Voyage à deux (Stanley Donen - 1967)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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feb
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Re: Voyage à deux (Stanley Donen - 1967)

Message par feb »

Très beau texte Alligator, une fois de plus, sur un film que j'adore tout simplement...sans doute le meilleur film d'Audrey tellement elle y est radieuse et surtout parce qu'elle y apparait sous plusieurs facettes comme si le film avait été tourné à plusieurs stades de sa vie (je la trouve particulièrement belle dans la dernière partie en femme mure). Albert Finney forme avec elle un très beau couple et leur prestation est tellement naturelle qu'ils semblent réellement ensemble. Chantons sous la pluie mis à part, ce film forme avec Charade mes 2 films coup de coeur de Stanley Donen :wink: J'ai presque envie de dire que ce film de Donen est un chef d'oeuvre :fiou: D'ailleurs un petit passage en BR pour Two for the roads serait une très bonne chose...
Alligator a écrit :La triste médiocrité du dvd (y a qu'à voir les horribles captures que j'ai passablement collectées), acheté en Autriche il y a longtemps, ne me permet pas de cerner comme il se doit le travail de Christopher Challis. On attendra l'édition d'un Criterion ou l'on tentera celle de Carlotta la prochaine fois.
Tu peux passer au Carlotta, il propose une très belle qualité d'image qui permet d'apprécier les couleurs du film et un son clair qui permet de profiter de la musique de Mancini (dont j'ai acheté l'OST à la suite de la vision du film et le thème principal est tout simplement magnifique :D ) et des voix de Finney et Hepburn...l'excellente critique de Margo Channing sur DVD Classik est là pour en juger.
Alligator
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Re: Voyage à deux (Stanley Donen - 1967)

Message par Alligator »

De toute façon on ne peut pas faire pire que cette édition allemande. Mais c'est vrai qu'attendre un BR est bien tentant.
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-Kaonashi-
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Re: Voyage à deux (Stanley Donen - 1967)

Message par -Kaonashi- »

hansolo a écrit :Mancini, Donen, Hepburn & Finney réunis dans un petit chef d'oeuvre alternant 3 voyages avec une grâce rarement vue depuis ...
Ne pas oublier un très bon scénario signé par Frederic Raphael, qui faisait preuve ici d'un talent et d'une précision dans la description du couple assez inégalés.
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Demi-Lune
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Re: Voyage à deux (Stanley Donen - 1967)

Message par Demi-Lune »

C'est d'ailleurs à lui que Stanley Kubrick a fait appel pour signer le scénario d'Eyes Wide Shut.
Sinon, Voyage à deux fait partie de ces films que j'aimerais beaucoup voir ; j'attends désespérément sa rediff' sur Arte, chaîne qui aime régulièrement le passer, me semble-t-il.
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hansolo
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Re: Voyage à deux (Stanley Donen - 1967)

Message par hansolo »

Demi-Lune a écrit :C'est d'ailleurs à lui que Stanley Kubrick a fait appel pour signer le scénario d'Eyes Wide Shut.
Sinon, Voyage à deux fait partie de ces films que j'aimerais beaucoup voir ; j'attends désespérément sa rediff' sur Arte, chaîne qui aime régulièrement le passer, me semble-t-il.
Merci à toi & à Kaonashi pour la précision sur le scénariste que je ne connaissais pas :oops:
Two for the road est un film a posséder!
La galette Carlotta repasse régulièrement sur mon lecteur.
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Demi-Lune
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Re: Voyage à deux (Stanley Donen - 1967)

Message par Demi-Lune »

