Ce qu'en dit Cinetude :
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- * PROPHECY (1979)
Avec Talia Shire (Maggie Verne); Robert Foxworth (Dr. Robert Verne); Armant Assante (John Hawks); Richard A. Dysart (Isley); Victoria Racimo (Ramona Hawks); George Clutesi (M'Rai); Tom McFadden; Evans Evans; Burke Byrnes; Mia Benbixsen; Johnny Timko; Everett L. Creach; Charles H. Gray; Lyvingston Holmes; Graham Jarvis; James H. Burk; Bob Terhune; Lon Katzman; Steve Shemayne; John A. Shemayme; Jaye Durkus; Renato Moore; Mel Waters; Roosevelt Smith; Eric Mansker; Cheri Bergen; Cliff Hutchison; Tom May et Gilbert A. Combs ; Mike Adams; Janet Brady; Jerry Gatlin; Hank Hooker; Buddy Joe Hooker; John Roselius.
Scénario : David Seltzer. Photographie : Harry Stradling, Jr. Montage : Tom Rolf. Musique : Leonard Rosenman. Durée : 102 mn. Distribué par : Paramount.
L'agence de protection de l'environnement de Washington délègue le Dr Rob Verne et sa femme Maggie pour enquêter sur les risques de pollution créés par une énorme papeterie installée dans une forêt du Maine, qui charrie les billots en se servant de la rivière. Des rapports font état de crimes monstrueux perpétrés dans cette région, qui seraient le fait de quelques malheureux indiens survivant péniblement dans cette forêt.
" Michael Eisner, qui était alors à la tête de la Paramount, m'annonça qu'il aimerait que je réalise un film de monstre. Il pensait que ce serait génial qu'un réalisateur possédant un style comme le mien signe un film de monstre. Aussi Bob Rosen et moi avons embauché David Seltzer, qui sortait juste de La Malediction, pour nous écrire un scénario. Il revint avec une idée, qui avait l'air bonne sur le papier… "
John Frankenheimer (1995)
A la lecture du synopsis de Prophecy , on peut légitimement se demander ce qui a poussé John Frankenheimer à s'investir sur un tel projet. Certes, tout au long de sa carrière, le cinéaste n'a jamais hésité à se frotter à des genres nouveaux pour lui, parfois même à priori fort éloignés de sa sensibilité. Alors pourquoi pas l'épouvante ? Mais de là à s'embarquer dans cet ersatz montagnard des Dents de la Mer , improbable histoire d'ours mutant nourri au mercure décimant Indiens, bûcherons et campeurs quelque part au fond des épaisses forêts du Maine, il y avait tout de même un pas à franchir pour le réalisateur d'œuvres aussi ambitieuses que L'homme de Kiev ou The Iceman cometh . Certes on trouve bien en toile de fond une amorce de réflexion écologique sur le comportement suicidaire des sociétés industrielles modernes sacrifiant le respect de notre environnement à l'autel de leur profit, ainsi qu'une ébauche de regard sur le problème des minorités indiennes dans les réserves, trois ans seulement après les affrontements et la fusillade d'Oglala dans le Dakota du sud (le réalisateur s'attarde d'ailleurs en tout début de film sur une véritable manifestation d'Indiens face à de la Maison Blanche). Mais le résultat à l'écran ne laisse guère de doute quant au caractère prioritairement mercantile de cette opération, à une époque où le cinéma fantastique commençait à s'imposer comme l'un des genres les plus rentables du cinéma américain.
Frankenheimer : 10e (1977-1979)
Suite à l'aventure amère de Black Sunday et avant d'en arriver à ce Prophecy , John Frankenheimer aura été associé un temps à une production Dino De Laurentiis intitulée The Brink's job ou le récit de l'un des plus célèbres casses de l'Histoire récente américaine. Un cambriolage au butin record qui, bien que mené de main de maître dans son exécution, ne s'en conclura pas moins assez rapidement par l'arrestation de l'ensemble de ses participants. Revenant dans l'ouvrage de Charles Champlin sur ce projet avorté, le cinéaste explique :
" Il devint clair au bout d'un certain temps que Dino et moi envisagions deux films totalement différents. Lui voyait Le Pigeon et moi je souhaitais faire quelque chose de très sérieux analysant les réactions de ces individus après un cambriolage de cette envergure et voir qui va craquer le premier. Je voulais une étude de caractère sur ces gars après leur casse. Dino ne voulait pas ça du tout. "
Finissant inévitablement par buter sur l'impossibilité de combiner ces deux points de vue, la collaboration entre les deux hommes en restera au stade de l'écriture. Le cinéaste sera donc remercié et remplacé par William Friedkin , lequel choisira d'ailleurs de respecter fidèlement la vision satirique voulue par le producteur italien.
