La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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reuno
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par reuno »

Demi-Lune a écrit : Sinon, tu en as pensé quoi de ces deux moments, reuno ?
Spoiler (cliquez pour afficher)
Le mime de l'érection du monstre, et le numéro en noir et blanc façon The artist. Gros malaise embarrassé, pour ma part. :|
:)

Effectivement... pour le premier. Ça rejoint toute cette sexualité appuyée dans un film tellement candide. Plutôt embarrassant, oui.
Le second j'avoue avoir plutôt bien aimé. C'est infiniment casse gueule et osé mais j'ai trouvé ça joli.

On rapproche également beaucoup le film de Jeunet et son Amélie Poulain, et franchement c'est assez vrai. Je ne déteste pas (j'avais même beaucoup aimé à sa sortie) mais pour ceux pour qui c'est le cas... :P
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G.T.O
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par G.T.O »

Demi-Lune a écrit :...
Ça me rassure que tu ne comprennes pas toi non plus le dévolu jeté sur le monstre. On passe de la pitié à l'attirance par l'opération du Saint-Esprit, sans que le côté glauque du truc ne soit jamais questionné, d'ailleurs. Je veux bien croire que la suspension d'incrédulité ou la magie n'aient pas pris sur moi, mais c'est quand même un poil problématique que la narration brade à ce point ce qui est pourtant à la fois son épicentre et son point critique. Car au final, c'est comme si la créature n'était là que pour remplir un vide (sans mauvais jeu de mots) dans la misère sexuelle de l'héroïne - qu'on a bien pris soin de nous montrer, comme si ça conditionnait tout. Je ne pense pas que ce flou sur ce qui la meut soit laissée à dessein... elle trahit pour moi un pitch confus et maladroit, qui préfère se payer un virilisme américain rance plutôt que de raconter convenablement et d'assumer une histoire casse-gueule.
Spoiler (cliquez pour afficher)
A la décharge de Del Toro, le parti-pris de montrer l'histoire d'amour comme une sorte de coup de foudre mystérieux, une évidence entre deux solitudes, s'explique par la révélation finale : à savoir que le personnage d'Eliza est le double amphibien, sorte de princesse aquatique. De ce point de vue, c'est plutôt cohérent. Le problème étant que ces largesses narratives, ces nombreux sauts, sont par trop justifiés par le recours au conte de fée. Excusés par l'emploi au conte de fée, sans que, comme tu le dis Demi-Lune, un travail d'identification émotionnelle soit établi. Car même dans les contes, il y a cet aspect profondément émotionnel qui connecte et structure les divers éléments narratifs. Del Toro ne conservant ici que la forme creuse du conte, dénuée de la palette émotionnelle fondant les différents sauts de l'initiation.
Dernière modification par G.T.O le 24 janv. 18, 09:32, modifié 1 fois.
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hellrick
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par hellrick »

reuno a écrit :Le second j'avoue avoir plutôt bien aimé. C'est infiniment casse gueule et osé mais j'ai trouvé ça joli.
J'ai trouvé que c'était la meilleure scène du film :fiou:
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mannhunter
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par mannhunter »

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Major Tom
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par Major Tom »

mannhunter a écrit :Polémique pré-Oscars...:

http://www.lefigaro.fr/cinema/2018/01/3 ... oscars.php
Jipé Jeunet l'accuse aussi mais ne l'attaquera pas.

https://www.ouest-france.fr/culture/la- ... en-5548366
Jean-Pierre Jeunet nous explique avoir vu "La Forme de l’eau" et écrit un e-mail au réalisateur mexicain : « Je lui ai dit : Tu as beaucoup d’imagination, beaucoup de talent. Pourquoi aller piquer les idées des autres ? », confie-t-il à Ouest-France. « Il m’a répondu : On doit tout à Terry Gilliam. Selon lui, il ne vole rien aux autres, c’est Terry Gilliam qui nous a tous influencés. Mais bien sûr. Quand il pique la scène du couple assis au bord du lit qui danse avec les pieds, avec la comédie musicale en arrière-plan à la télé, c’est tellement copié-collé de Delicatessen qu’il y a un moment où je me dis qu’il manque d’amour-propre. »
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reuno
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par reuno »

Et lui, il a aussi reçu un mail de Wong Kar wai lui parlant de Chungking Express et de son Amélie Poulain ?
C'était de l'inspiration là, pas du vol, c'est ça ?

