Pierre Salvadori

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Profondo Rosso
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Pierre Salvadori

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Originaire de Tunisie, Pierre Salvadori débarque à Paris à l'âge de sept ans avec ses parents. Après des études secondaires au lycée François Villon, il suit des cours de cinéma à Censier ainsi qu'une formation de théâtre chez Jacqueline Chabrier. Après s'être produit au café-théâtre, il passe à l'écriture, travaillant notamment sur des sitcoms pour AB Productions.

En 1989, Pierre Salvadori rédige son premier scénario de film, qui deviendra quatre ans plus plus tard Cible émouvante, l'histoire d'un drôle de trio composé d'un tueur à gages vieillissant (Jean Rochefort), d'un jeune homme plein de bonne volonté (Guillaume Depardieu) et d'une séduisante voleuse d'oeuvres d'art (Marie Trintignant). Entre-temps, il s'essaie à la mise en scène avec un court métrage intitulé Ménage.

En 1995, Guillaume Depardieu et François Cluzet sont Les Apprentis du cinéaste, dans une comédie sur les mésaventures de deux copains un brin loosers pour laquelle il fait à nouveau appel à Marie Trintignant. Fort du succès populaire du film, Salvadori reste fidèle et réunit Marie Trintignant et Guillaume Depardieu pour leur confier les rôles principaux de Comme elle respire (1998), ceux d'une mythomane se faisant passer pour une riche héritière et d'un jeune escroc intéressé par sa soi-disant fortune.

Changement de registre en 2000 : Pierre Salvadori réalise Les Marchands de sable, un film noir dans lequel Serge Riaboukine, en patron de bar, s'improvise justicier. Mais il renoue vite avec la comédie. D'abord en dirigeant le duo José Garcia / Daniel Auteuil dans Après vous... (2003), long métrage sur la relation d'amitié qui se lie entre un serveur de restaurant et un homme dépressif aux tendances suicidaires. Ensuite, en faisant tomber amoureux le serveur de bar Gad Elmaleh d'une frivole et intéressée Audrey Tautou dans la comédie romantique Hors de prix.

Privilégiant la relation de confiance entre un réalisateur et ses comédiens, Salvadori fait de nouveau appel à Audrey Tautou pour De vrais mensonges, une comédie fondée sur une simple lettre détournée par sa destinataire d'origine. L'actrice partage l'affiche (et les quiproquos) avec Nathalie Baye et Sami Bouajila.
Filmographie
Réalisateur
Longs métrages

1993 : Cible émouvante
1995 : Les Apprentis
1998 : … Comme elle respire
2000 : Le détour (téléfilm)
2000 : Les Marchands de sable
2003 : Après vous
2006 : Hors de prix
2010 : De vrais mensonges (également coproducteur)
2014 : Dans la cour (également coproducteur via sa société TOVO FILMS2 - non crédité)
2018 : En liberté !

Courts métrages

1992 : Ménage
1996 : L'@mour est à réinventer - segment Un moment (mini-série)

Scénariste

Pierre Salvadori est scénariste de tous ses films.

1998 : La Femme du cosmonaute de Jacques Monnet
2002 : Francisca d'Eva López Sánchez
2010 : Petits meurtres à l'anglaise de Jonathan Lynn
2011 : Itinéraire bis de Jean-Luc Perréard (crédité sous le nom de Stéphane Laurent)
2013 : Nautanki Saala! de Rohan Sippy

Acteur

1994 : L'histoire du garçon qui voulait qu'on l'embrasse de Philippe Harel : Walter
1997 : La Femme défendue de Philippe Harel :
1998 : La Femme du cosmonaute de Jacques Monnet : Burglar
1998 : ...Comme elle respire de lui-même : le motard accidenté (non crédité)
2004 : Tu vas rire mais je te quitte de Philippe Harel : Le metteur en scène n°2
2015 : Max et Lenny de Fred Nicolas : Le flic
2016 : Planetarium de Rebecca Zlotowski : André Servier
http://www.allocine.fr/personne/fichepe ... 11282.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Salvadori
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Profondo Rosso
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Re: Pierre Salvadori

Message par Profondo Rosso »

Cible émouvante (1993)

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Victor est un tueur à gages vieillissant qui vit sous l'autorité d'une mère abusive. Il se prend d'affection pour Antoine et décide d'en faire son apprenti. Pour cela, ils doivent tuer Renée et tout ne se passe pas comme prévu.

