Jerzy Skolimowski

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Jeremy Fox
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Re: Jerzy Skolimowski

Message par Jeremy Fox »

2019 sera l'année Jerzy Skolimovski. En salle, Malavida lui consacre une rétrospective en 4 films à partir de ce mercredi. L'occasion de découvrir ou redécouvrir en salle, dans des copies restaurées, son remarquable et étonnant premier film, Signes Particuliers : Néant, ainsi que le renommé Travail au noir.
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Jeremy Fox
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Re: Jerzy Skolimowski

Message par Jeremy Fox »

Deuxième vague de la rétrospective consacrée par Malavida à Jerzy Skolimowski. Cette semaine, c'est Walkover, le second film du cinéaste polonais, et Le Bateau Phare, polar étrange et captivant porté par un casting de luxe qui sont à l'honneur. Une belle occasion de découvrir en salle ces deux films dans des versions restaurés, respectivement en 2K et en 4K.
bruce randylan
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Re: Jerzy Skolimowski

Message par bruce randylan »

Les deux derniers Skolimowski qui me restaient à voir 8)

Les aventures du brigadier Gérard (The Adventures of Gerard - 1970)
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Durant la campagne de Napoléon en Espagne, un brigadier français, fantasque et naïf, est utilisé par ses officiers pour délivrer de fausses informations aux anglais. Dans sa mission, il s'attire les foudres d'une aristocrate locale qui essaie de défendre son domaine pris entre deux feux.

Renié par le cinéaste qui vécu très mal cette expérience où il rentra en conflit avec les producteurs qui voulurent le renvoyer en cours de tournage et qui montèrent film sans son consentement, c'est peu dire que les Aventures du brigadier Gérard est tombé dans l'oublie malgré son casting alléchant composé de Claudia Cardinale, d'Eli Wallach et de Peter Mcenery dans le rôle titre.
Contre toute-attente, c'est une comédie très plaisante, une sorte de comédie d'aventures burlesque entre Philippe de Broca et Richard Lester, en moins hystérique heureusement.
On y trouve beaucoup de second degré, de décontraction, de rythme, entre le pastiche et l'esprit pop avec ce que ça implique de référence au western spaghetti et à la nouvelle vague (revu et corrigé façon cartoon). Mine de rien, on retrouve la fraîcheur du cinéaste, sa liberté de ton et un style imprévisible. Je dirais même qu'on sent à plusieurs reprises un vrai plaisir de filmer dans les extérieurs, profitant de son budget confortable et divers péripéties enlevées. Cela se ressent dans ses comédiens que j'ai trouvé irrésistibles, à commencer par Peter Mcenery qui est excellent en Brigadier Gérard, arrogant, maladroit, malicieux, espiègle, sûr de lui, séducteur, pétillant... Il incarne parfaitement l'essence du film et permet de compenser en partie les lacunes, parfois bricolée, du film : voix-off, introduction totalement remontée qui fonctionne comme un teasing à ce qui va venir, humour noir de plus en plus en retrait, Eli Wallach qui semble ne pas comprendre ce qu'on attend de lui.

Les aventures du brigadier Gérard n'est assurément pas une œuvre majeure du cinéaste mais en tant que divertissement léger et ludique, ca rempli parfaitement son travail avec pas mal de situations décalées et anachroniques.


Les eaux printanières (Torrents of Spring - 1989)
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De passage en Allemagne, Dimitri Sanin, un aristocrate russe dont la fortune est presque épuisée, tombe amoureux de la fille d'un simple confiseur. Or celle-ci est déjà fiancée et lors d'une sortie avec ce dernier, Dimitri attire sans le vouloir l'attention d'une princesse qui cherche à le séduire.

