Le Cinéma asiatique

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Profondo Rosso
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April Story de Shunji Iwai (1998)

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Uzuki quitte Hokkaido pour intégrer une prestigieuse université à Tokyo : jeune femme réservée par nature, Uzuki va néanmoins tenter de s'intégrer au monde étudiant, et à la vie quotidienne tokyoïte en général. Pour cela elle dispose d'un atout de choc et de charme : un sourire irrésistible, distillant bonne humeur et rayons de soleil... même sous les pluies les plus difficiles.

Shunji Iwai avait enchanté avec l’univers singulier, envoutant et enchanteur de ses premiers films. Cependant pour imposer sa patte il devait y passer par une forme de grandiloquence, que ce soit à travers la trame alambiquée de l’inaugural Love Letter (1995), le postulat extravagant de Picnic (1996) ou la fresque ambitieuse de Swallowtail Butterfly (1996). Avec April Story, Shunji Iwai trouve à son tour la formule magique du Chungking Express de Wong Kar Wai, celle du récit modeste et épuré au charme infectieux qui dissimule brillamment sa profondeur.

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Le postulat est des plus simples, la jeune Uzuki (Takako Matsu) quitte son Hokkaido natal pour Tokyo où elle doit intégrer une prestigieuse université. On suit donc toutes les étapes de cette nouvelle vie, le déménagement puis l’installation dans l’appartement étudiant, les premiers pas hésitants dans la vie universitaire, la découverte du quotidien tokyoïte. La réalité des situations rencontrées trouve un contrepoint dans l’atmosphère éthérée que Shunji Iwai confère au récit. La photo de Noboru Shinoda nous baigne dans un voile diaphane aux couleurs pastel qui fait des instants les plus banals un pur rêve éveillé : une ballade en vélo dominicale, la flânerie dans une libraire. Les volutes de piano de la bande-son participent à cet équilibre délicat entre ravissement et mélancolie. La tonalité flottante n’adoucit cependant pas les difficultés de ce nouveau cadre à apprivoiser, cette université immense où il faut se situer tant géographiquement que dans son rapport aux autres. Une scène de présentation place l’introvertie Uzuki face aux regards et moqueries gentilles des autres, les amitiés superficielles sont capturées avec subtilité lorsque notre héroïne intégrera le club de pêche. Le spleen urbain ordinaire se ressent aussi avec brio, dans les liens que l’on cherche à nouer (les scènes avec la voisine) et ceux que l’on cherche à éviter lors d’une fâcheuse rencontre dans une salle de cinéma. Quiconque a connu le déracinement de sa région pour poursuivre ses études dans « la grande ville » ressent avec une rare empathie les premiers pas hésitants d’Uzuki.

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Takako Matsu, pratiquement de tous les plans, nimbe de sa présence lumineuse et fragile le film. Shunji Iwai saisit avec pudeur le moindre sourire gêné, la gestuelle gauche et les regards fuyant de la jeune fille où se reconnaîtront tous les grands timides – là aussi difficile de ne pas penser à la Faye Wong de Chungking Express en plus introvertie. La candeur d’Uzuki émeut et trouble, la mélancolie et le ravissement se disputant lors des deux séquences où elle cherche à nouer contact avec sa voisine. Se heurtant à une politesse froide la première fois, Uzuki sort du cadre en plan fixe pour laisser l’image du palier vide qui renvoie à cette distance des relations sociales en ville. La seconde tentative montre une bascule lorsque la voisine décide de répondre à l’invitation, les teintes ternes de l’appartement d’Uzuki laissent place à des teintes chromatiques plus délicatement chaleureuse pour accompagner le ravissement du sourire d’Uzuki enfin en bonne compagnie. Cette tonalité de simple tranche de vie est déjà un enchantement en soi même si le film semble dénué de vrai fil narratif.

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Mais il suffira d’une question pour tout faire basculer. Avais-tu un petit ami dans ta région ? Tout le contour cotonneux et fragile du film n’était pas là pour nous immerger dans un rêve, mais à la poursuite d’un rêve. Un rebondissement jette une nouvelle perspective à certains des éléments les plus insignifiants qui ont précédés comme la fréquentation assidue de cette libraire et des renseignements qu’y demande Uzuki. Love Letter nous invitait à garder le précieux souvenir des amours adolescentes mais aussi à savoir s’en détacher. April Story en reste à l’émerveillement des premiers pas amoureux (avril mois de rentrée scolaire au Japon signifiant ce renouveau) et autorise à s’y raccrocher encore. Quand les moments ensoleillés accentuait la solitude d’Uzuki, la merveilleuse scène d’averse finale la lie enfin à cette ville, mais aussi et surtout à sa quête. Un petit bijou qui en raconte concrètement peu, mais qui en dit tant, chef d’œuvre ! 6/6

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C'est visible comment ? :o
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Message par Profondo Rosso »

Flol a écrit :C'est visible comment ? :o
Ça a l'air d'être complètement ma came.
Tu peux le trouver en dans cette édition all zone sous-titrée anglais

https://www.amazon.co.uk/Shunji-Shigats ... 842&sr=1-4

Tu peux même faire un combo avec Love Letter dont je parle juste au dessus et qui est tout aussi envoutant.

https://www.amazon.co.uk/Letter-Nakayam ... 842&sr=1-3

Shunji Iwai c'est le Wong Kar Wai japonais qui ne nous est pas arrivé dans les 90's, grosse découverte en ce moment avec sa filmo. Grosse inspiration de Makoto Shinkai (Your name si tu as vu) qui en reprends pas mal de motifs dans ses films d'animation.
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Flol
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Message par Flol »

Profondo Rosso a écrit :Tu peux même faire un combo avec Love Letter dont je parle juste au dessus et qui est tout aussi envoutant.
Tu les vends tellement bien que je me mets ce combo de côté.
Merci à toi !
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Swallowtail Butterfly de Shunji Iwai (1996)

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Dans un Japon d'anticipation, une jeune fille dont la mère vient de mourir est recueillie par une prostituée du nom de Glico. Elles rejoindront par la suite une troupe d'amis vivant dans Yentown, un bidonville où se terrent les exclus...

Le succès commercial et critique de Love Letter (1995) va donner à Shunji Iwai les coudées franches pour réaliser son film le plus ambitieux et foisonnant avec Swallowtail Butterfly. Le cinéma de Shunji Iwai est souvent affaire de connexions. Les connexions dont il faut accepter de se défaire ou celles qui se nouent de manière inattendue dans Love Letter (1995), celles que l’on recherche avec une émotion fébrile avec April Story (1998), celles qui nous maintiennent vivant dans notre quotidien sinistre pour All about Lily Chou (2001). On trouve de tout cela dans Swallowtail Butterfly dans une approche plus chargée que l’épure habituelle du réalisateur.

Dans un futur proche, le Japon est devenu le centre économique du monde et y attire donc une population étrangère massive en quête d’une existence meilleure. Une jeune fille (Ayumi Ito) vient de perdre sa seule parente et se trouve livrée à elle-même face à l’égoïsme ambiant. Dépouillée et ballotée entre des figures sans scrupules, sa destinée change lorsqu’elle croise la route de la prostituée Glico (Chara). Cette dernière s’apprête à la livrer à un sinistre proxénète avant de se raviser et de l’héberger. Cet acte généreux et désintéressé est fondateur dans le récit, Glico chinoise émigrée offrant un toit et un nom, Agaha, à l’adolescente désœuvrée. Là où les locaux ont laissé leur individualisme parler, la migrante adopte Agaha (dont on ne connaîtra jamais la nationalité si ce n’est qu’elle est née au Japon). Dès lors notre héroïne est introduite à la communauté interlope de Yentown, bidonville à l’écart de la ville où s’entraident tous les expatriés sans le sou.