L’univers tendre et fantaisiste de Pierre Salvadori se déploie déjà de manière charmante dès cet inaugural Cible émouvante. On trouve déjà là des personnages dont les failles se dévoilent à travers des attitudes figées et identifiables. Ce sera dans la raideur pour le tueur à gage vieillissant Victor Meynard (Jean Rochefort), la maladresse pour son apprenti juvénile Antoine (Guillaume Depardieu), tandis que le mal est plus mental pour Renée (Marie Trintignant), arnaqueuse à la petite semaine. Si la trame dessine un postulat éculé du polar (le tueur à gage qui tombe amoureux de sa cible) la désinvolture du récit ôte toute volonté de réalisme pour privilégier l’étude de caractère. La solitude de Victor se construit ainsi dans le gimmick de ses cours d’anglais où en détournant la répétition de l’enregistrement, le personnage se présente ainsi que son métier criminel. Pourtant lorsque la bande émet une phrase présentant femme et enfant, Victor stoppe la bande. Ce seul geste ainsi que la mélancolie du regard de Jean Rochefort suffit à faire comprendre sa détresse et du coup. Ainsi le rebondissement qui le voit recruter Antoine comme apprenti est certes fantaisiste sur le papier mais parfaitement logique dans la caractérisation de notre héros dépressif qui s’ignore. Salvadori affirme aussi formellement cet isolement, notamment dans les motifs mettant en scène Victor en action. La scène d’ouverture joue sur le gag en montrant successivement Victor entrer dans une bâtisse, le corps de sa « cible » en tomber et lui en ressortir guilleret. Notre tueur est ainsi séparé du monde qui l’entoure par l’image, ce détachement visuel étant aussi émotionnel et lui permettant d’exécuter sa funeste tâche. Le second meurtre après avoir brièvement montré la cible en introduction l’élimine par le montage tandis que Victor le fait physique et que la caméra en reste sur sa seule figure en action. Le procédé sera cependant perturbé face à Renée, cible plus imprévisible. La fameuse séparation visuelle et émotionnelle s’amorce lorsque Victor tire sur les rideaux d’une cabine d’essayage où devrait se trouver Renée, mais celle-ci a s’est déjà éclipsée après avoir dérobé quelques vêtements.

La nature transformiste de la voleuse Renée la rende à la fois insaisissable tout en forçant Victor dans sa filature à observer sa victime et d’une certaine manière de se raccrocher au monde. Cela s’exprime aussi en filigrane ans la présence encombrante de l’attachant disciple qu’est Antoine. Lorsqu’un concours de circonstances force les trois personnages à cohabiter, l’armure se fend pour faire de leurs failles une manière de se rapprocher. L’instinct caméléon (après avoir changé de tenue et de coiffure à de multiples reprise durant la première partie, son allure son stabilise ensuite) de Renée s’efface en la contraignant à une relative sédentarité et l’interlocuteur cesse également d’être un « pigeon » (l’équivalent u contrat pour le tueur Victor), d’autant que Victor est aux antipodes par sa vulnérabilité fuyante des mâles dominants qu’elle se plait à duper. Salvadori se montre complémentaire dans l’observation des maux qui frappent ses personnages. L’origine de l’esseulement de Victor vient de sa mère abusive ainsi que d’une existence programmée où il succède à son père en tant que tueur à gage. Cela reste flou pour Renée alors que chez Antoine, un dialogue faussement anodin (le mensonge où il raconte les liens qui l’unissent à la mère (Patachou) de Victor) laisse deviner le besoin de se constituer dans l’aventure (l’acceptation de la proposition de Victor semblant moins incongrue qu’il n’y parait du coup) la famille qui lui a certainement manqué. Le motif formel de séparation devient celui de la réunion lorsqu’un champ contre champ lors d’un dialogue entre Renée et Victor, l’image s’arrêtant sur son visage pour basculer par l’ellipse sur une scène où il masse les pieds de Renée.

