Satyajit Ray (1921-1992)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par Jeremy Fox »

Evènement cinématographique incontournable que la réédition en salle ce mercredi par Les Acacias de trois films de Satyajit Ray en copies numériques restaurées. Trois films très différents qui témoignent d'un artiste qui n'a cessé tout au long de sa carrière d'expérimenter de nouveaux genres, de nouvelles figures dans un constant souci de renouvèlement et de recherche. Le cinéma de Satyajit Ray se fait trop rare sur nos écrans et l'on vous promet qu'après avoir découvert ces trois films, vous attendrez avec impatience la deuxième partie de ce cycle qui comprendra La Grande ville, Le Héros et Le Saint...
Troisième reprise, celle de Le Lâche , toujours chroniqué par Philippe Paul que l'on remercie à nouveau.

Je dois dire être presque totalement en phase avec ses trois textes. Découvert le Dieu éléphant hier soir : très mineur mais pas forcément déplaisant pour autant surtout la première heure ainsi que le personnage assez hilarant du culturiste.
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par Federico »

Piqure de rappel :

Re-diffusion dans la nuit de samedi à dimanche prochain sur France Culture à 2h25 du Cinéma des cinéastes consacré par Claude-Jean Philippe à Satyajit Ray en 1983.

(Archive qui sera suivie par l"émission Pour tout vous dire avec Jean Renoir en 1958.)
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Jeremy Fox
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par Jeremy Fox »

Satyajit Ray en salles, deuxième !

Et c'est une nouvelle fois Philippe Paul qui s'y colle avec les chroniques de

Le Héros

Le Saint

et le plus beau film du lot : La grande ville
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John Holden
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par John Holden »

Merci Rick pour ces chroniques.
On attend désormais une sortie dvd. Dans le courant de l'année peut être ?
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par Rick Blaine »

John Holden a écrit :On attend désormais une sortie dvd. Dans le courant de l'année peut être ?
On peut envisager que le schéma des 3 titres précédents se reproduise.
En espérant que ces sorties DVD aient rencontré plus de public que les sorties salles, car si il y a échec, ça pourrait refroidir les ardeurs de l'éditeur. :|
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Jeremy Fox
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par Jeremy Fox »

Federico
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par Federico »

Et pour une fois, le terme de "chef-d'oeuvre intemporel" ne sera pas galvaudé...
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bruce randylan
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par bruce randylan »

Et c'est parti pour la grande rétrospective de la cinémathèque. Je sais pas si c'est une intégrale mais si c'est pas le cas, on doit pas en être loin. :D
La preuve avec ce programme constitué d'un moyen métrage pour la télévision et d'un documentaire.

Délivrance (1981)
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Un tanneur fatigué et affaibli se rend un jour de grande chaleur chez un brahmame pour lui demander de trouver une date pour le mariage de sa fille. Ce dernier profite de son rang supérieur pour lui imposer un certain nombre de tâches pénibles à effectuer.

En 45 minutes, Ray compose un drame sociale qui s'indigne violement des systèmes castes avec ce que ça implique d'injustices. Malgré sa relative courte durée, l'histoire est idéalement construite, répondant à une unité de temps pour une excellente concision et caractérisation des personnages. L'introduction ne perd pas de temps à introduire les personnages dont on comprend rapidement la nature par leur attitudes et niveaux de vie. La réalisation sait très bien accélérer le tempo à quelques reprises mais sans être jamais précipité. Peut-être ne sentons pas assez bien la canicule mais la fatigue et l'absurdité des travaux sont bien rendues avec un poids du destin très bien représenté par les multiples aller-retours devant une divinité sculpté. Sans parler de cet énorme troncs noueux qui semble bientôt être une métaphore symbolique.
De plus, j'ai apprécie que le film ne soit pas trop manichéen. Le brahmane et son épouse ne sont pas des monstres insensibles, mais sont avant tout trop recentrés sur leurs vies pour se rendre compte réellement du drame qui se joue.
La dernière partie effectue un petit virage vers la fable morale (grinçante) teinté de fantastique où le brahmane va être contraint d'effectuer lui-même une tâche délicate mais qui ne le lavera certainement pas de sa culpabilité (et qui renforce même cruellement cette lutte des classes).

