Akira Kurosawa (1910-1998)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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-Kaonashi-
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par -Kaonashi- »

The Eye Of Doom a écrit :J’essaye d’imaginer l’image du cineaste qu’aurait quelqun qui decouvrirait Kurosawa avec ce film...
C'est mon cas : j'étais tombé sur ce film complétement par hasard, lors de sa diffusion sur Canal+. Je devais avoir une douzaine d'années, ça m'avait bouleversé, et je pense que ce fut pour moi l'une des réelles clés d'entrée vers le cinéma japonais et mon attirance pour ce pays et sa culture.
A priori en découvrant Les Sept samouraïs, deux trois années pus tard, je ne m'attendais pas à quelque chose de proche de Rhapsodie en août.
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The Eye Of Doom
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par The Eye Of Doom »

Madadayo
Bien etrange film que cette oeuvre ultime de Kurosawa. Je veux dire que cela ne resemble que vraiment tres peu a ce que l’on peut imaginé. On passe 2 heures avec un prof d’allemand à la retraite, admiré et veneré par ses anciens eleves sur aumoins 2 generations. La grande majorité des scenes le voit entouré de ses eleves à boire du sake et discutailler de tout et de rien.
Le sujet est bien sur la viellesse, naufrage bien connu mais aussi la force de l’héritage laissé/transmis aux autres.
On se demande en effet ce qu’a pu faire ce modeste Sensei pour justifier de l’adulation de ses eleves. On ne le saura pas vraiment mais peu à peu on le devine. L’homme se dévoile attachant, anticonformiste, droit, plein d’un humour primsotier et moqueur, et on fini par se dire que peut etre il a enchanté ses eleves par son humour et sa sensibilité plus que par ses capacités pedagogique.
Le film n’est pas sans defaut, la première moitié est un peu longue, avant le moment de vérité :
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La perte du chat bouleverse l’homme qui apparait d’un coup comme un veillard quasi gateux. Devoilant crument la decheance a venir.
Cette seconde partie est plus émouvante.
Quant à la fin
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On comprend bien que le Sensei regarde l’au dela dans le reve final mais je n’ai pas compris qu’il mourrait pour autant.
Le medecin etait rassurant, il a l’air de dormir paisiblement,...bref ce deces la maintenant surprend.
Le passage est magnifique dans tout les cas

La forme du film est sans ornement sauf pour quelques instantanés superbes autour de la cabane ( je pense notamment au court plan où on le voit avec son epouse regarder dehors en pleine hiver.
La premiere scene est tres frappante
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Il annonce sa demission a ses eleves avec un ton badin ou presque et ceux ci sont bouche bee (au figuré)
On pense plusieure fois a Dodes Kaden, avec son decors de ruine. Le Sensei, s’il n’avait eu le secours de ses disciples aurait pu etre un des pauvres heres rendus fous par la misere.

Le dernier diner est aussi tres émouvant.
J’ai beaucoup aimé aussi l’epouse, derriere l’homme comme lui demande la tradition mais pas inexistante pour autant.
L’actrice Kyoko Kawana est une habituée des films de Kurosawa mais a aussi joué chez Mizogushi. Elle est tres bien. Comme toute la distribution d’ailleurs.

Pour conclure, un film moins reussi et plus difficile a conseiller sue Rapsodie en Aout mais singulier dans l’oeuvre de Kurosawa.
A reserver aux admirateurs.
bruce randylan
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par bruce randylan »

Les premiers vrais pas de Kurosawa comme réalisateur ?

Le cheval / Uma (Kajiro Yamamoto & Akira Kurosawa - 1941)

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Une jeune fille parvient à imposer à sa famille - des paysans démunis - de s'occuper d'une jument en gestation pour pouvoir garder son poulain.

