Lloyd Bacon (1889-1955)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Profondo Rosso
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

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Prologue (1933)

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À l'avènement du cinéma parlant, Chester Kent, producteur et metteur en scène de spectacles musicaux, se retrouve sans travail. Il décide alors de monter des prologues destinés à passer en première partie des films. Mais une espionne introduite parmi les chorus girls lui vole systématiquement ses idées pour les revendre à une firme concurrente.

Footlight Parade marque, avec 42e rue sorti quelques mois plus tôt l'avènement de la collaboration entre Lloyd Bacon et Busby Berkeley et la révélation du génie de ce dernier. Berkeley s'était vu accorder une grande liberté de manœuvre sur 42e rue, laissant libre cours à ses extravagances qui contrebalançaient une intrigue assez sombre sur l'envers du décor de ce monde du spectacle. Prologue constitue donc en quelque sorte le pendant lumineux de cette réussite initiale, la légèreté et la bonne humeur prédominent cette fois dans un récit jumeau dépeignant le chemin semé d'embûches de la création d'un spectacle musical. L'histoire dépeint un contexte oublié où au début des années 30 le cinéma gardait encore un lien avec ténu avec le monde du spectacle et du music-hall. L'avènement du parlant met à mal la production de spectacles musicaux, mettant le producteur Chester Kent (James Cagney) sur la touche pour un temps. Faute de pouvoir créer un spectacle à part entière, il va devenir un complément de son rival cinématographique en façonnant des prologues aux thématiques liées au film à venir (idée avancée au début du film mais on se demander quel film pour suivre les extraordinaires shows qui précèdent), à un rythme industriel l'obligeant constamment à se réinventer et se produire dans toutes les salles de cinéma du pays.

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Toute la première partie du film dépeint donc le long et laborieux processus créatif pour façonner de nouveaux prologues, la vie quotidienne de la troupe et les difficultés multiples inhérentes à ce monde du spectacle exalté mais impitoyable. Ces passages que l'on doit à Lloyd Bacon sont loin de constituer un remplissage sans intérêt comblant le vide avant les morceaux de bravoures de Busby Berkeley. Ils sont au contraire cruciaux pour que les numéros musicaux ne soient pas juste un ébahissement visuel mais réellement impliquant de par l'intérêt et l'attachement aux personnages qui a précédé. Lloyd Bacon sur un rythme trépidant rend caractérise ainsi en quelques vignettes une multitude de protagonistes, tous incarnés et inoubliables tout en fonctionnant sur des archétypes (le chorégraphe dépassés et pleurnichard, le jeune premier bellâtre incarné par Dick Powell, les producteurs fourbes et roublard). Cette légèreté de ton et ce rythme endiablé n'estompe cependant pas (même si le ton est moins mélodramatique et sombre que 42e rue) les pans les plus sombres de ce monde du spectacle avec un "espionnage industriel" entre compagnies rivales, croqueuse de diamants (l'ex-femme de Kent joué par Renee Whitney, la prétendante perfide incarnée par Clair Dodd), profiteur placé là pour leur lien familiaux (le censeur Hugh Herbert) où les gigolos castés pour leurs "amitiés" avec l'épouse rombière (Ruth Donnelly) du producteur.

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Au centre de toute cette agitation, l'artiste habité et désintéressé qu'interprète avec un brio étourdissant James Cagney. Surtout connu pour ces rôles de gangsters à la Warner, l'acteur fit des pieds et des mains auprès du studio pour figurer au sein du film en faisant valoir sa formation initiale de chanteur et de danseur. Véritable boule d'énergie emportant tout sur son passage, il symbolise merveilleusement l'artiste aveugle au monde extérieur, y compris l'amour de sa fidèle secrétaire (magnifique Joan Blondell) auquel il préfère forcément le clinquant trompeur de harpies intéressées. Lloyd Bacon nous mène si bien que l'on en oublie l'absence de séquence musicale pendant près d'une heure (si ce n'est le court numéro Cats). Ce n'est que quand la troupe joue son va-tout avec trois numéros préparés dans l'urgence que les prologues enfin teintés d'enjeux peuvent se déployer durant les dernières quarante minutes frénétiques.

