Billy Wilder (1906-2002)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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ed
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par ed »

Kevin95 a écrit : mais aussi un des moins émouvant, un des plus méchant.
Je pense aujourd'hui que c'est l'un de ceux qui m'émeut le plus, principalement pour le personnage de Kim Novak, parce que le film est exactement à son image : sous des dehors un peu vulgaires, des atours un peu agressifs, c'est en réalité un trésor de fragilité. Du coup, c'est peut-être, à mes yeux, la comédie la plus wilderienne qui soit : le jeu sur les apparences (qui est quand même l'un des moteurs fondamentaux de son cinéma) s'applique autant au film qu'à ce qui s'y déroule.
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Strum
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par Strum »

Kevin95 a écrit :J'étais sur que la dernière remarque allait passer difficilement vu le peu d’enthousiasme pour The Fortune Cookie. Pas revu depuis un bail, mais le souvenir d'une merveille de drôlerie et d'une scène finale dans un stade, qui me me toucha profondément.
Moi aussi j'aime bien The Fortune Cookie de Wilder - le meilleur film du réalisateur, et de loin, avec le couple Lemmon- Matthau. Toute la deuxième partie est à la fois drôle et émouvante, avec une mention particulière effectivement pour cette scène finale très touchante au stade.
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AtCloseRange
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par AtCloseRange »

Strum a écrit :
Kevin95 a écrit :J'étais sur que la dernière remarque allait passer difficilement vu le peu d’enthousiasme pour The Fortune Cookie. Pas revu depuis un bail, mais le souvenir d'une merveille de drôlerie et d'une scène finale dans un stade, qui me me toucha profondément.
Moi aussi j'aime bien The Fortune Cookie de Wilder - le meilleur film du réalisateur, et de loin, avec le couple Lemmon- Matthau. Toute la deuxième partie est à la fois drôle et émouvante, avec une mention particulière effectivement pour cette scène finale très touchante au stade.
Y en a 2, non? :mrgreen:
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par Strum »

AtCloseRange a écrit :Y en a 2, non? :mrgreen:
Trois. ;)
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AtCloseRange
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par AtCloseRange »

Strum a écrit :
AtCloseRange a écrit :Y en a 2, non? :mrgreen:
Trois. ;)
je ne vois pas le 3ème.
Ah ok, "Buddy Buddy". Oui forcément (même si je ne l'ai pas vu)
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Kevin95
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par Kevin95 »

Par contre un BR de Kiss Me, Stupid ne serait pas de refus. Le DVD français (comme le précédent chez MGM) a une copie ultra fatiguée.
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Commissaire Juve
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par Commissaire Juve »

Kevin95 a écrit :Par contre un BR de Kiss Me, Stupid ne serait pas de refus. Le DVD français (comme le précédent chez MGM) a une copie ultra fatiguée.
Tu m'étonnes. Je signe. Pour "The Fortune Cookie" aussi.

PS : et -- même si ça n'a rien à voir -- pour "Ace in the Hole" ! :mrgreen:
Kevin95 a écrit : KISS ME, STUPID - Billy Wilder (1964) découverte

... ici, personne (ou presque) n'est à sauver. Le personnage de Novak mise à part, tout ce beau monde a les dents qui rayent le parquet et se berce d'illusions au point où il est compliqué pour le spectateur de s'attacher à l'un d'eux...
Marrant : je n'ai jamais vu le film comme ça. J'ai pris les personnages en bloc, avec leurs défauts.

Au passage : Felicia Farr est top charmante dans ce film... son mouvement de doigts pour dire à Ray Waltson "Viens ici, toi !" ; je craque.
La vie de l'Homme oscille comme un pendule entre la douleur et l'ennui...
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par Sybille »

AtCloseRange a écrit :Pour moi, le seul défaut du film, c'est Walston (ça aurait dû être Lemmon) mais ça reste un des sommets Wilderien.
Je le préfère très largement à ce Fortune Cookie que je n'ai jamais eu le courage de revoir.
J'apprécie les deux films, même s'ils sont placés plutôt vers le milieu/bas dans mon "top" wilderien.