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Entre petites arnaques, débrouillardise et moments festifs, Shunji Iwai capture chaleureusement la fraternité et la solidarité de ces laissés pour compte. Les personnalités des uns et des autres sont aussi excentriques qu’attachantes (le boxeur déchu Arrow) et la photographie de Noboru Shinoda saisit cette communauté cosmopolite dans un écrin de couleurs vives. Le film oscille entre réalisme, rêve et vrais cauchemar lorsque les ennuis s’amoncèlent. Une suite de circonstances improbables met ainsi les héros en possession d’une cassette dont les informations secrètes permettront de réunir la somme propice à réaliser leurs rêves. Cependant l’histoire familiale tragique de Glico, qui en migrant a vu mourir un frère et a perdu la trace de l’autre, annonce les désillusions possible de cette quête de réussite lorsqu’elle n’est que superficielle. Tant que l’objectif reste noble, le film conserve cet élan positif et lumineux, les uns rentrant aux pays et les autres fondants une salle de concert, le Yentown Club. Ce lieu se doit d’être à leur image métissée et Shunji Iwai l’illustre de diverses manières. Une scène brillante introduit un américain né au Japon, déchiré entre ces origines dont il ne connaît même pas la langue et ce pays où il reste considéré comme un étranger. Les Yentown et leurs origines exotiques ne peuvent qu’être sa nouvelle maison, cela passant par l’image et le son. Le moment fondateur est donc celui où Glico déploie ses aptitudes de chanteuse sur un morceau emblématiquement traditionnel (My way de Frank Sinatra), jouée par américano-japonais dans une orchestration revisitée et improvisée. Cette mue se fait sur un morceau également métissé dans sa composition (écrit par Claude François avant de devenir un hymne mondial par la relecture de Paul Anka et l’interprétation de Sinatra) et hautement symbolique dans son choix. Malheureusement le carriérisme et donc le retour de l’individualisme va scinder le groupe et fait surgir les ennuis.

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Shunji Iwai se déleste grandement de l’épure intimiste et contemplative qu’on lui connaît pour une œuvre tout en rupture de ton. L’identité formelle est bariolée et oscille pour les moments de polar entre le film de yakuza déjanté (le règlement de compte dans un restaurant avec ses éclairages baroques et ses écarts brutaux sonne comme du Takashi Miike avant la popularité de ce dernier), film de gang américain et une inspiration sud-américaine dans les tenues folkloriques des malfrats. La Chine Nous voguons dans le conte moderne où la violence peut se faire outrancière, grandiloquente, entre le risible et le tragique. Nos personnages échappent au pire de façon totalement improbable par instant (la confrontation finale avec le gang surarmé) et y succombe aussi dans une tragédie aussi sordide qu’épurée (le sort du malheureux Fei Hong). Iwai abandonne sa ligne claire habituelle pour une esthétique chargée tant dans les moments inquiétant (la caméra flottant lors de la traversée d’Opium Street, la Chine sous implantation anglaise du 19e semblant être une autre inspiration, tout comme le côté grouillant de mégalopoles futuristes à la Blade Runner) que les instants de grâce. La scène de tatouage d’Agaha est un magnifique passage suspendu où la rêverie se dispute au souvenir dans un éclairage saturé de mauve.

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Le melting-pot est également celui des langues dans le film où l’on parle japonais, anglais, mandarin ou cantonais. Shunji Iwai n’épargne pas la mentalité insulaire et parfois raciste du Japon envers les étrangers et plus spécifiquement les démunis venu chercher fortune chez eux – l’analogie pouvant concerner ce que l’on sait du traitement des coréens installés au Japon dans les quartiers populaires. Swallowtail Butterfly est donc la quête d’une harmonie collective et solidaire, où les personnages se seront perdus en pensant qu’elle passait par la seule réussite matérielle. C’est le fil rouge du film à la fois dans la trame principale mais aussi par les captivants parallèles entre des protagonistes qui ne se croiseront jamais (Glico et son frère Ryo Ranki (Yōsuke Eguchi)). Une nouvelle réussite pour Shunji Iwai qui montre là un registre bien plus vaste avec cette superbe fresque. 5/6
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All About Lily Chou-Chou de Shunji Iwai (2001)

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Yuichi est un jeune trop calme pour son âge. Sa faculté à demeurer impassible devant les difficultés et à ne pas répondre aux coups et aux provocations va vite faire de lui le souffre-douleur idéal de ses camarades. Il tient le coup grâce à sa passion pour la pop star Lily Chou-Chou, dont les chansons lui permettent de s'évader, de vivre, d'espérer. Cette passion, il la partage avec son camarade Hoshino et avec des millions d'autres fans, qui se retrouvent anonymement sur Internet pour discuter de leur amour pour la mystérieuse chanteuse...

L’adolescence représente souvent chez Shunji Iwai une sorte de paradis perdu innocent qu’il magnifie de son esthétique vaporeuse, et baignant dans une nostalgie justifiant l’usage de flashbacks de Love Letter (1995) et April Story (1998). Cela va changer avec All About Lily Chou Chou qui va donner un visage bien plus torturé à l’âge ingrat. A l’origine, il s’agit d’un roman que Shunji Iwai publie sur internet dans un site qu’il baptise Lilyholic. L’innovation viendra de la dimension interactive qu’il adjoint à la fiction puisque les lecteurs pourront réagir aux évènements du roman ou encore discuter entre sur des chats et forum du site. L’expérience s’interrompt après un rebondissement dramatique du livre et va se poursuivre avec le film. Au centre du récit, omniprésente et invisible, la pop star Lily Chou Chou, objet de fascination et d’idolâtrie pour les ados en plein doute.

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Le film use d’une narration fragmentée dans sa temporalité mais aussi ses canaux d’expression. Shunji Iwai use en effet des vrais échanges en ligne publiés sur son site qu’il entrecoupe aux péripéties du film. L’obsession pour Lily Chou Chou et sa musique compense donc un quotidien sinistre pour le jeune Yuichi (Hayato Ichihara), souffre-douleur de ses camarades et plus particulièrement du tyrannique Hoshino (Shugo Oshinari). La première partie du film s’axe ainsi sur les maltraitances subies en silence par Yuichi qui déverse son mal-être dans les chats, Iwai usant d’un montage épileptique (avec les discussions apparaissant en blanc sur fond noir) pour appuyer l’intensité et la force avec laquelle s’exprime cette souffrance. Lily Chou Chou n’est cependant qu’un point d’entrée, un fil rouge pour exprimer un mal bien plus profond. Un flashback introduit alors les même protagonistes trois années plus tôt, alors tous chaleureux camarades faisant leur premier pas au collège. Hoshino s’avère lui aussi une ancienne victime de brimades, un passif qu’on pense le voir surmonter avec l’amitié de Yuichi et des autres. Les premiers rires, émois amoureux et bêtises ne sont assombris que par les retrouvailles avec d’anciens oppresseurs mais tout cela paraît être bien anecdotique. Lily Chou Chou est aux prémices de son succès en toile de fond et n’envahira les pensées des protagonistes que quand le réel deviendra insupportable. C’est un évènement lors du moment le plus heureux du groupe d’amis, un voyage à Okinawa, qui altère la personnalité d’Hoshino devenant alors un être brutal et morbide.