Quel toupet quand même...
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Demi-Lune
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par Demi-Lune »

Report du topic des notes :
Karras a écrit :Un conte naïf mais pas dénué de charme.
LéoL a écrit :Désastreux...
ballantrae a écrit :La forme de l'eau de G del Toro est certainement son plus beau film depuis Le labyrinthe de pan il y a tout de même une douzaine d'années.Il n'atteint pas la perfection du diptyque sur la Guerre civile espagnole mais trouve un ton , une ambiance intrigantes associées au contexte de la Guerre froide qui trouve un équivalent dans le chromatisme vert.
Harkento a écrit :Pas du tout convaincu par cette romance académique aux personnages très archétypaux (on dirait du James Cameron :fiou: ). C'est beau mais c'est chiant comme dirait l'autre... Déjà que j'avais pas trop adhéré à l'avant dernier, celui-ci m'a encore plus refroidi alors que je suis, à la base, un grand fan de Del Toro. Ce n'est pas que j'ai trouvé le film nul pour autant, ça vient vraiment du fait que je n'ai pas retrouvé la 'patte' du cinéaste que j'affectionne (hormis quelques plans et mouvements de caméra) et qui le différencie de tant d'autres cinéastes de genre. Le traitement des sentiments c'est pas trop sa came je trouve...
moi-même a écrit :Hélas. Je n'y allais pas le couteau entre les dents, pourtant.

Mais rassure-toi, je pense que je serai une nouvelle fois tout seul. Ça me sidère que le film ait pu recevoir le Lion d'or, mais bon... je suis un peu périmé, hein. Les amateurs de Del Toro (dont je ne suis pas) trouveront suffisamment leur compte dans le décorum pour ne pas être indisposés par ce qui est pour moi l'insignifiance totale de l'écriture. Tout est archi convenu de A à Z, les personnages grossièrement caractérisés et affublés de dialogues face auxquels même Michael Shannon ne peut rien faire (si menaçant et flippant dans le passé, le pauvre est ici réduit à une caricature embarrassante de militaire psycho). En fait, le projet baigne dans un sentiment de déjà-vu (de La créature du lac noir, sur lequel le design de l'amphibien est pompé, à E.T.) qui rend tout ça vraiment dérisoire, à l'exception de deux idées saillantes sur le papier : le mutisme de Sally Hawkins et la dimension sexuelle qui exige du spectateur un gigantesque saut de foi, que je n'ai malheureusement pas pu accomplir, le film échouant à mon niveau à inspirer une quelconque émotion et consistance dans la construction (au forceps) du lien femme/créature. Je trouve qu'il n'y a pas de magie, le pitch exige pourtant que la relation soit bien posée et dès le début, on sent que quelque chose cloche, ça ne prend pas. La poésie recherchée bute sans cesse sur l'étroitesse des moyens, tant scénaristiques que formels (mise en scène toute étriquée). Desplat illustre (comme d'habitude) avec des petites mélodies modestes. Quelque part, le film me fait un peu penser à Super 8 : on sent que Del Toro est animé de bonnes intentions envers un certain passé cinématographique et qu'il veut faire les choses bien, mais le film est très rapidement rattrapé par l'époque de sa conception, qui a désappris comment raconter une bonne histoire.

