Tchao pantin
C’est un film noir, vraiment noir, dont le climat lugubre, poisseux, à rumeur de blues, happe immédiatement vers les profondeurs : Belleville la nuit, quelques enseignes de bar qui clignotent et une station-service baignant dans la lumière d’un néon bleuté… C’est aussi une histoire d’amour père-fils qui naît sur un cloaque de crapulerie, rendue touchante par la mise en correspondance de facteurs divers : la photo sombre de Nuytten, la lancinante musique de Charlélie Couture, l’écriture vériste qui décrit le sordide sans complaisance et inscrit la sarabande de voyous, de dealers, de pute, de punks au sein de décors urbains oppressants, et bien sûr l’interprétation dominée par Coluche, pachyderme hébété, las et imbibé comme un baba au rhum, figure météorique de cette goualante des paumés. 4/6
Jean de Florette
Dans la gageure que représente la mise en images du diptyque de Pagnol, on retrouve un trait du caractère de Berri, producteur combattif, de ceux qui aiment se créer de grosses difficultés avant de tourner pour ensuite espérer toucher les dividendes d’un dur travail. Telle est aussi l’attitude de Jean de Florette, bossu victime de la cruauté de ses voisins, s’entêtant à vouloir transformer l’aride garrigue en jardin d’éden. Ni hommage au folklore régional ni crèche vivante, le film puise bel et bien dans la chair et le sang, la sueur et la douleur, l’amour et la trahison, retrouve d’instinct le verbe auguste du conteur, et transcende un respect quelque peu timoré vis-à-vis du matériau d’origine par sa force de conviction, sa mise en image sobre, ses accents de grand opéra populaire. De la belle ouvrage. 4/6
Manon des sources
Dix ans ont passé. Le temps suffisant pour que cette histoire d’amour impossible et de vengeance implacable, digne de Racine et de la tragédie antique, prenne tous les personnages dans sa toile. Si les thèmes de l’eau et de la sécheresse, de la propriété terrienne, de la lignée familiale, de la perpétuation du nom, de la puissance du patriarche sont actualisés avec un certain brio, c’est d’abord parce que Berri, visant le cinéma, réintroduit une théâtralité de surface qui lui permet d’atteindre le maximum d’intensité émotionnelle. Car ce deuxième volet est d’abord un beau mélodrame où il fait bon pleurer, à l’unisson du Papet, lézardé de l’intérieur et préparant sa mort comme on range une armoire, et d’Ugolin, qui entre la corde au cou et le cœur nu dans la galerie universelle des coupables innocents. 4/6
Une femme de ménage
Si la déco d’un appartement reflète l’état mental de son occupant, alors on n’ose imaginer le cauchemar que vit le protagoniste depuis le départ de sa dulcinée, clapier domestique qu’une noria d’éboueurs ne suffirait pas à déblayer. Lorsque le quinqua neurasthénique engage une jeune femme de ménage timide mais délurée, le petit coucou culotté, non content de faire son lit, finit par s’y installer. Et Berri d’observer avec une patience de pépiniériste la floraison psychique de son antihéros, la formation d’un couple inattendu dont il s’amuse à pointer tendrement les antinomies. Bien sûr l’ours polaire et la lolita ne sont pas faits l’un pour l’autre, mais dans leur idylle provisoire il y a la chaleur, la tristesse tenue en laisse, la vie qui recommence, un charme mélancolique que ce petit film dispense joliment. 3/6
Ensemble, c’est tout
De ce qui pourrait être une pénible machine consensuelle si elle pétaradait, Berri fait une chronique sensible, sobre, menée avec une saine tranquillité. Le grand appartement où elle prend ses quartiers n’est pas une niche de joie amère creusée dans ce monde pourri, et les remarquables Audrey Tautou, Guillaume Canet et Laurent Stocker s’y croisent sans jamais faire l’article de leur talent ni le forcer pour sauver les scènes. Ne pas se compliquer la vie est ici moins un mot d’ordre qu’une capacité effective, une méthode pour traiter chaque moment au plus simple. Et tant pis si les grincheux cyniques s’étranglent devant tant de bienveillance optimiste : ce manège tendre et généreux autour de l’amitié, de l’amour et de l’engagement laisse installer une émotion douce à laquelle il serait ballot de résister. 4/6
Mon top :
1. Tchao pantin (1983)
2. Manon des sources (1986)
3. Jean de Florette (1986)
4. Ensemble, c’est tout (2007)
5. Une femme de ménage (2002)
D’abord connu pour sa remarquable carrière de producteur et pour l’influence centrale qu’il exerça au sein du cinéma français pendant plusieurs décennies, Claude Berri fut aussi, derrière la caméra, un réalisateur humble, sympathique, non dénué de charme. Son parcours de metteur en scène n’a certes rien offert de décisif, mais il a valu quelques belles réussites populaire.