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Ce que l’on pense être une libération (répondre enfin aux provocations d’un agresseur) ne fait que déplacer plutôt qu’arrêter le cycle de la violence, Hoshino prenant la place des harceleurs en pire. Shunji Iwai est avec ce film le premier réalisateur japonais à tourner en caméra numérique et change grandement son approche esthétique. Les ambiances cotonneuses et vaporeuses gorgées de filtre qui distillaient cette tonalité rêveuse et nostalgique sont bien plus intermittentes (et d’autant plus précieuses puisque traduisant les rares moments apaisés). La photo de Noboru Shinoda est plus crue dans sa capture des ambiances rurales mais certainement pas pastorale, le point de vue de Yuichi passant par des cadrages claustrophobes ou alors flottants pour traduire la confusion de son esprit. Shunji Iwai a en amont et au cœur même du film anticipé l’importance d’internet en échappatoire autant que prison pour les adolescents torturés. Avant les réseaux sociaux et l’invasion des smartphone, le réalisateur devine également la place de l’obsession de l’image enregistrée pour retenir un instant heureux ou horrible visant à soumettre et humilier l’autre. Le voyage à Okinawa est entièrement constitué d’images brutes filmées au caméscope par les personnages, il est sous-entendu que certains subissent un chantage du fait de vidéos compromettantes (la faussement délurée Shiori (Yu Aoi)) quand l’on n’assiste pas à leur filmage même avec une glaçante scène de viol subit par Kuno (Ayumi Ito). Le film est en résonnance aussi avec des maux plus spécifique au contexte fin 90’s et début 2000 au Japon avec la prostitution lycéenne, et offre un contemporain tout aussi sombre du Suicide Club de Sono Sion sorti la même année – voir des films de Gregg Araki ou Harmony Korine si l’on étend le propos.

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Il n’y a pas de vrais méchants ou gentils (du moins dans les figures les plus approfondies) dans All About Lily Chou Chou. Chacun des personnages réagit comme il le peut à la douleur qui le ronge, infligeant une violence qu’il autrefois subie (Hoshino), spectateur silencieux et soumis aux évènements (Yuichi), affichant contentement de façade (Shiori) ou faisant face même en ayant affronté le pire pour Kuno. Et pour presque chacun d’eux, les paroles, la musique et les concepts abstraits de Lily Chou Chou constituent une béquille face à la laideur qui les entoure. La bande-son fut d’ailleurs le fruit d’un travail approfondi, le ton et la nature des mélodies de Lily Chou Chou étant le pendant sonore des émotions crues à l’image. La bande originale de Takeshi Kobayashi façonne donc une dream pop hypnotique, la chanteuse Salyu donnant une voix au vrai et crucial personnage qu’est Lily Chou Chou. Si le film s’avère nettement plus pessimiste et tourmenté que les œuvres précédentes de Shunji Iwai, celui-ci nous accorde néanmoins une candeur et une échappatoire lumineuse possible dans une magnifique dernière scène.5/6

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Hana et Alice de Shunji Iwai (2004)

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Hana et Alice sont deux amies d'enfance qui aiment s'adonner aux joies de l'observation de garçons. Un jour, Alice repère un jeune homme dans le métro, tandis qu'Hana jette son dévolu sur l'ami du jeune homme en question, Miyamoto. Un an plus tard, lorsqu'elle entre au lycée, Hana retrouve Miyamoto et va lui faire croire, à la suite d'un léger accident, qu'ils sortaient ensemble auparavant. Cependant, bien qu'il y croit, Miyamoto va s'éprendre d'Alice…

Après All about Lily Chou-Chou (2001) en partie conçu avec des fans sur internet, Hana et Alice est le second projet de Shunji Iwai mis en œuvre via un processus créatif crossmédia. En 2003, la marque Kit Kat commande pour ses trente ans une série de courts-métrage publicitaires à Shunji Iwai. On y suit Hana (Anne Suzuki) et Alice (Yū Aoi), deux adolescentes facétieuses, et l’expérience se déroule si bien que le réalisateur décide de prolonger l’aventure dans un long-métrage cinéma. Lorsque Shunji Iwai explore le monde de l’adolescence, il y est souvent question de frustration amoureuse. Ainsi la candeur des flashbacks de Love Letter (1995) évoque pourtant la tristesse d’une romance non assouvie. April Story (1998) nous accroche à la timidité fébrile et à la solitude de son héroïne avant d’approcher plein d’espoir l’être aimé tandis que All about Lily Chou-Chou soumet son protagoniste à un véritable chemin de croix pour un incertain échange final. Et Fireworks (1993) donnait carrément dans le récit conceptuel avec une alternative entre les prémices de la romance et son échec frustrant. Hana et Alice creuse le même sillon même s’il semble être un traitement plus lumineux et amusé de l’adolescence.

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Alors la nostalgie et/ou la frustration guidaient les romances inabouties des œuvres précédentes, Shunji Iwai joue ici d’un imaginaire en construction, en prise directe avec la vie de ses héroïnes. Lorsqu’un camarade qui lui plait mais qu’elle n’a su aborder se cogne accidentellement la tête, Hana s’immisce dans sa vie en lui laissant croire qu’il est amnésique et qu’elle est sa petite amie. L’absence de souvenirs plonge Miyamoto (Tomohiro Kaku) dans des abîmes de perplexité et de doutes, au point qu’Hana doit enjoliver le mensonge en lui faisant croire qu’Alice était son ex petite amie. Dès lors nos deux héroïnes construisent un passé imaginaire pour leur subterfuge, tout en déconstruisant leur présent où elles doivent faire croire qu’elles sont fâchées. Sous la dimension espiègle, Shunji Iwai façonne un captivant jeu de dupe qui permet d’explorer la personnalité des personnages. Le début du film ne donne ainsi que dans la vignette bondissante où l’on suit le quotidien d’Hana et Alice dont l’univers se résume à cette amitié fusionnelle. La vraie/fausse romance va alors servir à faire écho à leur vie personnelle. Alice est un substitut à la fois dans ce rôle de fausse ex mais également dans son quotidien.

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Sa mère célibataire nie son existence en présence d’un possible prétendant, elle est réduite à de la figuration dans ses tentatives artistiques lorsqu’elle passera un casting. La scène où elle observe de l’extérieur le premier rendez-vous galant d’Hana est emblématique de son statut de « second couteau ». Pourtant peu à peu Miyamoto va se trouver bien plus attiré par Alice (avec laquelle il se demande comment il a bien pu rompre) que par l’envahissante Hana, créant de superbes moments de romance décalée. Alice si empruntée en audition déploie des trésors d’improvisation amusée pour créer des souvenirs factices, petits surnoms et rituels avec Miyamoto au point que la force du sentiment amoureux amène celui-ci à « se souvenir » de certains. Shunji Iwai exploite à merveille l’allant rieur de Yu Aoi qui manie subtilement l’outrance comique et un cœur qui s’agite bien réellement. Anne Suzuki n’est pas en reste avec un équilibre habile entre mimiques grotesques et l’expression d’un vrai dépit amoureux, d’une impossibilité à être aimée dans la chimère comme dans le réel.

