Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Frances
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par Frances »

Oui, Faust et Le dernier des hommes sont à voir impérativement et je suis plus enthousiaste que Demi-lune concernant City girl. Le traitement de ce film m'avait réellement scotchée quand je l'ai découvert...c'est à dire assez récemment avec l'acquisition du coffret Murnau.
Je n'ai pas revu son Nosferatu depuis très longtemps, je me garderai donc de donner un avis trancher le concernant.
Après recherches il apparait qu'il est désormais dans le domaine public donc visible ici --> http://archive.org/details/NosferatuASy ... art=1973.5
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Miss Nobody
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par Miss Nobody »

Mr-Orange a écrit : Je crois que Murnau est le cinéaste qui a fait les plus puissants films muets. En effet, j'étais loin de m'imaginer le degré d'horreur que procure ce Nosferatu, un degré d'horreur dû au silence des personnages, l'impuissance face à cette créature de la nuit, l'ombre du vampire s'approchant doucement de ses victimes la nuit,cet orchestre symphonique accompagnant tout le film (d'ailleurs j'aurais rêvé de voir le film au cinéma avec un orchestre en direct), et ce bâteau porteur de la peste approchant doucement la ville. Voilà comment Murnau filme l'effroi, avec en plus la magnifique teinture du film qui s'accentue selon le climat.
Je suis en tout point en phase avec ce ressenti. Nosferatu m'avait littéralement et pareillement glacée lors de sa découverte.



Ce Demi-Lune a décidément de bien drôles de goûts! :o :mrgreen:
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Demi-Lune
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par Demi-Lune »

Miss Nobody a écrit :Ce Demi-Lune a décidément de bien drôles de goûts! :o :mrgreen:
C'est adorer ce film qui me semble au contraire très bizarre. :arrow:
Je te conseille quelques films d'horreur bien glaçants quand tu veux ma chère Miss. :P
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Watkinssien
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par Watkinssien »

Demi-Lune a écrit :
Miss Nobody a écrit :Ce Demi-Lune a décidément de bien drôles de goûts! :o :mrgreen:
C'est adorer ce film qui me semble au contraire très bizarre. :arrow:
8)

Mon cher Demi-Lune, je suis extrêmement bizarre, car ce film est un chef-d'oeuvre absolu du cinéma, à mes yeux, le plus grand film de vampires (j'aime beaucoup le Dreyer, totalement différent, mais rien ne surpasse le Nosferatu), et une des plus perturbantes histoires d'amour jamais filmées.

Comme c'est bizarre... :mrgreen:

:wink:
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par allen john »

Reçu aujourd'hui, le Blu-ray MoC de Tabu.
:mrgreen:

Parmi les suppléments:
Treibjagd in der Südsee (Friedrich Wilhelm Murnau, 1930)
Ce court métrage sorti en 1940 est entièrement composé de chutes et de séquences inédites de son dernier film Tabu. Les scènes qui y figurent, assemblées par son frère Robert Plumpe après l'accident fatal et le rapatriement des possessions du cinéaste en Allemagne, tendent à montrer que Murnau n'avait pas abandonné toute prétention documentaire en tournant Tabu, mais qu'il avait aussi bien fait le ménage au montage, privilégiant ce qui allait dans le sens de son intrigue, qui renvoyait tant à Nosferatu et Sunrise...

Bref, attachant sinon indispensable.

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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par Federico »

France Culture re-diffusera l'émission Une histoire du cinéma de Jean Douchet consacrée à Murnau en 2007 dans la nuit du 11 au 12 avril à 1h30.

(Attention ! Pas de podcast.)
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par joe-ernst »

Fait divers macabre : on a volé la tête du réalisateur dans son tombeau ! :shock:

http://www.liberation.fr/direct/element ... eau_13034/
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par k-chan »

Quelle horreur ! :?
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-Kaonashi-
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par -Kaonashi- »

Y a une personne vraiment dérangée là, pour faire ça...
k-chan a écrit :
:shock: :o Salut !
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someone1600
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par someone1600 »

:( :?:
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par Prat »

Il s'agirait d'un acte d'occultisme d'après les informations du Figaro...

