
Localisation : Retraité de DvdClassik.

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Demi-Lune »

bruce randylan a écrit :Fin de rétrospective pour moi aussi avec deux titres : Le maître de marionnettes (1992) et La cité des douleurs (1989).
Le premier m'a bien assommé durant la première heure avant de redresser un peu la barre par la suite tandis que le second se suit étonnement bien vu son parti-pris non linéaire qui est d'une belle fluidité où les 2h40 avancent sans ennui.
Pas encore vu La cité des douleurs mais Le maître de marionnettes est effectivement une œuvre difficile d'accès, l'arrière-plan historique sur Taïwan apparaissant nébuleux et le style de narration de Hou Hsiao-hsien se refusant à nouveau à prémâcher l'implication du spectateur. Tu cites Im Kwon-taek (j'y avais moi-même vaguement pensé à la découverte dans le parallèle folklorique pansori/spectacle de marionnettes) et c'est vrai que c'est encore plus aride. Je ne garde d'ailleurs que peu de souvenirs liés à l'histoire à proprement parler, simplement une impression d'ensemble, compacte, dense et impressionnante - le genre de film qu'il faudrait ré-explorer mais dont la lenteur refroidit à l'avance. J'avais quand même plutôt apprécié la proposition grâce à la méticulosité et à la beauté de la mise en scène et aux apartés face caméra du vieux Li Tian-lu, le fameux maître qui donne au film son titre. Et j'avais été fasciné par toute la longue séquence où HHH filme, comme un morceau de bravoure qui se suffirait à lui-même, le spectacle des marionnettes qui montent sur une barque, avec ce mouvement de tangage et tout.
Avatar de l’utilisateur
Mama Grande!
Accessoiriste
Messages : 1590
Inscription : 1 juin 07, 18:33
Localisation : Tokyo

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Mama Grande! »

bruce randylan a écrit :
Chez le taïwanais, je n'arrive pas vraiment à voir ce que cela crée ou ajoute, à part échapper à une structure classique (et qui sert donc d'artifices "auterisant").
Je n'ai pas vu le Maitre des marionnettes, mais pour La Cite des douleurs j'ai le souvenir d'une structure assez classique. La mise en scene est toujours distante, c'est sa facon de faire et il ne saurait pas s'y prendre autrement de toutes facons. Dans mon experience de spectateur, ca a apporte une intensite particuliere que je n'ai pas vu ailleurs, en laissant le temps aux plans de vivre, de s'incarner, et au spectateur patient et disponible de s'immerger. Je ne comprends pas en quoi c'est un artifice. Le but du film? Je l'avais compris comme un besoin de se reapproprier l'histoire de Taiwan par les Taiwanais en montrant ce qui se cachait entre les lignes de livres d'Histoire (d'ou l'ouverture et la conclusion en forme de cartons), et toute la violence de cette epoque. Le meme but que tout film historique, mais avec un engagement particulier qui s'explique par l'Histoire troublee de l'ile et son identite trouble (qu'est-ce que l'identite taiwanaise au fond? Se voient-ils comme des Chinois? Des Japonais d'ascendance chinoise?). Etrangement, si je peux facilement comprendre que l'on qualifie ses films des annees 2000 d'auteurisant (meme si ce n'est pas mon cas), un film comme La Cite des Douleurs a clairement ete fait pour Taiwan et son peuple, et pas comme un film pour festival. D'ailleurs, le film est tres connu a Taiwan et au Japon (au point de mettre les lieux de tournage dans les guides touristiques :o ), y compris hors du milieu cinephile. Ce qui est bien-sur loin d'etre le cas pour le reste de sa filmographie :)
ATP
Assistant(e) machine à café
Messages : 242
Inscription : 5 nov. 13, 22:39

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par ATP »

Pour avoir vu La Cité des Douleurs hier soir, la narration est certes assez elliptique, mais globalement chronologique...
Avatar de l’utilisateur
tenia
Le Choix de Sophisme
Messages : 30720
Inscription : 1 juin 08, 14:29
Contact :

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par tenia »

bruce randylan a écrit : Les fleurs de Shanghai (1997) m'a presque déçu au vu de sa réputation. :P
Cela dit, ça reste assez difficile d'accès, froid et étiré jusqu'à l'abstraction quasiment. Le genre de films qui pourrait durer 20 minutes comme 5h que ça changerait pas grand chose. Toujours est-il qu'au bout d'une heure et des poussières, j'avais fait le tour de ce que le film a à proposer.
Mais en effet, c'est loin d'être vilain à regarder.
Tout pareil (perso, j'ai commencé à regarder ma montre à 45 min).