Sinon, je ne trouve pas que Walston soit un mauvais choix, au contraire. Je trouve sa présence mieux adaptée que Lemmon, qui dégage une naïveté tendre, sensible, un peu trop rêveuse pour l'ambiance et le propos du film. A l'inverse, la naïveté de Walston apparaît plus veule, avec un style nerveux tirant sur la méchanceté. On ne s'étonne pas de sa combativité face au personnage de Dean Martin. Les deux affichent un manque d'intelligence sensible visible, ce qui fait que les deux acteurs vont bien ensemble.
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par Bogus »

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Découverte de La Garçonnière hier soir. Que dire...
Federico a écrit :
AtCloseRange a écrit :Revu la Garçonnière et je me demande si ça n'est pas un des films les plus parfaits qui existent.
Comment être à la fois aussi caustique, touchant, drôle, intelligent...
C'est vrai qu'il s'agit d'une merveille, d'un film miraculeux de justesse... et qui vieillit très bien en plus (paradoxalement, je pense que ça aurait été moins le cas si il avait été tourné en couleurs). De très loin mon préféré de Wilder.
Voilà.
En un mot c'est brillant de bout en bout. Comédie grinçante et drame poignant où comment allier intelligence et émotion en un bonheur de cinéma.
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Jeremy Fox
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par Jeremy Fox »

Bogus a écrit :
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Découverte de La Garçonnière hier soir. Que dire...
Federico a écrit : C'est vrai qu'il s'agit d'une merveille, d'un film miraculeux de justesse... et qui vieillit très bien en plus (paradoxalement, je pense que ça aurait été moins le cas si il avait été tourné en couleurs). De très loin mon préféré de Wilder.
Voilà.
En un mot c'est brillant de bout en bout. Comédie grinçante et drame poignant où comment allier intelligence et émotion en un bonheur de cinéma.
Pas mieux.
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Thaddeus
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par Thaddeus »

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Assurance sur la mort
Le collier au pied de Barbara Stanwick en femme fatale archétypale, l’intelligence désinvolte d’Edward G. Robinson, la toile qui se referme autour de Fred MacMurray, meurtrier malgré lui, victime d’une manipulation vénéneuse de très grand style. Les rapports humains se voilent en un jeu de dupes généralisé, l’intrigue est fatale et poisseuse, l’ironie aussi cinglante que désabusée, dévoilant en creux la perversion d’un système de vie basé sur le sexe et l’argent. C’est un modèle de film noir faisant de la substitution d’identité, du mensonge et de l’attractivité morbide ses arguments premiers, une machination serrée où chacun installe sa mise en scène pour commettre ou dénoncer un crime mais dont les engrenages se broient, le précis de décomposition implacable d’un asservissement psychologique. Le premier sommet de Wilder. 5/6
Top 10 Année 1944

Le poison
Tenir une heure, se traîner jusqu’au zinc du coin pour se couler les cinq dollars qui restent dans le gosier, trouver de quoi se payer une autre bouteille, réussir à passer la nuit sans boire, puis recommencer… Faire une croix sur toute ambition professionnelle, toute dignité, toute probité morale, ne pas voir que sa petite amie et son frère se tuent pour nous sortir de la prison d’égoïsme et de veulerie que le poison de l’alcoolisme construit jour après jour. Wilder fixe cet enfer de manière clinique, en restitue la désillusion et le désarroi du quotidien à travers un climat d’angoisse asphyxiant – les murs se resserrent, le temps se fige dans le manque du prochain verre, les hallucinations remontent à la surface de l’image. Accessoirement, il rappelle à quel point Ray Milland (remarquable) est un sosie de James Stewart. 5/6
Top 10 Année 1945

La scandaleuse de Berlin
Conçue pour valoriser l’armée américaine occupant l’Allemagne vaincue, cette comédie d’espionnage transforme le concept en vitriol et n’hésite pas à montrer le marché noir, la fraternisation fornicatrice avec les habitantes, les combines cupides et les comportements égoïstes qui constituent le quotidien au milieu des ruines. Si Wilder joue sur le comique des situations, la manipulation de la députée ou le cynisme du soldat chargé de la dénazification et truquant la réalité pour se payer du bon temps, l’essentiel réside dans la mise en lumière des aléas de l’idéalisme, dans le portrait d’une femme dangereuse (l’incendiaire Marlene Dietrich) mais qui n’est jamais peinte comme un monstre ou une garce. Néanmoins le film se traîne un peu, et le mordant du cinéaste y est moins incisif. 3/6

Boulevard du crépuscule
Grandeur et décadence d’Hollywood, de sa mythologie, de ses stars. L’ironie de Wilder se fait mortifère, la satire tourne cette fois à la tragédie, et le film s’offre comme l’épitaphe somptueuse d’une cité qui n’a jamais existé ailleurs que dans les songes chimériques de ceux qui la font : tout le monde se ment par pitié, par intérêt ou par amour, les personnages (anciennes gloires, fantômes hors du temps, gigolos désabusés) s’enferment dans des clôtures mentales et se vampirisent avec un masochisme délirant qui dynamise la danse de mort. Le cinéaste se laisse aller à ses penchants expressionnistes et organise une ronde fascinante et vénéneuse au cœur de l’usine à rêves. C’est une oraison funèbre, une élégie des illusions et des ambitions brisées, et l’un des plus grands films jamais réalisés sur la puissance anthropophage du cinéma. 6/6
Top 10 Année 1950