Je sais que l'adjectif "insignifiant" est violent et qu'il sera raillé lorsque le film sera vu du plus grand nombre, mais c'est hélas celui qui qualifie le mieux ce que je pense du résultat, que j'ai déjà chassé de mon esprit. Quitte à me décrédibiliser encore plus et paraître pour un mec enfermé à jamais dans ses 80's, pour prendre un film d'amour aquatique et fantastique, je préfèrerais me remater un petit Splash (eh ouais), qui n'est évidemment pas foufou qualitativement mais qui a pour lui ce je-ne-sais-quoi d'émerveillement, de fraîcheur et de spontanéité qui permet l'empathie.
Dernière modification par Demi-Lune le 28 mars 18, 10:22, modifié 2 fois.
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par Flol »

Encore un exemple typique du film que j’aurais adoré adorer ; sauf que ce n’est toujours pas avec ce film que je vais trouver LA grande oeuvre made in del Toro.

Comme d’habitude avec le cinéaste mexicain, j’ai le sentiment d’aimer davantage l’idée que je me fais de ses films plutôt que les films en eux-mêmes. C’est con parce que j’apprécie vraiment son cinéma, ses références, son sens de la mise en scène, son soin quasi fétichiste apporté à l’esthétique de ses films, son adoration des monstres...
En l’occurrence, la volonté de del Toro de « corriger » la fin de Creature from the Black Lagoon en faisant en sorte que la Bête se tape la Belle, sur le papier j’adore l’idée. Vraiment. Mais ici et une nouvelle fois, il me manque quelque chose pour adhérer pleinement au projet. Il y manque de la chair, de l’incarnation, bref quelque chose qui irait au-delà de la jolie boîte à musique qui délivre sans aucun accroc une histoire finalement assez attendue.

On a donc affaire ici à un conte dans ce que cela implique de plus naïf, appuyé par la ritournelle toute mignonne de Desplat, avec sa gentille très gentille et son méchant très (voire UBER !) méchant. Mais à force de rester dans cet univers ultra codifié et comme alourdi par une production design extrêmement chiadée, on ne croit pas en grand-chose, et malheureusement et en premier lieu, en cette histoire d’amour hors norme.
Pourtant, il faut saluer le boulot effectué sur la créature qui parvient à dégager quelque chose de véritablement sensuelle, avec cette posture impressionnante et ce corps magnifiquement sculpté. On aimerait croire en la fascination qu’elle exerce sur le personnage d’Eliza, mais ça ne prend jamais vraiment.
Et même si del Toro aborde le sexe pour la première de manière aussi explicite, je n’arrive jamais à y croire, ça me semble comme plaqué artificiellement.

Alors j’apprécie le charmant livre d’images que The Shape of Water est indéniablement (enfin, vaut quand même mieux aimer le bleu), avec ses envolées chelous pour un blockbuster même d'auteur (la séquence de comédie musicale), mais je me prends surtout à rêver au film que ça aurait pu être si del Toro avait réussi à apporter autant de soin à ses personnages qu’à ses décors.
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par Harkento »

A la moitié du film, je me suis dis que s'il s'était agit d'un premier film, j'aurais trouvé ça pas mal du tout, à la fois dans les références, son esthétisme, son élégance visuel ; j'ai bien aimé la musique qui ouvre le film mais le reste c'est vraiment sans plus. Mais avec la carrière qu'il a derrière lui, c'est difficilement tolérable 'd'aimer' ce film d'autant plus qu'il y injecte, comme je le disais, aucune personnalité. Même la photographie ne m'a pas paru formidable : même si l'on ne retrouve pas les gammes chromatiques mêlant couleur chaude et froide au sein d'un même plan, j'ai trouvé que visuellement, c'était un peu décevant. C'est juste sa façon de cadrer, ses mouvements de caméra, le rythme du film dans sa globalité qui m'a rappelé que j'étais bien dans un film de Tel Toro, mais ça ne m'a pas suffit pour autant, quand bien même il aborde la sexualité et la nudité mais, hélas, sans aucune transcendance. Jamais je n'ai ressentit de l'empathie pour le monstre aquatique, là où j'adore Hellboy (le 2ème opus est un pur joyau cinématographique), la créature du Labyrinthe de Pan et même ses Jaeger dans Pacific Rim qui avaient vraiment une 'âme' dans sa manière de les filmer et les mettre en scène dans les combats. La magie de Del Toro est elle en train de disparaître ??... Seule le personnage de Sally Hawkins trouve un peu grâce à mes yeux : c'est sans nulle doute celui qui a le plus de caractère.
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Jack Griffin
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par Jack Griffin »