En proposant une série de vignettes autour de personnages jamais précisés, jamais étoffés, et dont les motivations, enjeux, positions sociales et valeurs profondes sont virtuellement introuvables, tout le film finit par glisser à distance, et tout ce petit monde semble évoluer dans une bulle derrière une vitre. Les fondus en noir entrecoupant les plans séquences exacerbent l'impression d'un film qui pourrait durer 1h de moins ou 3h de plus que ça ne changerait rien et le jusqu'au-boutisme les faisant remplacer parfois la moindre coupe alourdit l'aspect visuel du film, lui donnant un aspect soudainement très cheap. Couplés à l'insupportable musique qui donne l'impression de 3 thèmes de Zelda SNES tournant en boucle pendant 1h45 sans discontinuer, cela renforce l'impression de choix esthétiques contre-productifs pour le spectateur. Le fond pourrait être captivant mais semble avoir volontairement été mis à distance par la forme, comme si le but de HHH était de totalement saper toute possibilité d'identification ou d'affection pour les personnages et leurs (més)aventures.

Le livre de Tesson sur le film (offert comme goodies Carlotta après ma séance) confirme pour moi ce travail de sape. Tesson détaille notamment le travail technique sur les plans ainsi que leurs conséquences à l'écran, et elles s'avèrent quasi toujours frustrantes et négatives pour le spectateur (pour ne pas dire punitives). Qui plus est, Tesson a bien du mal à dépasser le pur constat technique : tel plan permet de priver le spectateur du couple dans le cadre, tel autre transforme le protagoniste en un figurant quasi muet pour désarçonner le spectateur, et tel dialogue réduit une intrigue sentimentale entière à du hors-champ intégral et 3 lignes de texte. Ca donne envie.

Cela n'empêche pas la beauté des costumes et la rigueur des cadrages d'être impressionnantes, tout comme le jeu intériorisé des principaux interprètes, mais il fut difficile pour moi de ne pas avoir l'impression d'une page blanche où tout le travail de remplissage est laissé au spectateur. D'ailleurs, un panneau texte clôture le film. Il n'était pas sous-titré à ma séance, et j'ai donc cru que c'était un panneau soit lié à la restauration, soit à la production du film, quelque chose de plutôt accessoire en tout cas. Mais non : le livre de Tesson explique qu'il détaille en fait ce qu'il advient du personnage principal, rien de moins ! Mais visiblement, on s'en fout tellement de ce qui peut lui arriver qu'on n'a même pas besoin de cette info.


Peu importe/10, et la confirmation pour moi que HHH n'est pas vraiment pour moi, même si j'avais bien aimé Les garçons de Fengkuei, qui m'a laissé a posteriori un très bon souvenir (meilleur que le 7/10 que je lui avais accordé).
Avatar de l’utilisateur
Alexandre Angel
Une couille cache l'autre
Messages : 13984
Inscription : 18 mars 14, 08:41

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Alexandre Angel »

tenia a écrit :
bruce randylan a écrit : Les fleurs de Shanghai (1997) m'a presque déçu au vu de sa réputation. :P
Cela dit, ça reste assez difficile d'accès, froid et étiré jusqu'à l'abstraction quasiment. Le genre de films qui pourrait durer 20 minutes comme 5h que ça changerait pas grand chose. Toujours est-il qu'au bout d'une heure et des poussières, j'avais fait le tour de ce que le film a à proposer.
Mais en effet, c'est loin d'être vilain à regarder.
Tout pareil (perso, j'ai commencé à regarder ma montre à 45 min).