Le gouffre aux chimères
Un journaliste sans scrupules mais saqué débarque dans un trou paumé du Nouveau-Mexique, y végète un moment, avant de flairer le bon filon lorsqu'un mineur se retrouve coincé sous terre après un éboulement. Porté par un Kirk Douglas déchaîné, le film offre à Wilder l'occasion d'épancher sa veine la plus cruelle, la plus noire, la plus implacable. On pourra trouver le trait chargé, mais lorsque le cinéaste invite l'Amérique entière à se regarder en face, en montant autour d’un lieu qui ressemble à un drive-in une odieuse foire au sensationnalisme, invitant la famille modèle, la classe politique et la machine économique participer de la même parade obscène de corruption et d'avidité, la charge, en plus de faire froid dans le dos, revêt une ironie et une lucidité féroce qui restent bien fichées sous la peau. 5/6
Top 10 Année 1951

Stalag 17
En ce début des années cinquante frappées par le maccarthysme, Wilder vient donner un bon coup de botte au genre florissant du film de guerre et, prenant La Grande Illusion comme modèle, le détourne pour mieux faire mordre la poussière à l’héroïsme, à la loyauté et à la bravoure. La baraque de son camp de prisonniers fonctionne comme le précipité d’une humanité suspicieuse, prompte aux condamnations arbitraires, qui voit un magouilleur individualiste, cupide et cynique poussé à démasquer l’espion caché parmi ses camarades non par solidarité ou patriotisme, mais pour sauver sa peau. Si les glissements de la comédie au drame ou au suspense sont parfois un peu poussifs, l’acidité de la fable, ponctuée de motifs typiquement wilderiens, dénote indéniablement la personnalité de son auteur. 4/6

Sabrina
La haute société new-yorkaise, deux frères richissimes qui n’ont d’yeux qui pour le profit, qui pour les pouliches de luxe, et la fille du chauffeur amoureuse de l’un comme le ver est épris de la lune. L’intention est claire : démarquer le conte de fées. La méthode savoureuse : brocarder l’obsession matérialiste et consumériste de cette société du capital en assimilant l’idée fixe de l’héroïne à une forme perverse d’arrivisme. Wilder orchestre finement une comédie à la Cukor où tout le monde est dupe de ses propres mensonges, compromis et manipulations, mais il sait ménager également à ses héros les plus volontaires un bonheur sans absolu, et la prise de conscience de leurs rêveuses désillusions. Inutile de préciser qu’à ce petit jeu, le trio de stars fait des étincelles. 4/6

Sept ans de réflexion
Ne nous laisse pas succomber à la tentation… Que reste-t-il de cette comédie frivole et allusive, au-delà de l’image universellement connue de la robe de sa blonde star soulevée par l’air frais du métro new-yorkais ? Une ribambelle de séquences burlesques, moites et corrosives qui démontent en profondeur les désirs et les fantasmes du mâle américain, ses techniques de drague rouillées, ses frustrations réveillées. Le cadre est un peu aliéné par les origines théâtrales du sujet mais Wilder n’a pas son pareil pour subvertir la morale étriquée des années 50, exprimer les pulsions de son personnage en introduisant des images mentales comment autant de rêveries équivoques, et battre en brèche le tabou de l’adultère en le confrontant au sex-appeal animal de Marilyn Monroe. 4/6

L’odyssée de Charles Lindbergh
Pour évoquer l’exploit d’un des plus grands héros américains de l’entre-deux-guerres, Wilder a choisi de ne pas recourir aux trompettes de la grande épopée ni aux conventions du biopic hagiographique. Aucune mention à la vie privée de l’aviateur, pas de détail périphérique, zéro dérivatif : juste une relation objective (par le style, non par le point de vue) de l’évènement et de ses préparatifs, dépourvue d’emportement, d’ironie et de sentimentalité. La force magnétique du film s’en voit décuplée, qui associe dans un même mouvement exaltant la grandeur d’une idée fixe, les moyens humains déployés pour la concrétiser, et la fascination exercée par les "décrochages" d’un récit qui épouse la solitude, la fatigue, l’engourdissement, les problèmes concrets de la traversée. Un spectacle totalement captivant. 5/6