Je plains la famille pour qui ce doit être une dure épreuve.
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Thaddeus
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City Girl (1930)

Message par Thaddeus »

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À travers l’orage


Sorti en 1930, à une époque où le cinéma parlant commençait à véritablement supplanter le muet, City Girl reste un film assez méconnu de Friedrich Wilhelm Murnau. Sa faible diffusion ne saurait expliquer à elle seule son injuste déficit de notoriété. Peut-être est-il victime de son titre incertain, qu’on hésite à conserver. Faut-il l'appeler Our Daily Bread, conformément à l'intitulé original mais au risque de la confusion avec le film homonyme ultérieur de King Vidor ? Est-il souhaitable de renoncer aux deux noms français qui ont été adoptés sans vraiment s'imposer : La Bru et L'Intruse ? Optons, puisqu'il faut bien trancher, pour City Girl, non sans rappeler que Murnau n'a jamais assumé le résultat achevé. En effet le studio n’a pas suivi le cinéaste dans son désir de tourner à Chicago et dans le Minnesota ni retenu ses remarques avant son départ, le réalisateur ayant rompu le contrat et quitté l’entreprise avant son achèvement. Le dernier montage fut supervisé par un "intrus" justement, son ancien assistant (A.F. Erikson) qui, révolution du sonore oblige, ajouta, à la demande de William Fox, une bande dialoguée sans respecter les conseils de son maître. Voilà pourquoi cette œuvre est aujourd'hui encore sous-estimée et si peu vue : elle n'a jamais été signée par son auteur. Elle n’en reste pas moins l’un des plus belles et enthousiasmantes qu'il ait tournées. Profondément ancrée dans l’iconographie américaine, dispensant une émotion d’ordre aussi bien plastique que dramatique, elle témoigne de la maîtrise admirable d’un artiste au faîte de son inspiration poétique.


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Pour Murnau, l’opposition de la ville et de la campagne s’inscrit dans une méditation cosmogonique sur les rapports de l’Homme et de la Nature. En se référant d’emblée au caractère "sacré" du blé, sa pensée syncrétique englobe à la fois la tradition chrétienne (la manne céleste, le pain eucharistique, le bénédicité) et les théogonies antiques : les Egyptiens et les Grecs n’honoraient-ils pas cette plante nourricière aux origines inconnues comme un présent des Dieux (Osiris ou Demeter) ? Dans sa plus grande extension symbolique, le blé signifie le don de la vie ; il célèbre le miracle quotidien de l’existence. Par analogie la mort du grain et sa renaissance peuvent figurer le caractère cyclique de toute destinée : naissance, maturation, mort et transformation. Les métaphores qui associent la glèbe et la femme ou assimilent le sein de la terre au sein maternel témoignent elles aussi d’une harmonie primitive entre le règne humain et le règne végétal. C’est dans une telle perspective qu’aux yeux du cinéaste le blé manifeste la fécondité, la prodigalité, la joyeuse confusion de la nature. Or, enivré par sa puissance technicienne, l’homme s’est laissé séduire par l’attrait maléfique de la ville ou de la civilisation, non sans entretenir la nostalgie d’un âge d’or où les travaux et les jours s’accordaient aux rythmes cosmiques, à la pérennité des saisons, au retour des moissons. Un plan de L’Aurore évoque les ébats bucoliques du laboureur et de son épouse, d’Adam et d’Eve avant la Chute. Dans le prélude intemporel de Tabou, le jardin paradisiaque de Bora-Bora offre aux yeux des pêcheurs polynésiens ses cascades d’eau vive, ses couronnes de fleurs, ses palmes exubérantes. Images de l’innocence et de la plénitude dont l’homme a perdu le secret. En abandonnant la Terre-mère, source de l’être et matrice de la vie, le héros murnaldien réitère le drame du péché originel ; en renonçant à sa position médiatrice entre le Ciel et la Terre, il se condamne à l’errance et à la déréliction.