En proposant une série de vignettes autour de personnages jamais précisés, jamais étoffés, et dont les motivations, enjeux, positions sociales et valeurs profondes sont virtuellement introuvables, tout le film finit par glisser à distance, et tout ce petit monde semble évoluer dans une bulle derrière une vitre. Les fondus en noir entrecoupant les plans séquences exacerbent l'impression d'un film qui pourrait durer 1h de moins ou 3h de plus que ça ne changerait rien et le jusqu'au-boutisme les faisant remplacer parfois la moindre coupe alourdit l'aspect visuel du film, lui donnant un aspect soudainement très cheap. Couplés à l'insupportable musique qui donne l'impression de 3 thèmes de Zelda SNES tournant en boucle pendant 1h45 sans discontinuer, cela renforce l'impression de choix esthétiques contre-productifs pour le spectateur. Le fond pourrait être captivant mais semble avoir volontairement été mis à distance par la forme, comme si le but de HHH était de totalement saper toute possibilité d'identification ou d'affection pour les personnages et leurs (més)aventures.

Le livre de Tesson sur le film (offert comme goodies Carlotta après ma séance) confirme pour moi ce travail de sape. Tesson détaille notamment le travail technique sur les plans ainsi que leurs conséquences à l'écran, et elles s'avèrent quasi toujours frustrantes et négatives pour le spectateur (pour ne pas dire punitives). Qui plus est, Tesson a bien du mal à dépasser le pur constat technique : tel plan permet de priver le spectateur du couple dans le cadre, tel autre transforme le protagoniste en un figurant quasi muet pour désarçonner le spectateur, et tel dialogue réduit une intrigue sentimentale entière à du hors-champ intégral et 3 lignes de texte. Ca donne envie.

Cela n'empêche pas la beauté des costumes et la rigueur des cadrages d'être impressionnantes, tout comme le jeu intériorisé des principaux interprètes, mais il fut difficile pour moi de ne pas avoir l'impression d'une page blanche où tout le travail de remplissage est laissé au spectateur. D'ailleurs, un panneau texte clôture le film. Il n'était pas sous-titré à ma séance, et j'ai donc cru que c'était un panneau soit lié à la restauration, soit à la production du film, quelque chose de plutôt accessoire en tout cas. Mais non : le livre de Tesson explique qu'il détaille en fait ce qu'il advient du personnage principal, rien de moins ! Mais visiblement, on s'en fout tellement de ce qui peut lui arriver qu'on n'a même pas besoin de cette info.


Peu importe/10, et la confirmation pour moi que HHH n'est pas vraiment pour moi, même si j'avais bien aimé Les garçons de Fengkuei, qui m'a laissé a posteriori un très bon souvenir (meilleur que le 7/10 que je lui avais accordé).
Vous m'angoissez un peu car, outre ce film dont je garde un beau souvenir, je pense être plutôt client du cinéaste en général et la durée, l'étirement, participent, je crois, d'un travail sur une forme d'hypnose et de sensorialité filmique, au service d'une vision, qui me conviennent.
Une fois dit cela, je reconnais que je n'en consomme pas tous les jours et que ça fait même longtemps que je n'y ai pas retouché.
De plus, un copain plutôt esthète (son dieu est Ozu) vient de le voir et m'a dit qu'il a trouvé ça chiantissime ("voir des putes bourrer des pipes d'opium tout du long, ça va un moment" :mrgreen: ).
Je regrette d'avoir loupé la séance pour crever l’abcès...
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
Avatar de l’utilisateur
tenia
Le Choix de Sophisme
Messages : 30720
Inscription : 1 juin 08, 14:29
Contact :

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par tenia »

Alexandre Angel a écrit :"voir des putes bourrer des pipes d'opium tout du long, ça va un moment").
C'est un des autres points qui m'a fait sourire au 2nd degré : hormis être défoncés à l'opium et boire des coups dans des jeux à boire, aucune idée de ce que peuvent bien foutre ces gens de leurs journées, alors que visiblement, les clients sont clairement bourrés de plus ou moins de pognon. Là encore, le résumé au dos du bouquin de Tesson donne visiblement plus d'infos que le film lui-même, puisqu'il nous apprend que Wang travaillerait aux affaires étrangères alors qu'honnêtement, je n'ai souvenir d'aucun élément du film permettant de ne serait-ce que le deviner.

