Wim Wenders

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Alisou Two
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Re: Wim Wenders

Message par Alisou Two »

sur ARTE
mercredi 29 juin 2011 à 23h35:
SI LOIN SI PROCHE de WENDERS en vo
ce film est rarement diffusé et n'a pas le privilège d'exister en DVD
bruce randylan
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Re: Wim Wenders

Message par bruce randylan »

Alisou Two a écrit :sur ARTE
mercredi 29 juin 2011 à 23h35:
SI LOIN SI PROCHE de WENDERS en vo
ce film est rarement diffusé et n'a pas le privilège d'exister en DVD
Quelques mots justement cette suite des ailes du désir que j'ai vu il y a trop longtemps pour m'en rappeler vraiment
Toujours est-il que ce Si loin, si proche m'a laissé perplexe.

La première heure est justement un prolongement direct des ailes du désir. Je ne sais pas si je n'étais pas le mood mais cette partie ne m'a pas vraiment plu. C'est très beau, joliment filmé, poétique, bien dialogué et surprenant (Mikhail Gorbachev ! :o ) mais c'est aussi très artificiel avec justement une redite du précédent film qui fait que je n'ai pas trop compris l'intérêt.
Le vrai film démarre du coup au bout d'une heure quand l'ange devient mortel et doit apprendre à (sur)vivre dans le monde des vivants. Cette partie est pour le coup vraiment plus réussie. C'est à la fois, drôle, décalé, touchant mais également sordide, dramatique, existentialiste voir glauque. De plus les guest stars sont très sympa comme celui de Lou Reed vraiment excellent.
La aussi les touches poétiques sont très bien intégrée malgré un discours naïfs sur le bien et le mal ("la guerre c'est caca")... Ca fait malheureusement glisser l'histoire dans une dernière partie édifiante de bêtise, de niaiserie avec des rebondissements invraisemblables qui m'ont vraiment fait sortir du film à force d'accumuler les facilités. On dirait qu'elles ont été intégrées juste pour faire plaisir à l'équipe (le cambriolage avec Peter Falk). Le coup de grâce m’a été donné avec la conclusion sur le bateau.

Donc une longue introduction lassante, une conclusion pathétique et une partie centrale très belle. C'est mieux que rien mais on était en droit d'en attendre plus. On a un peu l'impression de voir Wenders faire mumuse avec ses jouets sans penser à faire un film d'où un aspect patchwork terriblement frustrant.
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Re: Wim Wenders

Message par Anorya »

Copié-collé de mon avis sur L'état des choses qui dispose aussi dorénavant de son propre topic (il le mérite). :D


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L'état des choses (Wenders - 1982).

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Un petit groupe de gens perdus au milieu de nul part ouvre le film. Qui sont-ils ? D'où viennent-ils ? Profitant d'une pause, leur leader escalade une dune de sable puis sort sa mini-caméra à la recherche d'éventuels survivants... tout comme eux. Devant lui un monde en ruine, fait de rues désertes et de carcasses de voitures qui jonchent le bitume et la poussière. Derrière lui, des gens épuisés, recherchant un moyen de prolonger un peu plus leur vie dans ce monde devenu apocalyptique où les notes d'une musique synthétique évoquant John Carpenter résonne bien lugubrement.

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Le groupe reprend sa route, il faut trouver un moyen de gagner la mer. Sans doute que d'autres survivants ont pu élire un camp ? Après tout il y a des traces de pas, signe que des humains sont passés par là et qu'un espoir subsiste encore. Pourtant les vivres manquent. Une petite fille et à l'agonie et Mark, leader pragmatique décide de la supprimer froidement en l'étouffant pour éviter toute contamination possible. Car, cela n'est pas indiqué mais sans doute que la nature s'est modifiée suite à des radiations nucléaires ? Que le monde est envahi de nouvelles forêts aux spores mortelles comme dans Nausicäa de la vallée du vent d'Hayao Miyazaki ? Une jeune fille ayant touché quelque chose sera d'ailleurs sommée impérativement de retirer son gant : l'instant d'après, on le voit commencer effectivement à fondre...