Bien que crédité "seulement " de coordinateur de production, Kurosawa fit bien plus que seulement assister Yamamoto comme il le faisait depuis des années. Outre co-signer le scénario, l'aspirant cinéaste a ainsi bouclé le tournage qui s'est déroulé sur au moins au an, afin de respecter le déroulement naturels des saisons. Son réalisateur officiel étant pris sur d'autres production, Kurosawa filma ainsi pratiquement tous les extérieurs et d'après l'actrice Hideko Takamine, c'était davantage le film de Kurosawa que de Yamamoto.
Également monteur, c'est encore Kurosawa qui tenta (en vain) de préserver l'intégrité du final alors que l'armée réclamait des coupes. Il faut dire que le film fut monté grâce à l'appui du ministère des armées alors que le Studio Toho ne croyait pas du tout à cette histoire mettant en avant des animaux. Cela explique les concessions du scénario où dès le début du film, le futur poulain est promis à l'armée. Toutefois, Uma échappe à la propagande grâce à sa direction réaliste, presque documentariste, initié par Yamamoto qui voulait donc tourner en extérieur pour respecter le rythme des saisons (il n'est pas surprenant que le projet mit presque 3 ans pour arriver à son terme). Et puis surtout, la conclusion n'a rien de patriotique ou glorifiant l'armée ; c'est au contraire assez poignant et amer dans une dernière séquence assez cruelle pour sa jeune héroïne, avec une utilisation intelligente et émouvante du son et du hors-champ.
Ce sont des qualités qu'on retrouve régulièrement tout au long du film, comme la profondeur de champs ou la gestion des sources de lumières. C'est évident lors la longue séquence de l'accouchement de la jument qui est construite en deux temps : la mise à bas derrière une palissade puis la tentative du nouveau né pour se lever sur ses 4 pattes. Quant on connaît la passion de Kurosawa pour les chevaux, on imagine sans mal qu'il est le concepteur de ce passage où l'émerveillement et les encouragements envers le poulain sont communicatifs. Les extérieurs printaniers et lumineux de la seconde moitié sont également de toute beauté, souvent inspirés avec un sens aiguisé des paysages et de la nature.
Cependant, le film est loin d'être parfait avec un rythme qui a désormais vieilli et aurait mérité d'être plus concis (on atteint presque 2h10). De plus, avec son tournage à rallonge, Uma manque également d'une unité visuelle puisque plusieurs cameramen ne sont succédés pour un résultat inégal et qui ne retranscrivent pas aussi bien que prévu l'ancrage sociale et authentique. Enfin, le casting est un peu guindé et Hideko Takamine est assez maladroite au début par exemple. Cela dit, elle comme Kurosawa semblent gagner en assurance au gré du tournage. Ainsi, si les premières séquences laissent un peu de marbre, le film parvient à se révéler plus lyrique, voire poétique, et touchant au fur et à mesure que le cheval grandit et que sa relation avec sa maîtresse s'épanouit.
Au final, le film a ses lacunes mais elles en font aussi l'originalité : son approche réaliste, un tournage audacieux qui imposent ses contraintes, le traitement du scénario, des partis pris formels et une volonté de donner une âme à des rapports hommes-animaux. Sans oublier que le fait qu'il a thématiquement toute sa place dans la filmographie de Kurosawa.
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par Nestor Almendros »