Cela étant dit, je peux comprendre qu'on se satisfasse de ce faste visuel auquel on est forcé de rester absolument passif et extérieur, une posture de pure spectateur qui est, après tout, une proposition comme une autre. Mais spectateur de quoi quand le film passe son temps à tout faire pour tout garder pour lui, à refuser le moindre détail, à refermer ses portes ? Au final, c'est très dur de s'intéresser à des personnages qui arriveront en inconnus et repartiront tout aussi inconnus, sans qu'on ait appris grand chose de ce qui motive leurs choix et réactions. Cela devient alors vite une sorte d'exercice de concentration très passif.

EDIT : failli oublié : je n'ai pas été époustouflé par la resto 4K, qui rajeunit sans doute le film (c'est propre, stable, etc) mais que j'ai trouvé bien lisse.
Dernière modification par tenia le 5 août 20, 18:31, modifié 1 fois.
Avatar de l’utilisateur
Alibabass
Assistant opérateur
Messages : 2623
Inscription : 24 nov. 17, 19:50

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Alibabass »

Bonjour tout le monde,

J'ai vu pour la première fois le film de HHH dans une salle d'une 20taines de personnes. Résultat des courses : 1 personnes derrière moi qui ronfle doucement hein ^^ , trois personnes qui quitte la salle 60 minutes après ... et une exigence, car oui, le film l'est, assurément, il est d'une hypnose à coupé le souffle. Après avoir pris en pleine face le soleil à 37 degrés, j'y est repensé beaucoup et là encore, encore et encore.

C'est un film exigeant certes mais loin d'être anecdotique, car, en acceptant cela, c'est la liberté de l'art et notre capacité à digérer notre liberté en temps de spectateur qui nous est donné. L'introduction de la beuverie en jeu de pouvoir et d'humiliation sera le thème central du film, le rapport à l'argent ou l'émotion en temps qu'être humain est une poussière dans le vent.

Alors que j'étais pas franchement emballé après l'introduction, il s'est passé une chose dans ma tête que j'ai eu du mal à comprendre, chose que m'était pas arriver depuis La Mort de Louis XIV d'Albert Serra. C'est-à-dire ne pas prendre conscience de la temporalité du film ... j'ai du mal à l'expliquer ... en fait c'est l'hypnose et l'épure qui m'a fait complètement retourné dans les deux films. J'aime pas le mot chef-d’œuvre, souvent utilisé à outrance, mais là, je ne suis pas loin de penser que ça l'est ... au cinéma. Chez soit, ça doit pas du tout le faire.
Avatar de l’utilisateur
tenia
Le Choix de Sophisme
Messages : 30720
Inscription : 1 juin 08, 14:29
Contact :

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par tenia »

Alibabass a écrit :L'introduction de la beuverie en jeu de pouvoir et d'humiliation sera le thème central du film, le rapport à l'argent ou l'émotion en temps qu'être humain est une poussière dans le vent.
Je me permets de revenir là dessus car Tesson revient sur ce point dans le livre et fait écho au sentiment que j'ai eu : en quoi le jeu de pouvoir et d'humiliation serait le thème central du film ? En effet, ces éléments ne sont traités directement qu'une partie extrêmement mineure du temps, et ne sous-tendent pas du tout l'immense majorité du film. En fait, le film brasse à la fois très largement mais aussi de façon tellement "hors-champ" qu'il est très difficile d'en tirer un thème central plutôt qu'un autre. Même en résumant cela comme ça (par ex, disons, "histoires d'amour et d'argent chez les courtisanes chinoises en 1884"), on passe à côté d'énormément d'autres éléments.
Alibabass a écrit :C'est-à-dire ne pas prendre conscience de la temporalité du film ... j'ai du mal à l'expliquer ...
Cela rejoint probablement le fait qu'au final, à la fin du film, difficile de dire si on a réellement avancé avec les personnages, combien de temps s'est déroulé, et si tout cela n'est pas simplement très circulaire (pour ne pas dire que ça tourne en rond, d'ailleurs)...
Alibabass a écrit :1 personnes derrière moi qui ronfle doucement hein ^^ , trois personnes qui quitte la salle 60 minutes après ...
Personne n'a quitté ma séance, mais à côté de moi, un groupe de 3 femmes entrées très intéressées par HHH (et parlant de s'acheter le coffret Carlotta), bien moins en sortant vu qu'une a commencé à roupiller au bout de 40 minutes, se réveillant bruyamment de temps en temps, et dont le 1er commentaire à la fin du film fut "j'ai beaucoup dormi". :lol:
Avatar de l’utilisateur
Demi-Lune
Bronco Boulet
Messages : 14958
Inscription : 20 août 09, 16:50
Localisation : Retraité de DvdClassik.