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C’est le second tournage en caméra numérique pour Shunji Iwai et son indispensable directeur photo Noboru Shinoda. Le travail sur l’image est fabuleux avec une texture qui traduit la (fausse) nostalgie de Love Letter et April Story, mais masque surtout la crudité immédiate d’un triangle amoureux qui s’ignore. La ballade sur la plage du trio passe ainsi par ce voile du souvenir factice (les nuances diaphane lors du saut à la corde, les volutes du soleil durant le pique-nique) avant qu’un rebondissement mette au grand jour la rivalité amoureuse des deux amies et que l’image se fasse plus crue, la mise en scène plus heurtée. Les petites idées narratives ludiques et le vaudeville adolescent fonctionnent à plein, laissant progressivement s’immiscer la mélancolie si chère à Shunji Iwai. L’onirisme et la rêverie s’invitent de façon plus (les hallucinations « souvenirs » de Miyamoto) ou moins (l’éclat irréel des fleurs du jardin d’Hana) explicite durant le récit, pour enfin s’épanouir dans un pur moment de grâce final. L’accomplissement d’Alice passe par une scène de ballet absolument magique où le personnage enfin au premier plan et en confiance happe les regards par un numéro spontané et libéré. Le regret et la frustration des œuvres précédentes n’ont pas cours dans une adolescence de tous les possibles où un garçon ne rompra certainement pas l’amitié d’Hana et Alice. Une belle réussite à laquelle Shunji Iwai donnera une préquelle avec Hana et Alice mènent l’enquête (2015) sous forme de film d’animation où Anne Suzuki et Yu Aoi reprennent leurs rôle au doublage. 5/6

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The Little Girl Who Conquered Time de Nobuhiko Obayashi (1983)

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Yoshiyama est une étudiante qui voit sa vie bousculée par d'étranges rêves prémonitoires suite à sa perte de connaissance dans le laboratoire de son lycée. Elle confie alors son secret à son ami Fukamachi…

Nobuhiko Obayashi reste essentiellement connu (du moins pour le cinéphile occidental) pour House (1977), premier film furieux et inventif oscillant entre délire pop expérimental, conte gothique azimuté et troublant coming of age adolescent. Le réalisateur y déployait tout son passif dans le cinéma d’avant-garde dans un tout accessible et délirant à la fois. Par la suite Obayashi mènera une longue et intéressante carrière même si moins saluée que son coup d’éclat initial. Au Japon néanmoins Toki o Kakeru Shōjo est une œuvre au moins aussi populaire que House. Le film est l’adaptation d’un roman de Yasutaka Tsutsui, maître de la science-fiction japonaise et notamment connu pour le magistral Paprika (2007) que Satoshi Kon transposera d’un autre de ses ouvrages. Le film croise habilement la veine expérimentale d’Obayashi avec les thématiques SF autour du réel disloqué de Yasutaka Tsuitsui, les deux se rejoignant dans les questionnements adolescents du récit. Kazuko (Tomoyo Harada) est une lycéenne japonaise candide formant un triangle amoureux qui s’ignore entre l’attachant mais balourd Goro (Toshinori Omi) et le sensible Kazuo (Ryōichi Takayanagi). Les premières minutes nous donne quasiment les clés du mystère à venir avec cette scène poétique où Kazuko admire les étoiles en compagnie de Goro avant que Kazuo surgisse pour captiver l’attention de la jeune fille. Un Kazuo charmant de douceur qui s’éclipse pour aller cueillir des fleurs manquant de rater le train de retour d’expédition scolaire. Cette entrée en matière laisse croire que Obayashi n’a pas mis la pédale douce sur l’expérimentation formelle puis qu’en deux séquences on passe du noir et blanc à la couleur, du format 4/3 au 1.85, et que l’artificialité de ce ciel étoilé ainsi que les incrustation bariolée au fenêtre du train vont nous plonger dans un monde aussi délirant que House.

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Il n’en sera rien, l’ensemble demeure assez sobre et l’étrange ne s’invite que progressivement après que Kazuko ait perdu connaissance en respirant un curieux parfum de lavande en salle de chimie où elle traquait un intrus. Le récit croise alors un quotidien dont la paisibilité s’altère peu à peu pur Kazuko. Des accélérations inattendues ou effets de montages cut viennent zébrer les instants de vie anodins, faisant perdre pied à Kazuko. Ces dérèglements imperceptibles pour son entourage finissent par avoir des conséquences qui vont faire doute l’adolescente de sa raison puisqu’elle semble vivre de façon prémonitoire deux fois les mêmes journées. Obayashi joue à la fois de la répétitivité (les scènes de réveil dans un effet qui annonce le Un Jour sans fin d’Harold Ramis (1993)) et de l’imperceptible avec le comportement volontairement ou pas décalé de Kazuko au fil de sa prise de conscience. Elle est constamment prise de cours qu’elle puisse anticiper ou pas les évènements à son avantage : sauver Goro d’un incident, mieux répondre à l’interro surprise d’un professeur mal négociée initialement. Ce trouble permanent repose sur l’argument fantastique du film, mais aussi sur celui plus sentimental. Le bourru Goro est typique d’un adolescent de son âge dans sa maladresse et son naturel quand à l’inverse Kazuo semble le petit ami idéal, prévenant et attentionné mais semblant pourtant maintenir un certain recul alors qu’on pourrait basculer dans la romance. La réalité déréglée de Kazuko se conjugue ainsi à ce trouble amoureux et occasionne de beaux moments de romance suspendue. Le fait que la gêne de notre héroïne soit moins manifeste lorsque les évènements se rejouent en compagnie de Kazuo est d’ailleurs une forme d’indice…

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Obayashi tourne le film dans sa ville natale, baignant l’ensemble d’une atmosphère nostalgique et provinciale troublante autant due au réel qui échappe à Kazuko que d’éléments plus personnels et intimes pour le réalisateur. En effet, aux évènements anodins qui se rejouent pour Kazuko s’y ajoutent d’autres plus dramatiques autour de la solitude et du deuil à travers ce couple de vieillards seuls au monde ou ayant encore leur petit fils selon les niveaux de réalité. A l’apaisement concret avec un proche bien vivant succède alors un épilogue plus amer et mélancolique où le doux parfum des fleurs et les objets du disparu entretiennent la mémoire. C’est une forme d’apprentissage pour Kazuko qui à travers l’aventure dit un peu aussi adieu à son enfance pour devenir une jeune femme, le renoncement à un doux souvenir d’enfance jouant à la fois sur son cheminement intime et l’élément SF de l’histoire. Obayashi parvient à mener de front ces deux facettes qui culminent dans un étourdissant final où Kazuko remonte le temps pour revenir à l’incident initial. Le réalisateur use de photographies qu’il anime en stop-motion pour donner une dimension saccadée et mentale de ce voyage temporel enfin conscient où Kazuko revisite son enfance pour mieux la quitter.