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Je serai plus modéré que la plupart des intervenants du topic mais c'est quand même très bon.
J'ai particulièrement aimé la manière dont le film mêle les temporalités... Curieusement, la déconstruction chronologique du montage permet de mieux dégager le bilan d'une vie, les irrégularités de l'existence, faite de hauts et de bas. Les récits non linéaires sont devenus communs dans le cinéma mais l'intelligence de celui-ci fait toujours son effet. C'est habile d'un point narratif (les voitures qui passent et qui permettent une transition invisible) et surtout le procédé permet un enrichissement dramatique de chacune des strates : en effet, le fait que les époques soient confondues au service une même dynamique (comprendre comment le couple a pu en arriver là) conduit à ce que chaque temps soit regardé dans un parallélisme nostalgique. Parce que toutes les époques sont mises en parallèle et entremêlées dans des effets permanents de miroir, de contradictions ou d'échos, les heures heureuses de la relation Hepburn/Finney (notamment en autostop) apparaissent encore plus tendres et belles au regard de la décrépitude future. Les ruptures créées par le montage invitent à la mélancolie, les instants de bonheur étant sans cesse "altérés" par leurs pendants des heures sombres... il faut laisser agir la narration pour en apprécier progressivement la délicatesse. Le film ne révèle pas immédiatement sa sensibilité et j'ai envie de citer Ed Crane dans The Barber à ce sujet (j'adore cette phrase) : "quand on prend une certaine distance, tous ces tours et ces détours deviennent la forme de notre vie... la vision d'ensemble apporte un peu de paix". C'est très exactement le même sentiment que m'inspire Voyage à deux dans sa globalité. La paix de savoir que ce couple a existé par la magie du cinéma, qu'il s'est aimé, parfois détesté, mais que dans les affres de la vie subsiste entre eux quelque chose d'indissoluble.
Le film doit bien sûr beaucoup à l'alchimie du couple Hepburn/Finney, qui comme le disait très justement feb, semble vraiment vivre l'histoire en s'affranchissant des rôles. Les nuances du jeu d'Audrey Hepburn retiennent particulièrement l'attention, l'actrice parvenant à faire croire sans difficulté à ses différents âges et à imprimer sur son visage l'amertume des ans passés (y a pas qu'une question de coiffures et de look derrière ça).
Mes reproches se situeraient en fait dans la place parfois envahissante accordée à la facette humoristique ; certes, ça participe de la nostalgie générale mais c'est souvent plus pataud qu'autre chose. Je pense par exemple à la petite chieuse et ses insupportables parents flamby... tout ce segment est assez pénible. En outre, je ne suis pas forcément très fan du défilé de mode que nous propose Audrey tout le long du film, le style agressif du Swinging London datant plus l'esthétique que la classe 50's de Givenchy. Et puis, Donen a toujours bien aimé expérimenter quelques trucs visuels, mais là la séquence en accéléré façon Benny Hill à Chantilly, c'est pas du meilleur effet et son sens formel reste ici très pauvre. Bref, quelques imperfections mais qui ne ternissent pas la satisfaction générale.
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Re: Voyage à deux (Stanley Donen - 1967)

Message par Flol »

Demi-Lune a écrit :Je serai plus modéré que la plupart des intervenants du topic
Oh t'embête pas à le préciser, 95% de tes dernières critiques commencent comme ça.
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Re: Voyage à deux (Stanley Donen - 1967)

Message par AtCloseRange »

Moi, ce fim m'a grave emmerdé mais je suis peut-être passé à côté (ou pas).
Faut dire que je n'aime pas non plus Eyes Wide Shut. J'ai peut-être un souci avec ce monsieur Raphael....
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Re: Voyage à deux (Stanley Donen - 1967)

Message par Federico »

Demi-Lune a écrit :Le film doit bien sûr beaucoup à l'alchimie du couple Hepburn/Finney, qui comme le disait très justement feb, semble vraiment vivre l'histoire en s'affranchissant des rôles.
Si ça semble coller si bien entre eux, c'est aussi parce qu'ils la vivaient réellement au moment du tournage. :wink:
Les nuances du jeu d'Audrey Hepburn retiennent particulièrement l'attention, l'actrice parvenant à faire croire sans difficulté à ses différents âges et à imprimer sur son visage l'amertume des ans passés (y a pas qu'une question de coiffures et de look derrière ça).
Exact, même si je préfère de loin l'Hepburn naturelle, gamine et enjouée de la première partie, très proche de celle de Funny face (le jeu avec le panneau routier).
Mes reproches se situeraient en fait dans la place parfois envahissante accordée à la facette humoristique ; certes, ça participe de la nostalgie générale mais c'est souvent plus pataud qu'autre chose. Je pense par exemple à la petite chieuse et ses insupportables parents flamby... tout ce segment est assez pénible.
C'est un élément un peu lourd (assez Jerry Lewis/Tashlin) qu'on retrouve dans d'autres films américains de l'époque comme La chatte sur un toit brûlant.
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Thaddeus
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Re: Voyage à deux (Stanley Donen - 1967)