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Poussant un portail, nos héros arrivent enfin à la mer. La seconde jeune fille retire alors son masque et ses lunettes de protection solaire et déclare l'endroit propre à être habitable. On aperçoit même de la vie, deux mouettes que la jeune fille regarde avec étonnement...

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Alors qu'après un plan subjectif, la couleur se modifie (façon de parler), passant d'un sépia somptueux et Tarkovskien (auquel Wenders rendra hommage par un incipit à la fin des Ailes du désir quelques années plus tard) à un noir et blanc profond et un homme, le réalisateur, Friedriech Munro (joué par l'excellent Patrick Bauchau) vient embrasser la gamine qui jouait, qui n'est autre que sa fille. Le plan est fini, on passe au réel mais le véritable film commence et notre chronique avec elle.


En 1982, dans un état apparemment sensiblement déprimé, Wim Wenders tourne L'état des choses (aka The state of things ou dans son titre original, Der stand der dinge) qui se veut une réflexion à la fois sur le cinéma comme un nouveau tableau des errances Wendersiennes, cette fois sous l'égide de multiples références cinématographiques qui laissent à penser que ce film serait probablement l'une des nombreuses clé de voûte de sa filmographie déjà assez riche. Le pitch, est des plus simples : une équipe de cinéma tourne the survivors, le remake d'un petit film de science-fiction fauché des années 50 --en fait un film qui existe bien puisqu'il s'agirait de The day the world ended de Roger Corman (1955) ! -- afin d'en faire une vraie petite série B, musique Carpenterienne et minimaliste (sublime comme souvent quand Jürgen Knieper travaille avec Wenders. Il me faut ses B.Os raaah !) à l'appui. Sauf que l'argent puis le producteur viennent à manquer soudainement. Le film doit s'arrêter. S'installe alors une étrange période d'attente, puis d'ennui pour l'équipe de tournage sans nouvelles de son producteur. Certains sembleraient même perdre les pédales. D'autres s'occupent comme ils peuvent, dessinnent, se baladent dans ce décor assez surréaliste (Tout un hotel abandonné du Portugal pas loin de Sintra apparemment. Le genre de lieu où j'aimerais fortement aller !), font l'amour, se racontent des blagues, font de la musique...

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Sur cette base, Wenders va construire un film structuré en 3 parties bien distinctes étant à la fois un hommage au cinéma qu'il admire comme une réflexion sur celui-ci. La première partie est le film dans le film, soit l'histoire de SF dont on va s'apercevoir très vite que ce n'est pas le véritable sujet. Puis la seconde partie, la plus longue (et de mon point de vue, la plus passionnante même si j'adore le film dans son ensemble), basée sur l'attente puis le surplace, fortement reliée à Antonioni.


"Même s'il préfère parler d'Ozu (derrière lequel il aime à se cacher), l'auteur d'Au fil du temps, Wim Wenders, reconnaît sans ambages sa dette envers Antonioni : "c'est l'un des metteurs en scène qui m'a le plus touché après Ozu. J'aime sa façon de regarder, de filmer les choses et les paysages." (A ce propos, il est curieux que la critique n'ait jamais souligné les analogies qui existent entre Alice dans les villes et Le Cri, entre Paris-Texas et Zabriskie Point.)"
Antonioni par Aldo Tassone, éditions Flammarion, collection Champs, p.392.


Comme chez Antonioni, une ambiance indélébile s'installe. Le même surplace qui pourtant s'avance vers quelque chose, une résolution, déjà au coeur d'un film comme L'Avventura. Ce dernier n'avait-il pas été traité de "film policier à rebours" (Tassone citant le propos d'un critique à la page 211 de son ouvrage dédié au cinéaste italien) du fait que le mystère de la disparition d'Anna au début du film était évacué lentement au profit de la mise en place d'une étude des sentiments amoureux naissant que la durée du film permettait d'installer ? A sa sortie en 1960, le film était alors incroyablement moderne tout en divisant. Il continue d'ailleurs encore de diviser. L'état des choses lui, part d'un film de cinéma pour créer un autre film puis encore un autre film (c'est la 3e partie, on y vient), élucidant à chaque fois l'histoire par un arrêt qui amène à quelque chose d'autre.