The Eye Of Doom a écrit : 7 oct. 20, 23:11 Madadayo
Bien etrange film que cette oeuvre ultime de Kurosawa. Je veux dire que cela ne resemble que vraiment tres peu a ce que l’on peut imaginé. On passe 2 heures avec un prof d’allemand à la retraite, admiré et veneré par ses anciens eleves sur aumoins 2 generations. La grande majorité des scenes le voit entouré de ses eleves à boire du sake et discutailler de tout et de rien.
Le sujet est bien sur la viellesse, naufrage bien connu mais aussi la force de l’héritage laissé/transmis aux autres.
On se demande en effet ce qu’a pu faire ce modeste Sensei pour justifier de l’adulation de ses eleves. On ne le saura pas vraiment mais peu à peu on le devine. L’homme se dévoile attachant, anticonformiste, droit, plein d’un humour primsotier et moqueur, et on fini par se dire que peut etre il a enchanté ses eleves par son humour et sa sensibilité plus que par ses capacités pedagogique.
Le film n’est pas sans defaut, la première moitié est un peu longue, avant le moment de vérité :
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La perte du chat bouleverse l’homme qui apparait d’un coup comme un veillard quasi gateux. Devoilant crument la decheance a venir.
Cette seconde partie est plus émouvante.
Quant à la fin
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On comprend bien que le Sensei regarde l’au dela dans le reve final mais je n’ai pas compris qu’il mourrait pour autant.
Le medecin etait rassurant, il a l’air de dormir paisiblement,...bref ce deces la maintenant surprend.
Le passage est magnifique dans tout les cas

La forme du film est sans ornement sauf pour quelques instantanés superbes autour de la cabane ( je pense notamment au court plan où on le voit avec son epouse regarder dehors en pleine hiver.
La premiere scene est tres frappante
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Il annonce sa demission a ses eleves avec un ton badin ou presque et ceux ci sont bouche bee (au figuré)
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Le dernier diner est aussi tres émouvant.
J’ai beaucoup aimé aussi l’epouse, derriere l’homme comme lui demande la tradition mais pas inexistante pour autant.
L’actrice Kyoko Kawana est une habituée des films de Kurosawa mais a aussi joué chez Mizogushi. Elle est tres bien. Comme toute la distribution d’ailleurs.

Pour conclure, un film moins reussi et plus difficile a conseiller sue Rapsodie en Aout mais singulier dans l’oeuvre de Kurosawa.
A reserver aux admirateurs.
à visionner gratuitement jusqu'à ce soir ici:

https://www.mk2curiosity.com/film/madadayo
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par bruce randylan »

Deux films sur lesquels Kurosawa a travaillé :)

Dohyo Matsuri (Santare Marune – 1944)

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Au début de la restauration Meiji, le monde de la compétition de sumo est en passe d'être désuet face à l'occidentalisation. Les organisations décident d'établir de nouvelles règles. C'est à ce moment qu’apparaît Ryukichi, un jeune homme désireux d'intégrer le milieu.

Ecrit seul par Akira Kurosawa, d'après un roman, ce drame s'inscrit dans un courant patriotique (guerre oblige) où les bals dansant à l'européenne sont clairement assimilés dès les premiers plans à une forme de corruption ou d'avilissement des valeurs japonaises, face à l'art des sumo. Ce n'est sans doute pas non plus pour rien si le surnom de Ryukichi fait référence au Mont Fuji, et pas uniquement pour sa solidité et sa force.
Il est difficile de ne pas chercher à comparer ce film avec La légende du grand judo qui possède il est vrai quelques similitudes. Outre le portrait d'un sportif, il y a aussi notamment une sensibilité, ironiquement, sous influence occidentale comme la grande scène romantique entre Ryukichi et la femme qu'il aime, surlignée par une musique trop démonstrative.
On peut dire que c'est justement le scénario de Kurosawa qui tire le film vers le bas avec un manque de fluidité dans le récit en enchaînant beaucoup trop d'ellipses, donnant le sentiment que l'histoire avance par à-coups.
En revanche, la réalisation est tout à fait estimable avec une caméra souvent mobile pour quelques beaux et amples mouvements de grues ou travellings. Mais c'est surtout la remarquable photographie de Kazuo Miyagawa qui donne au film sa noblesse. Le travail sur la lumière, la profondeur de champ et les composition de cadre est souvent sophistiqué. Ainsi même si le film ou le parcours du personnage ne passionnent pas franchement, la beauté plastique maintient souvent l'attention pour quelques séquences dans leur atmosphère : la jalousie autour d'un pousse-pousse pour deux personnes, des séquences d'entraînement et surtout les différents affrontements de sumo dont le match final qui possède par ailleurs une bonne utilisation de plan subliminal.