Vraiment fort et assez poignant.
Et Ray exploite très bien son budget télévisuel avec une belle économie de moyen et une jolie photographie en couleur.

Sikkim (1971)
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Il s'agit là d'un documentaire d'un peu moins d'une heure sur l'un des plus petits états de l'Inde, coincé entre le Bhoutan, le Népal et la Chine d'où un brassage ethnique et culturel assez conséquent. Je ne connaissais pas cette région très montagnarde (assez enclavé et difficile d'accès j'imagine) qui abrite le troisième plus haut sommet de l'Himalaya. Les paysages sont vraiment magnifiques et ça donne envie de s'y rendre d'autant que la région est forcément très bouddhique.
Ray aborde donc les différents aspect du pays (géographie, cultures agricoles, différentes populations, folklore, système monarchique, religion, système éducatif) sans être scolaire. C'est très plaisant à découvrir, surtout en effet quand on n'y connaît rien. Le dernier tiers est un peu moins intéressant en s'attardant longuement sur la fête annuelle la plus importante du pays.
Le gros regret vient de l'état de la copie qui était très délavée avec des couleurs qui ont beaucoup perdu de leur éclats, ce qui est assez contrariant quand on connaît la beauté chromatique bouddhique (costumes, architectures, habits traditionnels etc...)

Et sinon, un peu déçu par les aventures de Goopy et Bagha (ou Goopy le chanteur et Bagha le joueur de tambour) de 1968.
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Les comédiens sont sympathiques, le récit original et ne manquant pas de fantaisie mais il souffre d'une durée bien trop longue de 2h15 avec des scènes trop étirées ou répétitives. C'est dommage car l'univers est plaisant pour un conte fantastique s'adressant avec candeur aux plus jeunes. De plus Ray semble essayer pas mal de trucs dans la réalisation, surtout lors de la grosse (et trop longue) scène de danse qui voit les esprits apparaître.
J'avoue donc m'être un peu ennuyé durant la seconde moitié qui manque cruellement de rythme. Heureusement la trouvaille visuelle de la dernière séquence est excellente et permet de finir sur une bonne note.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Le passage en couleur !
Mais après Le dieu éléphant, je me demande si Ray est vraiment très à l'aise dans les films "enfantins"
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par Jack Carter »

Merci pour ces comptes-rendu pour des films que je ne verrai probablement jamais (je parle de Delivrance et du doc).
Goopy & Bagha, j'ai en dvd, faut que je me le programme, tiens.
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The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
bruce randylan
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par bruce randylan »

Oh, c'est loin d'être introuvable non plus.

Délivrance est dans le troisième volume consacré au cinéaste chez Artificial Eye en UK.

Et sinon, on les trouve sur YouTube dans des copies tout à fait décentes. :fiou:
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Thaddeus
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par Thaddeus »

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La complainte du sentier
De son expérience d’assistant de Renoir sur Le Fleuve, Satyajit Ray a conservé l’approche sensualiste, la muette contemplation, l’attention au jeu cruel des cycles cosmiques. Il s’inspire également des méthodes du néoréalisme italien pour raconter avec un dépouillement, une exigence intérieure, un refus constant des compromissions dramatiques, l’apprentissage d’un enfant et sa quête obstinée d’une éthique supérieure, en cherchant à saisir les notes à peine audibles d’une harmonie universelle perpétuellement menacée. Loin des facilités du mélodrame, le film appréhende les êtres et les choses avec une spiritualité que n’exclut jamais la révolte ni le désir de justice sociale, et puise dans la pauvreté même de ses moyens et de son cadre un humanisme fervent. 4/6

L’invaincu
Apu, le petit héros bengali, est devenu adolescent. Il étudie désormais à Calcutta, grâce aux efforts d’une mère devenue veuve. Ce sont les livres qui le font grandir, puisque l’ellipse de sa transformation se déroule entre le moment où il lit à l’école un poème de Tagore et un autre où il reçoit des ouvrages de son professeur. Ray poursuit le tableau sans concession de la réalité humaine de son pays, tout en déplaçant la dimension presque panthéiste de son interrogation dans un cadre résolument plus urbain. Au rythme d’un conte hindou, sa caméra soucieuse de vérité filme l’initiation d’un jeune homme qui surmonte les contradictions et les mirages dont est pavé son chemin. Rigoureux, assez austère également, le film inspire le respect mais touche nettement moins que le précédent. 3/6

