(en italiques : films découverts en salle à leur sortie)
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Ni apologie ni acte d’accusation, le film, comme son titre l’indique, est le témoignage d’une volonté de dépassement qui s’achève tragiquement. Son protagoniste se détache de la génération hippie, fidèle à une conception pathétique de l’existence, à la recherche d’une sensualité douloureuse, de l’initiation et du mystère. Il est pris au piège de la nature et d’une femme, davantage qu’à celui de la drogue, au fil d’une descente aux enfers qui se peint de sable d’or et s’éclaire de l’atroce brûlure du soleil d’Ibiza. Constat d’une neutralité parfaite sur la spirale de la dépendance et les leurres dramatiques qu’elle suscite, l’œuvre impose un romantisme quasi nervalien, exhale une beauté mortifère, et marie le dépouillement du style à une certaine préciosité. Quant à Mimsy Farmer, elle dégage un charme assez fou.
4/6
La vallée
Thèse : plus rien à attendre de notre monde pourri. Les paradis verts et les peuplades primitives de la Nouvelle-Guinée vous apprendront donc ce qu’est la vraie vie, et si vous croisez un groupuscule hippie en mal d’horizons perdus et de vie communautaire, c’est le nirvana assuré. Antithèse : un Occidental blanc le restera et n’y peut rien changer, touriste à jamais, vache de Rousseau. Synthèse : à toi spectateur de conclure et de trouver ta petite vallée personnelle. Propos un peu court pour un film assez mou, vaguement ennuyeux, mais qui par-delà les mythes de Shangri-La cherche à écarter les pièges crispés de l’intériorité afin de renvoyer l’incommunicabilité entre les cultures, l’affabulation ou les chimères d’un idéal. C’est oublier qu’il n’y a pas d’engagement authentique sans idées claires et choix appréciés.
3/6
Maîtresse
Cette maîtresse est une dominatrice professionnelle qui exerce une activité fort lucrative : flagellation, écartèlement, garrottage, musèlement, baîllonnage et même conversation par laquelle elle perd soudain son contrôle, effrayée par ses propres pulsions. Elle est dans ses perruques et son latex comme tortue, les émotions la suffoquent, car depuis que la consomption n’existe plus, les dames aux camélias modernes défaillent avec le même succès dans les costumes en cuir de Lagerfeld. Et l’idée topographique est de mettre les masos (l’inconscient ?) un étage au-dessous de l’amour. L’absence de regard, l’assèchement clinique auquel se plie le sujet rendent le tout assez ennuyeux, en plus d’être parfois insoutenable à regarder (on se serait bien passé du cloutage de pénis et de l’abattage de cheval en
live).
3/6
Barfly
Du bar à la piaule, de la piaule au bar : tel est l’unique trajet de ces épaves imbibées dont la démesure se joue dans le double sens d’une réduction de l’espace et d’une expansion au quotidien de leur sereine rage de vivre. Ce qui les lie et fait consister leur univers, ce sont les rites sociaux, privés et intimes qu’ils s’inventent pour ne pas se laisser absorber et détruire par les autres. Ils préfèrent s’enfermer dans le vertige de l’ivresse, le cercle nécessairement vicieux de leur passion, de leur cérémonie plus ou moins secrète, choisir leur mode de destruction qui est aussi leur mode de vie marginale. En transcrivant à l’écran la prose écorchée et éthylique de Bukowski, le cinéaste a su éviter le sordide et l’apitoiement pour privilégier une forme de poésie en accord avec la folie héroïque de ces êtres-anges.
4/6
Le mystère von Bülow
Scott Fitzgerald le savait bien, les riches sont différents. Tiré d’un scandale qui excita follement l’Amérique dans les années 80, le film exerce d’abord l’attrait d’une étude en noir que l’on contemple ravi et vaguement mal à l’aise. Milieu : la
jet society, microcosme feutré, plein de dissimulations et de non-dits. Thèmes : l’argent, le sexe, le pouvoir. Ton : ironie, ambigüité et morsures diverses. Pour disséquer ce cas criminel, Schroeder oblige le spectateur à sortir des sentiers routiniers du film-dossier en explorant un espace composé de différentes irisations, mais sans rupture contrastée à l’intérieur du dédale. Teint pâle, menton droit, œil fuyant, mise irréprochable, Irons incarne avec une formidable conviction un personnage raffiné, cultivé, séducteur, en qui se mêlent machiavélisme et innocence.
4/6
JF partagerait appartement
Devant cette histoire de vampirisation psychique et de folie féminine meurtrière, il est une fois de plus impossible de faire l’économie d’une analyse sur le rapport au genre, d’autant plus que le cinéaste reconnaît et assume pleinement sa dette à ce qu’il convient d’appeler le film-
Vertigo. Avec une indéniable habileté, il insère au sein d’un suspense voulu vénéneux un certain nombre de lignes de fuite, tant dans la conduite du récit que dans le propos, et s’ingénie à susciter un trouble, une désorientation progressifs en jouant de la gémellité perturbante de ses deux actrices, des jeux de miroirs signifiants, de l’attirance érotique et du désir secret qui se métamorphosent en pulsion de mort. Mais le résultat, non dénué d’effets grandiloquents, est presque trop roublard pour être vraiment pénétrant.