Ariane
Le film marque la première collaboration de Wilder avec le scénariste I.A.L. Diamond. Variation douce-amère sur les stratagèmes de l’idée fixe et les multiples visages du mensonge, ce conte de fées lubitschien raconte comment une jeune fille innocente se fait passer pour une gourgandine afin de séduire un Casanova quinquagénaire : parfaitement huilé, le dispositif permet de développer toute une série de variations tonales et célèbre une éducation sentimentale qui passe aussi bien par le sourire que par une certaine forme de désenchantement. Mais l’ensemble n’évite pas complètement la superficialité, et si les notes de gravité qui ponctuent la comédie sont appréciables, on peut largement préférer l’acide habituel de l’auteur à ce champagne un peu fade aux senteurs de bibliothèque rose. 4/6

Témoin à charge
Intermezzo dans la série des comédies moralistes de l’auteur : Wilder s’offre une récréation criminelle et importe avec brio l’univers d’Agatha Christie dans le sien. Ou plutôt l’inverse, tant son identité de cinéaste sarcastique s’efface au profit d’un échafaudage narratif réglé au poil. Peu importe : pour qui aime se faire balader et prendre au piège d’une toile toute en perspectives déformées, dualités, déguisements, mensonges à gogo et retournements variés, c’est le pied complet. Au-delà d’un suspense de prétoire parfaitement orchestré, Wilder révèle les dessous sordides d’un crime crapuleux, mis à nu à la faveur d’un coup de théâtre final qui laisse sur le derche. Et pour mener ce festival de la ruse et du trompe-l’œil, rien de tel qu’un Charles Laughton onctueux et cabotin en diable. 5/6

Certains l’aiment chaud
Wilder disait qu’il réalisait des films gais quand il était triste, et des films tristes quand il était gai. Il devait carburer au Prozac pour accoucher de cette bombe chauffée à blanc, modèle absolu de comédie dévastatrice dopée à la subversion de contrebande et à la sensualité décomplexée. S’il ne trahit pas ses thèmes, son goût de la cupidité cynique, du mensonge, des impostures, le cinéaste les modèle dans une étourdissante mécanique comique qui fait du masque et de la rétroaction son principe dynamique, et où l’inflation d’allusions sexuelles est si grande qu’elle étouffe toute vulgarité. Sur un rythme frénétique et avec le concours de trois acteurs géniaux, Wilder dit tout de l’ambigüité des genres, de l’euphorie amoureuse, des relations hommes-femmes, avec une audace qui n’a d’égale que la légèreté. 5/6
Top 10 Année 1959

La garçonnière
Le ton se fait sans doute moins débridé que dans le film précédent, mais gagne peut-être en substance réflexive et en subtilité. Jack Lemmon y est la figure définitive de l’employé anonyme, écartelé entre la volonté de se créer une vie meilleure et sa droiture d’honnête homme. Le film est parfois morbide, souvent désenchanté, illustrant le fantasme de la réussite sociale individuelle à travers une salve de comportements vampiriques, de plaisirs égoïstes et de promotions pathétiques ; le propos est grinçant mais dispense paradoxalement une pensée heureuse. Une fois de plus, c’est par la légèreté et l’humour (exquis) que Wilder atteint à l’universel, qu’il parle de l’aliénation du citadin moderne, de ses rêves réprimés et de l’amour salvateur – comment résister à la fragilité pétillante de Shirley MacLaine ? Élégance, émotion et profondeur : la grande classe. 5/6
Top 10 Année 1960

Un, deux, trois
Au moment du tournage, le mur de Berlin s’érige et la situation géopolitique ne prête pas franchement à rire. Accordé aux notes échevelées de Khatchatourian, le cinéaste choisit pourtant de fondre le communisme soviétique et le capitalisme yankee dans un même bouillon de folie burlesque, un jeu de manipulation proprement étourdissant mené par un James Cagney déchaîné. Un-deux-trois, tac-tac-tac, la charge satirique frappe très fort et dans toutes les directions, désigne comment tout s’achète et se corrompt, fait danser les trente-six chandelles d’un délire frénétique qui ne laisse pas un instant pour souffler, se remettre d’un gag dévastateur ou d’une répartie hilarante. Ce sens de la cadence, ce brio comique, ces jubilatoires principes d’inversion, de travestissement et de démontage sont à faire tourner la tête. 5/6
Top 10 Année 1961