Le bandit samurai aka A tale of thieves in war time part 1 : tiger and wolf (Eisuke Takizawa - 1937)

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A l'époque des guerres entre provinces, Taro Tarao, le fils d'un noble, est accusé à tort d'avoir détourné l'argent destiné aux armées. C'est un bandit qui l'a détroussé, mais comme il s'avère être des connaissances d'enfance, le voleur consent à lui rendre l'argent et à l'accompagner au château pour qu'il puisse s'innocenter mais Taro est arrêté sur la route.

Derrière le scénariste Kinpachi Kajiwara, se cache en fait un groupe de 8 réalisateurs et scénaristes qui utilisaient ce prête-nom (dont Hiroshi Inagaki). Dans le cas présent, il semble que ce soir Sadao Yamanaka l'unique auteur du script. On retrouve par exemple un attachement plus marqué pour les marginaux et les ronins qu'envers l’aristocratie ou la noblesse qui sont ici corrompus et comploteurs. Les brigands, à l'allure débraillée et exubérante, rappelle d'ailleurs ceux croisés chez Manzaku Itami, qui fut l'un des autres réformateurs du jidai-geki.

Je crois n'avoir jamais entendu parlé de Eisuke Takizawa, frère de Buntaro Futagawa (Orochi/le serpent) qui semblait pourtant un figure populaire du cinéma japonais de l'avant-guerre. Ce film en tout cas est une belle réussite. Son style et la direction d'acteur sont vivants, dynamiques et on n'a pas l'impression qu'il date des années 30. La direction artistique est soignée avec un sens du cadre qui met aussi bien en valeur les extérieurs (ligne de crête, Mont Fuji, traque dans des sous-bois en pente, végétation au premier plan) que les intérieurs à l'architecture et au mobilier chargés. Il utilise aussi fréquemment le hors-champ, le son et les ellipses pour dramatiser intelligemment de nombreuses scènes : un traître assassiné d'un coup de fusil, une évasion qu'on devine en cours, une tentative d'assassinat avec un homme poussé dans un ravin...
Takizawa est de fait à l'aise dans les différents registre que parcourt son film : la légèreté décontractée, le film d'aventures, le suspens, la froideur et le sens de la tragédie pour une dernière demi-heure qui ne manque pas d'intensité tant dramatique que formelle avec siège d'une maison, fuite désespérée, raid vengeur dans un château, le tout avec de nombreux figurants et mouvements.
Vraiment une très bonne surprise qui me donne bien envie de voir la suite (si j'arrive à mettre la main dessus).
Le film connut curieusement une sortie en France en 1951.

Quant à Akira Kurosawa, il fut seulement deuxième ou troisième assistant réalisateur et d'après son auto-biographie (que je n'ai toujours pas lu), il ne parlait ni du tournage ni du film avec enthousiasme. Pourtant, il est indéniable qu'on trouve dans ce film une forte influence sur ses futures réalisations. Et ce n'est sans doute pas un hasard si Kurosawa écrivit un remake en 1959 sous le titre de Saga of the vagabonds, porté à l'écran par Toshio Sugie (son ancien assistant), et dont le casting comprend Toshiro Mifune et Takashi Shimura. Encore un truc à trouver.
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par LeRationaliste »

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Dodes'Kaden (1970).

Il était temps que je répare un impair.

Il y a sept ans, Wild Side avait organisé une rétrospective en salles et en blu-ray. Le cinéma d'art et essai où je vais avait rajouté quelques extras (Kagemusha, Ran et Les Sept Samouraïs). Je les avais tous regardé, sauf Dodes'Kaden. La musique dans le bande-annonce pour cette rétrospective était d'ailleurs celle de ce film, et je m'attendais à l'entendre, notamment dans Vivre dans la Peur, avec un Toshiro Mifune mé-co-nai-ssable.

