All that jazz (Bob Fosse - 1979)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Thaddeus
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All that jazz (Bob Fosse - 1979)

Message par Thaddeus »

J'ai l'impression qu'il a été pas mal question de ce formidable film ces derniers temps sur le forum. Il n'avait pas encore de topic, c'est désormais chose faite.

Max Schreck a écrit :Grand film que j'ai envie de rapprocher — toutes proportions gardées — du S.O.B. de Blake Edwards, pour ses accents autobiographiques très marqués et sa peinture assez désabusée d'un milieu artistique. Roy Scheider trouve clairement là l'un de ses plus beaux rôles, alter ego du chorégraphe-cinéaste toujours aussi inspiré. Je retrouve le montage heurté qui m'avait tellement plu dans Star 80, les numéros musicaux sont fabuleux (du sidérant Air rotica au show final bien barré et à la musique démente, en passant par la danse fabuleuse offerte à Scheider par sa fille et sa petite amie (et dans ce rôle, Ann Reinking s'avère être une danseuse hallucinante). Le film est super riche, piquant et émouvant. Une ode à l'art comme mode d'expression qui transcende tout.
Sybille a écrit :"All that jazz" est un film dansé, chanté, et surtout ce que l'on devine être l'autobiographie du réalisateur lui-même. Bob Fosse s'attache à montrer le travail des répétitions, les réunions artistiques ou administratives, mais loin d'être uniquement un film classique sur la montée d'un spectacle (avec l'étalement de clichés connus de tous), "All that jazz" est avant tout le saisissant et vertigineux portrait d'un talentueux metteur en scène de Broadway, un homme pour qui l'art passe toujours avant sa vie personnelle (encore un poncif), mais qui détonne par sa personnalité fracassante, son tempérament d'homme buveur, drogué et coureur. Le montage entremêle les scènes réalistes avec des moment de pure rêverie, à l'intérieur desquels le personnage principal exprime sans fard sa vision pessimiste de la vie et explique la fausseté des relations qu'il entretient avec son entourage. Ce procédé un rien maladroit dans son traitement a néanmoins l'habileté d'immerger entièrement le spectateur dans la frénésie du film, arrivant presque à lui faire partager l'émotion, et ce qui semble être la culpabilité du réalisateur. "All that jazz" est plus qu'une comédie musicale moderne, mais un drame égocentrique, morbide et dérangeant. 6/10
Père Jules a écrit :Image

Je n'avais jusqu'ici de Bob Fosse que le très bon mais en définitive assommant Lenny. Amère chronique d'une Amérique tragiquement engoncée dans un discours policé alors que, dans les faits, la "plus grande démocratie du monde" n'en était plus vraiment une. All That Jazz et son pitch alléchant semblaient confirmer cette tendance désenchantée chez un réalisateur qui me parait aujourd'hui un peu oublié. Mettons les pieds dans le plat d'entrée, Que le spectacle commence est un chef-d'œuvre, un film maîtrisé de bout en bout (et pas uniquement en termes de chorégraphie et de musique). La mise en scène est incroyablement virtuose et dynamique, la narration aussi surprenante que justifiée, les parties musicales formidables ("Bye Bye Love" évidemment -j'en ai encore la gorge nouée, les larmes au yeux et le sourire aux lèvres rien que d'y repenser-, mais aussi la présentation du futur spectacle de Gideon aux producteurs ou encore le show privé de sa femme et de sa fille dans son grand appartement)... je suis resté sans voix. C'est juste, mordant, acide, humain. Et putain, Roy Scheider, quel acteur ! Je suis pas loin de penser qu'il s'agit là de sa plus grande prestation. Drogué, malade, rieur, espiègle, charmeur, lâche, Joe Gideon est tout ça à la fois. Bob Fosse signe une satire d'une intelligence remarquable sur le monde du spectacle autant qu'un autoportrait lucide. C'est ce qui fait tout le prix d'All That Jazz, dans le top 3 annuel des claques reçues.
kiemavel a écrit :J'aurais pu en choisir un autre mais...Un monument dans le monument : Les répétitions du numéro Take Off With Us qui commence comme un numéro que Fosse aurait pu chorégraphier dans un musical des années 50…et qui se termine en partouze symbolique multiraciale et "multisexuelle". Montez à bord d'Airotica :mrgreen:
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Tout ceci se déroulant sous le regard consterné de Fosse/Gideon assis à coté des producteurs :