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Le premier film, c'est donc ce petit film de SF qui est lui-même mis en abime par l'histoire de cette équipe de cinéma obligée de cohabiter au milieu de nulle part faute de mieux. Ce second film ou seconde partie va être l'occasion d'aborder le cinéma par les coulisses. Devant nous, c'est tout le processus de fabrication du film, symbolisé par ses différents composants (toute l'équipe et leur fonction est donnée au générique de fin) qui est mis en déroute et patine, faute de mieux. Pourtant, Wenders y applique un filmage presque documentaire et capte au mieux le désarroi ambiant. C'est pourtant là aussi une mise en abime, le générique d'ouverture, tapé à la machine (à l'image de ce script que Dennis n'arrive pas plus à finir dans la seconde partie, tellement dégoûté d'avoir fait confiance à ce réalisateur qui espérait pouvoir faire un film européen pour l'Amérique), comme tapé en direct par un quelconque démiurge semble coller trop au cadre pour qu'un travelling le vire lentement en hors-champ, ne se focalisant plus, deux plans après sur une machine à écrire enfermée dans une boîte noire (belle analogie) et une chaise de membre vide et bougeant un peu dans le vent où le titre s'inscrit. Enfin la troisième partie permet un discours théorique confrontant le cinéma américain et européen, leurs essences en déplaçant le réalisateur directement à Miami à la recherche de son producteur disparu. Le réel n'en sera que plus brutal.

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Durant tout le film donc, Wenders joue avec le cinéma, le mettant aussi bien au premier plan qu'au second plan. Le film faisant constamment des références et des clins d'oeils sans jamais que celà n'entrave le récit mais qu'au contraire, ça le fasse pleinement vivre et partaicipe à l'étrange atmosphère. Antonioni oui, en majeure partie, mais pas que. Déjà dans le film, on mentionne à plusieurs reprises The searchers de John Ford, film qu'a la fin, Friedriech croisera à Miami puisqu'il passera devant un cinéma qui le rejoue. Ensuite, comme chez Godard, la présence de monstres sacrés du cinéma auquel Wenders (qui joue un passager du tramway non crédité d'ailleurs !) donne un rôle important dans son film. D'abord Samuel Fuller qui joue le caméraman (auparavant vu chez Godard dans Pierrot le fou en tant que... réalisateur donnant rien de moins que la définition ultime du cinéma), puis Roger Corman qui joue l'avocat du producteur disparu ! Friedriech Munro d'ailleurs est un jeu de mot qui évoque ni plus ni moins que Friedrich (Wihelm) Murnau, cinéaste légendaire lui-même adoré par Wenders le cinéphile. Samuel Fuller rentre dans un bar qui s'appelle... le Texas Bar (clin d'oeil à Paris Texas qu'il fait juste après ?). Sans oublier le fait que Wenders emprunte toute l'équipe de son film au film Le territoire de Raoul Ruiz (Bauchau en plus), film apparemment horrifique. L'ouverture de L'état des choses, c'est de la SF-horrifique, tiens (avec une similitude narrative avec le film de Ruiz). Et puis la fin dans la caravane et après...

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Mais en fait on pourrait encore disserter longtemps sur la richesse de l'objet et ses implications, Wenders ayant livré là un objet à la fois hermétique et ouvert à tout. Très grand film pour ma part.
5,5/6.
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Federico
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Re: Wim Wenders

Message par Federico »

Je crois que L'état des choses est le 1er film de Wenders que j'ai vu (c'était lors de sa sortie en France). Il m'avait fortement impressionné (son N&B au cordeau, sa musique, la présence du grand Sam...) ainsi que la plupart de mes potes cinéphiles dont certains avaient aussitôt orné leur chambre de sa superbe affiche. Mais, je ne sais pas pourquoi, je crains de ne plus ressentir le même effet si je le revoyais aujourd'hui. Peut-être son aspect arty un peu trop appuyé à l'image de sa distribution très "branchée" et de sa séquence finale caméra/arme au/de poing.
Par contre, je sais que je peux sans crainte me repasser Au fil du temps ou Alice dans les villes...
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Re: Wim Wenders