La candeur enfantine de Jean Rochefort, le charme mutin et gouailleur de Marie Trintignant et la gaucherie de Guillaume Depardieu font ainsi passer merveilleusement tout l’aspect plus lâche de l’intrigue. Pierre Salvadori saupoudre d’ailleurs l’ensemble de gags tour à tour grossiers (le running gag de Serge Riaboukine qui en prend plein la figure) ou subtils (le perroquet dans la maison de retraite) mais qui font toujours mouche. Une belle entrée en matière pour une des personnalités les plus originales e la comédie française. 4,5/6
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Thaddeus
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Re: Pierre Salvadori

Message par Thaddeus »

Profondo Rosso a écrit :le perroquet dans la maison de retraite
"Victorrrrr Ménarrrrd !!!" (en roulant bien les r)
Éclat de rire lorsque cette balance de perroquet répond du tac-au-tac à la question du témoin qui a vu ce qu'il n'aurait pas du voir, et qui demande à Rochefort comment il s'appelle.
le running gag de Serge Riaboukine qui en prend plein la figure
"Faut le mettre dans la glace !"
Éclat de rire lorsque le pauvre Riaboukine vient de perdre son oreille et qu'il écoute d'un air ahuri Guillaume Depardieu lui prodiguer candidement quelques conseils avant de se faire la malle en catastrophe.

Je ne suis pas loin d'adorer ce film, je crois.
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Jeremy Fox
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Re: Pierre Salvadori

Message par Jeremy Fox »

C'est là que je me rends compte qu'après le jubilatoire Les Apprentis, j'ai loupé tout ce qui a suivi. De bonnes choses à piocher ?
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Re: Pierre Salvadori

Message par Jeremy Fox »

Ah ben si en fait grâce aux topics des notes. :oops: J'ai vu après vous qu'il me semble avoir moyennement apprécié ainsi que les marchands de sable qui m'a laissé de marbre. Par contre je ne sais plus du tout de quoi il s'agit.
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Profondo Rosso
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Re: Pierre Salvadori

Message par Profondo Rosso »

Je garde un super souvenir de Comme elle respire et Hors de prix, De vrais mensonges était très sympathique également. Après là j'ai chopé un coffret pas cher donc je vais me lancer dans un petit cycle pour rafraîchir tout ça
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Thaddeus
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Re: Pierre Salvadori

Message par Thaddeus »

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Cible émouvante
Flanqué d’un assistant lunaire et d’une arnaqueuse loufoque, Jean Rochefort, anglophone hésitant (il est en plein apprentissage) est surtout un tueur à gages infaillible. Mais même les machines les mieux huilées finissent par se détraquer. C’est l’idée de ce polar absurde au flegme assez jubilatoire, enquillant réparties azimutées et gags pince-sans-rire avec une fantaisie des plus réjouissantes. De deux thèmes convenus mais bien éprouvés (le tueur qui tombe amoureux et l’emmerdeuse qui sème la pagaille dans la vie d’un célibataire maniaque), Salvadori tire une comédie originale et grinçante, qui joue du décalage permanent, du non-sens, des seconds rôles délirants (une flopée de concurrents plus ou moins doués dans l’art du truçidage). Et ça marche drôlement bien. 5/6

Les apprentis
C’est l’histoire d’une déglingue entre deux losers dissemblables, sans boulot, sans appart', sans copines, vivant de magouilles et d’expédients. L’un est nerveux et angoissé, l’autre décontracté et serein : de cet antagonisme, Salvadori tire une comédie de caractères particulièrement délectable, pleine de dialogues percutants et de situations incongrues, qui observe le quotidien à la loupe et s’attache à la vie de ses personnages en ne cherchant jamais à biaiser avec le drame lorsqu’il survient – déprime, rupture, crise et chômage. Découpée en tranches de vie cocasses, la chronique alterne la tendresse et l’acidité pour mieux parler de notre époque, dégorge des litres d’humanité et de tonicité, et oscille à merveille entre la détresse et le fou rire. Cluzet et Depardieu sont aussi formidables qu’attachants. 5/6
Et puis franchement pour ce genre de scène... (et de chute !)