Message par Thaddeus »

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Scènes de la vie conjugale


Il y a une Donen’s touch comme il y a une Cukor’s touch ou une Lubitsch’s touch. Faite de brio et d’humour, de finesse et d’élégance qui peut aller jusqu’à la sophistication, elle n’exclut chez aucun de ces trois réalisateurs de comédies un certain réalisme psychologique dans l’analyse, le portrait de la femme et du couple (faut-il en limiter la portée en précisant "américains" ?). Voyage à Deux, structuré comme un flash-back multiple et morcelé, est le bilan introspectif d’un mariage au bord de la rupture. Le long voyage de noces s’y transforme d’année en année en morne pèlerinage sur les lieux où deux jeunes gens se sont connus et aimés. Mais chaque étape de la randonnée qui mène ceux-ci, cahin-caha, sur les routes de leur rencontre marque une lente évolution sociale : commencée sac au dos et en autostop, l’aventure se poursuit au fil des étés à bord de voitures de plus en plus confortables, dans des hôtels de plus en plus luxueux, relevée de toilettes toujours plus à la mode (signées Paco Rabanne). Or cette courbe ascendante fait apparaître avec une rigueur quasi mathématique un déclin d’harmonie conjugale inversement proportionnel. L’idylle n’était pourtant pas née sous les meilleurs auspices, et il s’en est fallu de peu pour que Mark Wallace, d’abord très récalcitrant vis-à-vis de Joanna, ne s’entiche d’une autre demoiselle qui l’intéressait davantage (Jacqueline Bisset, fulgurante de beauté dans une courte apparition). C’est là qu’intervient la constante inventivité du scénario de Frederic Raphael, lui-même relayé par l’excellence de Donen à faire interférer et s’imbriquer non pas deux, ni trois, mais quatre lignes narratives spatio-temporelles. Substituant aux miroitements maniéristes du précédent Arabesque une mécanique à double appareil (l’un et l’autre étant étroitement solidaires : du récit et du sentiment), le film ne laisse pas de toucher juste, profond et preste. Il fait plier sa virtuosité technique devant la réalité profonde de son sujet, et épouser à son montage extraordinairement alerte la démarche psychologique de protagonistes dotés d’une existence préalable propre. De plus, à travers son actrice-fétiche, le réalisateur se livre à une véritable revue sur lui-même et sa génération.


