Attention : spoilers au troisième paragraphe.
L’Envol de Pietro Marcello possède des lignes de claires. Un poilu rentre de la guerre retrouver sa famille. Sa femme est morte, il voit sa fille pour la première fois. L’homme peine à trouver du travail dans un village où pèse le poids du silence et du tabou. Sa fille grandit, mâtinée des imprécations et des rêves de deux sorcières. Restée avec son père jusqu’à sa vingtième année, un avion passe. Le rêve semble possible, même si tout renvoie la jeune fille à la terre.
Il est de ces films qui ne cherchent pas à réinventer le monde, mais qui creusent un sillon à la fois personnel et esthétique. Personnel, c’est le rêve de l’exploration et du voyage, déjà consacré dans le précédent long métrage du réalisateur,
Martin Eden. Esthétique, c’est cette volonté d’intégrer cette fiction dans la grande Histoire, ici le contexte de l’entre-deux guerres. Alliant images d’archives colorisées et étalonnages similis, Pietro Marcello fait de son long-métrage un vrai faux film d’époque.
Si les affiches du film mettent l’accent sur l’amour naissant entre Juliette (un premier rôle pour Juliette Jouan) et Jean, il ne faut pas oublier la figure prépondérante du père, joué par Raphaël Thiéry. Un père rejeté, exclu, mais jamais violent. Il est un artisan, aux mains proprement titanesques. Il est capable de tout créer : jouets, sculpture, et piano qu'il accorde lui-même. Ses mains sont faites « d’or ». Il vit pour sa fille et son travail. Figure sacrificielle, il est l’ancre qui rassure Juliette et l’accroche à la terre. C’est pour lui qu’elle refusera de partir au collège, pour ne pas qu’il soit seul, laissant à plus tard la possibilité de son envol. Il faudra ainsi attendre la mort du père, accomplissant son destin de redonner vie par l’art à sa défunte épouse, pour que Juliette puisse se libérer, non pas d’une étreinte malfaisante, mais de ses propres peurs. Il faut noter que le personnage de Jean, joué par Louis Garrel, n’est pas une figure de substitution paternelle, bien au contraire. C’est Juliette qui est toujours à l’initiative : du chant, du baiser, de la reconstruction.