Le salon de musique
Un aristocrate vieillissant rumine ses souvenirs d’apparat dans un palais en ruine où les vestiges de beauté révolue se reflètent dans des glaces ternies. En de somptueux mouvements d’appareil, en des compositions cendrées restituant la déchéance d’une classe qui meurt de ses contradictions, le cinéaste livre son Guépard, étudie la fin d’un monde, analyse sur un mode mélodique et lancinant la transition fatale entre deux époques, deux cultures – la noblesse figée dans sa grandeur passée et la bourgeoisie montante et occidentalisée. L’amour de l’art, de la danse et de la musique s’exprime encore sous le lustre poussiéreux du salon, mais l’araignée du portrait remet le rêve à sa place, et le vieux maître trouve la mort en chevauchant sa monture une ultime fois, enivré par les chimères d’une jeunesse qu’il croyait retrouver. Un film splendide et désolé. 5/6
Top 10 Année 1958

Le monde d’Apu
Dernier chapitre de la trilogie d’Apu, le plus beau, accompli, émouvant. Ray approfondit sa vision fataliste et lucide d’un monde dont il chercherait à résoudre les conflits à la faveur d’une sereine contemplation. Les situations y vibrent d’un humour discret, d’une sensibilité délicate, d’une limpidité absolue dans tous les registres : évidence complice de l’amitié avec Pulu, tendresse de l’amour naissant avec la jeune épouse, nouvelle terrible d’une mort en couches. Mais c’est vers l’apaisement que tend son apprentissage, car après avoir arpenté le pays, jeté son manuscrit au vent pour se délivrer de la douleur, le héros accepte les coups du destin et embrasse ses responsabilités de père. À la fin, il part souriant, en harmonie avec lui-même et avec la nature, son petit garçon de cinq ans juché sur les épaules, et c’est bouleversant. 5/6
Top 10 Année 1959

La déesse
Pour avoir été révélée dans le rêve de son beau-père comme l’incarnation de Kali, la très jeune Doya est vénérée comme une déesse, littéralement statufiée parmi les fumées d’encens. Dépouillée de sa nature d’être mortel, elle est dès lors sujette à une tension intérieure qui ne pourra aboutir qu’à la dislocation de son identité. Plus didactique, légèrement moins lyrique qu’à l’accoutumée, Ray cible un sujet brûlant : la foi aveugle de la religion hindouiste, ses impulsions obscurantistes, ses superstitions délirantes. Prônant le rationalisme spirituel et l’émancipation de la femme, il condamne avec courage une Inde rétrograde pourrie par la dévotion mystique, cerne le poids de structures aliénantes et le stigmatise le long d’un récit de plus en plus étouffant, qui s’achève dans la désolation et la folie. 4/6

Trois filles
Trois portraits féminins appréhendés comme autant d’exercices de style où la tension émotionnelle se dresse contre les conventions sociales, où le suspense naît du silence qui n’est pas rompu. Une fillette orpheline portant tous les espoirs de l’enfance mais se comportant déjà en adulte ; une épouse cloîtrée ne vivant que pour des parures qui font d’elle une déesse inhumaine (récit fantastique et morbide traitée comme une histoire de fantôme) ; une adolescente ligotée par les traditions qu’un mariage arrangé disciplinera. Les hommes ont le pouvoir de l’argent, auréolés du prestige de la culture et de la ville. Les femmes luttent pour apprendre à lire et écrire, mais la découverte des mots leur sert avant tout à exprimer leur amour. Beau évidemment, raffiné bien sûr, mais régulièrement soporifique. 3/6

La grande cité
Il y a chez Ray quelque chose de quasi surnaturel dans la constance avec laquelle il parvient à susciter l’émotion la plus profonde sans verser dans le pathétisme calculateur. Fidèle à l’héritage néoréaliste, le cinéaste questionne ici la place de la femme dans la société indienne et prône son épanouissement par le travail, au sein d’une organisation traditionnelle qui lui est hostile. Tout en regards bienveillants, gestes compréhensifs, sourires d’encouragement, le film nous attache avec une désarmante facilité à sa petite famille et se fonde sur un amour conjugal à l’épreuve de tous les préjugés ; il prône également une morale de l’intégrité qui se manifeste par la solidarité féminine, engagée contre les injustices de l’économie libérale. Encore une merveille de tendresse, d’acuité et de pudeur. 5/6
Top 10 Année 1963