Bien qu'adapté d'Ivan Tourgueniev, on pense surtout à Valmont/les liaisons dangereuses dans ce drame romantique et vénéneux où règnent candeur, manipulation, séduction et provocation.
Une nouvelle fois le cinéaste témoigne autant d'éclectisme et d'aisance, s'appropriant sans mal le matériel pour composer un petit bijou d'élégance, de sensualité et d'écriture. Loin d'être un spécialiste de l’œuvre du romancier, ou de cette période historique, j'ai eu l'impression que Skolimowski retranscrivait à merveille la culture malgré un tournage en anglais en Italie grâce à une formidable photographie lumineuse et chatoyante, une mise en scène vivante et enlevée ainsi qu'un lyrisme qui s'appuie grandement sur ses décors naturels. A aucun moment, je n'ai eu l'impression d'être devant une œuvre littéraire, ampoulée ou écrasée par sa reconstitution, sans doute car Skolimoswki reste lui-même et injecte régulièrement des touches d'humour ou irréelles pour faire respirer des moments dramatiques ou pour casser la solennité de plusieurs moments (la rencontre avec le chat dans l'arbre, la fête foraine, le duel aux pistolet, la présence d'animaux durant le repas à 4, le carnaval à Venise...).
C'est un manière habile et intelligente de briser et détourner des séquences obligées et maintes fois représentées. Il n'y a pourtant aucune ironie dans cette histoire qui commence dans la pureté virginale pour se terminer dans une cruauté aussi mélancolique qu'amère, bien que la conclusion soit un peu précipitée comme si le cinéaste avait perdu le contrôle de son film dans la dernière ligne droite (faute de budget ? Remaniement au montage ?).
Ca n'altère en rien heureusement la beauté solaire de sa première partie ni la lente dérive obsessionnelle de la seconde moitié qui culmine dans une séquence crépusculaire dans un château en ruine d'une beauté à couper le souffle avant de cristalliser les tensions d'un trio lors d'une repas où les âmes se mettent à nue, personnifiés divinement par Timothy Hutton (qui maîtrise la polka russe à la perfection !), Nastassja Kinski et Valeria Golino.

Typique d'un film que je rêve de voir réhabiliter avec une restauration qui rendrait justice à sa photographie virtuose.
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Alexandre Angel
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Re: Jerzy Skolimowski

Message par Alexandre Angel »

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Je souhaitais revenir un peu sur ce très beau film, qui est d'ores et déjà un des temps forts de l'année et célébrer un des grands inventeurs de formes du cinéma moderne même si sa carrière se sera révélée erratique (17 ans séparent Ferdydurke de Quatre nuits avec Anna).

Variation stupéfiante sur le thème du génial Au hasard Balthazar, de Robert Bresson, qui narrait déjà en 1966 les pérégrinations d'un baudet, victime sacrificielle des vicissitudes humaines, EO reconduit la thématique avec une opacité accrue quant à un délié scénaristique dont on ne saura jamais si le temps imparti à la projection est plutôt nécessaire que suffisant(le Bresson présentait une durée ramassée).

En l'état, EO, tout aussi pessimiste que son aîné, se présente comme un rêve à la fois baroque et d'un expressionnisme rutilant, sensoriel, zébré de marbrures formelles qui ont généré en moi une forme d'exaltation esthétique dont je n'attendais pas le moins du monde la survenue.
L'effet Koulechov qui maintenait l'âne de Bresson dans un stoïcisme raccord avec l'écriture de son auteur trouve ici à se faire dévier vers une captation d'attitude animale qui fait du dernier Skolimowski probablement un des plus beaux films anthropomorphiques jamais réalisés. L'âne (en fait, comme souvent, ils sont plusieurs) recruté par Skolimowski est bouleversant d'expressivité jamais forcée mais toujours captée. Et je n'oublierais jamais son regard, hagard et inquiet, lorsqu'il pénètre dans un haras arpenté par un cheval, se mouvant au ralenti de ses déhanchements patriciens.

L'impact premier d'EO est celui d'une œuvre incantatoire, portée par la musique exceptionnelle de Pawel Mykietyn et par une imagerie qui évoquerait presque l'inspiration d'un Bartabbas pour l'extrême attention graphique portée au filmage de la gente équestre (la scène de nervosité, à la limite de la rage, des chevaux lors de l'arrivée d'EO est la plus impressionnante dans le genre que j'ai pu voir).

Mais très vite, l'on sait que nous nous trouvons lové au sein de la créativité d'un artiste percutant, imprévisible dont la poétique brutale résonne avec celle d'autres créateurs polonais tels Polanski ou Kieslowski, notamment par l'utilisation de focales courtes maintenant le spectateur dans un état récurrent de perception hallucinée.

C'est que la richesse formelle d'EO se fonde essentiellement (car il s'agit là d'essence, dans son acception sensitive) sur la coexistence plastique de la nature et de la technologie, mais de façon plus fondue, organique et poétiquement brute que chez un Leos Carax, par exemple. Il y a là-dedans quelque chose de primitif qui fait d'EO presque plus, tout bien considéré, une variation sur Essential Killing (dans "essentiel", il y a essence), le dernier grand film de Skolimowski, moins aimable toutefois, plus âpre formellement en tout cas, qu'EO), où les errances géographiques de Vincent Gallo présentaient d'étranges similitudes avec celles de l'âne.

