Here I come !
Je ne sais pas si en 2017 on a encore le droit d'employer l'expression "3615 ma vie" mais j'ai une affection particulière pour ce cinéaste dont j'associe la découverte à mes toutes premières fréquentations de la Cinémathèque française. Je voyais régulièrement apparaître dans le programme le titre (qui pourrait faire penser à la sequel d'un obscur slasher) et le résumé intriguants de
Slaughterhouse-five. Une fois cédé à la curiosité ce fut un choc... Je me souviens encore du générique dans la neige sur fond de Bach, suscitant une fascination qui ne m'a plus lâché jusqu'à la fin... Au vu des autres films de Hill, j'ai à chaque fois retrouvé la même singularité, œuvres peu conventionnelles mettant souvent en scène avec tendresse des personnages qui s'obstinent à vouloir vivre dans un monde à part, fantasmé, jusqu'à ce que la réalité tragique les rattrape. Et par dessus ça, un sens du comique grinçant assez perturbant. Bref un cinéaste brillant sans être prétentieux, à la fois solide techniquement mais plein de fantaisie, ce rend ses film si vivants, incontestable expression d'une vraie personnalité, et leur permet d'être revus avec énormément de plaisir.
Butch Cassidy and the Sundance kid (Butch Cassidy et le Kid), 1969
Je connaissais la BO, j'ai enfin découvert le film. Et j'ai été très surpris. Je m'attendais à une sorte de relecture nostalgique, très ironique, de la légende de l'Ouest, un divertissement léger et folklorique. Or George Roy Hill et son scénariste William Goldman proposent plutôt une sorte de post-western, très épuré, avec une intrigue véritablement réduite à son minimum. On a du coup l'impression d'être devant un univers qu'on croyait familier mais qui apparaît presque désolé. Butch Cassidy et Sundance Kid semblent complétement réduits à subir les événements, ne survivant que difficilement dans une époque qui ne leur laisse plus grand chose à faire. Une bonne partie du métrage est par exemple occupée par une poursuite presque surréaliste, le deux compères ignorant qui est après eux, et échouant à semer leurs poursuivants. Le film adopte ainsi une imprévisibilité dans son rythme et son ton. Il y a de l'humour, certes, surtout dans certaines répliques, mais les deux héros ne sont pas pour autant des clowns. On retrouve en fait ces personnages typiques de Hill, souvent déphasés et finalement très touchants.
Le génie de la mise en scène s'impose dès la splendide séquence d'ouverture en sépia. Hill se permet même quelques expérimentations lors du voyage des personnages pour la Bolivie, en passant par New York, représenté par un long montage de simples photographies. Les décors traversés sont magnifiques. Et puis la zique de Burt Bacharach est plus que jamais un délice à entendre lorsqu'on la voit enfin associée aux images, en particulier ce superbe morceau aux chœurs tantôt lyriques tantôt mélancoliques qui accompagne les braquages des banques boliviennes. Bref, j'ai été pas mal interloqué par les directions prises par le film, qui distille un charme étonnamment durable.
Slaughterhouse-five (Abattoir-5), 1972
Le récit semble tellement fou et libre, tout en dégageant énormément de mélancolie et de désespoir. Les scènes de Dresde sont en soi un petit monument sur les horreurs de la guerre, pleines de violence et d'absurdité. Le personnage de Billy Pilgrim est une grande figure tragique, au sens antique, condamné d'une certaine manière à revivre passivement les mêmes événements traumatisants, pleinement conscient de ce savoir sans pouvoir rien y changer (c'est pas
Edge of tomorrow). La deconstruction sert ici complétement le récit. Il n'y a pas de la part du cinéaste une volonté de confusion du spectateur, mais plutôt une tentative de lui faire suivre Pilgrim à la trace, quasiment en temps réel. En même temps, en tant que spectateur, on est complètement envoûté par l'originalité de la narration et de l'univers proposé, qui en font vraiment un spectacle à part et marquant. J'ai vraiment trouvé cette histoire passionnante, poétique et émouvante. Avec ce qui m'est apparu par la suite comme une constante chez Hill : révéler la part de grotesque de l'existence, mais de façon crédible, sans verser dans la caricature, avec cette idée que la réalité dépasse la fiction. Une vision qui du coup justifiera pleinement qu'il s'attelle par la suite à l'adaptation d'un autre roman réputé intransposable, le
Garp de John Irving.
The Great Waldo Pepper (La Kermesse des aigles), 1975
Dans cette évocation nostalgique des pionniers de l'aviation, Redford est parfait, figure presque enfantine qui vit sa passion comme un rêve. On est vraiment amené à vivre avec lui l'époque où le ciel va cesser d'être un terrain de jeu pour devenir une véritable autoroute avec le développement de l'aviation civile. En fait, le film raconte plein de choses. Le scénario — signé William Goldman quand même — est extrêmement riche, et je n'ai jamais eu l'impression qu'un élément prenait le pas sur l'autre. Les personnages sont attachants, et comme souvent chez Hill on passe dans la même scène du burlesque le plus délicieux au tragique le plus glaçant. Et puis les scènes d'acrobaties aériennes sont toujours aussi époustouflantes grâce à un savant art du montage. C'est vraiment un film formidablement attachant, qui sous couvert de divertissement élégant cache bien son jeu et sa profondeur, et que je revois avec beaucoup de plaisir.