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Les incrustations et quelques éléments animés sont certes un peu kitsch mais distille la même magie que dans House, l’extravagance et l’excentricité cédant à une pure approche émotionnelle ici. La jeune Tomoyo Harada dans son premier rôle au cinéma est absolument remarquable d’innocence et de fragilité, notamment dans l’ultime renoncement final. Obayashi signe là une œuvre culte largement exploitée par la suite, d’abord dans un téléfilm adaptant le roman en 1985, un nouveau film cinéma en 1997 (où Tomoyo Harada est la narratrice) et 2010 et surtout la suite/remake brillantissime (qui égale voire dépasse l’original) qu’est le film d’animation La Traversée du temps (2006) qui mettra la carrière de Mamoru Hosoda sur orbite. 5/6

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Fireworks, Should We See It From the Side or the Bottom? de Shunji Iwai (1993)

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Norimichi et Yusuke semblent en pincer pour la même fille, la jolie mais discrète Nazuna. Cette dernière va alors commencer à agir étrangement : ses camarades de classe ne le savent pas encore, mais les parents de la jeune fille vont divorcer, et Nazuna devra quitter l'école et la ville pour suivre sa mère. Loin de tous ces premiers désordres amoureux, le reste de la joyeuse bande commence à se passionner pour cette journée qui doit se clôturer par un feu d'artifices. Mais une question les divise : les feux d'artifices sont-ils plats ou bien ronds, lorsqu'on les observe de côté ?

Shunji Iwai fait ses débuts à la télévision en 1988 et, tout en développant en parallèle ses autres talents artistiques (romancier, photographe…), s’y fait de plus en plus remarquer en signant des épisodes de drama et divers téléfilm. Le point culminant sur le petit écran qui contribuera à son passage au cinéma sera le téléfilm Fireworks réalisé et diffusé sur Fuji TV en 1993. L’adolescence apparaitra souvent en flashback sous forme de paradis perdu et innocent dans ses films à venir comme Love Letter (1995) et April Story (1998). Fireworks permet donc d’illustrer l’attrait de Shunji Iwai pour l’âge ingrat « au présent » en accompagnant un groupe de collégiens le temps d’une journée. Le charme, la mélancolie voire la noirceur (pour le plus oppressant All About Lily Chou-Chou (2001) de l’adolescence pour le réalisateur viennent des premiers émois amoureux souvent inassouvis. Ici les personnages se situent dans une tranche d’âge entre l’enfance et l’adolescence ce qui rend plus maladroite l’expression de leurs sentiments. Les seuls regards à la dérobée de Norimichi (Yuta Yamazaki) nous laisse donc deviner qu’il est secrètement amoureux de sa camarade Nazuna (Megumi Okina). Il le dissimule pourtant, d’autant que son copain Yusuke (Takayuki Sorita) a exprimé plus explicitement son amour et espère faire sa déclaration à Nazuna.

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Cette dernière va cependant devancer leurs attentes, pariant secrètement sur le vainqueur de leur course de natation pour l’inviter à voir les feux d’artifices avec elle. Norimichi échoue et voit la possibilité d’un moment agréable avec Nazuna s’éloigner. Ou pas. Shunji Iwai fait reposer son récit sur un « what if » qui capte à la fois la frustration de l’acte manqué et l’émerveillement de sa réussite. Cela passe par l’étude de caractères de ses personnages et l’inconséquence de leur âge. Yusuke se montre ainsi désinvolte et hésitant entre la compagnie des copains et celle d’une fille. Nazuna pour qui cette journée recèle il plus grande importance qu’il n’y parait semble aussi déterminée dans son désir de fugue que dans la résignation de son retour au foyer. Le « what if » repose donc sur une quête aussi futile que cruciale encore ancrée dans l’enfance (les feux d’artifices sont-ils plat ou rond vu de côté ?) et celle plus mystérieuse du rapprochement amoureux qui amorce l’entrée dans l’adolescence. Légèreté, rires futiles et odyssée en miniature sont de mise pour la première où Iwai laisse entrevoir l’influence des teen movie 80’s (Stand by me de Rob Reiner en tête, la photo bleutée façon Amblin), tandis que les silences complices et délicats premiers élans érotiques (Nazuna échangeant son kimono pour une robe derrière une barrière) transparaissent de la seconde et où là le style d’Iwai s’épanouit pleinement. Le charme suspendu et la sensualité timide de la scène nocturne de la piscine sont parfaits.

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L’esthétique du film traduit à la fois le début et la fin de quelque chose. L’atmosphère ensoleillée revêt une tonalité de fin d’été, la camaraderie totalement innocente des garçons s’achève (puisque l’un d’eux est prêt à les laisser pour suivre une fille) et l’on sait que la romance naissante entre Norichimi et Nazuna n’aura malheureusement pas de suite. L’ensemble de ces émotions contrastées culmine donc lors du fameux feu d’artifice (dans un émerveillement qui convoque Rencontre du troisième type) qui résout la grande question, et lorsque ces lumières s’estompent exprime cette idée de fin d’enfance. La forme est encore assez brute (le directeur photo Noboru Shinoda n’est pas encore là pour poser ses ambiances vaporeuses) mais Shunji Iwai brille déjà à faire ressentir dans un même élan l’immédiateté et le souvenir des premiers amours. Le moyen-métrage (50 minutes mais la maitrise du format court est aussi dans le sommet à venir April Story) fera sensation lors de sa diffusion, au point de bénéficier d’une sortie en salle deux ans plus tard grâce au succès de Love Letter. Son aura est si culte qu’il a bénéficié récemment d’un beau remake sous forme de film d’animation déférent à l’original, mais sachant aussi habilement s’en détacher par son ton influencé par Makoto Shinkai et un argument plus explicitement fantastique qui rappelle La Traversée du temps de Mamoru Hosoda. 5/6

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Comrades, Almost a Love Story de Peter Chan (1996)

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XiaoJun Li, jeune homme un peu simplet natif de Wuxih, débarque à Hong Kong dans le but de commencer une nouvelle vie, pour la partager par la suite avec sa petite amie XiaoTing Li, restée pour l'instant dans leur ville natale. Jun ne parle que le mandarin, ce qui rend difficile un quotidien dans une ville où les langues parlées sont le cantonais et l'anglais. Recueilli par sa tante Li, il trouve très vite un boulot en tant que livreur. Un soir, en quête de nouveauté, il rencontre dans un McDonald's une jeune caissière du nom de Qiao Li. Se faisant passer pour une fille native de Hong Kong, cette immigrante cantonaise va aider le jeune homme à s'intégrer dans un environnement encore tout inconnu pour Jun.

Comrades, Almost a Love Story est un magnifique mélodrame qui offre à Maggie Cheung un de ses plus beaux rôles et compte parmi ses plus gros succès à Hong Kong. Cette popularité est sans doute due à la romance du film qui se conjugue à une belle ode au migrant chinois qui sut parler à la communauté exilée hongkongaise. Le récit débute au milieu des années 80 quand le jeune Li Xiao-Jun (Leon Wai) débarque de sa Chine natale à Hong Kong pour démarrer une nouvelle vie. Le rythme urbain effréné, la barrière de la langue (il ne parle que mandarin quand le cantonais et l'anglais sont de rigueur) et la modernité croissante de la péninsule le dépasse rapidement, alors qu'il se tue à la tâche entre divers job de labeur. Alors que son statut de migrant saute aux yeux dans sa gaucherie constante, Li Xiao-Jun va rencontrer Qiao Li (Maggie Cheung) chinoise comme lui mais déjà parfaitement assimilée à Hong Kong. La première rencontre l'explicite de manière amusée quand Li Xiao-Jun voulant s'offrir un repas au Mac Donald avec son premier salaire peine à énumérer sa demande et que Qiao Li repérant le "plouc" révèle son invisible nature de migrante chinoise pour lui dire en mandarin. C'est ainsi que va débuter une relation tendre entre deux protagonistes aux antipodes l'un de l'autre.