Message par stevenn33 »

Ahh, Wim Wenders, ma grande découverte de ce dernier mois. :)
J'en ai vu six de lui, dans l'ordre : Les ailes du Désir, Si loin, si proche !, Buena Vista Social Club, L'Ami Américain, Au fil du Temps et enfin Paris, Texas. Je m'en suis mis un pour bientôt : Alice dans les villes.
Je dois dire avoir eu du mal avec les Ailes, et du coup, sa suite m'a beaucoup plus marqué. Mais quand je repense à ce premier, je me dis à quel point il était beau, magnifique même. Bref, deux films qui sont maintenant dans mes préférés, tout commence bien !
Buena Vista arrive avec ce groupe de géant, je tombe tout de suite sur le charme ! L'Ami américain quand à lui me séduit beaucoup par son ambiance.
J'attendais cependant beaucoup des deux derniers que j'ai été un peu déçu, quoique P-T est génial, et Au fil, bien j'ai été un peu déçu, mais je dois dire que cette scène en particulier m'a beaucoup marqué :
Ainsi, c'est devenu mon réalisateur favori.
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Re: Wim Wenders

Message par Lino »

Le tournage de La lettre écarlate, en octobre 1972, dans un village western près de Madrid :

http://monnomestpersonne1973.blogspot.f ... elena.html
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Re: Wim Wenders

Message par Federico »

Rediffusion cette nuit à 4h sur France Culture de l'émission Du jour au lendemain de Michel Boujut intitulée "Wim Wenders : un voyage dans ses films" (1990).
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Re: Wim Wenders

Message par Federico »

Federico a écrit :Rediffusion cette nuit à 4h sur France Culture de l'émission Du jour au lendemain de Michel Boujut intitulée "Wim Wenders : un voyage dans ses films" (1990).
France Culture propose à nouveau cette archive cette nuit à 2h50.
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Jeremy Fox
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Re: Wim Wenders

Message par Jeremy Fox »

Le Sel de la terre (The Salt of the Earth) - 2014

Je "connais" Salgado depuis que je suis entré dans la vie active en 1989 car mon premier véritable collègue était en admiration devant lui et n'a pas arrêté de m'en vanter les mérites durant mes 7 ans de vie parisienne. Il s'était occupé de ses reportages du temps où il les archivait chez Magnum et c'était le seul photographe de cette agence de presse pour qui il avait de l'estime. Il m'avait fait voir ses photos et j'aimais beaucoup. C'en était resté là jusqu'à ce que je découvre hier soir le documentaire de Wenders ; et là je comprenais encore mieux le pourquoi de cette admiration. Comment ne pas apprécier une personne aussi vraie, aussi humaine ?

La réussite du documentaire de Wenders repose avant sur l'humilité du cinéaste qui laisse le talent de conteur du photographe s'exprimer sur fond, les 3/4 du temps, de ses simples photos. Homme ayant bourlingué sur tous les continents, ayant filmé la misère et l'horreur que ce soit au Sahel, au Rwanda ou en Éthiopie, il témoigne très simplement et avec une passion communicative de ses expériences, de sa famille et de ses idées. Ses photos sont d'une telle puissance qu'elles parlent d'elles-même et nous serrent très souvent la gorge. N'ayant à un moment donné plus aucune fois en l'humanité (et au vu de ce qu'il a photographié, on peut le comprendre), il va alors partir à la découverte de ce que la terre nous offre de plus beau et c'est une fin de carrière 'écologique' qui l'attend, le symbole le plus évident étant la reforestation du lieu devenu désertique de son enfance. Une sorte de miracle qui redonne foi en l'humain dont Salgado est le digne représentant. Très beau documentaire... salutaire.
Federico
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Re: Wim Wenders

Message par Federico »