Comme elle respire
Salvadori tente ici quelque chose d’assez difficile : mêler les genres et les tonalités, confronter une mythomane de comédie (qu’interprète la délicieuse Marie Trintignant avec un charme visible, une fragilité touchante, une douleur secrète) à des situations parfois réalistes (la visite chez ses parents), parfois fantaisistes (la rencontre avec un magouilleur trop bon pour être méchant, encore plus fabulateur qu’elle), parfois burlesques (les deux truands minables incarnés par Stévenin et Riaboukine, désopilants, tout droit sortis de chez Blake Edwards). Derrière la drôlerie, beaucoup de tendresse, de gestes pour exprimer l’amour, mais aussi le drame de personnages qui vivent mal, ne s’assument pas, déclinent leurs échecs, ressassent leurs ratés et les reproduisent, faisant ainsi jaillir une émotion inattendue. 4/6

Après vous…
"Un égoïste est quelqu’un qui ne pense pas à moi", écrivait Tristan Bernard. Mais l’altruiste est peut-être un égoïste qui s’ignore… et réciproquement. Organisant hasards et quiproquos autour d’un tandem d’hommes maladroits et d’une fleuriste difficile à conquérir, Salvadori peaufine sa petite cuisine et gracieuse et décalée, sur un mode peut-être un peu plus mélancolique qu’auparavant, et fait fonctionner la comédie en réinventant la pudeur. Les tribulations des deux héros dessinent une valse sentimentale aux atours vaudevillesques, aux rebondissements tendres et burlesques, qui s’attache aux ressorts mystérieux du cœur et soigne la mécanique comique (légèreté d’écriture, maîtrise du tempo, finesse de l’observation) mise au point dans les opus précédents. Le tout assorti d’un bel éloge de l’amitié. 4/6

Hors de prix
Qui a dit que le bonheur n’avait pas de prix ? Disons plutôt que, pour aller au paradis, il en coûte de renoncer à ses certitudes, de tenter l’aventure. C’est sur les rivages de la Côte d’Azur et dans ses casinos que le réalisateur pose le cadre de nouvelle comédie romantique à l’espièglerie malicieuse, doublée d’une fable gentiment cruelle sur le rapport à l’argent et sa place pernicieuse dans les relations affectives. À l’évidence il vise la sophistication de Lubitsch, chez qui l’élégance de la peinture des milieux de luxe et de richesse le dispute à l’acuité dans l’analyse des comportements amoureux. Ambition louable mais un peu haute : les héros y suivent un itinéraire moral qui ne s’éloigne jamais des balises du genre, le couple d’acteurs est mignon, et le film est à leur image, plutôt inoffensif et assez vain. 3/6

Dans la cour
La rencontre entre deux personnes aussi différentes que complémentaires, la drôlerie nichée dans les petites galères du quotidien, la relativité de la réussite sociale à l’aune des fissures intimes… Le cinéma de Salvadori est aisément identifiable. Mais rarement se sera-t-il approché aussi près de la dimension dépressive qui le nourrit sans en faire un simple ressort comique ni la menace d’une dérive cafardeuse. C’est une certaine idée de l’angoisse contemporaine qu’il travaille ici, en la trempant de son humanisme fragile et chaleureux, sincère et généreux, aussi mordant dans l’humour que perspicace dans la mise en relief des fragilités de tout un chacun. En ressort une très jolie chronique de l’entraide et de l’anxiété ordinaire, qui parvient à faire (sou)rire d’un sujet pas follement amusant. 4/6

En liberté !
S’il est difficile d’écrire sur une comédie vraiment drôle, il l’est encore plus d’en réaliser une. En maître-queux du genre, Salvadori ne se contente pas de faire rire et demande au spectateur de s’amuser pour muscler son intelligence. Son film burlesque, poétique et échevelé active de nombreux mécanismes auxiliaires faisant tourner des trains de pensée lancés sur les voies de traverse entre fiction et réalité, liberté et servitude, innocence et culpabilité, masque et révélation, être et paraître. Sa beauté consiste à dévoiler la vérité de personnages infiniment aimables (l’héroïque dévotion d’Yvonne, la rancœur surmontée d’Antoine, la pureté si touchante d’Agnès), servis par d’étincelants acteurs, au fil d’un script constamment imprévisible où la discrète amertume le dispute au romantisme le plus délicat. 5/6
Top 10 Année 2018