Charulata
Ni malheureuse ni asservie, la belle Charulata est une épouse en qui sommeillent des richesses prêtes à s’épanouir. Splendide, la première séquence la voit flâner, musarder, observer les passants aux jumelles, en attente de quelque révélation – plus tard, il lui suffira d’évoquer son passé à la campagne pour que les mots lui obéissent. Ce magnifique feuilleté de secrets, d’aveux feutrés et de sensualité bucolique (la scène de jardin) fait rejoindre l’émoi esthétique et l’action politique au sein d’une même beauté. L’harmonieuse sinuosité de ses plans n’a d’égale que la subtilité de son analyse sociale, le long d’une recherche intimiste où chacun prend tardivement conscience de ses sentiments. Les larmes conclusives de cet authentique diamant, qui sont à la fois celles du regret et d’un renouveau conjugal, en consacrent la pudeur sensible et passionnée. 6/6
Top 10 Année 1964

Le saint
C’est un conte moral, comme Rohmer en a tourné de nombreux au cours de sa carrière, mais qui déplacerait les préoccupations sentimentales du cinéaste français sur un terrain plus politique. C’est aussi une œuvre inaboutie de n’avoir su exprimer qu’en partie le discours idéologique qui le fonde en une forme esthétique convaincante. Ray tente d’y énoncer un manifeste rationaliste et athée contre la religion, maléfique opium des intellectuels qui adorent (parce qu’il prétend avoir rencontré Platon, Jésus et Bouddha) un gourou soi-disant immortel. Lequel s’avère un véritable Tartuffe, gros, gras, le teint fleuri, l’un de ces imposteurs parcourant l’Inde en tête de gogos qu’il enivre de ses délires verbaux. La farce n’est pas dénuée d’un certain charme mais bien trop superficielle pour laisser une trace durable. 3/6

Le lâche
Si l’amateur de cinéma parle volontiers de la surabondance des temps morts, ce film bref comme une nouvelle de Maupassant dépend de la grande rareté du temps vif. Son urgence souligne la valeur péremptoire des jugements que produit une crise, et son intérêt tient à sa description évasive de l’incertitude calculée, des zones d’ombre et de mystère d’un récit qui part d’une situation éprouvée pour s’attacher à l’épaisseur d’instants diversement privilégiés. Comme toujours, le réalisateur prouve qu’il a trop d’esprit critique pour s’abandonner aux jérémiades sur le destin, trop de générosité pour blâmer des personnages velléitaires. Seules comptent la délicatesse, l’acuité avec lesquelles il analyse et résout la quadrature d’un triangle sentimental frappé de mauvaise volonté, d’indécision et de faiblesse. 4/6

Le héros
Dans un train qui l’amène à Delhi pour y être honoré, un acteur vedette du cinéma bengali se confie à une journaliste et exorcise les épisodes culpabilisants de son passé. Sujet hollywoodien : la vérité cachée d’une idole du spectacle. Mais Ray le définit comme une réflexion sur les différents niveaux de l’exploitation dans une société capitaliste, bien que chacun ait ses propres raisons d’agir. Structuré avec fluidité autour d’une poignée de personnages secondaires remarquablement dessinés et creusés, le film cultive la nonchalance attrayante de son héros pour mieux travailler au dédoublement de la temporalité, donner à ressentir l’amalgame entre évocation du passé et représentation du rêve, et saisir les moments décisifs d’une existence où l’occasion se dérobe, s’évanouit dans le chimérique de la fiction. 5/6

Des jours et des nuits dans la forêt
Quatre amis bourgeois de Calcutta se rendent en vacances dans la forêt de Palamau : sans arrêt en mouvement pour ne pas avoir encore fixé leur propre identité, ils vont trouver dans ce voyage indéfini l’occasion de rechercher inconsciemment des racines, de découvrir un monde indigène originel, de s’affronter à la nature et à leur vérité. Loin de la ville, ils mesurent la vanité de l’ascension sociale, la pesanteur des conventions, le poids de la solitude. Petits faits, rencontres en suspens, histoires d’amours inachevées parcourent leur expérience initiatique, qui parvient à égaler Rohmer pour la profondeur derrière la légèreté apparente et Renoir pour la raffinement sensuel et l’offrande à la vie. Traversé par un humour radieux, ce doux élixir génère, malgré la gravité allusive du propos, un authentique sentiment de quiétude. 5/6
Top 10 Année 1970