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Avant que ces producteurs ne commencent à s'inquiéter parce que le spectacle risque de ne pas être pour toute la famille :mrgreen: :


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Alexandre Angel a écrit :Oui!!!
ALL THAT JAZZ est mon "Rosebud" à moi, le film que j'ai le plus vu, de sa sortie en salle au printemps 1980 alors que je fêtais mes 14 ans à maintenant, reprises en salle, vhs et dvd confondus. Est-il un chef d'oeuvre pour autant? Je n'en suis pas sûr; le scénario, remarquable dans l'absolu, étant quelque peu alourdi, dans sa partie centrale, par des conventions qui font marquer le pas à l'imagination, qui la bride et la banalise (les pitreries de Gideon à l'hôpital notamment, sous l'oeil désapprobateur du cardiologue). Quelques invraisemblances viennent un peu ternir, de plus, le brio de l'équilibre entre réalisme et projections fantasmatiques qui sous-tend l'édifice narratif : je pense à ces moments où Gideon, toujours à l'hôpital, exécute des petits pas de danse alors qu'il sort juste du billard, s'étant fait opéré du coeur. Je veux bien que la morphine fasse son effet, mais tout de même!! Ces détails passent difficilement l'épreuve du temps. Cela dit, oui Thaddeus, le montage est un des plus exaltant de l'histoire du cinéma (carrément) et n'en finit plus, plus ou moins souterrainement, de faire école (et cela est également vrai de CABARET, de LENNY et de STAR 80.
tenia a écrit :J'ai eu une poignée de grosses baffes cette année (Her et Persona, notamment), mais là où les 2 films sus-mentionnés trotteront dans ma tête quelques mois, All That Jazz me hantera probablement quelques... années. C'est d'une puissance cathartique monstrueuse, couplée à une honnêteté brute de décoffrage impressionnante.

Le film débute pourtant de manière assez classique, mais dès les 1ers inserts "subliminaux", on comprend qu'on va prendre cher. Et effectivement.

Bye Bye Love, au final, devient le point d'orgue logique d'un film qui ne laisse aucun échappatoire à son personnage principal, brûlant sans aucun altruisme la vie par les 2 bouts, délaissant tous ceux qui comptent sur lui, et finissant là où forcément il doit finir.

A ce jeu-là, le film ne justifiera jamais le comportement profondément égocentrique de Joe, que pas même un montage de génie sur un film de stand-up ne pourra excuser.
Au final, sa famille, ses collègues, ses acteurs, ses producteurs, il semble s'en contre foutre de tout et de tout le monde jusqu'à finir par en assumer les conséquences. Ou les assume-t'il vraiment ? N'est-ce que pas en fait la suite logique d'un individu qui n'a jamais vraiment assumer quoique ce soit, et a continué de fuir tout cela en s'enfonçant dans une fuite en avant à l'issue certaine ?

Quoiqu'il en soit, la dernière 1/2 heure ne laisse aucune chance à ce qui ne sera ni plus ni moins que la traversée du processus de deuil en 5 étapes à vitesse grand V, jusqu'à un dernier plan sans pitié (qu'on retrouve d'ailleurs sous forme sonore sur le CD de la BO du film, clôturant Bye Bye Love, et par là le CD entier).
Jeremy Fox a écrit :Je connaissais le génie de Bob Fosse dans le domaine de la chorégraphie ; après avoir redécouvert récemment Cabaret, All that Jazz me confirme qu'il s’avérait aussi doué pour la mise en scène. Un film musical en tout cas déjà assez unique de par sa thématique principale qui n'est autre que la mort (n’oubliant évidemment pas au passage de se fendre d'une description à la fois mordante et passionnée du monde du spectacle). Un film au rythme effréné et d'un dynamisme extraordinaire mais jamais fatiguant car Bob Fosse réussit une construction en tout point remarquable entre réalisme et onirisme, noirceur et vitalité.