Mon top :

1. Les apprentis (1995)
2. En liberté ! (2018)
3. Cible émouvante (1993)
4. Dans la cour (2014)
5. Après vous… (2003)

Sans doute l’un des meilleurs représentants de la comédie dans le paysage hexagonal d’aujourd’hui : élaborant un art du portrait de caractères, du vaudeville raffiné, de la description tendre et amusée des comportements amoureux, ses films, corsés d’une pointe de mélancolie, dessinent un tableau très juste de nos contemporains et de notre époque.
Dernière modification par Thaddeus le 3 août 23, 14:02, modifié 4 fois.
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Re: Pierre Salvadori

Message par mannhunter »

Au sommaire et en couverture du nouveau Positif:

http://www.revue-positif.net/
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Re: Pierre Salvadori

Message par Supfiction »

En Liberté! encensé par la critique:
http://www.lefigaro.fr/cinema/2018/10/3 ... 7c8gAum1DL
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Re: Pierre Salvadori

Message par Supfiction »

Torrente a écrit :En liberté! (Pierre Salvadori) : 4/10
J'espère que Le grand bain sera mieux qu'En liberté!, que je me suis farci hier (ou que Jusqu'à la garde et Tout le monde debout)... parce que si ce sont réellement les meilleurs représentants du cinoche hexagonal de 2018, on a du souci à se faire :?
Le film se laisse regarder, il y a quelques bonnes vannes. Ce n'est pas honteux et je suis sûr que le cinéma français a produit bien pire cette année. Ceci étant dit, j'ai trouvé certains acteurs mauvais comme des cochons (Adèle Haenel et Damien Bonnard en tête), allant jusqu'à niveler les autres vers le bas, au point qu'ils finissent tous par ne plus articuler non plus. J'aurais été devant ma télé, j'aurais enclenché les sous-titres pour malentendants. C'est une plaie qui prend des proportions affolantes.
S'il n'y avait que ça mais on répète un même gag dans 2 scènes qui se suivent, on cherche tellement "le rire à tout prix" qu'on filme une séquence rien que pour un gag et on cherche coûte que coûte à placer une vanne dans chaque ligne de dialogue. Franchement, par moments, j'ai pensé à l'humour EuropaCorp / séries TF1.
Et tout est comme ça, donnant l'impression que le scénario est construit "au petit bonheur la chance", comme si Salvadori empilait des idées sans avoir vraiment bossé l'ensemble (plusieurs séances de ré-écritures n'auraient pas été de trop). A ce titre, la fin m'est apparue comme une cata'. On est loin de la petite musique que véhiculait ses premiers longs.
J'ai eu la triste sensation que le talent de Salvadori s'était dissout dans la Canebière :(
Grosse déception également même si la fin sauve un peu le reste avec la séquence du braquage qui m'a enfin fait sourire. Et puis l'humour trash (un peu à la Tarantino) me gêne un peu.

Je rebondis la-dessus :
au point qu'ils finissent tous par ne plus articuler non plus
Cela me fait plaisir de lire ça. J'ai halluciné devant le nombre de dialogues à peine compréhensibles (surtout au début du film lorsqu'ils sont tous encore calmes).. ça devient un gros problème du cinéma français. Et pourtant, j'adore Pio Marmaï mais là il marmonne comme jamais. Mais sans lui, le film ne décolle pas de toutes façons.
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Re: Pierre Salvadori

Message par Profondo Rosso »

Comme elle respire de Pierre Salvadori (1998)

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Jeanne est mythomane. Elle ment comme elle respire. Elle ne peut pas s'empêcher de raconter des histoires fabuleuses dont elle est la magnifique héroïne. Elle quitte Bordeaux pour Paris, et après quelques jours d'errance, rencontre Madeleine, une vieille dame crédule qui la prend à son service. Mais Madeleine est la proie d'Antoine, un jeune et bel escroc. Lorsque la vieille dame lui raconte que Jeanne est une riche héritière, Antoine décide de la séduire puis de l'enlever.

