(en italiques : films découverts en salle à leur sortie)
Cléo de 5 à 7
Avec sa prise de vue sans artifices, sa temporalité en réel, ses apartés visuels, le film revêt tous les apparats de la Nouvelle Vague. Entre angoisse du cancer et guerre d’Algérie, dans la douceur printanière d’un Paris filmé par une caméra extrêmement mobile, Varda capte des moments de vie, compose le trajet intérieur d’une femme à la croisée des chemins, qui musarde et passe de l’inquiétude fataliste à l’espoir. Pimentant de discrète revendication féministe un récit sensible, un style scintillant, une écriture à la fois légère et concertée, une segmentation minutieuse, elle saisit à vif le moindre signe environnant pour esquisser, au fil de la caméra, une forme de quête spirituelle. Godard, Legrand, Coutard sont invités à cette valse tour à tour mélancolique et joyeuse, qui suscite une émotion singulière.
5/6
Top 10 Année 1962
Le bonheur
C’est quoi, le bonheur ? À chacun sa conception, et la cinéaste en filme une hypothèse d’une aveuglante clarté. Le bonheur de François, époux comblé, père de deux enfants adorables, c’est la plénitude inaltérable des promenades et des pique-niques dominicaux, la robe fleurie de sa jolie et aimante épouse, la chaleur d’un entourage bienveillant, un ravissement utopique au quotidien, du jaune, du bleu, du vert, du violet plein les yeux. C’est une suite d’instantanés chromatiques et impressionnistes, un jardin d’Éden qu’illumine encore davantage le surgissement inespéré d’un deuxième amour. Et lorsque soudain la tragédie éclate, c’est tout juste si elle est perçue dans l’harmonie bucolique qui aussitôt se recompose. Un poème au-delà de la morale, sourdement cruel, tranquillement scandaleux, presque tétanisant de beauté.
5/6
Top 10 Année 1965
Daguerréotypes
La rue Daguerre, dans le 14ème arrondissement, à deux pas du domicile d’Agnès Varda. Voici M. et Mme Chardonbleu, marchands de parfum et de brillantine depuis trente-trois, qui vendent des boutons à vingt centimes et fabriquent de l’eau de Cologne artisanale avec de la fougère et du chypre. Voilà le coiffeur, le boucher, le boulanger, l’horloger, le moniteur d’auto-école, petits artisans et commerçants dont la cinéaste, racontant les
fatti du quotidien, enregistre les gestes au travail : l’un qui choisit, découpe, apprête, empaquète la pièce de viande, l’autre qui pétrit, forme, enfourne et défourne les baguettes. À travers ces instantanés poétiques, traversés par une nécessité de la survie qui couve sous la lourde normalité des choses, se disent aussi une histoire de la capitale et la persistance d’un temps perdu.
4/6
Sans toit ni loi
Sandrine Bonnaire sortait d’
À nos Amours, et le souvenir de l’adolescente de Pialat influe sans doute sur cette chronique âpre et dépouillée, trompeusement naturaliste, longue errance jusqu’à la mort d’une marginale révoltée dont nous est renvoyée en dernière instance l’opacité des motivations. Varda n’est pas une dame patronnesse, elle ne moralise pas, elle reflète non pas nos qualités ni nos défauts mais les zones d’ombre que nous voulons dissimuler, exactement comme le font les personnages qui croisent la route de l’héroïne, soixante-huitard gardien de chèvres, ouvrier immigré ou chercheuse du CNRS. Sa structure éclatée et très pensée, son tissage de témoignages en mosaïque, sa tonalité faussement documentaire confèrent à ce film abrupt et exigeant un cachet très particulier.
4/6
Jacquot de Nantes
C’est une preuve d’amour que de recréer, pour celui qui va partir, le temps béni où tout est déjà presque joué mais où tout reste encore possible : son enfance. Luttant avec la franchise en arabesque de la poésie contre la mort au travail, clamant son besoin de s’unir avec lui au-delà du temps hémorragique, Varda offre cette preuve à l’homme de sa vie, Jacques Demy. Voilà que surgissent les belles années à Nantes, le garage paternel, la mère dont le prénom est une chanson, la tante de Rio, le théâtre de marionnettes, Charles Trenet, les films avec Darrieux, et que naît une vocation éclairée par des phrases cailloux-blancs, de multiples jeux de correspondance. Une œuvre joyeuse, rêveuse, légère, minutieusement construite, mais qu’une calme image d’océan ou de peau abandonnée au gros plan peut affoler.
4/6
Les glaneurs et la glaneuse
Agnès Varda prend la route, en France ; elle a une caméra DV et un regard libre, proche, le respect de ce qu’elle filme. Elle part de cette madeleine patrimoniale,
Les Glaneuses de Millet, et la voilà à la rencontre des marginaux de notre société, les grapilleurs, les ramasseurs, celles et ceux qui vivent de nos déchets, de nos rebuts, traces de la civilisation d’un autre millénaire. Parfois ces biffins sont des artistes, le plus souvent ils récupèrent par nécessité, des pommes de terre en forme de cœur, des réchauds à gaz, des téléviseurs morts, des fruits tombés. Un plaisir gourmand de la rupture de ton parcourent ce documentaire drôle et grave, un goût pour les chemins de traverse où brillent la saveur d’esprit de la réalisatrice, son sens de la connivence, sa politesse de l’écoute et une trace de roublardise ingénue.
4/6
Les plages d’Agnès
Cinquante ans après ses débuts, la réalisatrice replonge dans ses souvenirs et en tire une installation joyeuse, un carrousel composées de marabouts-bouts de ficelle, de mises en abyme, de trouvailles d’animation, de vivants tableaux surréalistes. Refusant cases et barrières, elle s’amuse avec une allégresse communicative, et face à l’abondance de son journal intime en forme de puzzle kaléidoscopique, elle reste impérieuse dans son tempo et la conduite de son récit. Parfois cela respire l’artifice, navigue dans le déni du réel, respire la nostalgie passéiste d’une période de plénitude révolue, mais le plus souvent le film y échappe. Genre qui prospère toujours plus, le biopic trouve ici une déclinaison originale, bien plus proche des remémorations felliniennes que des schémas classiques.
4/6
Visages villages
Associée à l’une des vedettes françaises du street art, notre quasi-octogénaire reprend les routes de France pour agencer, au gré de rêveries et de flâneries diverses, une mosaïque de témoignages anonymes. Sautant, gambadant, parcourant avec une espiègle légèreté la frontière floue qui sépare l’improvisation contrôlée de la construction concertée, elle applique à la réalité quotidienne un regard malicieux qui se propose de la transcender, de la poétiser par les voies de l’imaginaire. D’un lieu à l’autre, d’une installation à la suivante, le film invite à une série de petits moments enchantés dont la fantaisie n’étouffe jamais l’expression de courants plus souterrains : le passage du temps, la vieillesse acceptée, l’ombre d’une mort conjurée par le bonheur de la rencontre et le partage des générations.
5/6
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Visages villages (2017)
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Les glaneurs et la glaneuse (2000)
5.
Sans toit ni loi (1985)
Je n’ai pas vu grand chose mais ces quelques titres suffisent à me dévoiler une cinéaste singulière, passionnante, en dehors des sentiers battus, mue par une inspiration tenant davantage du reportage, de l’expérimentation, du ciné-collage, que de la narration classique. Personnalité sans doute très précieuse que celle d’Agnès Varda.