Navet absolu pour les uns, solide petite bande d'épouvante pour les autres, Prophecy demeure en tout cas pour beaucoup une sorte de "plaisir coupable" qu'il convient d'aborder, afin d'être à peu près objectif, sous deux angles fort distincts, selon qu'on le voit simplement comme un film de genre de la fin des années 70 ou bien que l'on tienne avant tout compte du fait qu'il s'agit là d'une œuvre signée par le réalisateur de The Manchurian candidate , Seconds , The Gypsy moths et de quelques autres pépites cinématographiques des deux décennies passées. Et, dans le premier cas de figure, force est d'admettre qu'il s'agit là d'une œuvre des plus divertissantes, à défaut d'être réellement effrayante. Beaucoup plus soignée et ambitieuse que la moyenne dans le genre, celle-ci, envisagée tout de même en son temps par la Paramount comme - commercialement et artistiquement parlant - un challenger potentiel à l' Alien de Ridley Scott , séduit toutefois davantage par son charme rétro presque kitsch que par la pertinence de son souvent pompeux discours anti-pollution. Bref, tout cela n'est pas très fin mais on ne s'ennuie pas une seconde à la vision de cette version gros budget des bonnes vieilles séries B fantastiques des années 50 et 60 peuplées de créatures du bon Dieu transformées à la suite d'expérience nucléaires malheureuses en monstres aux proportions démesurées.
Frankenheimer : 10e (1977-1979)
Il y a en outre fort à parier que si sa créature, sorte de grizzly géant dépecé, rentre un jour au panthéon des monstres du cinéma fantastique, cela ne sera pas pour l'aspect hautement convaincant de son apparence. Ce que dut d'ailleurs également penser John Frankenheimer lorsque, après avoir vu celle-ci, il décida de considérablement en réduire les apparitions dans le film. Et l'on raconte, toujours à ce propos, que dans l'espoir de rendre son monstre un peu plus vivant, un peu moins mécanique dans ses déplacements, le cinéaste alla jusqu'à recruter des danseurs classiques à la place des habituels cascadeurs afin de les glisser dans le costume de la bête. En vain, si on en juge par le résultat à écran…
Pourtant, l'ensemble demeure donc indéniablement plaisant et efficace, tant au niveau de la réalisation de John Frankenheimer, ample, sachant parfois brillamment instaurer l'angoisse (voir la scène située dans le tunnel), de l'interprétation (en dépit d'un casting à priori pas très emballant) que de l'angoissante partition musicale atonale de Leonard Rosenman , vieille connaissance du cinéaste puisque celui-ci avait signé 22 ans plus tôt la musique de son premier film, Mon Père, cet étranger .
Considérant maintenant Prophecy au sein de l'œuvre de John Frankenheimer, on ne peut évidemment guère parler de réussite ni même d'échec artistique intéressant comme ce fut le cas pour Refroidi à 99% . Car on a beau chercher, on ne trouve ici nulle trace d'une réelle ambition personnelle. Ce que vient confirmer les dires du cinéaste qui, à l'époque, déclarait lui-même avoir réalisé là un pur film de commande. Censé retrouver cette Amérique rurale profonde qu'il avait si bien décrit dix ans auparavant dans Les Parachutistes arrivent et Le Pays de la Violence – censé seulement car le film fut en réalité tourné au Canada, près de Vancouver - John Frankenheimer ne tire donc rien de vraiment pertinent de cette histoire. Une seule séquence vient à peu près rappeler ce sens de l'observation et ce souci du détail ayant contribués par le passé à bâtir sa réputation : celle de la visite de la papeterie. Mais cela ne suffit évidemment pas à relever le niveau d'ambition de l'ensemble. Pour le reste, devant déjà se débattre avec les dialogues lourdement démonstratifs de David Seltzer , scénariste de La Malédiction , le cinéaste, qui avouait de toute façon n'avoir guère été emballé par l'aspect "message écologique" de l'intrigue dès la lecture du script, passe largement à côté des implications sociales et politiques de son sujet. Disons néanmoins à sa décharge qu'il lui était de tout façon difficile d'élaborer une véritable réflexion contestataire à partir d'une intrigue aussi balisée, qui se transforme à mi-chemin en survival gore offrant la vedette à un monstre dont le faciès totalement inexpressif ne pousse guère le spectateur sur la voie d'une prise de conscience des problèmes de pollution industrielle à travers le monde.