L’adversaire
Avec un mépris assez insolent des conventions dramaturgiques, le cinéaste se branche sur la confusion et la révolte internes d’un jeune homme en quête de travail et capte au travers de ses errances velléitaires l’état d’esprit agité du Calcutta de la fin des années soixante. De l’héroïsme narcissique mais généreux de ce héros solitaire vivant les revendications de la rue sans jamais s’y mêler, de son rapport aux femmes (sa sœur, plus mature et indépendante que lui, l’étudiante jolie comme un cœur qui l’aidera finalement à s’assumer et à refuser l’humiliation), le film puise une séduction que la mise en scène, trouée de flash-backs, d’insertions chaotiques ou de digressions mentales, souligne en contre-point. Une très belle réussite, affirmant à nouveau l’auteur comme un maître de la chronique du quotidien. 5/6

Tonnerres lointains
En 1943, à cause d’une guerre qui ne concernait en rien les paysans indiens, cinq millions de Bengalis déjà durement frappés par le choléra sont morts de faim. Se consacrant à cette tragédie, évoquant pour la première fois les calamités qui frappent quotidiennement son pays, le cinéaste renoue avec le réalisme de ses premiers films, entièrement articulés sur les éléments naturels, et trouve l’équilibre entre violence du vécu et pudeur délicate de la mise en scène. De la main d’Ananga, émergeant de l’étang comme une conque marine, et celle du cadavre d’un vagabond qui a tenté de la violer, l’œuvre oscille comme entre les deux pôles d’une même réalité : d’un côté la sérénité, la communion avec le monde et le bonheur d’aimer, de l’autre la violence, l’injustice du système des castes et le malheur de vivre. 4/6

Les joueurs d’échecs
1856. Tandis que l’administration britannique avale par bouchées les États féodaux gouvernés par les monarques, deux seigneurs se livrent à d’interminables parties d’échecs, inconscients de la tragédie qui se joue et condamnés à rester des bouffons. Ray associe la grande Histoire (drame politique d’une fin de règne) avec la petite (vaudeville fait de coups bas entre amis et de problèmes conjugaux, gorgé d’un humour succulent), et élabore un film transitif, dicté par un souci de simplicité et de limpidité visant à élaguer toute zone d’ombre propice à la spéculation interprétative. Son œuvre se regarde comme on lirait un conte illustré pour enfants, une histoire à la Andersen ("il était une fois un roi") qui mélangerait la tristesse et le rire et parviendrait à traiter du sujet le plus grave avec une infinie légèreté. 5/6
Top 10 Année 1977

Le dieu éléphant
Difficile de ne pas considérer ce polar pour enfants comme une parenthèse très dispensable dans l’œuvre de son auteur. On y suit un simili-Sherlock Holmes affublé de son jeune neveu, Watson à peu près inutile, et d’un ami auteur de roman d’aventures, dans une enquête bien peu captivante se résumant à quelques somnolentes rencontres et une poignée de filatures filmées sous sédatifs. Un jugement magnanime estimera que l’énigme est prétexte à déchiffrer le secret de chaque personnage, et le récit un alibi pour interroger le vrai et le faux, l’apparence et la réalité, les visages et les masques, pour faire découvrir le pouvoir de l’imaginaire et, simultanément, rappeler que celui-ci ne doit pas être confondu avec la réalité. Mais ces pistes sont mollement ébauchées, et les deux heures paraissent longues. 2/6