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Busby Berkeley réalise (ou du moins est crédité) l'ensemble des numéros musicaux montrant chacun une facette de sa virtuosité. Le vaudeville tourbillonnant guide le Honeymoon Hotel truffés de couple illégitimes, tout en cache, en entrée et sortie et mouvements de caméra virevoltant dans l'architecture modulable de cet hôtel. Ce n'est pourtant rien comparé à l'extraordinaire By a Waterfall, véritable symphonie des eaux où des nymphes dénudées nous charme tout en par leur formes généreuses devenant brusquement abstraites lorsqu’elles façonnent d'éblouissante figures géométriques. L'atmosphère dionysiaque est servie par les costumes extravagants, la métronomie des figures imposée par les chorégraphies de Berkeley se reposant sur le brio de ses chorus girls ou de tous les artifices que l'outil cinématographique peut lui offrir : jeu sur la perspective de l'impressionnant décor, transparences, fondus enchaînés et accélérations. C'est un émerveillement que l'on imagine mal être égalé par le dernier numéro Shanghai Lil mais en plaçant toujours la dramaturgie en amont, le film fait mouche une fois de plus.

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La tension est à son comble dans cet ultime prologue où rien n'est résolu, et c'est l'occasion pour James Cagney d'enfin entrer en scène (avec un cadrage habile qui qui retarde la réalité de sa présence dans le numéro). On ressent la pure audace du Pré-Code (et d'ailleurs dans tout le reste du film avec son festival de danseuse en petite tenue et autres robes transparentes) avec cette atmosphère de maison close orientale, ses prostituées métissée et ses bars à opium, la trame jouant habilement sur le propre destin d'éternel dupé par les femmes du personnage de Cagney. Le passé d'instructeur militaire de Berkeley ressurgit le temps d'une parade militaire finale conclue par une idée géniale introduisant l'animation à l'ensemble. La réussite sur scène se conjugue au bonheur des héros (annoncé en amont avec le révélateur de la féminité de la scène pour Ruby Keeler), l'enjeu amoureux se nouant dans un judicieux fondu au noir ou plutôt un tombé de rideau parfait. La banane de la première à la dernière seconde ! 5,5/6

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Profondo Rosso
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

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42e Rue (1933)

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Julian Marsh (Warner Baxter), célèbre producteur de Broadway, lance un nouveau spectacle malgré sa santé fragile. La production est financée par un vieil homme fortuné, amoureux de Dorothy Brock (Bebe Daniels), la vedette de la comédie musicale....

42nd Street marque la première collaboration du chorégraphe Busby Berkeley à la Warner, et dont le succès conjugué à celui de Gold Diggers of 1933 la même année l'imposera à Hollywood. Le film est aussi son premier avec le réalisateur Lloyd Bacon, remplaçant au pied levé Mervyn LeRoy et qui deviendra un complice sur de nombreuses production à venir. Le film (adapté d'un roman de Bradford Ropes) définit l'archétype des comédies musicales dépeignant la confection d'un spectacle. 42nd Street se démarque cependant toujours de ses héritiers par son profond ancrage dans le contexte de la Grande Dépression. Contrairement à l'euphorie de Prologue, Bacon/Berkeley suivant et à la trame voisine, le spectacle n'est jamais une fête dans 42nd Street. Ayant voué son existence et laissé sa santé à Broadway, le metteur en scène Julian Marsh (Warner Baxter) joue son va-tout avec un nouveau spectacle. Le prestige de ses triomphes passé doit enfin se conjuguer à un succès financier alors que l'on devine qu'il a tout perdu dans le krach boursier. Chacun à leur échelle, cette tension et peur concerne l'ensemble des personnages participant au show. La vedette Dorothy Brock (Bebe Daniels) aura ainsi sacrifiée son seul amour Pat Denning (George Brent) au succès, faisant d'elle le jouet du mécène libidineux Abner Dillon (Guy Kibbee). Cette idée se prolonge à la troupe de danseuses pour lesquels le spectacle représente plus un gagne-pain possible qu'une réelle aspiration artistique. Lloyd Bacon dépeint cela dans un mélange de mélodrame et de vraie trivialité, la séquence d'audition alternant caractérisation truculente des danseuses (Ginger Rogers en tête et castée par Mervyn LeRoy avec lequel elle sortait et qui la dirigera dans Gold Diggers of 1933) et la peur pour la petite chose fragile et innocente qu'est la nouvelle venue Peggy Sawyer (Ruby Keeler).

