Ben Shelby, un vétéran de la guerre de sécession, arrive au ranch de la famille Tallon près de Fort Defiance en Arizona. Au vieux Charlie et à Ned, son neveu aveugle, il se présente comme un ancien compagnon d'armes et un ami de Johnny, l'autre neveu, qui est attendu au ranch, lui aussi de retour de la guerre. Malgré la méfiance de Charlie, après que Ben leur soit venu en aide, il reste au ranch pour y travailler en attendant le retour de Johnny. Ned parle avec fierté des médailles et des honneurs reçus par son frère mais Charlie apprend à Ben Shelby qu'en réalité Johnny est devenu un hors-la-loi, puis qu'il serait mort. C'est alors que celui qui était devenu plus qu'un employé du ranch, un ami de la famille et un nouveau modèle pour Ned, révèle son véritable dessein lorsqu'il s'était installé chez eux : tuer Johnny qu'il pensait responsable de la mort de tous les hommes de sa section – dont son frère - lors de la dernière bataille de la guerre, suite à une trahison de Johnny. Bientôt, Dave Parker – un des notables de Fort Defiance - et ses hommes arrivent au ranch, eux aussi pour se venger de Johnny et qui, par défaut, veulent abattre Ned. Tandis que Charlie protège leur sortie, Ned et Ben prennent la fuite. C'est alors que Johnny, finalement bien vivant, fait sa réapparition …
Dane Clark, épisode 1 :
Une histoire de vengeance qui du début à la fin ne cesse de s'enrichir, de se complexifier et sur laquelle vient en permanence s'agréger des éléments extérieurs au « drame familial », en particulier le contexte historique : la guerre de sécession et les guerres indiennes, sans jamais nuire au cœur du film mais ajoutant simplement des situations donnant, d'une part, de très bonnes séquences d'action mais obligeant surtout à souder provisoirement les ennemis intimes contre des ennemis plus immédiat ce qui retarde l'affrontement prévisible entre Ben et Johnny qui, en cours de route, en plus du conflit né de la guerre, sont aussi devenus rivaux en raison des liens qui se sont noués entre Ned et Ben, ce dernier se substituant progressivement à un frère « de sang » finalement semble-t-il bien moins admirable que le souvenir qu'il avait laissé de lui avant de partir à la guerre et de ce que Ned avait su de son comportement au cours de celle ci.
Dès le début, le film se montrait déjà très fort sur ses personnages, très bien écrits, au sein d'un scénario très structuré qui installait de manière très habile les prémisses du drame : l'arrivée de Ben qui progressivement tissait – presque malgré lui – des liens fraternels avec le frère de son ennemi juré, chacun d'eux se trouvant mutuellement un frère de substitution puisque Ben avait donc perdu le sien lors de la dernière bataille de la guerre, celle là même où Johnny aurait déserté et du coup, il se montre à la fois satisfait et gêné par cette situation car s'il n'a pas repris sa vie d'avant (il est marié et sa femme bien que jusqu'au bout invisible est un personnage à part entière du film) c'est pour tuer un « traître » … celui là même qui, dans un premier temps, est idolâtré par Ned …
Mais avant même que Ben ne s'installe au ranch, scénariste en metteur en scène amènent le doute et l'incertitude, même sur lui (dans la séquence d'ouverture, devant le panneau indiquant le ranch Fallon, Ben recharge son revolver, attitude qui contredit sa présentation à la famille qui survient juste après). En cause aussi et surtout, tout ce qui a trait à Johnny : la façon dont Charlie Fallon se méfie de voir quelqu'un qui se présente comme un ami de son neveu, ce qui visiblement le surprend, puis diverses petites touches par la suite commencent à esquisser un portrait de Johnny, avant même son retour, qui contredit les histoires que racontent Charlie sur ce neveu qui se serait conduit de manière héroïque à la guerre … ce qui est à la fois vrai (car il fut notamment décoré par Lincoln)… et faux (sur ce point là, c'est aussi au fur et à mesure que l'on apprend ce qui c'est vraiment passé et presque jusqu'aux derniers instants du récit, on en apprend davantage et notre opinion change et évolue)
Progressivement, Ned découvre donc que son frère n'est pas seulement le héros multi décoré dont son oncle racontait les exploits mais un homme qui aurait finit par déserter entraînant la mort de centaines de soldats avant de devenir un hors-la-loi à la fin de la guerre. Et parallèlement, naissent des liens d'amitié de plus en plus forts entre Ben et Ned sans qu'à aucun moment rien ne soit fait pour que le personnage du handicapé n'attire spécialement la sympathie sur lui, encore moins la pitié et d’ailleurs Peter Graves – souvent assez pâle – se montre très à son avantage dans ce qui était l'un de ses premiers films. Le handicapé est juste ici un personnage vulnérable moins attendu car c'est ici un jeune homme et pas un enfant, une femme ou un homme vieillissant. Vulnérable, Il le devient encore davantage hors du ranch familial et du coup, à partir du moment où les deux hommes sont en fuite, Ned étant bien plus exposé, il est concrètement plus dépendant de Ben, ce qui renforce leurs liens.
La fuite de Ben et Ned intervient après l'attaque du ranch par les hommes d'un personnage secondaire plus convenu de « potentat local » qui lui aussi à eu un de ses frères tué à la guerre -dit-il- à cause de Johnny et qui vient tuer un Tallon … sans préférence … Ce personnage de vengeur qui finit par défendre la famille de son pire ennemi contre un autre vengeur plus enragé n'est que le premier événement assez imprévisible d'un film qui en comporte beaucoup … Cet événement, puis, juste après, seulement au bout d'une demi heure, l'arrivée « surprise « de Johnny (pour les protagonistes, pas pour le spectateur attentif au générique
), présumé mort, relancent donc l'histoire et coïncide avec une accélération du récit. Celui ci prend alors des directions imprévisibles, divers événements retardant le règlement de comptes inévitable (quoique ...) entre Ben et Johnny, notamment l'arrivée des indiens car alors que les Tallon avaient toujours cohabité avec les Navajos à qui ils offraient volontiers quelques têtes de bétail pour leur permettre de survivre, ceux ci se sont révoltés depuis que le gouvernement américain a décidé de les rassembler pour les déplacer vers une réserve de l'Oklahoma.