Roy Scheider trouve le rôle de sa vie, comme la même année ce fut déjà le cas dans le domaine du film musical, pour Bette Midler dans The Rose ; il est ici superbement entouré par des comédiennes toutes mémorables. Montage et réalisation virtuoses, scénario d'une remarquable fluidité malgré le fait qu'il parte expressément dans tous les sens, numéros musicaux culottés et inoubliables (la scène qui ouvre le film par le choix des futurs participants au spectacle, la chorégraphie érotique, le spectacle offert à Scheider par sa fille et sa maitresse ainsi que l'extraordinaire et puissamment émouvant numéro final). Un chef d’œuvre tout simplement, toujours d'une étonnante modernité. Le film dans lequel la mort trouve sa plus belle représentation, en la personne de Jessica Lange.
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Thaddeus
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Re: All that jazz (Bob Fosse - 1979)

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It’s showtime, folks !


Comédie musicale : la locution réveille des souvenirs, déclenche un phénomène d'anticipation. All that jazz, tout ce tralala, toutes ces musiques modernes devenues classiques, ces danses sophistiquées, ces rythmes, ces attitudes ludiques, pudiques ou impudiques, tout ce tintamarre, cette extravagance décorative, tout cela vit, tressaille, palpite dans le film-monstre de Bob Fosse, délirant et somptueux, envoûtant comme un beau rêve. Mais là où les comédies musicales, genre aimable et rassurant, sont d’ordinaire plus que folâtres, le cinéaste n’hésite pas à traiter ici du sujet le plus grave qui soit : la mort, rien que ça. En français, le titre est devenu Que le Spectacle Commence ! Tout un programme. L’œuvre commence, justement, par l’une des plus des plus belles, des plus cruelles, des plus exceptionnelles scènes jamais tournées sur le show-business. Fonctionnant comme l’ouverture d’un spectacle lyrique, elle résume l’argument de façon abstraite et symbolique. Saisie au paroxysme de son exaltante et frustrante vérité, dans un typhon de corps en mouvement et d'espoirs en suspens, une audition se tient dans un grand théâtre de Broadway, où quatre cents danseurs se présentent ensemble devant le chorégraphe-roi botté de noir, Joe Gideon. Il sera leur Pygmalion, il en fera des idoles peintes chargées de répercuter ses désirs sur les foules. Certains sont en mesure, d'autres non, certains sont gracieux, d'autres lourds. Ces damnés de la danse font de leur mieux, transpirent, s'évertuent à convaincre de leur potentiel. Non loin, impitoyable, le metteur en scène aux aguets fait ses choix, évalue, élimine. C'est un méticuleux, un puriste intraitable qui accomplit un travail d’ascèse, forcené, presque absurde. Après avoir bondi, pirouetté, tendu leurs bras comme pour implorer, garçons et filles sont tour à tour éliminés, sans un mot, d'un regard de compassion, d'un geste qui dit non. Quatre cents appelés, dix engagés : les pur-sang. Le spectacle peut commencer.


