Jean Rouch (1917-2004)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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Re: Jean Rouch (1917-2004)

Message par Jeremy Fox »

Solaris Distribution rend honneur au cinéaste Jean Rouch en ce mois de juin avec la réédition de six de ses films : Moi, un noir, La Chasse au lion à l'arc, Petit à petit, Jaguar, La Pyramide humaine et Les Maîtres fous. On en parlait longuement il y a un peu plus de dix ans lors de la sortie de dix de ses films en DVD. Rewind
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Thaddeus
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Re: Jean Rouch (1917-2004)

Message par Thaddeus »

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Les maîtres fous
Avec ce document étonnant sur les rites de possession de la secte des Haoukas, au Niger, Rouch associe aux images de pratiques incompréhensibles pour des non-initiés la précision et l’objectivité d’un commentaire explicatif qui en interdit toute interprétation "raciste". Les transes sanglantes et saisissantes des possédés, leurs identifications aux figures de la colonisation laissent ainsi percevoir l’impact des données sociales importées par l’Occident en Afrique noire. Elles permettent aux yeux européens, tentés de les mettre au compte d’une quelconque sauvagerie primitive, de mieux connaître ce que d’habitude ils ignorent ou méprisent. Quant aux imperfections techniques, elles ne comptent guère lorsqu’au milieu de cinéastes qui croient avoir tant à dire surgit un homme qui a beaucoup à montrer. 4/6

Moi, un noir
Ils se font appeler Edward G. Robinson, Eddie Constantine ou Dorothy Lamour, ils habitent les faubourgs populaires d’Abidjan, ce sont des jeunes gens frais sortis de la brousse nigérienne, déjà acculturés aux stéréotypes de la civilisation occidentale, et dont les rêves de réussite se fracassent sur les barrières du quotidien. Faisant surgir du réel la part d’imaginaire dont il est tissé, Rouch remet en cause l’opposition, canonique depuis Lumière et Méliès, entre documentaire et fiction. Représentants symboliques du sous-prolétariat urbain secrété par les grandes métropoles du monde, les héros de ce film-miroir témoignent pourtant d’un appétit de vivre qui les rend capables de réenchanter l’existence. Le film est à leur image, aussi lucide que généreux, vibrant à l’unisson de leur tendance poétique. 5/6
Top 10 Année 1958

La pyramide humaine
Le réalisateur multiplie ici les directions de regard et pratique une expérience d’ethnologie mixte dans une classe du lycée d’Abidjan, où Africains et Français se côtoient sans se fréquenter. Le psychodrame scénarisé en évolution aléatoire croise les jeux subtils du langage, de l’appartenance au groupe, de l’amitié désirée et concrétisée. La douceur romantique de Nadine, la formidable sagacité médiatrice de Denise, les ardeurs généreuses des garçons qui les entourent, l’intelligence, la fraîcheur, l’humour qui émanent de ces jeunes gens extrêmement attachants composent, en dépit même des gemmes racistes, des préjugés sociaux et des automatismes culturels mis en lumière, le plus convaincant des chants pour l’ouverture, la curiosité et l’enrichissement mutuel. Rouch est décidément très fort. 5/6
Top 10 Année 1961

Chronique d’un été
En appliquant aux rues et aux habitants de Paris, le temps d’un été, ses principes du cinéma-vérité, Rouch passe de l’anthropologie à la sociologie. Les problèmes, les soucis, les joies et les peines de chaque intervenant composent une mosaïque bouleversante qui interroge le vécu et l’intimité de chaque spectateur et le pousse à s’impliquer au sein même des témoignages. Marceline, Marie-Lou, Angelo, Jean-Pierre et les autres nous touchent, nous interpellent, nous rappellent ce que sont vivre en cette société et être perméable aux existences de nos prochains. La dernière partie en forme d’autodissection vertigineuse, qui réfléchit le procédé du documentaire en appelant chaque participant à s’exprimer sur la manière dont les images filmées ont été perçues, entérine définitivement la modernité de cette œuvre magistrale. 5/6
Top 10 Année 1961

Jaguar
Le journal de bord de trois amis nigérians partant vers la Côte d’or pour tenter d’y amasser une petite fortune. Tourné en 1954, le film est une sorte de brouillon de Moi, un Noir, une élaboration plus proche du reportage conditionné que d’une invention pleine et entière d’où jaillirait une observation critique du réel. Attaché à un paysage fermement et discrètement imposé, comme la terre que les héros habitent avec une sérénité héraclitéenne, où l’ombre des baobabs accueille palabres, joueurs de cartes et écrivains publics, où germent aussi l’énormité des marchés et la monotonie des bidonvilles, il offre une autre déclinaison de cette forme de création commentée par les protagonistes eux-mêmes, d’un accent de conteur truculent, mi-moraliste mi-griot, qui décrit et explique, qui réfléchit et prouve. 4/6


Mon top :

1. Chronique d’un été (1961)
2. Moi, un noir (1958)
3. La pyramide humaine (1961)
4. Les maîtres fous (1955)
5. Jaguar (1967)

Documentariste d’une importance cruciale dans l’histoire et l’évolution du cinéma français, Jean Rouch a toujours traité des individus, des sociétés et de l’anthropologie au sens large, revendiquant son droit à la subjectivité, estimant impossible de se borner à un simple travail d’enregistrement du réel. Ses plus grands films constituent sans doute l’une des charnières de la modernité cinématographique.
Dernière modification par Thaddeus le 20 août 23, 10:53, modifié 2 fois.
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Alexandre Angel
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Re: Jean Rouch (1917-2004)

Message par Alexandre Angel »

As-tu vu le désopilant (quoique un peu long) Cocorico, Monsieur Poulet ? :mrgreen:
J'ai toujours un peu de mal à revoir Les Maîtres fous car je le trouve assez éprouvant (la bave blanchâtre a tendance à avoir raison de moi). Le film est pourtant un sommet. Jean Rouch, on le perd de vue, on oublie qu'il existe et soudain, il sait se rappeler à notre bon souvenir.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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Thaddeus
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Re: Jean Rouch (1917-2004)

Message par Thaddeus »

Alexandre Angel a écrit :As-tu vu le désopilant (quoique un peu long) Cocorico, Monsieur Poulet ? :mrgreen:
Je ne l'ai pas intégré dans ce récap, donc...
J'ai toujours un peu de mal à revoir Les Maîtres fous car je le trouve assez éprouvant (la bave blanchâtre a tendance à avoir raison de moi).
Sans parler des sacrifices de poulets et autres joyeusetés... C'est clair que le visionnage du film n'est pas une partie de plaisir.
bruce randylan
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Re: Jean Rouch (1917-2004)

Message par bruce randylan »

Les Editions Montparnasse ont crée une page Viméo avec une vingtaine de films du cinéaste en accès libre ! :o

https://vimeo.com/channels/jeanrouchunc ... ger/videos
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
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