Pourchassés par des tueurs, les deux hommes fuient donc un danger immédiat … pour aller au devant d'un autre encore plus grand : les Navajos … Ils récupèrent rapidement un allié : Johnny, qui les retrouve, mais qui se trouve être aussi un ennemi de l’intérieur pour Ben (même si c'est uniquement Ben qui veut toujours manifestement tuer Johnny …. et s'y essaye). Mais la supériorité de Johnny sur Ben, la compréhension par Johnny de l'attachement de Ned pour son rival qui en son absence l'a évincé et les événements extérieurs les forcent sans cesse à ne pas aller au bout du solde du conflit : une première escarmouche avec les indiens, une patrouille de tuniques bleues, la défense d'une diligence attaquée par une bande de navajos bien plus imposantes …
Cet incident apporte un ingrédient de plus : la romance, elle aussi pas très ordinaire puisque Ned est séduit par une femme dont l'apparence montre à l'évidence qu'elle est une saloon girl, ce que Ned, aveugle, ne peut savoir. Sans donner dans la mièvrerie, le film accuse peut-être un peu plus son temps dans le traitement de l'idylle car la pauvre fille, avec son vécu, culpabilise un peu d'abuser de la confiance d'un jeune naïf et "aveugle " à son passé. Mais elle est rassurée par Ben … et Johnny, après avoir été étudiée par ces derniers.
Oui, même Johnny car l'homme est loin d'être celui que l'on attend après tout ce qui est dit sur lui, même si lorsqu'il apparaît brutalement, on craint d'avoir affaire à un méchant très caricatural. Mais finalement, il n'en est rien et au contraire, Dane Clark interprétait là le personnage le plus complexe qu'il aura eu à jouer dans un western. Des tas d’événements ajustent et font reconsidérer en permanence notre perception de Johnny, avant même qu'il n' apparaisse ; avec d'un coté, la violence et les sarcasmes :
Aux hommes de Parker, il se présente ainsi :
« Je suis le représentant de l'ange Gabriel. Avez vous entendu parler de lui ? Mon travail consiste à contrôler les dernières funérailles « puis ajoute : « “Si on peut parfois mourir de morts naturelles, quelquefois ma mission consiste à accélérer le processus » ( il revient au ranch au moment même où les hommes de Parker sont en train de finir de mettre des pierres sur la sépulture de son oncle Charlie et plaisantent sur le cadavre et il les piège, les force à dégainer et les abat en affichant un rictus de satisfaction)
Mais la plupart de ses sarcasmes, il les réserve à Ben qu'il appelle ironiquement "Mr. Only Survivor" (de la bataille) et des paroles, les deux hommes passent aux actes (ils se bagarrent, d'aucuns trouveront une fois de trop) mais il se révèle vite plus complexe qu'il n'y paraît et son attitude oscille en permanence entre provocations (à destination du rival, celui qui devient sous ses yeux le nouveau modèle de son frère : c’est Ben que Ned appelle lorsqu'il se sent en danger) et les attitudes plus révélatrices de ses blessures : il est touché par la mort de Hankey, son unique compagnon de route (qui disparaît très vite) puis, alors que l'on pense qu'il va demander à la fille facile d'oublier son frère, il se montre compréhensif et cherche simplement à la jauger). D'autre part, à plusieurs reprises, le « lâche » se montre au contraire très courageux, notamment en se portant seul face à une attaque indienne (la séquence est d'ailleurs admirablement et spectaculairement mise en scène par Rawlins, Johnny se jetant au sol à la renverse se retrouvant couché dos au sol au moment de faire feu avec ses deux revolvers à la fois). Et surtout, alors qu'il est à l'évidence plus puissant et surtout meilleur tireur, il ne supprime pas son rival...en partie par égard pour son frère. Face au laconique Ben (remarquablement interprété tout en sobriété par l'excellent Ben Johnson) et au « bon » et doux Ned, Johnny n'est en tout cas pas du tout « la brute ». Il le prouvera plus d'une fois, son désir de rachat étant mis en évidence à plusieurs reprises dans des détails que je ne révèle pas sauf partiellement en ce qui concerne le final qui se révèle une fois de plus riche car à la fois très spectaculaire, touchant et empreint d'un certain romantisme noir (inédit dans ce film … qui surprend donc encore dans son épilogue. Et même d'ailleurs jusqu'à son image finale)
Bon, pour un tel film, j'en ai encore 50 lignes sous le pied mais je les épargne aux quelques lecteurs qui seraient arrivés jusque là. Un petit mot sur la photographie. Le travail de Stanley Cortez est tellement remarquable et les paysages sont tellement magnifiques (notamment les falaises rouges de la région de Gallup, Nouveau Mexique) que l'on regrette l'emploi du procédé Cinecolor qui est probablement responsable des ocres et des rouges trop intenses et uniformes des extérieurs et des bleus nuits des intérieurs. Sinon, c'est pour moi le meilleur western de Dane Clark (mais je n'ai pas vu Thunder Pass, 1954) et le meilleur film de John Rawlins que j'ai vu. Et pas d'un peu. Pas un chef d'œuvre, non, mais des séries B comme celle ci, il n'y en a pas tant restant à éditer. Vu (à peu près) en vost