Bien que j'y sois allé avec beaucoup d'appréhension, j'ai trouvé le film touchant. Del toro semble s'exposer ici plus frontalement, avec un investissement sur les personnages que j'ai senti ici très personnel (et cela inclue même celui de Michael Shannon, fascinant mélange de brutalité et de perte de soi).
J'ai vécu la séance comme une lutte entre la perplexité que me suscite toute cette imagerie et la croyance du cinéaste envers ces éléments. Et il y a ici un travail qui rendent vraiment les choses palpables, sensuelles. Un monde "physique" bien loin de la tartine numérique d'autres prods qui donne un vent de fraicheur.
Et je trouve pas le film si bêtement manichéen, y'a un regard et une sensibilité derrière qui lui donne une profondeur autre.
Pas mal.
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Alexandre Angel
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par Alexandre Angel »

Jack Griffin a écrit :Bien que j'y sois allé avec beaucoup d'appréhension, j'ai trouvé le film touchant. Del toro semble s'exposer ici plus frontalement, avec un investissement sur les personnages que j'ai senti ici très personnel (et cela inclue même celui de Michael Shannon, fascinant mélange de brutalité et de perte de soi).
J'ai vécu la séance comme une lutte entre la perplexité que me suscite toute cette imagerie et la croyance du cinéaste envers ces éléments. Et il y a ici un travail qui rendent vraiment les choses palpables, sensuelles. Un monde "physique" bien loin de la tartine numérique d'autres prods qui donne un vent de fraicheur.
Et je trouve pas le film si bêtement manichéen, y'a un regard et une sensibilité derrière qui lui donne une profondeur autre.
Pas mal.
Bien dit!
Je crois que c'est mon film du mois, même si on ne tient pas un chef d'œuvre. Ce film de genre a néanmoins de la classe.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Alexandre Angel
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par Alexandre Angel »

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SPOILERS IN THE BATHTUB!

Guillermo Del Toro, c'est déjà une vieille histoire.
J'avais vu Mimic à sa sortie (début de l'automne 1997)et, malgré un côté quelque peu répugnant, y avais pris plaisir tellement j'avais trouvé ça bien fait (je le reverrais d'ailleurs bien). J'avais ensuite été plus qu'épaté par l'invention glauque de Blade 2 et la capacité du réalisateur a osciller entre l'entertainment et le personnel (L'Echine du Diable) sans négocier d'un pouce la constance de sa personnalité.
Dans le même temps, je constatai également la chose suivante : le cinéaste montrait un talent consistant à compenser une certaine absence de style reconnaissable dans l'écriture par la caractérisation immédiate d'un univers, d'une plasticité et d'une technicité de poète surdoué dans l'utilisation des effets spéciaux les plus pointus. Autrement dit, sous la baguette de Del Toro, et comme rarement observé chez d'autres confrères, les pixels deviennent des notes de musiques sur une partition, intégrés à une mise en scène dont l'exubérance, très mexicaine, est, dans ces meilleurs moments, source de bien des joies et suscite bien des indulgences pour quelqu'un comme moi qui abhorre le plus souvent l'utilisation faite du numérique au cinéma.
J'ai remarqué n'attendre jamais vraiment avec impatience chaque nouveau film de Guillermo Del Toro, réalisateur finalement peu prolifique, mais une fois que je les ai sous les yeux, je sais que j'y reviendrai. Ainsi, j'ai du voir cinq fois Le Labyrinthe de Pan et trois ou quatre fois chaque Hellboy, à titre d'exemples, le deuxième étant mon préféré.