Il faut dire, j'appréhendais. Je n'avais pas aimé Les Bas-Fond et là encore, ça raconte la vie dans un taudis. Et bien, j'ai mieux apprécié. En particulier l'homme mutique. Je me demande ce que le public japonais n'a pas aimé et s'il est possible de trouver des critiques de l'époque. Ce qui était le plus impressionnant, c'est certains décors, notamment le fameux coucher de soleil avec le fou et son fiston. Est-ce que tout le film était en studio ou il y avait ou deux extérieurs ? Si c'est la première option, c'est assez bluffant.

Durant la rétrospective, j'avais beaucoup aimé Qui Marche sur la Queue du Tigre, Vivre dans la Peur, Les Sept Samouraïs (revu mais version longue) et Les Salauds Dorment en Paix. Plus qu'à regarder la seconde partie de la rétrospective et les autres films. Surtout Dersou Ouzala (le négatif n'existe plus ?).

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Ender
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par Ender »

Rien lu d'époque, mais on peut facilement se figurer quelques unes des raisons de son échec : le film ne ressemble à aucun autre et il montre la misère à l'os tandis que le pays s'embourgeoise, et dans un tel feu d'artifice de couleurs qu'on peut difficilement la digérer, comme on le ferait dans un petit film social pour la bonne conscience. Et Kurosawa est hors de coup. Côté cinéma populaire et d'action, il s'est passé dix ans de polars et chanbara plus transgressifs ou à l'inverse plus familiers - les séries à rallonge - que les siens. Côté artiste, il s'est fait rouler dessus par dix ans de nouvelle vague. Il n'y avait plus de destinataires constitués pour ses films. On pourrait croire qu'il est à l'heure en 1970, Dodes'kaden est aussi antinaturaliste que les Ôshima ou Shinoda du moment. Mais eux sont dans le mouvement de l'avant-garde fin sixties, quelque part entre Brecht et le retour du refoulé du nô, du kabuki. Et Kurosawa est un vieux dinosaure qui pousse le classicisme dans ses derniers retranchements, jusqu'à le retourner comme un gant, jusqu'au rire du désespoir et au colorisme criard. En fait c'est lui qui était en avance bien sûr, les Ôshima and co. tiraient parti des ressources critiques du cinéma, mais il fallait le jusqu'au-boutisme affirmatif du vieux Kurosawa pour imposer la dignité des gueux à une société qui ne voulait plus en entendre parler. Et inventer ce truc paradoxal, impossible : le soap opera de la misère, soit l'antidote au triomphe de la bêtise télévisée. L'échec du film fut une manière de lui rendre l'offense j'imagine.
Il y a des chapelles cinéphiles pas spécialement kurosawistes en France qui ont fait de Dodes'kaden l'un des plus beaux films du monde, à mon avis ils ont cent fois raison.
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par The Eye Of Doom »

La cinematheque vas faire une rétro Kurosawa sous peu.
Pour Dersou Ouzala, le programme indique « copie privée ». Quelq’un a des tuyaux sur cette copie et surtout sur l’etat ?
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par Courleciel »

A priori la 1ère projection le 28/10/2022 serait une copie 35mm (privée?) et la seconde 26/11/2022 serait un DCP.
"- Il y avait un noir a Orly, un grand noir avec un loden vert. J'ai préféré un grand blond avec une chaussure noire a un grand noir avec un loden vert
- Dites-moi, mon petit vieux, pour faire de la littérature, attendez la retraite. Bonne appétit."
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par The Eye Of Doom »

Courleciel a écrit : 11 sept. 22, 20:19 A priori la 1ère projection le 28/10/2022 serait une copie 35mm (privée?) et la seconde 26/11/2022 serait un DCP.
Du coup, tu conseillerais quoi ?
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Courleciel
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par Courleciel »