Pour autant, la clarté avec laquelle Murnau exprime cette antinomie est trompeuse. City Girl s'ouvre sur un cliché que L'Aurore a en partie fait sien : la ville est associée aux séductrices vénales. Aussitôt que la voisine blasée de Lem Tustine, dans le train, remarque l'argent qu'il porte sur lui, elle entreprend de le charmer. Avant d'arriver à Chicago, comme le craignaient ses parents dans leurs deux courriers de mises en garde, Lem, venu y vendre le blé de son père, est déjà en danger. Mais celui qui n'est jamais sorti de sa campagne natale préfère se plonger dans le panier-repas préparé par sa mère plutôt que d'inviter une inconnue au wagon-restaurant. La rencontre n'a pas lieu et la menace disparaît, ou plutôt se transforme. Lem sera bien volé, mais à la régulière, par le système et non par une femme, à la bourse des céréales. En contrepoint du stéréotype de la vamp citadine, le plus affreux des ouvriers, à son arrivée en carriole dans la deuxième partie du film, sortira également en vain un petit miroir pour se recoiffer et tenter de séduire Kate, la femme désintéressée que Lem a rencontrée puis épousée dans la mégalopole. Quant à la cupidité et à l'avarice, elles sont aussi fortement présentes à la campagne. Tustine père, Écossais d'origine, en est l'emblème. En interdisant à Mary, sa fille, de cueillir le moindre épi ou bouquet de bienvenue, il affirme que "chaque grain de blé compte". Acariâtre, il est convaincu que le mariage express de son fils ne peut s'expliquer que par la rapacité de sa bru. L’ode supposée au caractère sacré du pain montre un patron fermier obsédé par la vente de la céréale et sa valeur financière. Alors que L’Aurore distinguait la femme de la campagne, épouse modèle, de celle des villes, tentatrice, City Girl déplie tout le spectre de ces possibles sur Kate, dont la complexité est préservée par la vivacité fragile de Mary Duncan.


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Les séquences de conflits à l'intérieur de la ferme et les scènes de repas collectif se rattachent au Kammerspiel, ce ciné-théâtre de l'intime où le vase clos contraint les personnages à s’affronter et à sortir d'eux-mêmes, souvent sans parler. L'une des spécificités de City Girl tient en quelque sorte dans sa double nationalité. C’est une œuvre à la fois américaine et allemande. La participation des éléments naturels à l'expression des sentiments profonds (comme le crescendo du vent qui accompagne la tension croissante entre les protagonistes) n'est pas sans rapport avec le romantisme germanique. Et au fond, l’action pourrait tout aussi bien avoir pour cadre les plaines de Westphalie où Murnau vit le jour. C’est comme si, sur le sol étranger du Minnesota, colonisé par les émigrants teutons et scandinaves, le cinéaste errant était malgré tout, inconsciemment, attiré vers les hommes, les paysages et les mœurs taciturnes de sa race. Sa plante rachitique, l’oiseau automate enfermé dans sa cage dévoilent l'imaginaire étouffé de Kate à Chicago et soulignent son aspiration à rompre les amarres avec la cité. Sa rencontre avec le réel sera pour le moins brutale. Certes l’espace est ouvert et les champs de blé caressés par les vents paraissent infinis, magnifiés par les travellings qui accompagnent la course des nouveaux époux vers la maison familiale — prairie ensoleillée, amoureux virevoltants, tourbillon de griserie. Mais dès que le couple est confronté au père, l’environnement se confine. Le domaine agricole n’est pas le havre de paix et de liberté rêvé par Kate et tant d’autres héroïnes romanesques, pas une oasis propice aux épanchements du cœur. De désillusion en désillusion, elle découvre que les paysans sont aussi aliénés que les citadins et qu’à vivre au contact de la nature, ils n’en ignorent pas moins ses sources substantielles. Si L’Aurore confrontait terme à terme la ville et la campagne comme deux univers aussi contraires que le jour et la nuit, City Girl les renvoie dos à dos ou plutôt les enferme dans la même équation. Le premier adopte l’antithèse comme figure maîtresse, le second est commandé par la répétition, qui lui inspire sa construction en deux parties parallèles. Il n’y a pas de solution de continuité entre les deux films, plutôt un ajustement de la vision. L’Aurore se déroule dans le temps mythique de la Genèse et revêt la forme d’une allégorie, City Girl au contraire concerne d’abord des individus singuliers, situés dans un contexte historique et géographique suffisamment précis pour qu’on y décèle les signes prémonitoires de la grande crise économique.