La forme de l'eau fut l'objet, je le reconnais, d'une attente plus forte que d'habitude, avec sa promesse (tenue) d'un vrai faux remake de L'Etrange Créature du Lac noir, d'une retrouvaille dont je pressentais qu'elle serait non seulement plus qu'une énième réactivation numérique d'une vieille lubie mais aussi qu'elle s'avérerait différente (au sens de "marquer sa différence") des évocations fétichistes vintage à la Tim Burton ou à la Joe Dante (comme le savoureux Panique à Florida Beach).

Le grand charme de La Forme de l'Eau est indissociable de celui de la manière mexicaine du réalisateur: cette façon de s'approprier des matériaux de récupération composites qui trainent un peu autour de lui comme certains sculpteurs utilisent tout ce qui leur tombe sous la main pour donner forme à une création finalement homogène. Les films de Del Toro évoquent l'architecture de Gaudi : impure, biscornue mais vivante, organique, chatoyante.
Tout ce qui compose La Forme de l'Eau a été vu ailleurs : la musique de Desplat évoque celle de Hugo Cabret; le méchant incarné, plutôt bien, par Michael Shannon, on ne connaît que lui dans sa façon de devenir dingue à mesure que la maîtrise des événements lui échappe; le décorum, on ne le sait que trop, renvoie à Jean-Pierre Jeunet et la petite scène de comédie musicale à The Artist beaucoup plus qu'aux comédies musicales américaines de l'âge d'or.

Mais La Forme de l'eau n'est pas sans évoquer un autre film d'obédience aquatique qui pourrait en être la source d'inspiration secrète et inconsciente, à savoir La Leçon de piano, de Jane Campion, dont le romantisme échevelé donnait le même type d'images fantasmagoriques que celles qu'imagine Del Toro. Comme dans le film de 1993, on a une femme mutique, un ou deux doigts sectionnés (peu importe à qui ils appartiennent), une relation érotique entre une femme et une "créature" (chez Campion, c'était Harvey Keitel qui remplissait ce rôle animal de "faune" humain au visage bardé de signes maoris), un méchant tout de rectitude écorchée et obsessionnelle (Michael Shannon d'un côté, Sam Neill de l'autre)et cette image commune d'une femme entrainée dans les profondeurs amniotiques du récit.
Les deux films ont aussi le même type de défauts inscrits dans la séduction qu'ils dispensent pourtant: une propension à l'impur, à l'accumulation de signaux par endroits encombrants générant un effet bric-à-brac chez Del Toro, des effluves new age chez Campion.
Mais ils ont en commun la même générosité fantasque tout comme, hasard de l'actualité, le Phantom Thread, de Paul Thomas Anderson, qui est aussi une histoire d'amour à la forte teneur iconographique.

La beauté du film de Del Toro est que cette profusion de signes, de motifs ne l'empêche jamais de respirer. Que ce soit dans sa dynamique : les deux heures glissent toutes seules portées par un tempo qu'on croirait emmené par Gene Krupa et la cohabitation entre les différents états du récit et les personnages qui les représentent s'avère harmonieuse (pas de gêne à ce que la guerre froide et ses (ultra) violences côtoient une certaine féerie cocteauesque)et même aussi pertinente qu'une autre alors qu'il s'agit d'évoquer l'Amérique du début des années 60.
Ou bien dans l'émotion que dispense cette sarabande de personnages certes esquissés mais aussi solidaires que les freaks de Tod Browning et soudés autour de la figure d'un dieu aquatique à l'expression aussi triste et hagarde que l'extra-terrestre de Man from Planet X d'Edgar G.Ulmer.
Dernière modification par Alexandre Angel le 1 mars 18, 23:01, modifié 1 fois.
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Coxwell
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par Coxwell »

