(en italiques : films découverts en salle à leur sortie)
Whiplash
C’est comme si Chazelle transposait la première partie de
Full Metal Jacket au sein d’un conservatoire de Manhattan. En racontant comment un jeune batteur est perversement sadisé par son prof de musique, il confronte deux attitudes également névrotiques : le premier sacrifie sa santé à son obsession de la réussite, le second cultive une tyrannie de fou furieux, convaincu que le talent ne se développe que par l’entremise de l’humiliation et de la souffrance. Difficile de déterminer le positionnement du réalisateur sur cette conception quasi fascisante de l’art, ambivalence morale qui confère au film sa singularité tout en le rendant vaguement déplaisant. Mais impossible de nier le brio percutant d’une mise en scène nimbée d’étouffantes couleurs chaudes et portée par le dynamisme d’un montage survolté.
4/6
La La Land
La contrée chantante évoquée par le titre est une utopie, un endroit magique qui par définition n’existe pas, où les rêves se déploient à la faveur d’un imaginaire sans limites. Et le cinéaste de raconter la quête d’un tel lieu, ce qu’il en coûte pour y poser le pied. Il est jazzman virtuose, elle est
wannabe actrice, ils se rencontrent dans un L.A. repeint aux mille gerbes flamboyantes du Technicolor, avant de tomber amoureux et de tenter de vivre ensemble leur idéal. De la renversante ouverture ensoleillée sur la
highway en liesse au déchirant filament de regrets et de tristesse sur laquelle elle se clôt, l’œuvre dépasse son insatiable maestria formelle pour faire goûter aux ardeurs et aux doutes, aux espoirs et aux élans d’Emma Stone et de Ryan Gosling, couple en alchimie dont les vœux s’exaucent en un ruban d’amertume. Magnifique.
5/6
Top 10 Année 2016
First man
Le départ est immédiat, l’immersion opère dès les premières images, convulsives, floues, déchiquetées, et l’odyssée happe pour ne plus jamais lâcher. De l’extraordinaire aventure humaine, collective et technologique que constituèrent les programmes Gemini et Apollo, le réalisateur tire une passionnante épopée, en équilibre parfait entre l’intime et le spectaculaire. Le film refuse toute envolée emphatique pour mieux laisser infuser l’émotion née d’une idée aussi belle que fragile : c’est sur la Lune, dans le silence et la solitude, que cet homme devait conclure son travail de deuil. La technicité consommée de la réalisation, la rigueur factuelle du traitement, la concentration dramatique d’un récit tenu d’une main de fer, ponctué de grands moments de tension ou de fascination, attestent de sa totale réussite.
5/6
Top 10 Année 2018
Mon top :
1.
La La Land (2016)
2.
First man (2018)
3.
Whiplash (2014)
Il aura suffi d’une pépite en forme d’enchantement doux-amer, film parmi les plus étourdissants et enthousiasmants de cette décennie, et d’une odyssée spatiale prenant la relève tant attendue de
L’Étoffe des Héros, pour que le jeune Damien Chazelle lève les ambiguïtés de son (brillant) premier long-métrage. Le voilà désormais seul face à un talent que l’on devine considérable, à la cohérence de préoccupations récurrentes (le conflit entre sacrifice et réussite, le prix souvent terrible du succès, le revers de l’épanouissement personnel), à la plénitude d’un classicisme consommé mais baigné de modernisme et toujours boussolé sur l’émotion. Espérons que les dieux du cinéma hollywoodien ne l’abîment pas.