Frankenheimer : 10e (1977-1979)
Peu de substance donc dans ce Prophecy mais en revanche une réalisation solide, d'un classicisme élégiaque plutôt surprenant après la nervosité, la brutalité affichée par les deux précédents films du cinéaste. Du travail soigné donc, même si on sent bien John Frankenheimer à moitié concerné par ce qu'il filme voire même peu à son aise lorsque arrivent les séquences impliquant le monstre, à l'image de la scène de l'attaque nocturne de la bête au campement de M'Rai, scène dans laquelle on a beaucoup du mal à saisir les différents déplacements des protagonistes comme la situation exacte de l'animal dans l'espace.
Frankenheimer : 10e (1977-1979)
Pourtant, lorsqu'il ne semble pas paralysé à l'idée de trop en dévoiler sur l'apparence physique de sa créature, le cinéaste réussit quelques belles scènes de tension, comme celle de la traversée nocturne, en camion, de la forêt ou la séquence précédemment citée de l'attente dans le tunnel. Là, se faisant à l'évidence plaisir en reprenant l'un de ses effets stylistiques favoris de la décennie précédente - le jeu sur la profondeur de champ - il compose quelques remarquables plans en angle extra large fausant le point à la fois sur les personnages en gros plan et ceux présents à l'arrière-plan. Soit, pour l'époque, un savant effet qui loin d'être artificiel renforce brillamment l'intensité de la scène en offrant au spectateur un champ de vision élargi et, par là même, une perception beaucoup plus nette de l'omniprésence du danger. Le tout soutenu par une bande sonore particulièrement travaillée, mélange de grognements d'animal entrecoupés de hurlements de victimes agonisantes. Mais il s'agit là seulement de quelques séquences isolées, le reste, dans son ensemble, arrivant donc difficilement à instaurer un véritable climat d'angoisse.
Comme on peut facilement l'imaginer, à sa sortie au cours de l'été 1979, la critique ne fut pas tendre avec le film, ne se privant notamment pas de faire remarquer au spectateur le non-sens et l'absurdité flagrante d'un bon nombre de rebondissements de l'intrigue. Faisant une fois encore preuve d'une grande lucidité dans l'analyse de son travail, John Frankenheimer admet d'ailleurs dans son entretien avec Charles Champlin que le problème majeur du film réside dans l'incapacité du script à générer le moindre suspense. " Ils (le public) savaient depuis le début ce qui allait se passer. Et, à mi-film, notre héros, incrédule, lance un " Il y a un monstre quelque part dehors". Et là l'audience éclatait de rire, se demandant comment cela se faisait qu'il avait mis si longtemps à réaliser ça. " Il n'empêche que le film rapportera autour des 20 millions de dollars au box-office américain, soit, tout de même, presque autant que Grand Prix , alors le plus gros succès en date de John Frankenheimer.
Détail significatif pour en finir sur le sujet : dans le second ouvrage que lui consacra Gerald Pratley , The Films of Frankenheimer : Forty years in film , John Frankenheimer détaille le processus créatif et le tournage de chacun de ses films ainsi que ses sentiments sur l'œuvre une fois achevée, qu'il en soit satisfait ou pas. Et cela à une exception notable près : Prophecy . Là, exprimant tout d'abord le souhait de ne pas revenir sur ce film, le cinéaste finit seulement par avouer à son interlocuteur qu'il le considère comme un échec total ainsi que l'une des principales causes de la période de dépression chronique qu'il traversa entre 1978 et 1981, période correspondant sans aucun doute aux heures les plus douloureuses de son existence.
Ce qu'ils en ont dit :
Ridiculous horror film is good for a few laughs.
Leonard Maltin's movie and video guide
(Prophecy) s'apparente aux productions les plus routinières de l'American International.
50 ans de cinéma américain
La bande annonce