Malheureuse relecture poussive du mythe de la Créature du lagon noir sans once d'originalité et de talent si ce n'est de drôlement "s'inspirer" de certains classiques du fantastique. On comprend d'ailleurs le malaise de Guillermo Del Toro répondant à la critique de Jean Pierre Jeunet sur les "emprunts" à son cinema. À la question de savoir pourquoi il avait platement et maladroitement singer quelques références à "Amelie Poulain" et "Delicatessen", Guillermo del Toro aurait répondu : "Mais non Jean Pierre, tu sais en fait, on doit tout à Terry Gilliam". Fabuleuse façon de botter en touche et de niveler/réduire le talent supposé de l'autre au même niveau de celui... qu'on a pas ? À défaut de proposer une richesse d'écriture comparable aux modèles cités, Del Toro s'est contenté d'écrire une banale histoire manichéenne, longue et ennuyeuse, peu habitée et totalement factice et grotesque sur le plan émotionnel. Le grand conteur de récits historico-fantastiques (Le labyrinthe de Pan) s'est évaporé. Énorme déception.
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par Demi-Lune »

Tom Peeping a écrit :La forme de l'eau / The shape of water (Guillermo del Toro, 2017) 0
Dans un laboratoire secret des Fifties, une femme de ménage muette et un humanoïde aquatique se rapprochent. La hideur de la lumière verte et jaune, des décors, de la musique, de l'écriture, de la mise en scène à la Amélie Poulain, de l'artificialité putassière... bref de tout m'a fait fuir au bout de 30'. Je ne verrai donc jamais si elle trouve le bonheur avec le monstre (j'en doute). Le genre d'histoire que j'adore terrassée par un réalisateur à gerber. BR FR
Max Schreck a écrit :j'ai trouvé étouffant cet univers baignant dans le formol, cette poésie artificielle. Pourtant c'est clairement un film personnel, mais la narration est vite répétitive, et l'attention accordée à l'ogre Shannon m'a semblé démesurée. À l'image d'un final cheap dans sa mise en image, l'histoire manque d'ampleur malgré l'importance accordée au contexte. Pas du tout aimé.
Phnom&Penh a écrit :Impression très bizarre sur ce film. Il n' a cessé de m'agacer pendant la séance, par ses caricatures et ses invraisemblances de scénario, mais au final, j'en ai plutôt un bon souvenir.
Thaddeus a écrit :La forme de l’eau (Guillermo Del Toro, 2017)
La naïveté est une grande vertu pour qui l’exprime sans l’altérer, la traduit en images chargées d’émotion immédiate. Ce conte de fées épuré jusqu’au simplisme, bardé de symboles et d’archétypes, ne peut être accusé du moindre calcul. Mais si la sincérité est une chose, le talent en est une autre, et il n’est pas sûr que Del Toro aie celui d’insuffler à la fable politico-fantastique le trouble qui lui permettrait de dépasser la joliesse un peu frelatée de sa facture. Strié dans une gamme anesthésiante de tons bleu-verts, le film brocarde les penchants réactionnaires d’une société américaine repliée sur la conviction de sa supériorité, exalte l’humilité et l’innocence de sa confrérie de marginaux, et ne suscite à force de clichés anémiques qu’une vague et magnanime adhésion – là où on voudrait être chaviré. 4/6
Dernière modification par Demi-Lune le 1 févr. 19, 13:29, modifié 2 fois.
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Re: La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro - 2017)

Message par Alexandre Angel »

Thaddeus a écrit :La forme de l’eau (Guillermo Del Toro, 2017)
La naïveté est une grande vertu pour qui l’exprime sans l’altérer, la traduit en images chargées d’émotion immédiate. Ce conte de fées épuré jusqu’au simplisme, bardé de symboles et d’archétypes, ne peut être accusé du moindre calcul. Mais si la sincérité est une chose, le talent en est une autre, et il n’est pas sûr que Del Toro aie celui d’insuffler à la fable politico-fantastique le trouble qui lui permettrait de dépasser la joliesse un peu frelatée de sa facture. Strié dans une gamme anesthésiante de tons bleu-verts, le film brocarde les penchants réactionnaires d’une société américaine repliée sur la conviction de sa supériorité, exalte l’humilité et l’innocence de sa confrérie de marginaux, et ne suscite à force de clichés anémiques qu’une vague et magnanime adhésion – là où on voudrait être chaviré. 4/6
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