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Voyage à Deux s’essaye, par le seul logiciel de la mise en scène, à animer sur un plan purement visuel des êtres que la convention empêche de se mettre en mouvement. Les trouvailles et les raccords ludiques fourmillent, ricochent, stimulent la sagacité du spectateur et son sens des associations : un plan montrant le plongeon de Joanna dans la mer, à telle époque donnée, est suivi par celui, à telle autre, de son immersion dans une piscine ; un panoramique cadrant un véhicule identique à celui du duo retrouve en fin de course ce dernier en autostoppeurs… C’est dans le jeu de mystifications successives que le cinéaste peut, entre autres moyens, réintroduire une fantaisie qui, pour être détachée des préoccupations de ses héros, n’en est pas pour autant désaccordée à leur humeur. Leurs péripéties sentimentales sont communiquées au travers d’une réalisation apte à faire ressentir ces moments où l’amusement s’instaure entre deux clins d’œil complices, où une tristesse profonde s’insinue à partir d’une posture égoïste trop longuement maintenue. Donen parle bien d’abord ici du couple Mark-Joanna et de ses évolutions successives que définissent leurs différents périples sur un itinéraire approximativement identique, le chemin du Midi de la France. L’émotion humaine est donc au centre d’une œuvre follement gracieuse que l’ironie de l’auteur construit à l’inverse du "voyage sentimental" traditionnel : les personnages n’évoluent pas le long d’un parcours donné ; au contraire, les mêmes lieux traversés sont témoins d’états d’âme successifs. Et la perspective finale de l’excursion aux États-Unis, après les vacances romaines (clin d’œil à la carrière de l’actrice ?), suggère un retour aux sources de la comédie hollywoodienne, après l’étape buissonnière de cette balade européenne sur les petites routes départementales, loin des autoroutes balisées, où les panneaux indicateurs rappellent sans cesse aux usagers où ils sont, où ils vont, et quand ils vont arriver, à l’image du couple américain qui veut toujours tout planifier, étapes, arrêts, repas, dépenses. Tout le contraire des Wallace dont l’existence, au même titre que le film, est parsemée d’imprévus, de changements de programme, de retours en arrière, de fuites en avant, comme si auteurs et personnages avaient décidé que la ligne droite n’était pas le plus court chemin d’un point à un autre.

Par les incessants va-et-vient du récit entre le moment présent de la vie du couple et les réminiscences des diverses couches de son passé, Donen suggère la lente et sournoise détérioration des relations de Mark et Joanna, la dégradation de l’estime que la première porte au second. Le film est plutôt tiré du côté de la femme, sans pour autant imposer un point de vue et des conclusions trop exclusives et partiales mais parce que la sympathie active, la complicité du réalisateur lui sont naturellement acquises. Il raconte, parallèlement à la description fragmentaire de ce long voyage en commun qu’est l’aventure conjugale, l’histoire d’une double métamorphose, sociale et psychologique, mais qui ne s’est pas effectuée de façon équivalente et simultanée pour elle et pour lui. Il y a chez Mark une manière de prolonger négativement l’adolescence, en refusant les responsabilités de l’âge adulte, en esquivant la sanction de la maturité (voir les rapports avec ou à propos de l’enfant et du mécène, le premier pas entièrement accepté au contraire du second). Chez Joanna, plus immédiatement pondérée, plus réfléchie de par son caractère (dès la première rencontre elle retrouve le passeport que Mark égare sans cesse, et ce sera sur cet accident symbolique, symptomatique de l’équilibre des deux parties que se fermera le film), de par la façon dont elle conçoit et veut le mariage (connivence constante pas seulement dans le champ ou les gestes de l’amour mais aussi dans le cadre des responsabilités quotidiennes), se fait jour la contradiction qui consiste à reprocher au conjoint ses attaches matérielles et morales avec son métier d’architecte, parce que l’œuvre de création et de don de soi qu’implique ce métier provoque une jalousie naturelle, tout en profitant des avantages qu’il procure. Conquête d’une maturité à deux, le mariage est aussi apprentissage de la vie sociale : en refusant l’un ou l’autre de ces deux aspects, Mark et Joanna en font une épreuve de force et de sagesse.