A revoir en replay sur Arte, deux exemples de ce que Wenders fit de mieux : L'ami américain et le très émouvant docu Tôkyô-ga (qui est de 1985 et non de 1990 comme l'indique le site).
Oui, je sais, Arte propose aussi Paris, Texas mais quitte à me faire lyncher, je persiste à le ranger parmi ces films-mode surévalués (comme le seront ensuite certains Kusturica)... :|
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Thaddeus
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Re: Wim Wenders

Message par Thaddeus »

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Alice dans les villes
Wenders affirme son goût pour le vagabondage et la contemplation avec le périple tendre et naïf d’un journaliste un peu paumé, dont le voyage aux États-Unis s’est achevé dans une certaine confusion professionnelle et intellectuelle, et d’une fillette de neuf ans pour laquelle il se prend d’affection. Réunis par le hasard, ils vont de New York à Amsterdam puis errent dans la Ruhr, peut-être en quête d’une réalité dont les conditions de perception échappent à l’adulte en proie au doute. Composant une recherche de l’identité allemande à travers les traces de la culture américaine (rock, cinéma, images de Polaroïd), le cinéaste trace une quête tout à la fois géographique, identitaire et intérieure, qui séduit autant par son originalité de ton que par sa chaleur tranquille et son rythme indolent. 4/6

Faux mouvement
Deuxième volet du triptyque consacré au mal-être de l’Allemagne des années 70. Plus littéraire que les autres, parfois lesté d’un certain verbiage métaphysique, il agit à l’image de ses protagonistes, réunis par hasard dans une équipée erratique sur les routes de la RFA : en larguant les amarres et en fuyant toute cimentation narrative. Entre haltes et promenades, des rives du Rhin aux faubourgs crépusculaires de Bonn, le road movie développe une réflexion quelque peu ésotérique sur la crise identitaire d’un pays, d’une époque, d’êtres velléitaires et sans idéaux tentés par l’engloutissement. Son attrait naît de sa plastique travaillée, du charme d’Hannah Schygulla et de la toute jeune Nastassja Kinski, d’une forme de poésie du désarroi faite d’humour laconique, de nonchalance et de mélancolie. 4/6

Au fil du temps
Un projectionniste itinérant, qui promène son mutisme souriant le long de l’Elbe, dans les décombres du cinéma allemand, rencontre un homme venant de quitter son épouse. Ils sympathisent et transforment leurs solitudes au fil du voyage, on the road again. Il faut à Wenders du temps, de la lenteur, des coups de mou et d’étonnants pieds-de-nez à la bienséance (la défécation en live de Rüdiger Vogler !) pour appréhender la nonchalance de ses personnages et la respiration particulière de leur parcours. C’est une fois de plus l’empreinte du cinéma américain qui se dessine derrière ces paysages immenses comme les étendues de l’Arizona, dans l’apologie d’un rêve de liberté rythmé par quelques standards du rock, et dans une perspective de fuite qui raccorde à tout un nouveau romantisme cool. 4/6

L’ami américain
Adaptant un roman de Patricia Highsmith, faisant appel à une galerie de figures cinéphiles (Hopper, Fuller, Eustache, Ray…), Wenders intègre à une fiction policière ambiguë ses propres conceptions du lyrisme et ses obsessions caractéristiques, en un film à la frontière du pastiche mais jamais parodique, qui se double d’une pénétrante réflexion sur la solitude et la mort. Un peu à la manière d’un Melville, il démonte les conventions du genre noir, délaissé par ceux de sa génération, et met en scène de pauvres loques, des cadavres en sursis qui essaient tant bien que mal, avec une dérision désespérée, de dominer leur angoisse existentielle. Le privilège accordé à l’aube et au crépuscule, les dominantes brune et rouge, le jeu avec les horizontales et verticales du décor en font une œuvre assez singulière. 4/6