L'espace de ce monde du spectacle n'est que douleurs, efforts et anxiété entre des danseuses à bout de force et Julian Marsh se désagrégeant tout autant par l'exigence qu'il leur impose. Cela reste pourtant un lieu d'oubli de soi quand l'extérieur n'a que déception à offrir, entre romance triviale/sordide et le vrai déchirement sentimental tel cette séquence ou Pat Denning et Dorothy Brock se séparent presque comme on rompt un contrat par la seule cause de leur trajectoire professionnelle divergente. Leurs émotion trahit pourtant la supposée froideur du procédé et bouleverse par son inéluctabilité. Le seul rayon de soleil, la seule amenant une aura de conte de fée à l'ensemble est Peggy, magnifiquement interprétée par Ruby Keeler. De son engage à son apprentissage ainsi que du final en vedette, tout son parcours relève du miracle transcendant le contexte social difficile. Elle est le moteur faisant dépasser aux autres protagonistes leurs intérêt (le couple Pat/Dorothy) ou leur anxiété (Julian Marsh enfin attachant dans le rush final). Au contraire de Prologue faisant montre d'une grandiloquence et d'une sophistication qui nous emmènera dans une véritable réalité alternative, les séquences musicales de 42nd restent solidement ancrées au réel. Les passages sur scène alternent avec les coulisses en ébullition (quand le réel s'estompera totalement dans Prologue), les cadrages et la mise en scène laissant d'ailleurs toujours laisser deviner justement que l'on se trouve sur une scène. Les thématiques des séquences (le mariage et son issue plus ou moins heureuse, la promiscuité des couchettes de train en route pour la lune miel, un meurtre dans une ruelle) prolonge ainsi les angoisses et problématiques des spectateurs tout en insérant le grain de folie de Berkeley (le mouvement de caméra arpentant la ruelle dans la séquence de meurtre, les chorégraphies géométrique) même si la vraie folie et démesure interviendra avec Prologue. Le final avec l'auteur seul face aux réactions de son public et désormais dépossédé de sa création achève de conclure le film loin du happy-end et de la magie associée à Broadway, toujours un pied dans la cruelle réalité. 5/6
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

Message par Jeremy Fox »

Profondo Rosso a écrit : même si la vraie folie et démesure interviendra avec Prologue.

Dans ce domaine, le plus démentiel demeure Dames de Ray Enright.
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Profondo Rosso
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

Message par Profondo Rosso »

Jeremy Fox a écrit :
Profondo Rosso a écrit : même si la vraie folie et démesure interviendra avec Prologue.

Dans ce domaine, le plus démentiel demeure Dames de Ray Enright.
Si c'est plus barré que la séquence des nymphe de Prologue je veux ! :mrgreen: Sinon là l'odre de découverte a sûrement dû jouer mais légère préfèrence pour Prologue par rapport à 42e Rue, l'euphorie et la grandiloquence du premier (la triple séquence musicale finale c'est monstrueux quand même) m'ont plus emporté même si c'est vrai que c'est dramatiquement moins fort que 42e Rue.
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Cathy
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

Message par Cathy »

Dames c'est complètement barré au niveau des numéros, au niveau de l'histoire c'est une comédie traditionnelle de l'époque! Mais avec "By the waterfall" ce sont les plus beaux numéros, notamment le fameux numéro "I Only have Eyes for you" !
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Profondo Rosso
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

Message par Profondo Rosso »

Argh je viens de voir que Dames est seulement dispo dans ce coffret comportant 42nd Street ou Footlight Parade que j'ai déjà

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Sinon il y a celui-là plus copieux mais qui coute un bras sur amazon (60 euros quand même !)