La tyrannie puritaine du vieux Tustine pèse sur toute la famille ; il refuse d’accepter la jeune femme pour bru sous prétexte qu’elle porte la souillure de la ville, de la main il balaie avec dégoût son chapeau posé sur la Bible. La présence de la city girl est aussi incongrue à la ferme que celle de Lem à Chicago. La société patriarcale condamne aussi Kate à reprendre la place qu'elle a quittée par amour et par désir de liberté. Son statut d'épouse lui est renié, et cependant on exige qu'elle exerce la fonction traditionnelle des femmes, la vouant à préparer la cuisine, à assurer le service, la lessive, à recoudre les vêtements des siens, comme le fait sa belle-mère. Coupable d'avoir évacué tout travail de ses rêves et de nouveau soumise au harcèlement des hommes, les moissonneurs effrontés ayant remplacé les consommateurs sarcastiques, elle devra les servir comme au Johnson Place. Le décor a changé, mais sa vie reste la même, morne et répétitive. Le traitement si particulier et impressionnant de l’éclairage dans la deuxième partie ne dit pas autre chose : à ciel ouvert ou fermé, la lumière et l'espace expriment une même oppression. L’Éden promis se transforme en enfer dans un monde pastoral cruel et antipathique, devenu perspective trompeuse. Kate, en outre, est toujours aussi seule. Pour ne pas affronter son père, Lem a déserté et est devenu anonyme au milieu des travailleurs, invisible en plein champ. Les corps des nouveaux époux n'auront été unis que le temps du retour, dans le sommeil du train. Leur "lune de miel" s'effectue chambre à part. Le mari est cantonné au dortoir commun de l'étage, où couchent ses rivaux grivois, tandis que Mac (en petit Marlon Brando) se croit autorisé à proposer à la nouvelle épouse, insatisfaite et sensuelle, une autre vie. Pour s'affirmer, commencer à pouvoir prétendre constituer un ménage, il faudra que Lem casse la figure de son rival et contredise son propre père. C'est bien à la naissance d'un homme que l'on assiste, à l'approche de l'orage et de la grêle. Tel est le vrai sujet de cette romance rurale, ployant sous la tragédie des lois barbares au cœur de la nature, fruit de la tradition des hommes et de leur pouvoir de gouverner : comment une femme insoumise accouche de son mari. Ce qui fait de City Girl le film le plus féministe de Murnau. Après Le Dernier des Hommes, la première des femmes.


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Thaddeus
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par Thaddeus »

Et mon récap', tant qui j'y suis.

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Nosferatu le vampire
Une forêt déserte, la voile d’un navire cinglant vers le large, des chevaux frémissant nerveusement dans des prairies montagneuses au son d’une hyène hurlante… C’est par ces visions suggestives, en puisant dans le tuf même du monde extérieur, que Murnau engendre l’effroi. Loin de la peur de pacotille, cette symphonie de la terreur, comme elle est fameusement appelée, investit l’image du pouvoir d’épouvanter non grâce aux artifices scéniques mais par le réalisme de l’indicible, et plonge ses racines dans les nappes les plus profondes de l’inconscient germanique. Les éléments naturels se font messagers funèbres, les décors s’agitent de présences invisibles, et la figure du vampire formalise l’éternelle confrontation romantique du désir et de la pulsion de mort, tapie au cœur de l’homme civilisé. 5/6

Le fantôme
Parce que ce film a été réalisé dans le sillage de Nosferatu, il n’est surprenant d’y retrouver les motifs de la nuit fantasmagorique, de l’être spectral, de la façade fatidique (le palais de l’enchanteresse), de la lumière vacillante dans les ténèbres. Quant au héros, modeste gratte-papier qui tente d’oublier la médiocrité de son existence en se piquant de poésie, il est happé par les tourbillons de son inconscient et manifeste la sujétion de l’homme à ses démons intimes, son inaptitude à concilier libido et moralité, règles sociales et pulsions sauvages. Mais cette histoire d’une folie passionnelle vouée à la terreur aussi sûrement que le crime appelle le châtiment souffre d’un déroulé si conventionnel et accuse tant de longueurs qu’elle souffre de la comparaison avec les autres opus de l’artiste. 3/6

Le dernier des hommes
Le personnage est saoul, la caméra titube. Il est accablé par la détresse, elle déforme les immeubles devant lui. Montage rapide, décor mobile, systématisation du travelling comme fondement esthétique, plongées et contre-plongées apportent à l’image une expressivité telle que Murnau se passe d’intertitres, orchestrant un remarquable jeu de voltes, de reflets et de transparences qui amplifient la vérité intérieure du héros, photographient ses pensées, font partager ses visions, entre rêve ou ivresse. La trajectoire de ce portier dépouillé de son uniforme, de son statut et de sa dignité, devenu monstre miséreux que hait tant le capitalisme qui pourtant l’engendre, dessine la parabole évidente d’une Allemagne humiliée, cherchant à retrouver sa dignité au sortir d’une guerre qui l’a laissé exsangue. 4/6