En général je privilégie toujours les copies 35mm par rapport à un DCP.
J'ai vu trop de films massacrés en DCP! Pas plus tard qu'hier avec "La Habanera" de Douglas Sirk, où la copie était épouvantable.
Mais ce n'est que l'avis d'un vieux grognon nostalgique de l'argentique. :fiou:
"- Il y avait un noir a Orly, un grand noir avec un loden vert. J'ai préféré un grand blond avec une chaussure noire a un grand noir avec un loden vert
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par The Eye Of Doom »

Merci
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par The Eye Of Doom »

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La legende du grand judo.
Un jeune homme d’origine modeste débarque dans une ecole pour appendre le jiu-jutsu . Un combat nocturne lui fera choisir le judo.

Voir ce film est un double plaisir.
D’une part et avant tout c’est un film superbe, humaniste, chaleureux.
Le metteur en scene est constamment impressionnant : dans les cadrages rigoureux, dans la façon de situer les personnages, physiquement et moralement, seuls, en duo, ou en groupe, dans l’audace des plans, la subtilités des scènes intimistes, le dynamisme et la singularité des scènes d’actions,…
Quelle maitrise et inventivité, voire genie!
Acteurs et actrices sont excellents. Mention spéciale à Susumu Fujita, dont la présence physique est essentielle au film.

Quelques moments remarquables : le combat nocturne au debut, la curieuse ellipse avec les geta, l’amour naissant dans les escaliers, le combat avec le vieux maitre, le duel final d’anthologie.
On ne peut bien sur que regretter que la qualité de la pellicule en temps de guerre, le matériel subsistant, les ciseaux de la censure de l’epoque… ne rendent pas toujours justice à la beauté du film. Mais peu importe, tout impressionne et on est pris par le film, son ambiance, les sentiments,…
Il y a aussi un humour, une ironie bienveillante particulièrement savoureuse je trouve : la comptine des enfants, la complicité du vieux maitre, les sorties hors champs lors du 1er combat, …
Ce premier film d’un jeune cinéaste debutant, auteur du scénario qui plus est, est constamment une leçon de cinema, sans effet de manche, esbroufe ou m’a tu vu.
On assiste à la naissance d’un futur geant, c’est clair.

Deuxième bonheur, c’est bien sur de voir ce film en y cherchant les indices de l’oeuvre future de Kurosawa.
Je renvoie au commentaire de Christophe Gans et Jean Pierre Jackson, qui pointent bien mieux que je ne saurais le faire, les caractéristiques fondamentales de l’auteur présentes dans cette première oeuvre.
Premier film, première collaboration avec Takeshi Shimura, extraordinaire comme toujours. On comprend de suite combien l’acteur apportera à Kurosawa, figure humaniste par excellence.
J’ai été frappé par la presence forte de l’ esthétique du cinema muet. Le film pourrait souvent se passer de dialogue, ce qu’il fait d’ailleurs, cf l’importance du vent dans la derniere partie par exemple.
Raccourcis poétiques, images fortes, art de la composition, du plan, au profit du message,… le film fourmille d’exemples.

Ce premier film est tout sauf un film secondaire dans la filmo du maitre.


On dit que l’ange ivre est le premier film personnel de l’auteur. Franchement, ca se discute. Kurosawa a du composer avec des contraintes de censure, mais le film est remarquable et tres personnel.

On pourrait ecrire des pages sur le duel final, et son plan stupéfiant d’apparition des combattants.