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Les autres titres du coffret valent l'investissement ?

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Cathy
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

Message par Cathy »

Cet énorme coffret reprend les deux coffrets Busby Berkeley sortis il y a plusieurs années. Maintenant nombre titres sont dispensables pour celui qui n'est pas fan de comédies musicales.
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

Message par kiemavel »

Je ne me souviens plus de Gold Diggers of 1935 mais les autres (1937 et in Paris) + Varsity Show m'avaient semblé deux crans en dessous mais d'autres avis seraient utiles car je les ai vu à l'époque de la sortie des coffrets. Soit dit en passant, il fallait mieux les acheter à l'époque (de mémoire entre 30 et 40 $…ce qui vers 2005 ne faisait pas bcp en euro)
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Supfiction
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

Message par Supfiction »

Cathy a écrit :Dames c'est complètement barré au niveau des numéros, au niveau de l'histoire c'est une comédie traditionnelle de l'époque! Mais avec "By the waterfall" ce sont les plus beaux numéros, notamment le fameux numéro "I Only have Eyes for you" !
Numéro interminable pour ma part, j'en pouvais plus d'entendre cette chanson alors que je l'aime d'ordinaire (cover Sinatra, Louis, Ella, Sacha).
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

Message par Profondo Rosso »

The Office Wife (1930)

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Dirigeant d'une importante maison d'édition, Lawrence Fellowes s'implique corps et âme dans son travail. Lorsque sa secrétaire éprouve de forts sentiments envers lui, ce dernier décide de la licencier sur le champ. Pourtant, quand sa remplaçante, Anne Murdock, arrive dans l'entreprise, à la grande surprise de tous, Lawrence tombe rapidement sous son charme.

Les films Pré-Code tournant autour de la relation homme/femme au bureau sont souvent synonymes de guerre des sexes où le féminisme se conjugue à la revanche sociale dans ce contexte de Grande Dépression. On pense à des réussites comme Baby Face ou Female dont The Office Wife qui les précède prend le contrepoint avec un pure romance teinté de récit de mœurs. La scène d'ouverture exprime ainsi l'ambiguïté du lien entre un dirigeant et secrétaire, la complicité et connaissance mutuelle développant une relation "maritale" parallèle sans le sexe. Cela n'empêche pas les sentiments comme va le constater Lawrence Fellowes (Lewis Stone) directeur d'une maison d'édition bichonné par sa secrétaire qui va défaillir lorsqu'elle apprendra son mariage à venir. La nouvelle venue Anne Murdock (Dorothy Mackaill) semble être une "gold digger" typique du Pré-Code cherchant à séduire son patron mais cette promiscuité va finalement la faire succomber à son tour d'autant que Lawrence Fellowes n'est pas indifférent non plus à ses charmes. Lloyd Bacon va de la caricature assumée à une finesse progressive pour exprimer l'évolution de la relation. Pour Anne, l'abus grossier de ses charmes (minaudage, jupe remontée) s'estompe au fil de la connaissance mutuelle et Lawrence indifférent à la séduction agressive est à l'inverse très sensible aux attentions de celle qui le connaît finalement mieux que son épouse. La romance se développe dans un quotidien et des habitudes n'existant pas dans la vraie vie de couple de Lawrence et de plus en plus envahit par la secrétaire délicieusement jouée par Dorothy Mackaill. Assez charmant donc et où l'on appréciera la courte présence d'une Joan Blondell débutante qui nous gratifie d'un passage en petite tenue typiquement Pré-Code. 4/6
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

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Wonder Bar (1934)

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Vers 1930, Al Wonder dirige le Wonder bar, un cabaret parisien. Le danseur Harry flirte avec une cliente, Liane Renaud, épouse d'un banquier, ce qui provoque la jalousie de la danseuse Inez, amoureuse d’Harry. Lorsque ce dernier reçoit un bijou de Liane, en cadeau, il essaie de le vendre à son patron. Or, M. Renaud cherche à récupérer son bien...