Irma la douce
Quiproquos, imbroglios et déguisements : entre un protagoniste successivement policier, proxénète, lord anglais et manutentionnaire et un gérant de café qui multiplie les casquettes de soldat, d’avocat ou de médecin, le film pousse ses principes de métamorphoses jusqu’au point schizophrénique où le héros doit jouer les Fregoli afin de conserver son identité profonde et se voit assassiner le double qu’il s’est inventé pour ne plus être jaloux de lui-même. Dans le pittoresque codé d’un Paris digne du réalisme poétique d’avant-guerre, Wilder développe un conte de fées malicieux sur l’amour, le sexe et l’argent, dont toutes les péripéties sont dictées par les sentiments et les situations scabreuses neutralisées par de grandes bouffées de tendresse. Jack Lemmon est épatant, Shirley MacLaine adorable. 4/6

Embrasse moi, idiot
Les ligues de décence n’ont pas apprécié le miroir tendu à la société américaine par ce film qui tient du boulevard sophistiqué, d’un enchaînement de rebondissements, tromperies et malentendus. Wilder s’y attache à démontrer que tous les désirs peuvent se réaliser à condition d’en payer le prix, et d’accepter l’ironie dérisoire d’un système où tout se révèle par le travestissement et le jeu de rôles. Considérant qu’il n’y a jamais de fantasmes sans désir profond, que selon la loi de l’ambivalence le jaloux s’excite à l’idée d’être cocu, la femme mariée à la perspective d’être une garce, la prostituée à vivre dans la morale et le tombeur à payer pour son plaisir, il cultive les souches de l’inconscient pour montrer au final que dans ce jeu de dupes, si tout le monde est vainqueur, personne n’est parfait. 4/6

La grande combine
Au cœur de sa période grise et grinçante, le réalisateur continue de fustiger les abus, les excès, les manigances, les ridicules, les mœurs d’une société dite policée. Le rire s’étrangle toujours un peu davantage, la férocité devient plus caricaturale et donc plus humaine, la tendresse se plus souvent et plus désespérément bafouer. Avec cette histoire d’arnaque à l’assurance, même l’amour est un leurre, une illusion, d’autant plus amer et humiliant qu’il est pour le héros naïf l’unique vrai motif à accepter de jouer lui aussi la comédie. Seule une amitié éclose d’un double remords vient racheter le tableau de la duperie généralisée et ignorer les différences d’épiderme, sans laïus et sans prêche. Farce moraliste, typiquement wilderienne donc, servie par des dialogues, des situations, des acteurs savoureux. 4/6

La vie privée de Sherlock Holmes
Où la supercherie du spectacle renvoie constamment à l’illusion de celui-ci : le cygne en contreplaqué et son reflet dans les coulisses de l’opéra, comme le monstre du Loch-Ness, les nains que l’on prend pour des enfants et les moines qui n’en sont pas, participent d’une même éblouissante réflexion sur les apparences. Longtemps méconnu, mais fort justement réhabilité, le film est un bijou d’humour espiègle et de sensibilité retenue, s’attachant à délivrer, derrière le portrait inédit du plus grand détective de la littérature, une forme inédite de mélancolie voilée. Ce faisant, il célèbre le triomphe de la beauté sur l’intelligence, de la vie et de l’affect sur le métier, et déplace les perspectives criminelles de l’intrigue sur un champ purement sentimental. Une grande réussite, à la fois narquoise, iconoclaste et émouvante. 5/6
Top 10 Année 1970

Avanti !
Direction le soleil napolitain pour une comédie vaudevillesque et romantique qui franchit un pas supplémentaire dans l’incitation à l’abandon. Sans renier son goût de la satire (on y moque tour à tour la fidélité conjugale, le puritanisme et l’hypocrisie à l’américaine), ses perspectives morales et sa lucidité désabusée (argent et cadavres sont mis sur la même plan, négociés coup de chantages ou de combines), Wilder accorde une complicité accrue, par le rire même, aux passions et à la sociabilité. De cette inclination au bonheur, de cette philosophie sereine naissent le charme lumineux d’un hymne à la dolce vita et aux justes accords du cœur, qui se développe à un rythme apaisé, presque indolent, et qui suit l’éducation sentimentale d’un businessman pressé prenant conscience de sa vérité intime. 4/6

Spéciale première
Nouvelle adaptation de la pièce que Hawks avait si brillamment portée à l’écran, cette satire féroce du métier de journaliste réactive la rosserie caractéristique qui permet au cinéaste de brosser, film après film, un panorama de l’Amérique dont la virulence a rarement été égalée par ses concitoyens "de souche". Circonscrite dans un quasi huis-clos que le réalisateur exploite avec une minutie épidermique, elle mitraille en tous sens, stigmatise l’opportunisme cynique de la presse, l’incompétence des forces de l’ordre, la veulerie de la classe politique, et ne réserve son peu de tendresse qu’à une figure de prostituée au grand cœur. Même l’amitié et l’amour sont des valeurs sans avenir dans un tel milieu : constat sarcastique que le rythme sans faille et l’efficacité comique de l’ensemble rendent savoureux. 4/6