La maison et le monde
Derrière ce titre, un double scénario amoureux (comment un petit maharadja jette sa femme dans les bras d’un ami devenu leader nationaliste) et politico-social (les soubresauts tragiques du Bengale sur fond de scissions raciales et communautaires). Portant la litote et la métonymie à leur plus haute vertu, l’auteur travaille chaque tendance comme chambre d’amplification de l’autre et fait du conflit d’idéologies le miroir métaphorique d’une rivalité sentimentale. Superbement achevé sur le plan plastique, avec ses intérieurs nocturnes qu’éclairent les lampes à pétrole, ses bleus feutrés, ses orangés flamboyants puisés à la source du brasier intime et dictés par la vibrante rigueur de la mise en scène, l’œuvre procure l’émotion conjointe de la rencontre et de la découverte, que seul permet le regard le plus clair. 5/6

Le visiteur
À partir d’un argument ténu (les retrouvailles d’un vieux globe-trotter et de sa nièce, après trente-cinq ans d’absence), Ray interroge à nouveau les bienfaits de la civilisation moderne, les évolutions des habitudes culturelles et sociales du Bengale. Au fil de captivants échanges rhétoriques, il dénonce le repli conservateur et instinctif sur un passé accompli et figé, maintenu artificiellement en vie par les bénéficiaires bienheureux de l’ordre établi. La beauté du film tient à ce que l’auteur manifeste sa sympathie à tous les personnages, jamais réduits à des agents fonctionnels du discours, et à ce qu’il trouve l’équilibre fragile entre création de l’esprit et mouvement du cœur. Cet ultime long-métrage s’impose ainsi par ses qualités (la sensibilité, la culture, la richesse, l’émotion) comme un parfait concentré de son cinéma. 5/6


Mon top :

1. Charulata (1964)
2. Le salon de musique (1958)
3. Des jours et des nuits dans la forêt (1970)
4. Le monde d’Apu (1959)
5. La grande ville (1963)

Portant quasiment à lui seul toute la renommée artistique du cinéma indien, Satyajit Ray a prouvé que cet art pouvait être l’expression d’une réalité et d’un imaginaire indissociables. Rien de littéraire dans une œuvre dont la première évidence est le charme (au sens valéryen), et dont le lyrisme humaniste, la rigueur minutieuse de la forme servent, à l’instar d’autres très grands artistes comme Ozu ou Chaplin, la portée d’un propos universel.
Dernière modification par Thaddeus le 1 août 23, 20:15, modifié 14 fois.
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Demi-Lune
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par Demi-Lune »

bruce randylan a écrit :Sikkim (1971)
Il s'agit là d'un documentaire d'un peu moins d'une heure sur l'un des plus petits états de l'Inde, coincé entre le Bhoutan, le Népal et la Chine d'où un brassage ethnique et culturel assez conséquent. Je ne connaissais pas cette région très montagnarde (assez enclavé et difficile d'accès j'imagine) qui abrite le troisième plus haut sommet de l'Himalaya. Les paysages sont vraiment magnifiques et ça donne envie de s'y rendre d'autant que la région est forcément très bouddhique.
Je ne crois pas que le Sikkim soit si difficile d'accès que ça. En tout cas, comme pour le Ladakh, on peut y faire des treks. C'est d'ailleurs un de mes projets perso. :D

En parlant de Satyajit Ray et de religion, j'ai été assez frappé, dans L'invaincu, par le fait que
Spoiler (cliquez pour afficher)
la mort du père
à Varanasi ne donne pas lieu à une séquence de funérailles par crémation. La famille est hindoue et mourir à Varanasi, ville sacrée par excellence, est, pour un hindou, un aboutissement qui peut éventuellement libérer du cycle des réincarnations, en retournant à l'état de poussière dans l'eau du Gange. Ray élude pudiquement cet aspect (il est vrai impressionnant pour un Occidental - voir depuis le Gange ces immenses bûchers mortuaires s'enflammer dans la nuit, et tourner sans arrêt, est l'une des choses les plus terribles et obsédantes auxquelles j'ai assisté) par une ellipse qui se focalise plutôt sur Apu avec une toge, avançant sur les ghats. J'ai quand même trouvé ça étonnant (sans jugement de valeur), cette pudeur. Je ne sais pas de quelle confession était Ray (hindoue, j'imagine), mais c'est frappant de voir la prégnance de la religion dans L'invaincu (le père prêtre, les prières, les temples truffés de singes, Apu qui aurait pu suivre la voie) et pourtant la mise en hors-champ des rites funéraires, qui sont fondamentaux dans la culture indienne. Voilà, questionnement à deux balles.
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par bruce randylan »