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Qiao Li n'aspire qu'à la réussite matérielle, multipliant les petits boulots, le système D et les affaires plus ou moins rentables. Li Xiao-Jun est plus flou dans ses objectifs si ce n'est faire venir un jour sa fiancée (XiaoTing Li). Il suit donc naïvement Qiao Li dans toutes ses combines et accepte docilement de se faire parfois exploiter par elle. La force de Peter Chan est de parvenir à mêler dans un même élan l'urgence du quotidien harassant de ses héros prolo avec un romanesque qui s'installe sans prévenir. L'humour sert ainsi à éclairer la dimension réaliste par la répétitivité de certaines situations, les cavalcades à vélo de Li Xiao-Jun pour ses livraisons ou le rituel de la consultation du solde de son compte pour Qiao Li. Cette répétitivité fonctionne par le montage où au fil des mois, des saisons et des années les tâches, les quartiers traversés forment une boucle du quotidien qui façonne la complicité des personnages par un habile travaille sur le montage et le mouvement. Peter Chan pour amorcer la romance fige le duo dans une énième situation de galère (un job laborieux un soir de nouvel an) et use des même outils narratifs mais dans une volonté plus immédiate. L'urgence s'estompe sous la monotonie de ce nouvel an pluvieux et les confidences peuvent se faire (Maggie Cheung avouant enfin être chinoise et venir de Guangzhou). Le rapprochement intime se fait également par cet art du montage et du fondu poétique, d'abord par ces confidences (le jeu sur le temps qui passe dans les ellipses sur les postures figés des personnages) puis celui plus physique avec cette magnifique scène où une scène de séparation débouche sur une proximité sensuelle en diable. Li Xiao-Jun voulant couvrir Qiao Li avant qu'elle sorte sous la pluie l'habille d'une veste, puis de deux, les corps, puis les visages se rapprochent, avant de céder au désir galopant.

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La romance ne peut totalement s'accomplir cependant à cause de protagonistes qui regarde encore trop derrière (Li Xiao-Jun et sa fiancée) ou devant (Qiao Li et ses rêves de richesse) eux. Ils symbolisent à eux deux le drame de l'exilé qui vit dans le souvenir de ce qu'il a laissé et le profond désir de réussite justifiant son départ. Le fossé va ainsi se creuser dans une intrigue qui va progressivement se faire plus ample et jouer sur des codes plus classiques du mélodrame. Les idées formelles et narratives de Peter Chan transcendent pourtant la deuxième partie plus classique du film. La nostalgie des premiers temps difficiles est ainsi le ciment de l'amour entre Li Xiao-Jun et Quiali, même quand il seront éloignés humainement comme géographiquement. Lors du fameux soir de nouvel an, le couple vendait des disques de Teresa Teng, chanteuse chinoise immensément populaire qui réchauffe le cœur de la diaspora chinoise à Hong Kong et à travers le monde. L'artiste constitue ainsi un fil rouge (le titre original du film est d'ailleurs celui d'une de ses chansons) parfois physique mais surtout musical qui constituera à chaque fois des retrouvailles amoureuses poignantes. Le film lui est d'ailleurs dédié puisqu'elle décèdera prématurément en 1995, un an avant la sortie en salle. Peter Chan travaille donc constamment en alternance un lyrisme de l'instant sur la montée du sentiment et l'assouvissement du désir (la magnifique scène en voiture en la connexion semble brisée entre les amants et se ravive par une maladresse, les retrouvailles dans l'ancien logis miteux) et une fatalité qui dessine un espace plus vaste, un décor qui écrase les personnages. Toute la répétitivité visuelle joue sur le premier point quand les plans et compositions plus inattendues (Maggie Cheung seule au monde en plongée au milieu de Madison Square) travaillent le second.

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L'interprétation est au diapason. On a beau fantasmer en occident la Maggie Cheung papier glacée de In the Mood for love (2000), elle n'est jamais plus poignante que dans le registre plus naturel, gouailleur et authentique de la girl next door hongkongaise (Tsui Hark l'avait perçu dans L'Auberge du Dragon (1992) voire Green Snake (1993) où elle est bien délurée, Wong Kar Wai aussi dans As tear go by et Nos années sauvages (1990)). Elle offre donc une prestation magnifique ici, vulnérable, intense et superbement mise en valeur par les gros plans de Peter Chan scrutant chacune de ses nuances. Leon Wai n'est pas en reste et on retiendra aussi un étonnant Eric Tsang en petit ami gangster. Une belle réussite qui sera un temps invisible, puisque (au vu de la toile de fond) le gouvernement chinois interdira un temps son exploitation après la rétrocession avec une ressortie en 2013. 5/6

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Farewell, China de Clara Law (1990)

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En 1996 Maggie Cheung trouvera un de ses rôles les plus célèbres à Hong Kong dans Comrades,Almost a love story de Peter Chan, mélo flamboyant où elle incarne une migrante chinoise exilée à Hong Kong puis aux Etats-Unis. Sur un postulat voisin elle avait trouvé un rôle voisin dans le bien plus sombre et injustement méconnu Farewell, China de Clara Law qui nous montre avec une infinie noirceur le sort du migrant chinois. Hung (Maggie Cheung) est une jeune mère de famille cherchant à obtenir un visa pour étudier aux Etats-Unis, espérant gagner assez pour plus tard faire venir son mari Nansan (Tony Leung Kar Fai) et leur bébé. Le début du film nous montre ainsi, d’attente interminable devant le consulat en supplique envers la froideur administrative anglo-saxonne, l’espoir démesuré que qu’ont les chinois en cet ailleurs synonyme de réussite. La première partie adopte le point de vue de Nansan resté au pays, et n’entrevoyant l’expérience américaine de Hung qu’à travers ses lettres. Celles-ci exprimeront d’abord un optimisme de façade, puis un désir désespéré de retour (que Nansan lui refuse en lui demandant d’assurer l’avenir de leur enfant) puis enfin une inattendue demande de divorce qui scelle l’échange épistolaire. Nansan va donc s’endetter et braver les frontières pour retrouver son épouse à New York et comprendre cette bascule. Le rendu réaliste et quasi documentaire ressenti dans les séquences chinoises se fait alors bien plus cru dès que l’on arrive à New York. Deux narrations s’entrecroisent, celle des pérégrinations urbaines de Nansan et celle des flashbacks où au fil des interlocuteurs rencontrés il remonte le fil du tragique vécu de son épouse introuvable. On découvre ainsi le dénuement du migrant chinois bafouillant la langue, sans relation pour l’aider, et plongé dans un New York glauque et interlope.