Slap shot (La Castagne), 1977
Archétype d'un certain genre du film de sport, de ceux mettant en scène une équipe de bras cassés qui tente un dernier baroud d'honneur sous la supervision d'un coach minable (genre porteur puisque, à l'instar des
Petits champions,
Slap shot connaîtra plusieurs suites). Par le passé, Hill a souvent fait preuve d'une certaine tendresse pour ces personnages de perdants magnifiques (Butch Cassidy et le Kid, Waldo Pepper). Ici il préfère plutôt se marrer et ne pas trop se préoccuper de finesse. Il met en scène des hockeyeurs bien bourrins, paillards et un peu demeurés aussi, facilement manipulés par un Paul Newman prêt à tous les coups bas pour maintenir son équipe dans le championnat et éviter sa dissolution (l'arrière-plan social à base de fermeture d'usine est juste effleuré). Sa tactique va consister à diffuser de fausses rumeurs et surtout à tabasser sans pitié l'adversaire, créant un show complétement bordélique qui va les rendre ultra-populaires auprès du public, et donc de possibles investisseurs.
Grâce à la présence de vrais hockeyeurs (notamment les impayables frères Hanson), les scènes sur la glace sont bien efficaces, qu'il s'agisse des moments de vrai sport (tout de même présents) ou des bastons successives, toutes franchement délirantes et qui surviennent de plus en plus tôt. Pas besoin de connaître les règles puisqu'elles sont de toutes façons violées. Hill enchaîne ça presque comme une série de petits sketches et certains sont vraiment hilarants. Malgré son caractère excessif, presque cartoonesque, cette violence n'est cependant pas toujours plaisante. Newman encourage ses troupes à se montrer les plus agressifs et irrespectueux des règles, et en tant que spectateur on n'approuve pas toujours ce manque de fair-play (position heureusement également tenue par un des personnages du film). Newman apparaît un peu comme un vrai salaud, même si on comprend ses intentions. Celà dit, Hill ne semble pas chercher plus que ça à dramatiser son récit ou a imposer un point de vue critique. À côté de ces aspects peu subtils, le film est intéressant parce qu'il est encore ancré dans ce registre intimiste et existentiel typiquement 70's, avec notamment des beaux et touchants portraits de quelques femmes de hockeyeurs délaissées.
The World according to Garp (Le Monde selon Garp), 1982
(Rien que de revoir l'affiche ça me réchauffe le cœur, et me transporte à l'époque où elle prenait la poussière sur les murs du Grand Pavois...). Adaptation vraiment intelligente qui rend bien l'essence du génial roman d'Irving, justement réputé inadaptable, sans jamais paraître à la traîne. Le film pioche ce qu'il y a à piocher dans le roman, et non seulement il n'y a nulle trahison mais tout son propos m'y semble restitué sans simplification (récit initiatique, réflexion sur la création artistique, sur la sexualité, portrait de couple). Et j'apprends au passage que c'est Steve Tesich qui a signé le scénario. George Roy Hill s'avère être le réalisateur idéal de ce récit plein de grotesque, d'humour et d'émotion. On y retrouve son art de la tragi-comédie et plusieurs scènes me font immanquablement chialer. Mais la folle biographie de Garp ne serait qu'une fable pénible si sa pleine humanité n'était pas incarné par des comédiens trouvant la juste note. Et c'est ici le cas, avec dans un de ses premiers rôles un Robin Williams aussi magnifique que bouleversant, une Glenn Close parfaite et un mémorable John Lithgow qui coupe le souffle dans le rôle casse-gueule de Roberta. Une réussite absolue.
The Little drummer girl (La Petite fille au tambour), 1984
En vedette, une Diane Keaton étonnante dans cette adaptation particulièrement ambitieuse et réussie d'un roman impressionnant (comme toujours ?) de John Le Carré, histoire d'espionnage sans complaisance sur fond de guerre au Moyen-orient. Keaton y interprète une actrice ralliée malgré elle aux services secrets israëlïens. C'est très riche, le récit est impeccablement rythmé dans ses évolutions successives. Klaus Kinski livre une interprétation étonnamment maîtrisée, on croise également un Sami Frey au puissant charisme. Vraiment très bon et très fort. Par son ton assez glaçant, et sa approche du boulot inhumain qu'est celui des espions, on est ici dans la lignée des excellents
The Falcon and the snowman de Schlesinger, des
Patriotes d'Eric Rochant, ou de
Munich.