Demi-Lune a écrit :
bruce randylan a écrit :Sikkim (1971)
Il s'agit là d'un documentaire d'un peu moins d'une heure sur l'un des plus petits états de l'Inde, coincé entre le Bhoutan, le Népal et la Chine d'où un brassage ethnique et culturel assez conséquent. Je ne connaissais pas cette région très montagnarde (assez enclavé et difficile d'accès j'imagine) qui abrite le troisième plus haut sommet de l'Himalaya. Les paysages sont vraiment magnifiques et ça donne envie de s'y rendre d'autant que la région est forcément très bouddhique.
Je ne crois pas que le Sikkim soit si difficile d'accès que ça. En tout cas, comme pour le Ladakh, on peut y faire des treks. C'est d'ailleurs un de mes projets perso. :D
Je voulais aussi faire des treks là-bas mais c'est loin d'être évident en fait. C'est sur des hauts plateaux avec des routes souvent coupées à cause des chutes de neiges (et des éboulements). Tu peux y accéder en avion mais du coup, l'adaptation aux hautes altitudes n'est pas si facile. Il n'y a vraiment que quelques mois dans l'année vraiment accessibles. En tout cas, en mars-avril, on n'a pas pu y aller. :(
Demi-Lune a écrit : En parlant de Satyajit Ray et de religion, j'ai été assez frappé, dans L'invaincu, par le fait que
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la mort du père
à Varanasi ne donne pas lieu à une séquence de funérailles par crémation. La famille est hindoue et mourir à Varanasi, ville sacrée par excellence, est, pour un hindou, un aboutissement qui peut éventuellement libérer du cycle des réincarnations, en retournant à l'état de poussière dans l'eau du Gange. Ray élude pudiquement cet aspect (il est vrai impressionnant pour un Occidental - voir depuis le Gange ces immenses bûchers mortuaires s'enflammer dans la nuit, et tourner sans arrêt, est l'une des choses les plus terribles et obsédantes auxquelles j'ai assisté) par une ellipse qui se focalise plutôt sur Apu avec une toge, avançant sur les ghats.
Ah oui, tiens, à l'époque où je l'avais vu, je ne connaissais pas du tout ces spécificités de la culture indienne (et je me rappelle plus vraiment du film)
Peut-être n'a-t-il pas les moyens de payer une crémation ?
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Et oui, une excursion en barque à Varanasi à l'aube avec les crémations à proximité (encore qu'il y en avait assez peu quand j'y étais) fait partie de mes expérience les plus fortes spirituelles avec la découverte des temples bouddhiques en Chine et mon séjour à Bodhgaya.
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Alexandre Angel
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par Alexandre Angel »

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Si ce n'est pas déjà fait, que les amoureux de Satyajit essaient de se procurer les recueils de nouvelles comme celui qui est ci-dessus. On y retrouve, au travers de contes nimbés de fantastique, la simplicité désarmante dont pouvait faire preuve le cinéaste dans ses films, mais une simplicité spirituelle, tonique, ouverte sur des perspectives tissées de malice et de mystère, des chutes parfois déconcertantes.
Ça se lit comme ça, d'une traite, façon Bibliothèque verte bengali puis, tout soudainement, vous donne une envie furieuse de (re)mettre le nez dans son cinéma. Il y a des trucs surprenants, comme ce récit d'horreur à la Roger Corman, qui s'appelle, L'Appétit de la Septotache.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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k-chan
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Re: Satyajit Ray (1921-1992)

Message par k-chan »

Bon, j'ai fait le tri, et dressé mon petit planning (va falloir jongler avec le boulot et le cycle Shintoho à la MCJP qui reprend samedi). En gros, je vais pouvoir tout découvrir à 1 ou 2 prêt, mais aussi revoir la douzaine que je connais déjà. Happy ! :D

Dans le cycle, certains semblent plus difficiles à voir que d'autres. Parmis ses films les moins connus, a priori, et pour info, il vaudrait mieux ne pas louper les films suivant, qui semblent réputés :

- Enfermé dans les limites (1971)
- L'intermédiaire (1975)
- Kanchanjungha (1962) >> celui là passe tout à l'heure à 17h30, mais j'irais à la séance du 26 nov.
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