EO est un poème de notre temps conçu par un cinéaste âgé et ultra-moderne qui nous parle, en ces temps de réchauffement climatique et d'inquiétudes philosophiques , et sans avoir l'air d'assener, de la condition animale, humanité comprise.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Supfiction
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Re: Jerzy Skolimowski

Message par Supfiction »

L’âne est formidablement touchant (dur de remanger du saucisson d’âne après ça) mais j’ai trouvé que tout ce qui concernait les humains n’était guère passionnant. Le pompon étant le segment Isabelle Huppert dont je ne comprends toujours pas l’intérêt.
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Alexandre Angel
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Re: Jerzy Skolimowski

Message par Alexandre Angel »

Supfiction a écrit : 7 nov. 22, 13:18 L’âne est formidablement touchant (dur de remanger du saucisson d’âne après ça) mais j’ai trouvé que tout ce qui concernait les humains n’était guère passionnant.
De ce point de vue, ni plus ni moins que dans le Bresson (même si il faut éviter de trop comparer les deux films).
Je ne suis pas sûr que ça ait beaucoup d'importance. Avant d'être des personnages, les humains, dans EO, sont avant tout des silhouettes, des présences. Sauf un ou deux, dont la jeune fille qui aime l'âne
Ce que je veux dire, c'est que si ce film appartenait à un genre (ce qui n'est pas vraiment le cas), et bien le côté "non passionnant" de ses humains serait la loi de ce genre.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Ce qui compte dans EO, c'est le contenu visuel, sensoriel, plastique de ce qui arrive à la bête.
Le segment avec Huppert ne m'a pas dérangé : il participe du côté picaresque, un peu à la manière de ce qu'on peut voir dans un Buñuel genre La Voie lactée , avec des embranchements de récits inattendus. C'est aussi un peu allégorique : le fils riche mis au ban et fugueur, qui dilapide le fric des parents, semble coucher avec sa (belle)mère qui précipite des vaisselles qu'on imagine couteuses au sol. Le tout, sous un soleil italien (ou sarde), retour de l'âne à ses origines...avant la fin de tout. Sans oublier le service religieux, présidé par le fils en costume de prêtre.
Tout ça entoure l'ossature. C'est sans doute un peu inégal mais ça ne discrédite rien pour moi.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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El Dadal
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Re: Jerzy Skolimowski

Message par El Dadal »

Alexandre Angel a écrit : 6 nov. 22, 11:23 Il y a là-dedans quelque chose de primitif qui fait d'EO presque plus, tout bien considéré, une variation sur Essential Killing (dans "essentiel", il y a essence), le dernier grand film de Skolimowski, moins aimable toutefois, plus âpre formellement en tout cas, qu'EO), où les errances géographiques de Vincent Gallo présentaient d'étranges similitudes avec celles de l'âne.
Il y a de ça. Et Skolimowski a sans doute dû trouver ça plus reposant de bosser avec des ânes qu'avec ce coq de Gallo...
Sinon, un peu décontenancé par l'anthropomorphisme du projet, animant EO d'une sorte de capacité de jugement quasi divine, lui permettant diverses rétributions au fil du film. Ça, et les flashbacks, donnant à l'animal une capacité mémorielle utile au scénario... On est clairement dans la prise de position constante (assumée avec le carton final) ce qui peut s'avérer un peu fatigant, d'autant que le systématisme du procédé général joue un peu en sa défaveur (le final de la scène des éoliennes, on s'en doute etc), mais l'expérience globale reste hautement stimulante, d'autant que le film propose un bon nombre de plans qu'il ne me semble pas avoir déjà vus auparavant.
En outre, on touche la grâce du doigt à quelques reprises, dont l'incroyable séquence nocturne dans la forêt, qui capte la force du rêve avec une insolente touche de fantastique (le Legend de Scott ou La compagnie des loups ne sont pas loin). On ne dirait pas l'œuvre d'un monsieur bien entré dans sa huitième décade.
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Alexandre Angel
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Re: Jerzy Skolimowski

Message par Alexandre Angel »

El Dadal a écrit : 9 nov. 22, 12:23 Et Skolimowski a sans doute dû trouver ça plus reposant de bosser avec des ânes qu'avec ce coq de Gallo...
Ah si si , elle est jolie!
El Dadal a écrit : 9 nov. 22, 12:23 Sinon, un peu décontenancé par l'anthropomorphisme du projet, animant EO d'une sorte de capacité de jugement quasi divine, lui permettant diverses rétributions au fil du film. Ça, et les flashbacks, donnant à l'animal une capacité mémorielle utile au scénario...
Depuis que j'ai lu ton commentaire tout à l'heure, je me suis pris la tête à me demander où est-ce que ça avait déjà été fait, hors films d'animation, les projections plus ou moins oniriques émanant d'un animal.
Et ça vient de me revenir : L'Ours , de Jean-Jacques Annaud :mrgreen: (du moins je pensais à celui-là mais il doit exister d'autres exemples).
Ce qui confère, je trouve, un charme décalé au Skolimowski, film qui ne s'adresse pas du tout à toute la famille.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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