(en italiques : films découverts en salle à leur sortie)
L’échine du diable
À l’orphelinat Santa Lucia, no man’s land aux confins d’une Espagne en feu, le fantôme d’un jeune disparu traque ses camarades en réveillant frayeurs et mystères. Est-ce l’ombre diffuse de la guerre, la chape angoissante de la bâtisse isolée ou bien le secret des morts ? Le sujet n’est pas sans promesses, mais son traitement académique et souffreteux est celui d’un illustrateur appliqué, peinant à se défaire des clichés et du manichéisme à gros traits (une constante chez Del Toro). Le film est entravé de questionnements inutiles, de refoulements qui l’empêchent de trouver une latitude plus personnelle, incertitudes flagrantes dans le délitement d’un récit fantastique grignoté par des résidus de western-paella, avec fièvre de l’or, vengeance, meurtres sordides. Et le rêve funèbre de basculer dans la banalité.
3/6
Le labyrinthe de Pan
L’Espagne de 1944, asphyxiant sous le suaire fasciste. Le crépuscule est tombé sur les utopies, les consciences se sont mises à chuchoter. Face à cette réalité affligée, Del Toro foudroie les paysages de dédales psychédéliques, de fanfares végétales, de monstres enjôleurs passeurs vers un royaume englouti. Sous les arbres géants se tisse la résistance des républicains, et dans l’entrelacs de leurs racines l’héroïne découvre un Pan sorcier aux cornes de bélier néo-Beardsley, être ambigu, guide bienveillant et esprit méphistophélique. Des allers-retour entre les résonances mythologiques et l’histoire de la péninsule ibérique s’extirpe une superbe parabole sur le pouvoir de l’art, contre-point à l’annihilation totalitaire de toute forme de beauté, et sur la détresse infinie de l’enfance égarée dans une nation sans lendemain.
5/6
Top 10 Année 2006
Hellboy 2 : Les légions d’or maudites
Dans une production hollywoodienne majoritaire où tout est prétexte à la surenchère, ce blockbuster étrangement dilettante a presque des allures d’incongruité. Del Toro rate toutes les scènes à faire : ainsi quand Hellboy et l’homme-grenouille boivent trois bières et titubent comme des mauvais comédiens, ou quand l’écarlate pépère se frappe le chabichou du plat de la main en apprenant sa future paternité. On en vient à conclure qu’il ne s’est engagé que pour construire son édifice gothique, inventer des bestioles à têtes de tripes, des monstres à vulves, à bourgeons ou à chair pâle que la mort transforme en fissible albâtre. Le reste est sans grand intérêt, à commencer par le propos allégorique qui brasse lourdement Holocauste, déclin des civilisations et animisme panthéiste. N’est pas Miyazaki qui veut.
3/6
La forme de l’eau
La naïveté est une grande vertu pour qui l’exprime sans l’altérer, la traduit en images chargées d’émotion immédiate. Ce conte de fées épuré jusqu’au simplisme, bardé de symboles et d’archétypes, ne peut être accusé du moindre calcul. Mais si la sincérité est une chose, le talent en est une autre, et il n’est pas sûr que Del Toro aie celui d’insuffler à la fable politico-fantastique le trouble qui lui permettrait de dépasser la joliesse un peu frelatée de sa facture. Strié dans une gamme anesthésiante de tons bleu-verts, le film brocarde les penchants réactionnaires d’une société américaine repliée sur la conviction de sa supériorité, exalte l’humilité et l’innocence de sa confrérie de marginaux, et ne suscite à force de clichés anémiques qu’une vague et magnanime adhésion – là où on voudrait être chaviré.
3/6
Mon top :
1.
Le labyrinthe de Pan (2006)
2.
La forme de l’eau (2017)
3.
L’échine du diable (2001)
4.
Hellboy 2 : Les légions d’or maudites (2008)
Parce que les geeks le vénèrent et qu’il a connu l’honneur de certaines hautes récompenses internationales, parce que beaucoup de critiques, y compris parmi les plus installés, l’admirent et qu’il dirigea quelques dispendieuses productions, le cinéaste mexicain jouit d’une véritable notoriété aujourd’hui. Nourri de mythologie, de fantastique et d’imaginaire, enclin à célébrer les oubliés, les faibles, les êtres différents en proie à la cruauté du réel, son univers ne m’a pourtant jamais totalement convaincu, à l’exception d’un seul film – mais quel film !