On retrouve l’atmosphère poisseuse et oppressante d’une foule de fiction ayant le New York menaçant de cette période pour cadre (After Hours de Martin Scorsese, les premiers films d’Abel Ferrara) mais sans la dimension hallucinée du cinéma de genre, juste une vision crue et choquante pour l’étranger sans repères. Si par intermittence un semblant d’humour peut s’inviter dans le parcours de Nansan, les flashbacks de Hung sont absolument glaçants, par l’environnement sinistre bien sûr mais surtout par ce que Clara Law parvient à traduire des peurs d’une femme seule et déracinée. Ces peurs sont parfois ainsi démesurées (sa réaction violente quand un homme l’invitera à prendre un verre) et à d’autres moments totalement justifiées par la violence ambiante avec une saisissante agression nocturne. Squats insalubres, populations interlopes et imprévisibles, tout cela constitue un ensemble qui oblige à s’adapter ou sombrer. Nansan a un aperçu de l’avilissement que réclame l’instinct de survie avec l’adolescente fugueuse jouée par Hayley Lan, et bien un terrible témoignage quand il retrouvera enfin Hung. A travers la condition chinoise, Clara Law dépeint bien les différences culturelles qui créent pour l’exilé un fossé entre le ressenti sur sa terre d’accueil et les attentes de ceux qu’il a laissé sur celle de ses origines. Ainsi après avoir encouragé Hung à rester à New York sans savoir les épreuves qu’elle traversait, Nansan vit exactement la même situation avec ses parents quand il leur annonce vouloir rentrer. L’ailleurs représente un avenir quand on rêve d’y accéder, et une impasse lorsqu’on s’y confronte.

Cela façonne une schizophrénie latente pour le migrant, pour tragiquement concrète lors de la conclusion. Tony Leug Kar fai qu’on a l’habitude de voir dans un registre plus viril et séducteur livre une magnifique performance, toute en vulnérabilité désespérée. Quant à Maggie Cheung la narration en kaléidoscope lui permet d’incarner un véritable mystère vivant, à la fois désespérée, calculatrice ou séductrice selon les « rôles » qu’elle doit endosser pour survivre. C’est d’autant plus épatant quand on sait le registre différent et plus lumineux qu’elle saura adopter pour son autre rôle d’exilée solitaire dans Comrades, Almost a love story. 5/6
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Re: Le cinéma asiatique

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The Soong Sisters de Mabel Cheung (1997)

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On y dépeint la vie de trois sœurs au destin hors du commun, filles de Charles Song, missionnaire méthodiste devenu un riche entrepreneur et l'ami de Sun Yat-sen. La plus âgée, Ai-ling, va épouser l'un des hommes les plus riches de Chine, le banquier Kong Xiangxi. La seconde, Ching-ling, épouse le révolutionnaire Sun Yat-sen, premier président de Chine, et poursuivra son œuvre après sa mort. La plus jeune, May-ling, épousera Tchang Kaï-chek, le généralissime et leader nationaliste.

The Soong Sisters est une fresque historique qui s'attache au destin des soeurs Soong, trois femmes chinoises au destin hors du commun puisqu'elles épousèrent chacune des figures historiques majeures de la Chine du XXe siècle et eurent une importance significatives dans leurs agissements. Le film sort en 1997, année de la rétrocession de Hong Kong à la Chine et, sans atteindre la censure (ou l'autocensure) qu'impose l'actuel pouvoir chinois sur la production de Hong Kong, le film se montre à la fois critique et déférent sur plusieurs points et altérations historiques. La volonté d'entamer de manière sereine la coexistence avec la Chine explique cela, notamment à travers une partie du tournage qui se fera à Pékin, et 14 minutes qui finiront coupées au montage.

Le film démarre comme un conte de fée à travers une ritournelle connue de la Chine populaire.

Il était une fois trois soeurs, L'une aimait l'argent, la deuxième la Chine, et la troisième le pouvoir.

Ces contours grossiers dessinent le caractère des trois sœurs même s'ils seront plus nuancés durant le film. Une scène l'explicite d'ailleurs fort bien par l'image dès les premiers instants. Imprégnés dès l'enfance par leur père sur les préceptes de la révolution, les soeurs sont contraintes de brûler leurs jouets occidentaux lors d'une grande purge. Chacune agira selon la caractérisation que la comptine fait d'elle, Ching-ling (celle qui aime son pays) jette sa poupée sans hésitation, Ai-ling (celle aimant l'argent) fait mine de d'agir de même mais dissimule un jouet et Mai-ling (celle voulant le pouvoir) obéit la mort dans l'âme. La première partie s'attarde sur la conviction révolutionnaire de leur père Charles Soong (Jiang Wen) rêvant d'une Chine libre et moderne et qui inculque une culture occidentale à ses filles et les envoie étudier aux Etats-Unis. Ching-ling (Maggie Cheung) va devenir la secrétaire puis l'épouse Sun Yat-sen (Winston Chao) révolutionnaire, père de la Chine moderne et futur premier président du pays. Le scénario endosse une veine romanesque pour poser son discours, l'amour mêlant à l'amour de la nation dans le choix amoureux de Ching-ling qui défie alors son père (retrouvant des réflexes patriarcaux loin de ses idées modernes) qui s'oppose à cette union. La réalisatrice Clara Cheung magnifie totalement Maggie Cheung, basculant de cette esthétique de conte initiale (la scène où elle fuit le domicile familiale dans une lumière bleutée et féérique) à la figure iconique à travers quelques péripéties grandioses (comme lorsque Ching-ling traversera les lignes ennemies pour retrouver à bout de forces son époux, ou quand elle testera le premier avion de fabrication chinoise). Son identité de femme s'estompe donc progressivement pour devenir d'abord la fidèle compagne du grand homme, puis la gardienne de son héritage politique après sa mort prématurée.

Le romanesque s'entremêle à nouveau à la grande Histoire pour May-ling (Vivian Wu) va épouser Tchang Kaï-chek (Wu Hsing-kuo), militaire chef de file des nationalistes du Kuomintang qui deviendra président après Sun Yat-sen. C'est une figure impulsive et autoritaire que May-ling épouse par pure ambition, sur les conseils de sa soeurs aînée Ai-ling (Michelle Yeoh) qui y anticipe l'influence et le profit financier à en tirer, elle qui s'est mariée à un riche homme d'affaire. Tout en se montrant très didactique sur les soubresauts de les l'histoire de la Chine à cette période, le film ne nous égare jamais en revenant constamment à sa dimension familiale. La guerre civile entre communiste et nationaliste est ainsi également un déchirement intime entre Ching-ling voyant bafoué l'héritage de Sun Yat-sen et May-ling dont l'époux écrase l'opposition. La caractérisation négative de Tchang Kaï-chek opposée aux figures communistes plus nobles et anonyme semble être un raccourci et une concession mais la veine intimiste parvient à surmonter ces écueils. Clara Cheung croise à merveille les moments d'agitations sociaux-politiques qui se joue à la fois dans la rue, l'alcôve des bureaux politiques et donc dans le cadre familial sorti de sa neutralité. Le récit retombe sur ses pattes dans l'unité qui se fera au sein de la nation face à l'envahisseur japonais qui profite de ces tumultes internes.