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Il en vaut la peine. Il s'agit ni plus ni moins d'une comédie musicale existentielle où la Mort, ravissante mariée virginale, mystérieuse et évanescente, gantée de filoselle blanche, attend patiemment le héros, son fiancé, dans le coin encombré d'un grenier. Roy Scheider, notre compagnon des Dents de la Mer et de Sorcerer, incarne brillamment cet homme protéiforme, exalté, épuisé, consumé par sa vie intérieure. Ses élans créateurs flamboient entre les murs sans fenêtres, le théâtre tel qu'on le voit quand on y entre par la petite porte de derrière, celle des artistes. D’entrée de jeu sont invoquées pêle-mêle, comme autant d’effigies, quelques-unes de ses postures ou impostures : illusionniste impénitent, Narcisse fasciné par le miroir de sa loge, funambule précipité dans le filet, clown affublé d’un nez électrique, saint et martyr d’un rituel immuable, Joe est le showman par excellence. Il est donc danseur consacré mais aussi père distrait d'une petite graine de ballerine de quatorze ans. Il a simultanément un film et une revue sur le feu, plus une vie sentimentale compliquée. Il est comme transplanté dans un harem étouffant, parmi les créatures pulpeuses qui l'aguichent en rêvant à leur carrière ou à un lit pour deux. Trois danseuses, son ex-femme, sa compagne régulière et une novice arriviste, se partagent ses faveurs. Surmené, ostentatoire, exaspérant, séduisant, il court de répétition en salle de montage, fume jusque sous la douche, avale des amphétamines comme des cachous, se verse en gros plan des gouttes de collyre dans un œil rougi de fatigue, présente une orgie multiraciale et polysexuelle à des commanditaires pusillanimes, refume, reprend des amphétamines, se reverse des gouttes, recourt et se retrouve à l'hôpital, où on l'opère à cœur ouvert. Gros plan de l'organe palpitant. Puis ballet, admirable et morbide, où Joe, attaché sur son lit, croise les femmes de sa vie, habillées pour l'ultime représentation. La dernière note égrenée, la caméra dégrisée panoramique sur le corps in rigor mortis, enveloppé dans une housse dont on achève de remonter la fermeture à glissière. Le film est ainsi l’histoire d'une crise personnelle décisive, celle d'un artiste fringant, inspiré, survolté, qui brûle son énergie dans le désordre de la création. C’est un fabliau moderne ponctué de grands morceaux de bravoure, où les images et les idées (Cabaret, "monologue comique"…) s'enchaînent et renvoient à d'autres films de l'auteur, et notamment au personnage de Lenny Bruce, ce fantaisiste insolent qui se consume rageusement, comme impatient de se rendre au rendez-vous fixé par la mort.

L’œuvre est construite, découpée, montée dans un désordre apparent, étourdissant, qui exprime aussi bien l'impatience que la frénésie. L'évocation de l'enfance du héros, de ses premières expériences, le présent éclaté en activités fébriles et multiples, les fantasmes et divagations qui parasitent la vie, se bousculent et se télescopent en des séquences crépitantes. Impossible de ne pas penser à Fellini et à son 8 ½ : la parade finale, orchestrée par celui qui va mourir, en est une citation directe. Impossible non plus de ne pas évoquer Juliette des Esprits, car il a son mauvais goût volontaire, son onirisme apprêté, et car la mort s'y habille comme Giulietta Masina lorsqu'elle se déguisait en grande dame de cinéma. Signe révélateur : c’est Giuseppe Rotunna, le chef-opérateur du maître italien, qui signe les images. Mais les références ne sont pas indispensables pour apprécier ce spectacle éclatant qui touche, excite, secoue, déconcerte et ravit. Comme une crue catastrophique et magistralement réglée, il déborde de son lit, envahit la terre ferme du réel, imprime à quiconque ne s’en détourne pas son mouvement tout d’écume et de reflets dorés. Sertis de leurs nouveaux attributs, chapeaux-claques et cannes d’ivoire, l’introspection, le sentiment, la spéculation métaphysique se présentent sous les spots, bondissent et saluent dans la perfection complice des chorus lines. C'est un jeu éblouissant, un feu roulant de dissonances harmonieuses, d’emballements convulsifs, de décrochements chaloupés, de syncopes, d’enivrants tourbillons. À point nommé, coincé entre une scène de comédie et une pointe tragique, un numéro musical s'épanouit, miraculeusement, sur des musiques anciennes ou inédites, flot bouillonnant de nostalgies, chorégraphies d'avant-garde et paillettes de papa. Fosse guigne le nombre d’or, fait la somme du passé pour rebondir vers le futur.