La collaboration désormais bien rôdée entre Lloyd Bacon et Busby Berkeley parvient a habilement se renouveler avec ce Wonder Bar. Alors que tous les films précédents déroulait une trame quasi identique (la confection d'un spectacle à Broadway) avec comme seule variante la tonalité dramatique ou comique (42e Rue pour le mélo, Prologue pour l'atmosphère festive). On quitte donc les scènes de Broadway pour les cabarets parisiens des Années Folles. Tous les chemins semblent donc les personnages vers l'un d'entre eux, le Wonder Bar et pour diverses raisons. Le danseur Harry (Ricardo Cortez) y mène un double jeu amoureux entre sa partenaire de scène Inez (Dolores del Río) et l'épouse (Kay Francis) d'un prestigieux client. Un homme ruiné pense à s'y suicider dans l'excès, le compositeur (Dick Powell) et le patron (Al Jolson) sont aussi éperdument amoureux d'Inez et pour la caution comique deux couples américains cherchent à s'encanailler avec les gigolos/prostituées locales. Tous ces enjeux se résoudront dans une unité de temps et de lieux durant une soirée festive parmi tant d'autres du Wonder Bar.

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Lloyd Bacon mène tous ses registres avec brio grâce à son sens du rythme et un riche casting. Dolores del Rio affole autant qu'elle émeut en amoureuse éperdue (et une première apparition mémorable en négligé blanc) tandis que Ricardo Cortez allie séduction et vilénie avec brio. Kay Francis n'est pas en reste niveau séduction et amène un jeu plus subtil que del Rio dans le dépit amoureux et on savourera le grand numéro de maître de cérémonie sautillant d'Al Jolson (géniale scène sur ses origines russes). Les séquences musicales ne constituent pas ici le clou du récit puisqu'elles n'en sont pas l'enjeu et constituent plutôt une spectaculaire ponctuation des états d'âmes des personnages. La valse d'ouverture est typique de l'emphase de Berkeley et illustre l'euphorie et le romantisme de la vie parisienne, démultipliant les danseurs derrière des colonnes, confondant les couples dans une série de fondus au noir sur la piste et les unissant dans d'impressionnantes formes géométriques. Plus tard un tango furieux illustrera la liaison destructrice de Harry et Inez, sans le moindre artifice grandiloquent si ce n'est un fouet claquant sur une Inez soumise et folle d'amour.

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Le film fait preuve également d'une certaine audace pour le meilleur et pour le pire. Le plus osé sera cette scène dont on se demande comment elle a pu passer entre les filets du Code Hays où un homme vient demander une danse à un couple sur la piste et ignore la jolie jeune femme pour choisir son partenaire. L'allusion gay est même surlignée par une envolée maniérée d'Al Johnson Boys will be boys! Woo ! (une scène ouvrant d'ailleurs le documentaire The Celluloid Closet (1996) sur l'imagerie gay à Hollywood). Cette ouverture est contrebalancé par le controversé Goin’ to Heaven on a Mule numéro musical concluant le film. Al Jolson grossièrement peinturluré en noir y accède ainsi à un paradis truffés de clichés raciste où le ciel est un havre composé de cuisse de poulet frit, arbres aux côtes de porc et pastèques. Consternant d'autant que contrairement aux autres scènes musicales on cherche encore le lien avec la trame du film, ce racisme n'étant même pas atténué par la scénographie et la chorégraphie pauvres de la séquence. Un moment gênant qui gâche un peu la conclusion plutôt réussit quant au sacrifice d'Al Johnson. 4/6
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

Message par Profondo Rosso »

Miss Pinkerton (1932)

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L'infirmière Adams (Joan Blondell) est appelée au service d'une vieille femme dont le neveu vient de se suicider. Elle est chargée par l'inspecteur de police soupçonnant un meurtre (George Brent) d'espionner les faits et gestes des habitants...