Hammett
Du cinéma de luxe, réglé au quart de réplique près, sans un défaut qui traîne des pardessus, des chapeaux feutres ou du savant clair-obscur des plateaux des Zoetrope Studios. Voici donc le romancier Hammett embringué dans une enquête filandreuse à Chinatown, avec toutes les conventions du film noir au rendez-vous : poulettes amoureuses et flics ripoux, notables corrompus et chefs de gang tirés à quatre épingles, mœurs crapuleuses et dessous nauséabonds. Double fond, duel entre fiction et réalité, règne exclusif de l’écriture, du cliché et du mensonge. Wenders a beau jouer honnêtement le jeu du suspense et de la stylisation "à la manière de", son regard lent semble se promener sur des ectoplasmes et creuser quelque chose qui ressemble à du vide. L’exercice de style a de la gueule, mais guère plus. 3/6

L’état des choses
Parce qu’il a été réalisé dans un état de déprime, alors que le tournage américain de Hammett était interrompu, on pourrait voir dans ce film de vacance et d’attente un règlement de comptes avec Hollywood, un amer constat de la mort du septième art. Fausse route. Wenders l’a créé pour clamer l’espoir que son expression reste un moyen de subsistance immuable. Où vais-je, où vont ma vie, mes aspirations, mon moi ? De quelles réalités est faite l’existence des gens de cinéma lorsqu’ils sont privés de fiction ? La réponse est pathétique : ils vivent par procuration, enfermés dans un hôtel bunker tel un navire échoué, abandonnés au bord du vide, gagnés par le silence et le désarroi. Égotique, contemplative, plastiquement composée par Alekan, l’œuvre exerce une fascination réelle mais intermittente. 4/6

Paris, Texas
Comment raconter une histoire, puiser dans la légende américaine et la mémoire cinéphilique (mélodrame, western, comédie), l’essence même d’une méditation sur leur mythologie ? C’est la question qui anime Wenders tout au long d’une sublime quête de paternité, d’un suspense sentimental touché par la grâce. Dès les premières images, avec les notes lancinantes et suspendues de Ry Cooder, qui donnent l’impression que le film a été tourné avec une caméra et une guitare, l’envoûtement est total et l’émotion absolue. Étourdissant de pudeur et de maîtrise, frémissant de sensibilité et de délicatesse, ce road-movie est gravé dans un décor de béton, de sable et de néons, hanté par la peur de l’immobilité, de l’échec et de l’incommunicabilité, par le besoin vital de rencontres, de rapprochements, d’échanges. C’est ce que l’on appelle communément un chef-d’œuvre. 6/6
Top 10 Année 1984

Tokyo ga
Rassemblant un ensemble d’éléments épars tournés au gré de ses déambulations dans la capitale japonaise, Wenders érige une sorte de "tombeau d’Ozu" enchâssé entre deux séquences de Voyage à Tokyo. Il promène dans des salles de Pachinko, des stands d’entraînement de golf situés sur les toits d’immeubles, des cimetières où les enfants jouent au base-ball et des squares où des adolescents dansent le rock. Il dit surtout la proximité familière avec le grand cinéaste nippon, qui à force de raconter les mêmes histoires simples des mêmes gens dans la même ville, a conçu une œuvre transparente et universelle. On aimerait toutefois se sentir plus concerné par ces légers croquis, cette intimité faite d’idées et de sensations un peu plates, quand bien même on y ressent les flux et reflux d’un maelstrom personnel. 3/6

Les ailes du désir
Englués dans un mal-être qui les taraude, les Berlinois reçoivent la visite de deux messagers célestes porteurs d’une lumière différente et soucieux de leur apporter chaleur et réconfort. Authentique poète renouant avec l’âge d’or de l’expressionnisme, Wenders se fait ici le témoin de la crise des valeurs, de la confusion des sentiments, des mutations du monde contemporain. La puissance évocatrice du texte de Handke, la beauté contrastée des images d’Alekan font de cette fable allégorique et spirituelle aux accents métaphysiques un véritable hymne à la vie, qui transfigure le désenchantement de son tableau social (terrains vagues, artères lugubres, bunkers constellés de graffitis et bibliothèque-nécropole) par le fragile espoir de renouveau qu’il exprime à chaque instant. Un véritable état de grâce. 5/6
Top 10 Année 1987