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Avant de chuter dans le vide, Joe se voit convié à planer une dernière fois, à faire feu de tous ses talents, à donner son existence elle-même en représentation. Les scènes prétendument réalistes qui cernent la faune et les mœurs du show-business illustrent le postulat selon lequel, pour l’artiste, il n’est rien qui ne ressorte du spectacle. S’il s’isole en tête à tête avec sa fille Mary, c’est d’abord pour lui offrir une leçon particulière. Quand il s’attarde auprès d’Audrey, son ancienne épouse, il guide ses assouplissements avec plus d’attention qu’il ne prête l’oreille à ses reproches. Victoria, sa nouvelle recrue, le prend de court en s’offrant à lui sans façons, mais il se hâte de rétablir un rapport de domination en la pressant de donner toujours plus d’elle-même lors des répétitions, quitte à l’humilier devant les autres. Avec Katie, sa maîtresse en titre, il a la partie moins facile : leur relation oscille au gré des velléités d’indépendance de la danseuse, laquelle lui échappe chaque fois qu’elle met en avant sa propre carrière, mais finit toujours par retomber sous la coupe de son mentor. Ce mode d’expression, qui consiste à communiquer avec autrui par l’intermédiaire de la danse, se propage à tous les niveaux, et jusqu’aux plus petits rôles. À peine apprend-elle sa mise à pied que la troupe improvise sur place un facétieux numéro d’"hosto-disco" apte à conjurer l’angoisse du lendemain. Il n’est pas jusqu’au balayeur noir de l’hôpital qui n’entonne, au contact de Joe, un negro-spiritual pour le moins inattendu. Seuls résistent à ce magnétisme les hommes d’argent, producteur et son sigisbée ou experts des compagnies d’assurance. Faute de pouvoir les entraîner dans la ronde, Fosse les exécute en quelques coups de fusain, souligne à gros traits vengeurs leur piètre cynisme, les caricature pour mieux désamorcer leur charge de réalité.

La chorégraphie n’est ici qu’une des modalités de la geste artistique ; le cinéma et le musical s’avèrent, pour Joe comme pour Bob Fosse, deux pratiques complémentaires, menées de concert, requérant la même intransigeance, le même perfectionnisme, le même engagement vital. Nulle hiérarchie entre ces disciplines synthétiques, mais il revient au réalisateur de les réunir là où son double s’essouffle à passer de l’un à l’autre. All That Jazz est ce spectacle démiurgique dont rêve Joe. Un spectacle assez vaste pour embrasser des postulations antagonistes : le conscient comme l’inconscient, le présent comme le passé, le songe comme la réalité, la vérité comme l’apparence. Un spectacle tour à tour intime et grandiose dont la superstar ne peut être que la mise en scène, seule instance capable d’imposer un ordre, sinon une harmonie, à la tristesse et à la confusion qui sont notre lot. Vie professionnelle et vie privée se confondent en toute circonstances : "It’s showtime, folks !" répète Joe à chacun de ses réveils, qui se définit avec pertinence comme un "entubeur". Fosse le sait bien, qui partage ses affres mais n’ignore pas pour autant sa vanité, sa complaisance, sa mauvaise foi, et livre à travers son quotidien fiévreux un jeu de miroirs des plus inextricables. Lorsqu'on sait que le cinéaste a épousé plusieurs danseuses, vécu avec plusieurs autres, que sa fille l’est également, et que cinq ans auparavant, à la fin de la genèse de Lenny, tandis qu'il répétait en même temps Chicago, il fut victime d'un infarctus et opéré à cœur ouvert, on se pose la question de savoir jusqu'où le narcissisme fécond peut aller. Un vertige supplémentaire nous prend quand on se rappelle que l’artiste mourra huit ans plus tard, dans des circonstances proches de celles qu’il relate à l’écran. Mais au diable les clés, les serrures, les verrous de pudeur ou de "bon goût" qui pourraient empêcher d'adhérer à All That Jazz, film plein de sang — celui de la vie qui bat et qui s'en va — plein de sueur et plein de la joie de chanter Bye bye life, de voir encore une fois, sans doute la dernière, les projecteurs s'allumer. Que le spectacle commence !


