Landru, 1963
Composition bizarre de Denner, entre sa voix déguisée et d'évidents postiches qui n'empêcheront cependant pas sa magnétique présence d'imprimer l'écran. Et il est de toutes les scènes. Le casting face à lui n'a pas à palir, Chabril alignant de grandes dames (Danielle Darrieux, Michèle Morgan, Stéphane Audran), et trouve toujours de la place pour son copain Zardi. On s'amusera aussi de la participation incongrue d'un Raymond Queneau comiquement grimé en Clémanceau, secondé par son ministre Jean-Pierre Melville, touchant tant il ne semble pas très à l'aise (après Godard, Chabrol tenait lui aussi à lui offrir une apparition clin d'oeil ?). Et j'ai été charmé du début à la fin par l'exquise écriture des dialogues, signées Françoise Sagan, pleins de formules de politesse et d'ironie délectable qui sont comme autant d'expressions convaincantes des codes sociaux de cette Belle époque.
Evidemment à sa place pour traiter de cette grande figure d'assassin de bourgeoises, qu'elles soient veuves ou vieilles filles, Chabrol semble vouloir assumer le sentiment de fascination exercé par le personnage sur son entourage (de sa famille presque complice à son avocat plein d'empathie malgré le doute). Le réalisateur aurait pu appeler son film "Le Mystère" Landru, tant il est dans une démarche qui ne cherche pas à expliciter le comportement d'un assassin qui, jusqu'à l'échafaud, clamera son innocence. Le dernier tiers du film a beau être entièrement consacré à la reconstitution minutieuse du procès, la vérité ne sera jamais exposée. Bien que toujours hors-champ, ses crimes ne font pourtant aucun doute pour le spectateur, ses motifs nous sont connus : l'argent. La mobilisation des hommes entre 1914 et 1918 lui a offert un créneau dans lequel il a choisi de s'engouffrer. Mais à la différence du portrait qu'en faisait Chaplin dans
Mr Verdoux (film que j'adore), on n'assistera pas ici à une mise en accusation impitoyable de la boucherie inhumaine de la Guerre des tranchées. L'élément intéressant tiendrait plutôt dans la thèse selon laquelle le procès aurait été instrumentalisé, surmédiatisé par le pouvoir politique pour que l'opinion politique se désintéresse des négociations de paix, qui faisaient alors polémique.
Formellement, le film est à mes yeux un peu plombé par les choix de mise en scène de Chabrol (cadrages, éclairages pleins feux) qui donnent une impression d'artificialité, de théâtralité, qui ne met pas vraiment en valeur le remarquable travail de direction artistique les décors, accessoires et costumes, où on sent que chaque élément est soigneusement choisi pour être raccord avec la période. Or j'ai eu en même temps l'impression que le réalisateur cherche aussi à certains moments à créer de l'émotion romanesque, dans certains enchaînements, dans ses portraits de femmes amoureuses, souvent très joliment soulignés par les romantiques orchestrations du fidèle Pierre Jansen, évitant pour une foix la dissonance.