Au sortir du succès inattendu de Les Apprentis (1995), Pierre Salvadori a la crainte d'être catalogué en tant que cinéaste filmant spécifiquement les hommes. Il décide donc de mettre un personnage féminin au centre de son film suivant et jette son dévolu sur Marie Trintignant avec laquelle il avait déjà travaillé sur Cible émouvante (1993). Les fêlures qu'elle dégage dans certains de ses précédents films comme Betty de Claude Chabrol (1992) et il va donc l'affubler de mythomanie, un mal au potentiel à la fois comique et dramatique immense. Le début du film est une succession de moments éclatés où les mensonges de Jeanne l’entraînent d'un contexte à l'autre. Le mensonge est un moyen de survivre un jour de plus, tant matériellement qu'affectivement, les histoires improbables que sa mythomanie lui inspire permettant nombre de rencontre inattendue. C'est également une manière de révéler en creux la nature instable et dépressive de Jeanne, inapte au moindre emploi et à la moindre relation sentimentale sérieuse. Salvadori confronte donc cette menteuse compulsive et névrosée à un menteur plus calculateur et cynique avec Antoine (Guillaume Depardieu). Ce dernier croyant les dires de Jeanne se déclarant riche héritière va organiser tout un complot afin de l'escroquer et obtenir une rançon d'elle.

Un des points intéressants réside dans les multiples ruptures de ton qu'entraîne le mensonge. Ce sera d'abord entre les deux personnages principaux avec la menteuse "sincère" qu'est Jeanne qui rendrait crédule les plus méfiants, qui par sa candeur et sa personnalité avenante sait se faire ouvrir toutes les portes, tous les cœurs. A l'inverse Antoine est le négatif parfait de Jeanne échouant dans tout ce qu'il entreprend, dépassé par les évènements et ne sachant pas s'entourer pour ses méfaits (hilarant Serge Riaboukine une fois de plus). Pierre Salvadori avouera avoir laissé ses interprètes guider la tournure du récit par rapport à son projet initial. En effet Guillaume Depardieu acteur sincère et instinctif fut incapable de jouer le cynisme froid initial de son personnage, notamment lors de la scène où il sert Jeanne en larmes dans ses bras et ou le contrechamp devait révéler un visage satisfait de son plan. Au contraire ce tempérament à fleur de peau amène plus vite que la seule intrigue le rapprochement des héros dans leur interaction et alchimie et offre un double sens à toutes leurs scènes. Lorsqu'après une soirée de confidence, Jeanne comme à son habitude décide de tout abandonner Antoine la poursuit en surface pour ne pas la perdre de vue pour son arnaque, mais ce sont bien ses sentiments amoureux naissant qui l'animent. De même Jeanne prête à s'offrir au premier venu en début de film semble étrangement réticente à coucher avec Antoine, un homme dont elle n'a pas profité et auquel elle a au contraire rendu service. Le rapprochement intime ne peut exister au-delà de l'échange de bons procédés sans lesquels une peur panique s'installe.

On est ainsi assez perturbé par les revirements du récit, très sombre et désespéré tout en recélant de mémorable trouvailles burlesques comme cette hilarante scènes d'enlèvement où Salvadori travaille le mouvement, le jeu sur les arrière-plans et le splapstick (Serge Riaboukine aveuglé par son masque-collant improvisé qui se prend un poteau). Les deux acolytes joués par Jean-François Stevenin et Serge Riaboukine se montrent ainsi tour à tour grotesque et inquiétant dans une longue séquence qui relève du quiproquo mais dont l'environnement et les sursauts de violence amènent plutôt vers le thriller. Le mensonge calculateur d'Antoine se heurte à nouveau à celui névrotique de Jeanne qui se met plus en danger qu'elle ne s'aide par ses inventions. Salvadori pousse loin la moralité et l'équilibre mental de son couple pas totalement dupe de leurs affabulations communes mais vraiment sincères dans leurs sentiments. Est-ce que cela peut suffire à vivre paisiblement en couple ? Salvadori s'amuse de ce constant double jeu mais finalement refuse la facilité de résoudre d'amour et d'eau fraîche une névrose profonde. Un magnifique aparté amoureux en Corse est interrompu par le retour des vieux démons et le réalisateur déploie un magnifique romantisme désespéré tout en relançant les péripéties mensongères ludiques. La dernière phrase du film est de Jeanne qui s'apprête à raconter "l'expérience incroyable" qu'elle vient de vivre à son nouvel interlocuteur/victime... 4,5/6
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Profondo Rosso
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Re: Pierre Salvadori