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Dernière modification par Thaddeus le 1 avr. 23, 11:14, modifié 7 fois.
zeotrope
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Re: All that jazz (Bob Fosse - 1979)

Message par zeotrope »

Le blu ray, chers éditeurs français, c'est quand vous voulez...
N'avoir rien accompli et mourir en surmené.
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Re: All that jazz (Bob Fosse - 1979)

Message par Mosin-Nagant »

Oui, essayez d'égaler celle-ci :

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Une sacrée édition pour ce très grand film.

Dommage pour ce bonus vidéo, non présent sur le disque :



Pour en savoir plus à ce sujet :
http://www.rogerebert.com/mzs/why-my-vi ... on-blu-ray
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You know my feelings: Every day is a gift. It's just, does it have to be a pair of socks?
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Re: All that jazz (Bob Fosse - 1979)

Message par Carlito Brigante »

zeotrope a écrit :Le blu ray, chers éditeurs français, c'est quand vous voulez...
J'allais le dire.
J'ai rarement autant attendu un blu-ray...
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Re: All that jazz (Bob Fosse - 1979)

Message par Kevin95 »

Carlito Brigante a écrit :
zeotrope a écrit :Le blu ray, chers éditeurs français, c'est quand vous voulez...
J'allais le dire.
J'ai rarement autant attendu un blu-ray...
Si c'est la Fox qui l'édite chez nous, j'aurai un peu les miquettes avec leurs BR sans sous-titres français.
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Re: All that jazz (Bob Fosse - 1979)

Message par Alexandre Angel »

Thaddeus a écrit :cinq ans auparavant, à la fin de la genèse de Lenny, tandis qu'il répétait en même temps à Chicago,
Juste une mini-rectif : alors qu'il répétait.....CHICAGO, la comédie musicale adaptée au cinéma par le lourdingue Rob Marshall.

Don't bullshit a bullshiter !! :wink:
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Thaddeus
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Re: All that jazz (Bob Fosse - 1979)

Message par Thaddeus »

Ah oui, bien sûr. Merci pour cette remarque ; je m'en vais corriger de suite.
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Re: All that jazz (Bob Fosse - 1979)

Message par Cathy »

Thaddeus a écrit :Ah oui, bien sûr. Merci pour cette remarque ; je m'en vais corriger de suite.
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(et j'adore le film de Marshall moi - pas taper)
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J'adore aussi le film de Marshall
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Re: All that jazz (Bob Fosse - 1979)

Message par Alexandre Angel »

Thaddeus a écrit :(et j'adore le film de Marshall moi - pas taper)
Cathy a écrit :J'adore aussi le film de Marshall
Oups :oops:
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: All that jazz (Bob Fosse - 1979)

Message par Kevin95 »

On sera trois. :oops:
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Re: All that jazz (Bob Fosse - 1979)

Message par Alexandre Angel »

Mon Dieu, je suis tombé sur un nid ! :mrgreen:
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: All that jazz (Bob Fosse - 1979)

Message par Alexandre Angel »