Jusqu’au bout du monde
Film-fleuve de près de trois heures, où Wenders s’essaie à l’anticipation et brasse, avec un goût affiché du serial feuilletonnesque d’autrefois, anticipation technologique, obscures histoires d’espionnage et intrigues amoureuses, le long d’un gigantesque périple autour du monde. Vaut-il mieux vivre ses rêves ou rêver sa vie ? Fructueuse et stimulante question, à laquelle le cinéaste ne répond pas tout à fait, un peu empêtré dans des images mentales étonnantes mais qui embarrassent sa pensée sans doute plus qu’elles ne la portent. Le récit et le propos sont ambitieux, le résultat n’est pas complètement à leur hauteur, quand bien même la méditation sur le péril nucléaire, le pouvoir des images et la morne vacuité des songes dans l’univers actuel manie de captivantes problématiques. 3/6

Si loin, si proche !
En réalisant une suite aux Ailes du Désir, quatre ans après la chute du mur de Berlin, Wenders dresse un nouvel état des lieux de l’Europe contemporaine et spécule sur les contradictions goethéennes de l’Heimat retrouvé. Mais ses anges ont pris du plomb dans les plumes, l’évocation de l’Histoire allemande et des pouvoirs nocifs de la pornographie assimilée au trafic d’armes se noie dans une complexité affectée, et le message simpliste au ton sentencieux frise parfois le cocktail à l’ammoniaque. Cette naïveté s’inscrit cependant dans la perspective plus large d’une réflexion sur le regard, suscitant de réels moments de beauté lorsque le cinéaste sollicite la toujours divine Nastassja, le ténébreux Willem, le facétieux Peter, ou lorsqu’il retrouve l’invention du muet authentique, du serial et des origines foraines. 4/6

Lisbonne story
Douze ans auparavant, Wenders était au Portugal pour ausculter l’état des choses ; déjà celles-ci étaient mal en point et l’impuissance généralisée. En tirant le portrait de Lisbonne, il effectue un retour symbolique, revient sur son cinéma pour réfléchir à son devenir et tenter de proposer un bilan de cent ans d’images. En résulte une fable à la fois épurée et curieusement tarabiscotée sur le septième art, le son, les aléas d’une quête intérieure, qui semble vouloir répondre à l’inquiétude contemporaine en introduisant dans la technique l’incertitude, l’amateurisme, le tour de main. Et si le film ne souffre pas trop de sa péroraison pataude, c’est sans doute parce que son discours, qu’on sent venir de loin, arrive quand persiste encore un sentiment de détachement léger qui fait plus aisément passer la pilule théorique. 3/6

Buena vista social club
Pour un disque devenu un hit, Ry Cooder avait fait sortir de l’ombre ces figures légendaires de la culture cubaine, ces super abuelos sémillants et facétieux, pauvres et cultivés. Deux ans plus tard, Wenders filme leur rencontre, quelques concerts et enregistrements en studio, en un rendez-vous qui donne une dernière chance d’interroger l’Histoire. L’utilisation de la vidéo écrase les couleurs de La Havane d’un grain oscillant entre la perle, le béton et le plomb, mais d’où émergent le marron ensoleillé de la terre et des murs, le bleu délavé d’une carrosserie antique ou les tons électriques d’un palais sans objet. Et si le cinéaste se contente de capter les artistes d’un œil bienveillant, il introduit chacun par un mouvement tourbillonnant de révérence qui donne à la musique assez de force pour s’échapper. 4/6

Don’t come knocking
Réunis vingt ans leur inoubliable Paris, Texas, Wenders et son scénariste (ici acteur principal) Sam Shepard retrouvent tout naturellement leur prédilection pour l’errance, la fuite des jours, la paternité, le remords et les regrets. Mais cette fois le récit de disparitions s’avère pittoresque, burlesque, plein de portraits bariolés, et la séduction de l’impossible retour dessine une quête du temps perdu bien plus enjouée que mélancolique. Encadrant la mise en abîme du passé professionnel du héros dans celle du réalisateur lui-même, la chronique, qui baigne dans les grands espaces magnifiques de l’Ouest, transpire un bel amour du cinéma et affirme, autour d’une ronde de personnages à la fois doux et tourmentés, de belles convictions utopistes. Un film mineur mais vraiment attachant. 4/6