Message par Profondo Rosso »

Et j'en profite pour remettre mon avis sur Les Apprentis aussi :wink:

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Antoine est un écrivain raté et dépressif. Fred ne fait pas grand-chose de sa vie et semble s'en contenter. Tous deux partagent un appartement et vivent de petites combines foireuses. Les aventures et surtout mésaventures de ces deux copains un brin loosers, leur permettront de s'apercevoir que l'amitié est bien la plus grande des richesses.

Après avoir démontré une personnalité comique singulière avec l’inaugural Cible émouvante (1993), Pierre Salvadori décide d’inscrire plus directement son film suivant aux problématiques contemporaines. Le résultat sera donc Les Apprentis dont le script s’avère largement autobiographique avec sa vision mélancolique et amusée d’un contexte social difficile. Le fil dramatique du film ne repose pas sur une trame linéaire mais sur les aléas quotidiens de notre duo de pieds nickelés Antoine (François Cluzet) et Fred (Guillaume Depardieu). Les deux personnages se rejoignent dans leurs attentes incertaines de la vie, et qui les font piétiner. Au premier abord Antoine semble être un « déclassé » qui végète par rapport à ses aspirations intellectuelles non abouties d’écrivain. Seulement on comprendra que c’est le recul et le sens de l’observation manque à l’anxieux Antoine. Il y voit un prestige apte à apaiser ses angoisses mais son vide s’avéra plus existentiel. Fred souffre de même maux mais fonctionne lui par la fuite plutôt qu’une ambition contrariée. Finalement le milieu supposé plus nanti d’Antoine en fait un être frustré face au dénuement (matériel comme professionnel) alors que les origines plus prolo de Fred le rende plus placide, nonchalant et résigné dans sa situation.

L’art de Pierre Salvadori est de tirer de la caractérisation de son duo et ses interactions une dynamique constamment à cheval entre le comique et le dramatique. Les personnages vivent donc une déchéance morale et social croissante qui s’avère pathétique dans les situations mais drôle par leur traitement décalé. Dès l’ouverture cela fonctionne avec Antoine laissé à la porte par sa compagne et celle-ci conseillée par le voisin pour enlever le fusible de la sonnerie longuement enfoncée par notre héros. Le curseur va plus vers la tristesse dans l’ellipse qui suit face à une porte où l’on voit le logis temporaire devenir permanent au fil des mois (et des ans) tandis que la voix-off d’Antoine récite des lettres jamais envoyés à sa fiancée. Tout le film fonctionne ainsi, jamais totalement hilarant, jamais véritablement dépressif, mais toujours entre les deux. Une réplique ahurie de Fred viendra désamorcer une possible noirceur, une colère d’Antoine atténuera un rire potentiel, parfois dans la même scène ou à retardement (les conséquences d’une tordante scène de cambriolage). L’art de l’ellipse de Salvadori fait également merveille dans ce contexte (le visage tuméfié de Fred qu’on découvre à la pharmacie après la bêtise dites de trop) et le réalisateur sait tout aussi magnifiquement rallonger les humiliations avec une inventivité de tous les instants (la raclée de karaté, la scène d’échangisme). L’ancrage dans le réel de situations que chacun a pu connaître empêche de se moquer, le regard décalé évite de trop explicitement s’en désoler. Les deux acteurs jouent merveilleusement cette partition nuancée dans une complicité constante. C’est ainsi qu’un final amer s’avère illuminé par une apparition féminine (Marie Trintignant comme dans un rêve) et une partie de foot qui ramène à une joie infantile simple. 5/6
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