L'interprétation est grandiose, notamment une Maggie Cheung qui endosse pleinement l'aura et l'autorité de son personnage tout en maintenant une vraie vulnérabilité. Michelle Yeoh parait faussement plus effacée mais fait figure d'éminence grise ambitieuse à l'image des intérêts financier de son personnage, et Viviane Wu impressionne en gagnant en une scène magistrale ses galons d’héroïne nationale. Le scénario avec le choix de ces trois stars appuie ses élans féministes puisque dans la réalité les soeurs Soong avaient des frères qui eurent un rôle majeur aussi dans les évènements mais qui sont totalement absent du film (tout comme d'autres figures historiques comme Mao Zedong). Le budget pharaonique est bien visible à l'écran à travers une reconstitution soignée, des scènes de batailles spectaculaires et surtout la ferveur de ses séquences nationalistes. L'atterrissage d'un avion offre donc un moment épique qui associe l'union nationale, l'unité familiale et le pouvoir de l'argent (les possesseurs de voiture ayant été grassement payés par Ai-ling pour éclairer une piste de fortune et faire atterrir l'avion où se trouve sa sœur). Belle épopée donc malgré quelques raccourcis (qui seraient sans doute lus grossier aujourd'hui avec la plus grande mainmise chinoise ou en tout cas l'autocensure dans la production hongkongaise) portée par trois magnifiques actrices. 4,5/6
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Profondo Rosso
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A Fishy Story de Anthony Chan (1989)

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Si les premières et mythiques collaborations avec Wong Kar Wai (As Tears go by (1988) et surtout Nos années sauvages (1990)) et les prestations remarquées dans le cinéma d’auteur hongkongais (Song of Exile de Ann Hui (1989), Full moon in New York et Center Stage de Stanley Kwan (1991)) placent Maggie Cheung sous les radars cinéphiles locaux et internationaux, c’est véritablement avec A Fishy story qu’elle va gagner une immense popularité à Hong Kong avec ce qui est un de ses plus beaux rôles. Peut-être influencé par sen enfance entre Hong Kong et l’Angleterre, Maggie Cheung aura souvent choisit des personnages hésitant entre deux mondes, aspirant à l’ailleurs puis s’y morfondant de la patrie une fois atteint. C’est tout le questionnement des héroïnes de Full Moon in New York, Farewell, China (1990) ou encore Comrades, almost a love story (1996). A Fishy Story reprend cette idée mais en inverse la dynamique, avec cette fois Huang (Maggie Cheung) aspirante starlette de cinéma coincée à Hong Kong mais qui ne rêve que de gloire aux Etats-Unis. Cette chimère dépend pourtant bien plus du bon vouloir de « bienfaiteurs » intéressé que de son possible talent. On le comprend bien au début du film où elle est installée dans un appartement cossu par un réalisateur et protecteur libidineux. A l’étage au-dessus vit Kung (Kenny Bee), taxi sans licence qui lutte pour joindre les deux bouts. Les deux personnages vont se lier et s’entraider, Kung faisant office de chauffeur pour Huang qui en profite pour faire des arrivées pétaradantes de star glamour dans les studios de tournage.

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Le début du film est trépidant, fonctionnant dans une pure veine de screwball comedy où la délurée Huang mène par le but du nez un Kung dépassé. Le réel va pourtant malmener plus d’une fois nos héros. Le réalisateur Anthony Chan l’exprime en oppressant les personnages à travers différents éléments formels et dramatiques. En ne cédant pas aux avances du réalisateur, Huang est ainsi métaphoriquement écrasée dans une scène de « film dans le film » avec une séquence de comédie musicale où des prostituées (et rivales de casting dans l’envers du décor) la tabassent pour avoir empiété leur territoire. La réalité de ce Hong Kong agités par les soubresauts économiques et sociaux vient également briser le rêve quand Huang et Kung se retrouvent happés dans une manifestation communiste. La face sombre du glamour et l’obscurantisme idéologique dépassent les personnages qui n’aspirent qu’à une existence plus douce et le réalisateur use habilement d’une grandiloquence bariolée ou cauchemardesque pour montrer l’impasse de ces deux directions. Huang et Kung voientt d’ailleurs chez l’autre le miroir de l’avilissement qui les guette. Kung est entretenu par une ancienne fiancée (Josephine Koo) qui a quitté sa misère en devenant la maîtresse d’un nanti. Huang subit quant à elle la cour assidue d’un producteur hongkongais installé aux Etats-Unis et l’incite à le rejoindre. Un rebondissement à mi-film humanise alors magnifiquement la frivole Huang, lui faisant comprendre la vacuité de son ambition et ce qu’elle lui a sacrifiée. La métamorphose de Maggie Cheung de la joyeuse écervelée à la femme torturée et rongée de remords est absolument bouleversante. Toute l’outrance première de sa prestation ne servait qu’à rendre plus intense encore la bascule, notamment un magnifique moment trempée par la pluie elle recherche enfin le réconfort de Kung, le seul homme droit et aimant qu’elle connaisse.

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Dès lors le contour sophistiqué et clinquant du film s’estompe volontairement, les aspirations au jour le jour et la vie plus modeste façonnant un écrin de bonheur enfin authentique pour les personnages. Mais c’est un répit que n’est pas prêt à leur accorder le monde qui les entoure, le leitmotiv des paillettes et de l’aveuglement sociaux politiques revenant les hanter de façon plus sinistre encore. Cet équilibre entre le conte (et l’hommage hollywoodien assumé) et la fange hongkongaise est remarquablement tenu, la bande-son pleine d’emphase Richard Yuen, les compositions de plan de Anthony Chan et la photo Peter Pau (toutes les scènes sur le toit avec les arrière-plans de ciel où les avions décollent) façonnant un brillant écrin où le mélo peut tutoyer des cimes d’émotions. C’est tout le délicat enjeu de la dernière scène, où l’inéluctable violence d’une situation débouche sur un pur final de conte, où le réel du cadre cède à la facticité et laisse couple s’échapper des ténèbres vers une lumière pleine d’espoir. Une superbe réussite qui vaudra à Maggie Cheung une première grande reconnaissance avec le Prix de la Meilleure actrice lors des Hong Kong Film Awards. 5/6

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Mama Grande!
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Re: Le cinéma asiatique

Message par Mama Grande! »

Le dernier film de Shunji Iwai s'appelle Last Letter et est sorti fin janvier au Japon. Fait intéressant, Hideaki "Evangelion" Anno y interprète un rôle secondaire, par amitié pour Iwai je suppose.

Pour ce qui est du film, il s'agit d'un mélodrame dans la lignée de Love Letter (comme vous aurez pu le deviner). L'histoire s'ouvre sur les funérailles d'une femme, Misaki, laissant une fille adolescente orpheline. Une lettre lui était destinée: c'était une invitation pour la réunion des anciens élèves de son lycée à Sendai. Sa soeur, Yuri, se rendra à la réunion pour avertir de la mort de Misaki. Mais sur place, tout le monde la prend pour Misaki, et elle ne rectifie pas leur erreur. Kyotaro, un ancien élève amoureux de Misaki et présent lors de la réunion, se prend aussi au jeu...

Je connais assez mal Iwai, mais j'ai retrouvé ce qui m'avait le plus plu dans d'autres de ses oeuvres: la douceur. La douceur de la photographie, la douceur avec laquelle il filme les larmes et les rires des adolescentes, le goût doux amer des souvenirs. Sans cynisme, il raconte avec simplicité un mélo parfois complexe par ses strates temporelles et ses jeux d'identités. L'émotion passe, et j'espère qu'il connaîtra l'honneur d'une sortie française.

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Re: Le cinéma asiatique

Message par Spike »

Mama Grande! a écrit :Le dernier film de Shunji Iwai s'appelle Last Letter et est sorti fin janvier au Japon. Fait intéressant, Hideaki "Evangelion" Anno y interprète un rôle secondaire, par amitié pour Iwai je suppose.
Une retour d'ascenseur en quelque sorte : c'est Shunji Iwai qui jouait le protagoniste du film Shiki-Jitsu de Hideaki Anno.
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