Faust
Un autre grand jalon de l’expressionnisme allemand. À la manière de Fritz Lang, qui subordonnait tout son langage formel au développement de ses préoccupations thématiques et ne laissait presque aucune place au hasard, Murnau cherche à fondre ses influences picturales dans un microcosme où le savant dosage d’éléments concrets et abstraits et leur articulation plastique, comme par strates superposées, font métaphoriquement venir toute la complexité de l’univers. Les jeux d’ombre et de lumière, la poésie naïve des effets spéciaux, la rapidité du montage et l’instabilité de la caméra témoignent d’une maîtrise technique toujours dévouée à la puissance symbolique du récit. Le cinéaste associe ainsi les êtres, les lieux, les objets en une unité presque mystique, très en phase avec l’idéal romantique. 4/6

L’aurore
Aucun récit, si poétisé soit-il, ne saurait rendre compte de l’envoûtement que dégage ce film proprement magique. Un homme et une femme tourmentés par l’intrusion de la séduction, le désir de meurtre lié à la passion, la confrontation de la ville et de la campagne, séparés par un lac, menace constante de l’eau, symboliquement porteuse de la mort… Murnau touche à la simplicité la plus virginale et la plus biblique, dramatise et transfigure le quotidien pour l’élever au rang de tragédie immémoriale, avec ses personnages mus par des forces obscures, des pulsions élémentaires. Cet enchantement de lumières, d’ombres et de sortilèges brille d’une alchimie qui échappe à l’exégèse, s’accommode de scènes prosaïques, extraites d’un contexte familier, chaleureux, à échelle humaine, pour en exprimer le sublime. 6/6

City girl
Le film commence dans le bourdonnement du milieu urbain et s’achève dans la quiétude rurale des champs de blé, avec l’acceptation tardive, par le fermier bourru, de la serveuse de la ville que son fils a épousée. Évoluant encore vers le dépouillement et l’intimisme, Murnau filme les moissons, les étendues, les ciels et les nuits orageuses du Minnesota comme prises des feux de la passion, point nodal des rapports entre les personnages, sources de rivalités et de rancœurs tissant un contrepoint à l’exaltation de la nature. Plus qu’un trait d’union entre la candeur de L’Aurore et l’appel mystique traversant Tabou, ce superbe mélo préfigure, dans sa miraculeuse congruence, l’infiniment petit de ses épis de blé et l’infiniment grand de son horizon, le classique d’un démiurge texan réalisé cinquante ans plus tard. 5/6

Tabou
C’est la même pureté originelle que Murnau parvient à capter dans les images huileuses et scintillantes de cet envoûtant conte sauvage, dépouillé de tout ornement superflu et déplaçant les vertus documentaires promues par Flaherty sur un champ plus sacré. Il traduit les flux et reflux de l’ombre et de la lumière dans une perfection esthétique et symbolique du jeu des masses, des contrastes sur les corps et les objets, et célèbre les forces élémentaires de la nature en contre-point romantique aux espoirs que laisse percevoir la civilisation. L’extase au paradis, puis sa perte : telles sont les deux étapes d’une histoire qui peut se lire comme une émanation quasi mythologique de l’inconscient de l’Occident, et dont la poétisation panthéiste a sans doute, là encore, profondément influencé Malick. 5/6


Mon top :

1. L’aurore (1927)
2. City girl (1930)
3. Tabou (1931)
4. Nosferatu le vampire (1922)
5. Le dernier des hommes (1924)

Il est probablement, avec Eisenstein et Chaplin, le plus grand cinéaste muet, celui qui a porté cet art des origines à un degré d’épanouissement plastique et poétique totalement inédit. Ses œuvres forment de toute évidence une source d’inspiration majeure pour des générations d’artistes qui lui ont succédé.
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Supfiction
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par Supfiction »

Pour moi, City Girl est le véritable chef-d’œuvre car il va au delà du brio de la mise en scène. Le trait est plus fin et nuancé, délivré de tout manichéisme.
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