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Il peut sembler facile et banal de réaliser un film de cent dix minutes pour aboutir à cette vérité première qu’à vingt ans, sans argent mais en liberté, l’on est mieux à même de goûter la vie et de s’aimer qu’à trente et plus, nantis et enchaînés. Mais ce qui importe et emporte l’adhésion, c’est que cette banalité existentielle soit saisie de façon immédiatement sensible pour le spectateur grâce à de menus détails, à de petites touches criantes de vérité, qui apportent à l’œuvre l’acuité et la cruauté d’un reportage. Ainsi le premier séjour dans le château-palace, avec sa longue succession d’incidents mais qui n’atteignent jamais au tragique, opposé au maussade et très elliptique retour quelques années plus tard, dans les meilleures conditions ; ainsi l’équipée à cinq, irrésistiblement drôle, avec les parents paralysés par les manuels d’éducation à l’américaine et tyrannisés par leur petite peste de gamine ; ainsi la présence de l’enfant lors d’un autre voyage, et qui n’est pas fait pour détendre les nerfs ; ainsi le jeu traditionnel des amoureux se moquant des couples officiels et moroses pour s’apercevoir un jour que, à leur tour… ; ou encore la liaison de Joanna avec un oisif ayant tout son temps à lui consacrer, amant idéal qui lui rend la conscience d’exister. Parmi les moyens leur permettant de subsister malgré les aléas et les turbulences, il en est un plus efficace que tous les autres : le sexe. Que les protagonistes éprouvent l’ivresse de la séduction ou traversent une brouille passagère, qu’ils se découvrent à l’aube de leur relation ou soient usés par des années de routine, nombre de séquences s’achèvent par cet instinct fondamental : se rejoindre sous la couette afin de se dire physiquement les choses, de remettre tout à plat. Dans les allusions audacieuses des dialogues, des situations et des objets (le sémaphore), le film creuse avec une admirable perspicacité les ressources employées par Mark et Joanna pour se défaire des instants de crise, de doute ou d’angoisse.

Donen n’a pas certes choisi pas la manière la plus simple de traiter une étude psychologique, à l’image de ses héros qui ne choisissent pas la méthode la plus évidente pour se protéger des piqûres indésirables, en montant une tente sur le lit de leur hôtel alors que pend au plafond une moustiquaire mobile parfaitement adaptable. Mais cette incessante circulation qu’il introduit au travers des différentes époques, des décors identiques, des dispositions changeantes, est la plus propre à faire partager ces sentiments fragiles en perpétuelle érosion ; comme ce refus involontaire des deux occupants de la chambre de se servir de ses possibilités utilitaires est générateur de fous rires et d’ententes amoureuses qu’un confort trop conventionnel n’aurait su peut-être suggérer entre eux. Le cinéaste est surtout servi par deux comédiens au sommet de leur art, capables d’imposer à chaque mot, chaque geste, chaque regard l’évidence de leur alchimie ou le poids de leurs récriminations mutuelles. Tempérée par le temps passé depuis son explosion au milieu des années cinquante, adoucie mais espiègle comme vif-argent, acide et rêveuse, Audrey Hepburn sait exprimer l’ingénuité de la jeunesse aussi bien que les regrets tardifs d’une prise de conscience mélancolique. Albert Finney consacre quant à lui le charme hâbleur et la légèreté frivole d’un tempérament qui balance entre joie de vivre et désenchantement, et nuance son épicurisme naturel par une foultitude de non-dits. Dans l’insouciance ou la gravité, l’un comme l’autre apportent un concours décisif à l’ambition du cinéaste : faire une œuvre personnelle et non une œuvrette de circonstance, un film d’auteur et pas simplement de director. Pari tenu haut la main, car Voyage à Deux est peut-être la merveille la plus éblouissante que Donen ait jamais réalisé.


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Dernière modification par Thaddeus le 17 févr. 22, 22:18, modifié 2 fois.
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Re: Voyage à deux (Stanley Donen - 1967)

Message par Supfiction »

Merci pour ton texte. Je ne me rappelais pas que Jacqueline Bisset y faisait une apparition manquant de peu de faire capoter ce voyage.
Pour moi Voyage à Deux c'est avant tout une musique sublime et entêtante qui s'est déclenchée dès que j'ai vu remonter ce topic.
Tout comme pour Les choses de la vie, elle participe énormément à l'émotion du film.
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Thaddeus
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Re: Voyage à deux (Stanley Donen - 1967)

Message par Thaddeus »

Supfiction a écrit :Je ne me rappelais pas que Jacqueline Bisset y faisait une apparition manquant de peu de faire capoter ce voyage.
Jacqueline Bisset qui d'ailleurs ne manquera pas le coche seize ans plus tard et jouera pour de bon l'épouse d'Albert Finney dans Au-dessous du volcan.
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