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En 1980, à Pâques, j'étais aux Etats-Unis avec les parents lorsqu'y sortait All that jazz : je n'avais jamais entendu parler de Bob Fosse (de combien de cinéastes avais-je, de toute façon, réellement entendu parler à tout juste 14 ans?) Mais le magazine Première, auquel j'étais abonné, annonçait, dans ses news d'outre-Atlantique, la sortie prochaine d'une "formidable comédie musicale" interprétée par Roy Scheider. 1 ère accroche : "Monsieur Jaws" et une comédie musicale. Ça ne pouvait pas être Grease. Lorsque je vis que dans la petite ville où nous étions (car ma grande sœur y faisait son entrée dans la vie active-36 15 Ma Vie, je m'en excuse..), All that jazz était à l'affiche, mon cœur ne fit qu'un tour et il fallait y aller.
Il faut imaginer le choc cinéphilique et sensuel que cette séance a provoqué chez moi. D'abord , la très américaine odeur du pop corn, familière pour un français de nos jours mais pas en 80, a immédiatement tapissé ma réceptivité au film d'un environnement olfactif arbitraire mais néanmoins envoutant. Ensuite le film me fit l'effet d'un dépucelage : je le trouvais incroyablement moderne, gonflé et exaltant. J'avais été séduit un an plus tôt par Hair, de Milos Forman, déjà monté par Alan Heim mais là, on passait à la vitesse supérieure. La puissance électrisante d'une première séquence faisant jouer une musique d'emprunt, le On Broadway, de George Benson (reprise des Drifters et des Crystals, standard du Brill Building de la grande époque), m'assignait immédiatement à résidence, me faisant l'effet de croiser le chemin d' un film-cougar, sexy et subtilement branché. Pas tout à fait mon premier film pour grande personne (Barry Lyndon était passé par là) mais celui qui allait boosté ma cinéphilie. Celui que je regardais en toute connaissance de cause, le film de ma modernité.
Première séquence, donc, lascive , féline et cruelle, sur fond d'audition sélective, se posant là tel le bizutage d'un spectateur que le ballet final viendra gratifier d'un au revoir plus ouvertement foutraque mais tout aussi exaltant et évocateur puisque le Bye Bye Life de rigueur, échevelé et quasi- spiritual, reprend le Bye Bye Love des Everly Brothers et de Simon and Garfunkel. Entre ces deux festivités se sera déployée non pas une comédie musicale, comme l'annonçait fallacieusement Première, mais un musical morbide, maculé de sueur (et même de sperme, le temps d'un plan) sublimé par une mise en scène privilégiant la coulisse, les salles de répétition, l'inachevé des décors ainsi que des intérieurs 70's subtilement happés par ce tout début des années 80. Car All that jazz est le film d'un cinéaste qui ne se contente pas de jouxter l'ancien et le nouvel Hollywood, d'exhorter Gene Kelly à fréquenter le Jerry Schatzberg de Portrait d'une enfant déchue. Bob Fosse met le feu à toutes ses intuitions, embrasent tous les bois qui sont à sa disposition, y compris ceux que génère l'air du temps.
On a jamais mentionné qu' All that jazz était aussi un vrai film de 1980, raccourcissant les coiffures, anticipant sur le look "yuppies", enduisant certains intérieurs d'un glacis noirâtre, à la Giger. Par moment, dans les séquences d'hôpital, on se croirait presque chez Cronenberg, alors que la juxtaposition des paillettes et de l'iconographie hospitalière crée un choc esthétique qu'aurait pu fomenter le cinéaste canadien.
Peut-être est-ce là, plus que dans ses composants satiriques, que se situe la pérennité du film : dans cette façon qu' All that jazz a de régner sur son propre univers. Le monde du spectacle, tel que nous le percevons ici, parait archi-crédible, habité par le vécu, l'expérience et même la souffrance (mon père, qui ne connaissait rien de spécial à Bob Fosse, m'avait soufflé à l'époque que pour réaliser un film comme ça, il fallait avoir morflé). On imagine même pas Stanley Kubrick, pourtant invoqué par Joe Gideon (et convoqué de nombreuses fois visuellement), pouvoir rivaliser avec Bob Fosse sur son propre terrain. All that jazz est tout simplement le meilleur film sur ce que pouvait être le monde du spectacle new-yorkais en 1980. Mais, du coup, il est le meilleur film tout court sur le monde du spectacle.
Lorsque je sus que le film était sélectionné en compétition du Festival de Cannes 1980, je sautais de joie. Mais lorsqu'il obtint la Palme d'Or, ex-aequo avec le Kagemusha, de Kurosawa, ce fut comme si mon propre poulain remportait la course. Jamais depuis, je n'ai éprouvé, ni même recherché une telle cooptation cinéphilique.
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Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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