Fedora
Wilder sait bien qu’après minuit la plus belle des pantoufles de vair peut tomber en poussière. Fedora, la star qui se retire à Corfou après l’échec d’un film inachevé, dresse le portrait d’une société du rêve qui ne cesse de se heurter au mur de la réalité. Retrouvant le registre noir et mélodramatique de Sunset Boulevard, ce puzzle cruel et désenchanté se construit en plusieurs strates autour du cinéma dans ce qu’il a de plus destructeur, mais aussi de la mort, du mirage de l’éternelle jeunesse, de la quête d’identité et de la force des souvenirs. Il offre une admirable méditation sur le néant de l’existence et le néant du spectacle affrontés puis renvoyés en match nul, sur la mise en scène également telle que la pratique son auteur – toile de mensonge et d’artifice dont le dévoilement progressif amène à la vérité. 5/6


Mon top :

1. Boulevard du crépuscule (1950)
2. Certains l’aiment chaud (1959)
3. La garçonnière (1960)
4. Assurance sur la mort (1944)
5. Un, deux, trois (1961)

Grande figure du cinéma américain évidemment, l’un des maîtres d’un genre (la comédie) qu’il a porté à des sommets de sophistication et de virtuosité, Wilder est de ces artistes qui délivrent, par le divertissement, une pensée aigue, universelle, profonde. Impossible de ne pas admirer ce cinéma-là, pour moi.
Dernière modification par Thaddeus le 25 janv. 24, 21:56, modifié 10 fois.
villag
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par villag »

Par dessus tout, LA GARÇONNIÈRE , suivi de SABRINA ,BOULEVARD DU CRÉPUSCULE .....; j'avoue ne pas être fan de CERTAINS L AIMENT CHAUD ...!!!
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Jeremy Fox
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par Jeremy Fox »

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hotgavial
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par hotgavial »

1- Boulevard du Crépuscule 10/10
2- La Garçonnière 9/10
3- témoin à Charge 9/10
4- Certains l'aiment chaud 9/10
5- Fedora 9/10
6- Assurance sur la mort 8,5/10
7- Le gouffre au chimères 8,5/10
8- Le poison 8/10
9- Kiss me Stupid 8/10
10- Ariane 8/10
11- Irma la douce 8/10
12- Un, deux, trois 7,5/10
13- Sept ans de réflexion 7,5/10
14- Uniformes et jupons courts 7,5/10
15- La valse de l'empereur 7,5/10
16- La grande combine 7/10
17- Sabrina 6,5/10
18- Avanti 6,5/10
19- La vie privée de Sherlock Holmes 6,5/10
20- Spéciale première 6,5/10
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Thaddeus
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Message par Thaddeus »

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Pour les orphelins de Marx et du Coca-Cola


Le directeur d’un certain breuvage typiquement américain en poste à Berlin-Ouest reçoit un jour la mission de faire le chaperon pour Scarlett, la fille de son patron d’Atlanta (admirez l’astuce), venue effectuer un tour d'Europe, dans le temps même où il négocie avec les Russes la vente de son produit. La demoiselle, fort explosive, se laisse séduire par un communiste allemand de Berlin-Est qui crache sur Wall Street et Fort Knox. Lorsqu'elle reparaît, mariée à ce "farouche révolté", le directeur, qui se moque éperdument des données morales ou affectives du problème, s'arrange pour que le jeune homme soit traité en espion américain par les Allemands de l'autre zone. Mais elle est tombée enceinte et il ne s'agit plus d'annuler le mariage. Le directeur récupérera l’époux ébouriffé en lâchant aux mains des Russes une secrétaire aussi sexy que coopérative (Liselotte Pulver métamorphosée en Marilyn Monroe teutonne, qui effectuera la danse du sabre pieds nus, déhanchée, deux torches en mains, sur la table d’une boîte de nuit sinistre de Berlin-Est), voire pour plus de sûreté un travesti qui la remplace. On transformera le marié en capitaliste, fils adoptif d'un ancien hobereau tudesque, le tout juste à temps pour l'arrivée du super-boss. Le directeur sera récompensé comme il le mérite, le gendre aussi. Coca-Cola accomplira la domination de l’Europe et la conquête de la Russie dont ont rêvé tous les dictateurs. Et les Allemands de l'Est, méfiants, achèveront la menace implicite de la première phrase du film ("Ils ont fermé la frontière pendant que toute l'Amérique regardait un match de base-ball, ce qui prouve que nous avons affaire à des gens rusés")... en construisant le mur de Berlin. Malheureusement pour la destinée du film, ce dernier détail est historiquement vrai. La production dut se replier sur Munich, et le décorateur Alexandre Trauner recréer la porte de Brandebourg dans les studios de la Bavaria. "C’était comme de faire un film à Pompéi au moment où la lave va l’engloutir", dira le cinéaste de ce timing malencontreux. Aussi le tournage d'Un, Deux, Trois, triomphe de la logique du monde depuis Yalta, s'acheva-t-il de manière à en compromettre la carrière. Pour un peu, on aurait rendu Billy Wilder responsable du sombre épisode. Sa verve n’en est pourtant pas émoussée (il pourfend avec la même alacrité l’hypocrisie allemande, la stupidité soviétique et l’arrogance américaine), pas davantage que sa lucidité : ce qu’il observe à Splitsville, c’est une nouvelle bifurcation de l’histoire, en l’occurrence la déliquescence des idéologies et la mainmise des corporations multinationales. Il est à noter que cet hilarant jeu de massacre, sans doute l’exercice satirique le plus réussi des rapports Est-Ouest avec Docteur Folamour, n'a guère donné lieu à une nuée d'éloges à sa sortie : la critique (surtout de gauche) l’a éreinté, le méconnaissant totalement, le lisant au degré zéro de la propagande antisoviétique. Mais chacun sait qu’au cinéma, la vérité se découvre parfois sur le tard.