4/6
Kiss of death
Si l’on considère Schroeder davantage comme un cinéaste que comme un auteur, c’est-à-dire plus préoccupé d’expérimenter de nouvelles voies, de jouer des jeux inédits ou de relever des gageures que de se livrer à tout prix à travers un film, alors il était prévisible qu’il sacrifie corps et bien au polar pur et dur, tout simplement pour le plaisir de l’expérience. De ce point de vue, ce film tranchant et sans coquetterie est parfaitement réussi, qui privilégie un hyperréalisme tantôt métallique, tantôt électrisé, de toute façon déshumanisé, qui explore la frontière ondulante entre le bien et le mal, maintient les zones d’ombre de ses personnages sans pour autant obscurcir le récit, agence des images urbaines quasi oniriques, et allie la rigueur des classiques du genre avec la distance d’un regard ironique.
4/6
La vierge des tueurs
L’homosexualité comme un fait acquis, le meurtre comme une banalité, la violence en overdose de réalité, et cette certitude qui se glisse sous la peau : dehors c’est la peste et dedans c’est le choléra. Situé dans le chaos sanglant et la fureur assourdissante de Medellin, le film contourne les écueils de l’exotisme, du misérabilisme, de l’exploitation de la misère sociale aux seules fins du spectacle, bref, la complaisance. Il inocule une pincée d’humour et de tendresse dans l’histoire d’amour qui se noue entre un écrivain en perte de repères et un adolescent levé dans un bordel, la décline en situations leitmotivs et en variations chromatiques, en même temps qu’il insère des trouées fantasmagoriques au sein d’un ballet de mort où chaque assassin est condamné à occuper tôt ou tard la place de sa dernière victime.
4/6
Calculs meurtriers
L’héroïne est une inspectrice de police assez déséquilibrée, qui n’a pas exorcisé un vieux traumatisme et excelle ainsi à se mettre à la place des criminels. Bla-bla freudien convenu, assez symptomatique du schématisme plombant quelque peu une intrigue inspirée de la fameuse affaire Leopold-Loeb, dont Hitchcock avait également tiré sa
Corde : deux étudiants, homosexuels refoulés, y sont contaminés par une douteuse philosophie pseudo-nietzschéenne, attirés par le mal, le crime gratuit et la manipulation mentale. Les concessions apparentes à la logique commerciale ont beau être parfois perverties par le brouillage des pistes, rien dans la mise en scène ou le propos ne transcende vraiment ce matériau honnêtement artisanal, emballé néanmoins avec un savoir-faire sans afféteries.
3/6
L’avocat de la terreur
L’auteur dresse ici un genre de biographie non autorisée, le portrait d’un être insaisissable, à la fois fascinant et détestable : Jacques Vergès. L’itinéraire même de l’homme est passionnant de sa par sa longueur (il puise ses sources dans la guerre d’Algérie) et son contenu particulièrement problématique : conversions successives (maoïsme, islam), partis pris nauséabonds (antisémitisme), péripéties personnelles, jusqu’au mystère savamment entretenu du "trou noir" biographique pendant les années 70. Au fil de témoignages et de recoupements contradictoires se dessine une figure complexe, très difficile à juger, qui interroge la notion de justice et questionne notre point de vue sur des événements et des idéologies que la confrontation avec le sulfureux avocat tend à remettre en question.
4/6
Le vénérable W.
On dit du bouddhisme qu’il est la religion la plus pacifique et tolérante du monde. Prompt à remettre en question les idées reçues autant qu’à interroger ses propres certitudes, le cinéaste se livre à un portrait inattendu : celui d’Ashin Wirathu, bonze birman dont la placidité n’égale que l’implacable détermination, prophète d’un nationalisme radical et fanatique, d’une islamophobie haineuse que n’effraient pas les perspectives génocidaires. Pour éclairer la réalité d’un crime contre l’humanité encore largement méconnu par la conscience internationale, pour analyser et comprendre l’engrenage de la peur irrationnelle et de la violence convulsive qui en découle, il procède par une sorte de pédagogie des racines et de la mécanique du mal, sans que jamais la clairvoyance du propos n’en atténue la révolte effarée.
4/6
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More (1969)
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Kiss of death (1994)
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Le mystère von Bülow (1990)
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Le vénérable W. (2017)
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Barfly (1987)
À l’instar de Louis Malle, cinéaste français ayant réussi à exercer une carrière américaine et hybridé ses différentes formes d’approche avec d’autres influences, Schroeder est un artiste assez difficile à cerner. Il est indéniable que sa place se situe en marge du système, et que son inspiration s’épanouit dans la variété des projets, en évitant les chemins balisés.