Le sel de la terre
C’est en admirateur respectueux que le cinéaste rend hommage au travail de Sebastião Salgado, qui a choisi la voie écologique après avoir relaté certains évènements majeurs de l’histoire moderne. Du ventre ouvert du Brésil, déversant des milliers de chercheurs d’or, aux territoires reculés des Andes, des insoutenables images de la famine au Sahel aux exactions du génocide rwandais, des champs pétrolifères enflammés du Koweït à l’éden préservé d’une forêt équatoriale, les clichés de l’artiste subjuguent. Wenders en restitue la terrible beauté, exalte leur poésie de paradis et d’enfer, éclaire sobrement la bouleversante détresse humaine qui les habite. Et si l’on peut s’interroger sur son absence de remise en perspective, rien ne peut entraver la force émotionnelle de ce très beau documentaire. 5/6
Top 10 Année 2014


Mon top :

1. Paris, Texas (1984)
2. Les ailes du désir (1987)
3. Le sel de la terre (2014)
4. L’ami américain (1977)
5. Au fil du temps (1976)

Les deux films magnifiques qu’il a signé au cœur des années 80 me suffisent pour considérer Wenders comme un grand auteur, un poète doté d’un exceptionnel sens de la composition plastique et d’une sensibilité au moins égale. Il a composé une œuvre d’une grande richesse autour du dialogue entre les mythologies américaine et européenne, la fuite du temps, l’état du monde contemporain, les blessures, les rêves et les aspirations de l’être humain.
Dernière modification par Thaddeus le 4 août 23, 19:43, modifié 10 fois.
Federico
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Re: Wim Wenders

Message par Federico »

Émission Court-circuit spécial Wenders ce soir à 00h40 sur Arte !
Au programme :
Police film (1969 Wim Wenders)
portrait de Wim Wenders
Les ailes du désir «suédé»
Silver City Revisited (1970 Wim Wenders)
The difference between life and the movies is that a script has to make sense, and life doesn't.
Joseph L. Mankiewicz
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Re: Wim Wenders

Message par Federico »

Je ne sais pas si nombreux furent les cinéastes (jeunes en plus) à avoir eu droit à une chanson. Et aussi délicieuse que celle-ci :


Sibylle Baier "Wim" (enregistré à la maison au début des années 70 mais qui ne sera publié qu'en 2006 sur l'album Colour green)
C'est elle que l'on voit - et entend chanter - à la fin d'Alice dans les villes...
En 2008, Wenders lui commandera une chanson pour Rendez-vous à Palerme

La personne qui l'a mise sur YT s'est trompée : ce titre n'est pas sur l'album (sorti 2 ans plus tôt)
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Re: Wim Wenders

Message par gnome »

Cet album est très beau. Fin du HS.
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Jeremy Fox
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Re: Wim Wenders

Message par Jeremy Fox »

Les Ailes du désir (Der Himmel über Berlin) - 1987

Hymne à la vie, hymne à l'amour, hymne à notre état de mortalité, hymne aux choses simples, hymne à l'enfance... hymne à l'humain. Vaste programme que Wenders, sans aucun cynisme et avec une sincérité totale, arrive à mener à son terme avec la grâce et la poésie qui ont dû lui être apportées par les anges de son film. Tant de tendresse, de beauté et d'humanité me laissent terrassé d'émotion. Mise en scène exceptionnelle, la caméra virevoltante de Wenders étant un personnage à part entière, texte sublime d'intelligence et de simplicité, comédiens tous extraordinaires et une scène finale entre Solveig Dommartin et Bruno Ganz qui, en 5 minutes, m'a bien plus fortement bouleversé que le long final de Paris Texas. J'avais trouvé ce film lourdingue, complexe et austère à sa sortie ; que j'étais nigaud à 20 ans ! Les sourires de Bruno Ganz et Solveig Dommartin me resteront désormais longtemps en tête.


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