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On imagine difficilement dans quelles cascades désopilantes de situations loufoques, de dialogues délirants, de gags et de quiproquos invraisemblables le personnage principal entraîne le récit pour parvenir à la transformation finale. Transformation qui condamne bien plus le système américain tout entier et son consumérisme sordide, déguisé et victorieux, que le "matérialisme historique" d’en face. Wilder n’oublie pas en effet de rappeler que le capitalisme s’autodévore par la concurrence (le distributeur automatique donnant du Pepsi au lieu de donner du Coca). Il y a dans la surabondance des idées, des références ironiques, des reprises comiques, des pastiches (la poursuite en voiture), une sorte de mitraillage du public qui ne peut que faire rendre les armes au plus rebelle des pince-sans-rire. Si le risque de la vulgarité est constamment assumé par l’auteur, la plénitude et la maîtrise de son art en viennent sans cesse à bout. Cet art, comme celui de Mankiewicz, s'appuie fondamentalement sur la parole. Mais là où, chez le réalisateur d’Ève et du Limier, elle "déploie" l’espace, le cinéma de Wilder reste soumis aux heurts, aux rebondissements et aux ellipses du scénario. L'arme du businessman, le téléphone (arme ambiguë puisqu'à la fois elle menace sans arrêt et donne, le cas échéant, le moyen de gagner du temps face à une situation incontrôlable), tient pleinement ici son rôle parolier. Le cinéaste se garde néanmoins d'une mise en scène trop platement théâtrale, et tous les lieux de l'action sont calculés en fonction de l'effet général. Qu'on songe à la présentation large, voire emphatique, du cabaret dans la résidence des Russes, ou au resserrement inverse du bureau policier des Allemands de l'Est. Sans que le décor impose sa présence obsédante comme dans La Garçonnière, Wilder réussit à relier la topographie du siège de Coca-Cola aux événements qui s'y déroulent, d'une façon à la fois classique et percutante. L'effet humoristique du garde-à-vous des employés, par exemple, est redoublé d'être photographié toujours sous le même angle, à travers les incidents les plus saugrenus.