Les films Pré-Code auront souvent célébrés l'émancipation de la femme, en faisant des figure en quête d'indépendance même si celle-ci les faisait passer par un chemin criminel (Blondie Johnson) ou une certaine déshumanisation dans l'ambition (Baby Face). Miss Pinkerton participe de manière plus légère à ce mouvement avec son personnage d'apprentie enquêtrice damnant le pion à la police. L'infirmière Adams (Joan Blondell) s'ennuie dans le quotidien monotone de l'hôpital voit une occasion d'égayer cette morne existence lorsqu'elle est appelée au chevet d'une vieille dame dont le neveu vient de se suicider tragiquement. Seulement quelques indices laissent supposer un meurtre et l'inspecteur (George Brent) va faire d'elle son agent infiltré pour tirer les choses au clair.

Lloyd Bacon tisse habilement le mystère à travers l'attitude suspecte d'absolument tous les personnages, du majordome au médecin en passant par la vieille tante elle-même. A cela s'ajoute une atmosphère gothique oppressante qui dénote avec la légèreté du ton, la photo stylisée de Barney McGill magnifiant le décor de Jack Okey avec des jeux d'ombres superbe lorsqu'y défilent des silhouettes nocturnes anonymes. L'aspect comédie est joliment mené aussi avec une Joan Blondell toujours aussi attachante et gouailleuse et qui forme un beau duo avec George Brent, loin de ses rôles de mâle viril et qui incarne ici un mentor tâtonnant et guère fin limier. L'ambiance est donc bien posée mais malheureusement l'enquête est assez laborieuse et peu palpitante malgré la courte durée du film et finalement le script ne met guère en valeur son argument d'enquête au féminin. Jamais Joan Blondell ne fait preuve de déduction ou de sens de l'observation, traversant le film sans peser sur l'affaire dont la résolution repose presque sur le hasard. Pire, l'héroïne sombre dans le cliché du personnage féminin en détresse hurlant au moindre danger, le courage étant aussi ténu que les talents de détective. Dommage au vu de l'abattage de Joan Blondell pétillante de bout en bout (et qui comme à son habitude dans le Pré-Code nous offre une affriolante petite scène en nuisette). Sur un postulat voisin, mieux vaut voir l'excellent L'Ange Blanc de William A. Wellman. 3/6
Eugene Pallette
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

Message par Eugene Pallette »

Je viens de regarder Miss Pinkerton de Lloyd Bacon et je n'ai pas été follement emballé par l'histoire. Niveau acteur, Joan Blondell arrive à nous sortir un peu de notre torpeur mais ça ne suffit pas à combler tous les manques dans le scénario... Dans ce style de film (enquête dans un meurtre à huit clos) je préfère mille fois The Kennel Murder Case de Curtiz où mon Gégé fétiche est bien plus frétillant que ce pauvre inspecteur interprété par Georges Brent.
Seule consolation à avoir la copie n'est pas trop mauvaise (malgré pas mal de points blancs par moment) et les sous-titres sont agréables à lire.
The Eye Of Doom
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

Message par The Eye Of Doom »

42 Street
J’ai pas vraiment aimé. S’il est vrai que la description du monde de Broadway est assez sombre, le film se traine. C’est assez drole de voir les « physiques » des jeunes femmes de l’epoque, ou dumoins celles choisies pour monter sur scene. L’actrice qui joue la jeune fille novice et innocente est assez insupportable, on a du mal a comprendre pourquoi on lui confie le 1er role a la fin. Tout ca se laisse voir, est bien filmé, mais il fait attendre le final avec enfin les « vrais » morceaux pour qu’on se reveille un peu. Ceux ci sont plutot reussis, notamment justement le 42 Street.
Le plan final sur le metteur en scene est peut etre ke meilleur du film.
J’ai trouvé tout de meme cela d’un interet limité.
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Alexandre Angel
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Re: Lloyd Bacon (1889-1955)

Message par Alexandre Angel »

Profondo Rosso a écrit : 16 nov. 15, 02:44
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Wonder Bar (1934)

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Vers 1930, Al Wonder dirige le Wonder bar, un cabaret parisien. Le danseur Harry flirte avec une cliente, Liane Renaud, épouse d'un banquier, ce qui provoque la jalousie de la danseuse Inez, amoureuse d’Harry. Lorsque ce dernier reçoit un bijou de Liane, en cadeau, il essaie de le vendre à son patron. Or, M. Renaud cherche à récupérer son bien...