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Demi-Lune »

L'abolissement de la notion de temps me semble, en effet, être le pari de ce film qui précède quelque part les recherches sur la narration cinématographique sous-tendant Millennium mambo et Three times du même réalisateur. Même si je comprends parfaitement qu'on se fasse royalement chier dessus, reprocher au film son absence d'histoire ou de personnages déchiffrables me semble être un mauvais procès dans la mesure où, premiers films exceptés, ce n'est pas le cinéma qui caractérise et motive HHH. A l'instar de son chef-d’œuvre The assassin qui pousse encore plus loin la démarche, le film doit plutôt s'envisager comme une expérience sensitive - le genre de film auquel on repense le lendemain matin comme d'un rêve beau et mystérieux -, comme un souvenir encapsulé et raffiné des vapeurs de la Chine du XIXe siècle dont le confinement de la salle de cinéma (je rejoins Alibabass, pour l'avoir découvert lors de la rétrospective consacrée au cinéaste à la Cinémathèque, l'enfermement joue à plein) doit entrer en écho avec l'enfermement des protagonistes, qu'il soit littéral avec cette maison de jeu, ou symbolique avec leur addiction au jeu. Au fond, les personnages des Fleurs de Shanghai sont prisonniers de ce tripot (je ne me souviens pas d'une seule scène à l'extérieur, et la répétition de ces soirées à la bougie, qui s'égrènent par fondus au noir, a un effet volontairement inextricable évoquant quelque chose de l'ordre du rituel auquel se soumettent complaisamment les personnages), comme Noodles peut l'être de la fumerie d'opium d'Il était une fois en Amérique, ou les prostituées de Bertrand Bonello, de l'Apollonide. Pour reprendre le sous-titre du film de Bonello, ils sont des "souvenirs" de cette maison close, ils ont une existence moins en tant que personnages en chair et en os, qu'en tant que spectres qui hanteraient encore les lieux, des vieux portraits jaunis auquel un contemporain imaginerait vaguement des histoires, des contrariétés. C'est sûr que c'est pas très bandant dit comme ça, et que les spectateurs en quête d'histoire en bonne et due forme en seront pour leurs frais, mais c'est une vision d'auteur puissante, volontairement impressionniste pour être d'autant plus évocatrice. Si l'on consent à s'abandonner à cette vision, à ce rythme engourdi par la méticulosité princière des plans-séquences, et à cette photo mordorée qui semble reléguer cette époque à un songe exquis et mélancolique, le film agit comme un puissant opium dont le souvenir s'imprime durablement en mémoire. Il est certain que c'est un cinéma qui a le défaut de ses qualités - un intérêt très ténu car conditionné à l'abandon du spectateur - mais c'est clairement pour moi l'une des réussites de HHH, auteur ardu auquel je goûte modérément, au demeurant.
Avatar de l’utilisateur
Alibabass
Assistant opérateur
Messages : 2623
Inscription : 24 nov. 17, 19:50

Re: Hou Hsiao Hsien

Message par Alibabass »

ls ont une existence moins en tant que personnages en chair et en os, qu'en tant que spectres qui hanteraient encore les lieux, des vieux portraits jaunis auquel un contemporain imaginerait vaguement des histoires, des contrariétés.
Hong Sang-Soo dans son film en ce moment au cinéma (Hotel By The River) fait un film qui ressemble à cet esprit là. Les morts et les vivants pour HHH, un mort et des vivants pour HSS.
et si tout cela n'est pas simplement très circulaire (pour ne pas dire que ça tourne en rond, d'ailleurs)...
C'est un impression légitime, comme à la première vision de "Mods" de Serge Bozon. Les deux cinéastes partagent cette vision de film de posture. Tu as quand même aimé la musique du film ? J'aimerais bien la trouver en vinyle d'ailleurs.
Répondre