
Revu hier soir en salle sur un bel écran la version restaurée 4k du Parrain. S'il ne fait pas de doute dans mon esprit que la trilogie est un chef d'œuvre dans l'absolu, le premier reste mon préféré. Et jamais, je ne l'avais constaté comme hier soir, devant cette copie magnifique qui m'a révélé des merveilles comme si c'était le première fois. Comme ces paysages siciliens dont je n'avais jamais remarqué qu'ils étaient aussi grandioses ou comme ces figurants, ceux du mariage surtout, qui foisonnent de toutes parts. Le Parrain vieillit de mieux en mieux, et fascine de plus en plus. Hier soir, j'ai revu un film qui intimide et rend jaloux, alors même que l'on ne pratique pas le cinéma. Comment un mec de 30 piges a pu réaliser une œuvre aussi mature, aussi stylistiquement affranchie de toute influence, aussi farouchement dépositaire de sa propre griffe. Coppola invente la fresque noire, le grand roman que celui de Mario Puzo n'est évidemment pas. Film incroyablement retenu, presque autiste, sourd à tout effet de mode, Le Parrain est un chef d'œuvre mat, compact, aussi impénétrable que son affiche, que je trouvais mystérieuse quand j'étais petit (de quoi cela pouvait-il bien parler?) et , en même temps un grand film populaire, pastiché, singé, reconduit, aussi, par son géniteur, mais jamais surpassé. Ce parti-pris de calme, de lenteur cérémonieuse, de baroque étouffé était extrêmement risqué, il n'en finit plus d'être payant. J'aime beaucoup Le Parrain III mais en enfonçant le clou de l'italianité, en crevant l'abcès opératique, Coppola perdait, à mon sens, quelque chose de cette alchimie mystérieuse que j'essaie de décrire. Plastique par contre totalement reconduite par le deuxième opus, avec plus de lenteurs toutefois et moins d'émotion. Marque auto-déposée, Le Parrain semble s'inventer lui même, trouver l'idéale expressivité de ce qu'il raconte. Jamais, sauf peut-être chez Kubrick, on aura vu mise en scène aussi pointilliste, comportements gestuels aussi millimétrés. Jamais, ni avant, ni depuis, on aura eu le sentiment d'un tel travail sur les attitudes physiques des personnages, leur façon de se servir un verre, de s'asseoir, de se lever, de mourir aussi (cf comment Barzini, abattu, s'écroule sur les escaliers en un curieux mouvement de bascule).Et en effet, il n'est pas jusqu'à la violence, aussi spectaculaire qu'économe, qui ne semble régie par d'étranges manipulations de marionnettiste (pas pu m'en empêcher

Plus qu'un grand mythe de cinéma, Le Parrain est un film-univers, souterrain, ténébreux, hypnotiquement calme à défaut d'être serein.