Cet immeuble est en fait le royaume d'un homme, MacNamara (nom du secrétaire d'État de Kennedy à l'époque, détail évidemment opportun), sudiste quelque peu libéral flanqué d'une épouse qui n'aspire qu'à rentrer au pays avec ses rejetons, alors que lui voit, dans la réussite de la visite patronale, l'occasion d'atteindre enfin Londres, capitale européenne de sa firme. La promotion est si alléchante qu'il exhibe déjà un parapluie typiquement britannique. Un, Deux, Trois devrait presque se regarder comme un one-man-show de James Cagney. L'ex-danseur a le sens du rythme, on le savait depuis longtemps, mais celui qu'il impose au film, de bout en bout, est absolument prodigieux. On raconte qu’il s’exerçait aux claquettes avant les prises de vue pour pouvoir répondre aux exigences de Wilder. Les quelques scènes où il n'apparaît pas sont magnétiquement (et effectivement dans l'intrigue) commandées par lui jusque dans le moindre détail. Ce tempo allegro, bien que d'essence verbale, est ponctué de quelques gags visuels énormes : l'échange d'un monocle au cours d'une embrassade (repris de Certains l'aiment chaud), le portrait de Staline caché sous celui de Krouchtchev, la transformation d'un coucou de la Forêt-Noire en provocation yankee... Le cinéaste n’oublie pas de référer l’acteur à son rôle traditionnel : un pamplemousse menace ici, non pas une blonde comme dans L’Ennemi Public, mais le jeune hurluberlu qui ne sait même pas se tenir à table. Pareil clin d’œil n’est pas inédit chez lui (Dean Martin assumant son propre personnage au début d’Embrasse-moi, Idiot, la réplique qui parie ironiquement sur la présence derrière la porte de Marilyn Monroe dans Sept Ans de Réflexion), et si l'on y regarde de près, on s'aperçoit que cet arriviste velléitaire, sous ses dehors dictatoriaux, pragmatique mais réellement furieux de devoir employer un ancien S.S., tour à tour jobard et sceptique quant aux thèmes de propagande qu'échangent les deux camps, est la figure la plus sympathique du film. Tous ses partenaires, de sa sentencieuse épouse jusqu'à la ravissante idiote incarnée par Pamela Tiffin, sont quasiment des fantoches. Chez lui, l'habit ne fait pas tout à fait le moine ; chez les autres, un passage au vestiaire suffit à métamorphoser l'individu. Au verbe molto furioso de l’ugly American, les Allemands de l’Est ne peuvent opposer que leur pauvre langue de bois. On peut de surcroît les soudoyer aussi aisément que les commissaires de Ninotchka. Ceux de l’Ouest, eux, ne demandent qu’à claquer des talons comme au bon vieux temps.



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C’est qu’il n’est pas pour Wilder de solution moyenne. La force du cliché est telle qu’il vaut mieux l’utiliser comme un boomerang, démontrer sa fausseté essentielle en multipliant ses conventions. Partant de cette idée que pour ses contemporains l’image est encore plus réelle que l’original, le cinéaste part de l’image pour retrouver l’original. La dévastation intellectuelle du propos opère ainsi dans tous les sens et sous les manifestations les plus variées. Il suffit de rappeler que Wilder place des allusions plus que directes à la ségrégation raciale dans le sud des États-Unis, à la crise de Cuba, au schisme sino-soviétique, aux troubles nerveux (réels ou figurés) dans l'armée américaine, à la torture (chez les Allemands de l'Est, elle consiste à faire inlassablement écouter aux suspects de vieux disques éraillés parmi lesquels le spectateur français reconnaît Elle avait un petit bikini...) et in extremis aux détournements d'avions. Le communisme et le capitalisme sont également, on serait tenté de dire équitablement, caricaturés, bien que ce soit de ce dernier que Wilder introduise, en connaissance de cause, le résumé le plus juste : "Dans notre système, tout le monde doit quelque chose à quelqu'un." Par-dessus tout, et l'on comprend que le film ait été d'abord détesté par les Allemands, Wilder s'en prend aux anciens nazis, reconvertis dans l’adoration du dieu dollar. Un chantage est éventé du seul fait que le journaliste qui allait s'y livrer échange le salut hitlérien avec le factotum de MacNamara, mémorable personnage, indispensable et grotesque, dont le héros exploite sans vergogne la tendance à l'obéissance passive. Mais l'aisance avec laquelle le jeune bolchévique se retrouvera déguisé en pseudo gentilhomme américanisé laisse aussi à penser. Triomphe du retournement de veste, de la cupidité et du pouvoir de l’argent, que l’auteur paraît néanmoins considérer comme un moindre mal. N’est-il pas préférable à la terreur et au totalitarisme ? Il y a dans cette conclusion sans surprise autant de pessimisme véritable que de complaisance. Si à la fin de La Garçonnière Jack Lemmon résistait à la corruption, tout le monde ici y succombe avec allégresse. Le réalisateur confie d’ailleurs à un Russe plus roublard ou plus candide (les deux ne s'excluant pas) que ses confrères, le soin d'émettre sa propre philosophie. Lorsqu’on lui demande si tout le monde est corrompu, le pseudo-délégué du peuple passé à l'Ouest (en fonction d'en vieux proverbe de son pays, affirme-t-il) réplique magistralement : "Je ne connais pas tout le monde." Aussi tout le monde se vengea-t-il : rarement une comédie fut aussi maudite. Par quoi l'individualiste et narquois Wilder, peu soucieux des grandes querelles théoriques sur la moralité des hommes et des régimes, rejoint une universalité d'un autre ordre : son fou rire est une ruse de la raison.


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Dernière modification par Thaddeus le 7 déc. 23, 16:26, modifié 8 fois.
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