Voir ce film m’a donné l’idee de decouvrir les 1eres oeuvres en ordre chronologique.
A suivre.
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par Ender »

Belle évocation d'un film qui m'a pas mal impressionné aussi, Kurosawa était d'emblée un maître, encore vert, mais quelle assimilation précoce de vastes possibilités du langage cinématographique. Il y a une certaine pesanteur générale - ça restera une marque de fabrique chez lui, mais alliée à un art de plus en plus tranchant - qui me le plombe un tout petit peu...
The Eye Of Doom a écrit : 2 sept. 23, 13:15 Voir ce film m’a donné l’idee de decouvrir les 1eres oeuvres en ordre chronologique.
... en revanche, j'ai un très gros faible pour son Le Plus dignement, une production plus accordée aux exigences et aux violins de la propagande de guerre, mais dont Kurosawa se débrouille avec une précision réaliste et un art de multiplier les points de vue qui volent loin au-delà de ce carcan utilitaire. J'espère qu'il fera un nouvel amateur, celui-là étant vraiment très souvent relégué aux notes de bas de page.
The Eye Of Doom
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Re: Akira Kurosawa (1910-1998)

Message par The Eye Of Doom »

Je poursuit mon parcours chronologique des debuts du maitre

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Le plus dignement
Chronique d’un groupe d’ouvrières dans une usine de viseurs optronique. La production doit être multipliée par deux pour soutenir les valeureux soldats japonais.

C’est sur qu’après La légende du grand judo, ce second film ne tiens pas les immenses promesses que l’on pouvait mettre dans le jeune cineaste.
Oeuvre de propagande tres 1er degré, on a un discours sur le sacrifice, le courage et le devoir accompli dans la douleur.
Mais le film n’est pas du tout indigne. Plutot bien ecrit et solidement interprété, il permet à Kurosawa de travailler les visages, les dynamiques de groupe, une humanité fraternelle et solidaire.
Par contre, on voir que le cineaste n’a droit à aucune audace, que son talent est fortement corseté, qu’un cahier des charges ultra strict sympose y compris dans la mise en scene.
Ceci dit le film possède plusieurs scènes fortes qui montrent que Kurosawa ne bâcle pas l’affaire.
Je rapprocherai ca d’un certain cinema de Renoir, période front populaire (enfin des souvenirs tres lointain qui m’en reste) On est avec les personnages, que l’on cautionne ou pas leur point de vue.
Ce qui est drole c’est l’importance données aux femmes qui semblent subitement plus émancipées qu’elles ne l’ont jamais été, avant et apres. La scène où le pere strict vient chercher sa fille malade pour la ramener au village est emblématique. C’est le monde ancien, patriarcal qui surgit, dans un monde purement fonctionnel ou hommes et femmes sont presque à égalité de traitement.
Le personnage du pere est muet et ridicule, comme sidéré par ce qu’il voit.
En fait, la situation de guerre semble être presque valorisée pour donner des coups de boutoir à la société nippone sclérosée.
Bien sur que les patrons sont des hommes, ce sont eux qui donnent les ordres mais les femmes n’obéissent pas.

Un aspect troublant est la facon dont Kurosawa traite la transformation de ces jeunes filles, bavardes, volontiers flemmardes, en machine à produire, petits robots tayloriens.
Il faut savoir que c’est lui qui a écrit le scénario.
L’humain ne s’efface pas et reste au cœur de l’efficacité opérationnel du groupe: c’est solidaire et d’un bloc que le groupe survit et se surpasse. Non pas un groupe où l’individuel s’efface, se déshumanise, mais un groupe où chaque singularité compte.
Cela me rappelle la tirade dans les 7 samouraï apres la mort du plus « bon vivant » d’entre eux.

J’ai trouvé tres intéressant aussi l’attention à la technologie et aux procédés de fabrication : ici le polissage des miroir, la calibration rigoureuse des capteurs, le control final sur la cible,…. Ca n’a pas fondamentalement changé.
D’habitude l’usine est le lieu d’une intrigue, voir un cadre social, ici l’usine est un lieu de fabrication d’un objet de haute technologie et on nous le montre.

Sans etre aussi enthousiaste qu’Ender (voir ci dessus), le film dévoile une facette différente de Kurosawa, se laisse voir avec plaisir des lors où on passe outre la finalité première de son existence.
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