La collaboration désormais bien rôdée entre Lloyd Bacon et Busby Berkeley parvient a habilement se renouveler avec ce Wonder Bar. Alors que tous les films précédents déroulait une trame quasi identique (la confection d'un spectacle à Broadway) avec comme seule variante la tonalité dramatique ou comique (42e Rue pour le mélo, Prologue pour l'atmosphère festive). On quitte donc les scènes de Broadway pour les cabarets parisiens des Années Folles. Tous les chemins semblent donc les personnages vers l'un d'entre eux, le Wonder Bar et pour diverses raisons. Le danseur Harry (Ricardo Cortez) y mène un double jeu amoureux entre sa partenaire de scène Inez (Dolores del Río) et l'épouse (Kay Francis) d'un prestigieux client. Un homme ruiné pense à s'y suicider dans l'excès, le compositeur (Dick Powell) et le patron (Al Jolson) sont aussi éperdument amoureux d'Inez et pour la caution comique deux couples américains cherchent à s'encanailler avec les gigolos/prostituées locales. Tous ces enjeux se résoudront dans une unité de temps et de lieux durant une soirée festive parmi tant d'autres du Wonder Bar.

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Lloyd Bacon mène tous ses registres avec brio grâce à son sens du rythme et un riche casting. Dolores del Rio affole autant qu'elle émeut en amoureuse éperdue (et une première apparition mémorable en négligé blanc) tandis que Ricardo Cortez allie séduction et vilénie avec brio. Kay Francis n'est pas en reste niveau séduction et amène un jeu plus subtil que del Rio dans le dépit amoureux et on savourera le grand numéro de maître de cérémonie sautillant d'Al Jolson (géniale scène sur ses origines russes). Les séquences musicales ne constituent pas ici le clou du récit puisqu'elles n'en sont pas l'enjeu et constituent plutôt une spectaculaire ponctuation des états d'âmes des personnages. La valse d'ouverture est typique de l'emphase de Berkeley et illustre l'euphorie et le romantisme de la vie parisienne, démultipliant les danseurs derrière des colonnes, confondant les couples dans une série de fondus au noir sur la piste et les unissant dans d'impressionnantes formes géométriques. Plus tard un tango furieux illustrera la liaison destructrice de Harry et Inez, sans le moindre artifice grandiloquent si ce n'est un fouet claquant sur une Inez soumise et folle d'amour.

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Le film fait preuve également d'une certaine audace pour le meilleur et pour le pire. Le plus osé sera cette scène dont on se demande comment elle a pu passer entre les filets du Code Hays où un homme vient demander une danse à un couple sur la piste et ignore la jolie jeune femme pour choisir son partenaire. L'allusion gay est même surlignée par une envolée maniérée d'Al Johnson Boys will be boys! Woo ! (une scène ouvrant d'ailleurs le documentaire The Celluloid Closet (1996) sur l'imagerie gay à Hollywood). Cette ouverture est contrebalancé par le controversé Goin’ to Heaven on a Mule numéro musical concluant le film. Al Jolson grossièrement peinturluré en noir y accède ainsi à un paradis truffés de clichés raciste où le ciel est un havre composé de cuisse de poulet frit, arbres aux côtes de porc et pastèques. Consternant d'autant que contrairement aux autres scènes musicales on cherche encore le lien avec la trame du film, ce racisme n'étant même pas atténué par la scénographie et la chorégraphie pauvres de la séquence. Un moment gênant qui gâche un peu la conclusion plutôt réussit quant au sacrifice d'Al Johnson. 4/6
Ben mon vieux, tu t'es fait "voler" avec en plus une conclusion qui trahit la tienne :shock:

https://www.amazon.fr/Wonder-Bar-Collec ... C82&sr=1-2
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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