(en italiques : films découverts en salle à leur sortie)
J’ai tué ma mère
Autoportrait ou autofiction ? Avec ce premier long-métrage drôle et cruel, truculent et culotté, Dolan acteur exprime des opacités de petit Léaud tandis que Dolan réalisateur affirme des audaces de jeune Truffaut. Désamorçant en permanence ses afféteries de film-gadget, il ne cesse de reprendre différemment le fil du tête-à-tête/face-à-face/dos-à-dos entre le fils et sa mère. Leurs rapports passent par toutes les couleurs de l’amour, de la haine et de la phobie, carburant d’un récit initiatique n’oubliant pas de sourire de lui-même. Et le film, plein de brusques embardées, de plages ouvertes, d’instants suspendus et rêveurs, ménage des agencements de crise et des déflations qui parviennent à rattraper la trajectoire des personnages, comme un acrobate son trapèze alors qu’il semblait avoir tout lâché.
4/6
Les amours imaginaires
Ralentis sur des robes chatoyantes à la Wong Kar-wai, jeux de lumière et de décadrage à la Godard, passages en boucle de ritournelles tonitruantes, à mi-chemin entre artifices de séduction et démonstration poseuse. Avec ce patchwork délibérément clinquant, Dolan use de la même ardeur désespérée à accrocher le regard et à provoquer l’assentiment que ses deux jeunes héros, alliés et rivaux dans la conquête d’un cruel éphèbe. Il rejoue les gammes de
Jules et Jim sur le registre de l’aveuglement imaginaire, étudiant la vanité de comportements qui tiennent autant du narcissisme inconscient que de la détresse désirée. Et il y met beaucoup d’ironie, une bonne dose d’autodérision, et au-delà des afféteries décoratives un véritable flair pour dénicher le caractère obsessionnel des sentiments.
4/6
Laurence anyways
Ici encore, la débauche d'affectations, de fioritures et de coquetteries peut agacer. Mais il faut bien convenir d’une chose : le jeune cinéaste a des choses à dire, du talent pour les exprimer, et se donne les moyens de le faire. En l'occurrence, cent soixante minutes d'un film-fleuve, l’énergie d’un déluge sonore et visuel, l’ampleur d’une relation amoureuse au long cours, étalées sur dix ans, chargée de suffisamment d'élans romanesques, de vie en fusion et d'amertume pour emporter une franche adhésion. Il y a du gras, des choses qui ne fonctionnent pas, quelques excès de zèle, mais surtout une sincérité désarmante dans ce portrait d'un couple qui tangue et vacille sous l'impact d'une déflagration inattendue. Et en prime, la découverte d'une actrice superbe et flamboyante : Suzanne Clément.
5/6
Tom à la ferme
Comme pour se prémunir de l’auto-complaisance, Dolan fuit le trop-plein de ses films précédents et choisit de traiter ce thriller psychologique dans une forme plutôt dépouillée, sans chercher à paraître plus malin que ses intentions. En résulte un
survival chez les bouseux bien fichu, un huis-clos au milieu des champs de blé qui développe une habile mécanique de suspense en eaux troubles et s’y abandonne sans superflu ni faux-fuyant. Derrière l’histoire d’un jeune blondinet sadisé par un prédateur viril et inquiétant et l’ambigüité de leur jeu de fascination/répulsion, l’auteur file la métaphore de l’homophobie et du deuil impossible en jouant avec un éventail gratiné de perversions vénéneuses. Mais curieusement, l’ensemble est presque trop timoré et prévisible pour tenir complètement en haleine.
4/6
Mommy
À chaque nouveau film de Dolan on ramène la question du passage de maturité. Légitime mais agaçant. La vérité c’est qu’il n’a toujours pas franchi ce pallier, et que sa frénésie gargantuesque, son appétit intarissable et hypersensible de filmer, malgré ses grumeaux (ici tel prévisible montage en musique, là telle complaisance pop), témoignent d’une fraîcheur obstinée qui lui va à merveille. En faisant flamber toute la générosité vitaliste de son cinéma, en mordant comme un ogre dans un tissu romanesque jamais repu, en offrant des rôles superbes à deux actrices qui ne le sont pas moins, il fait souffler sur son mélo cyclothymique et démesurément sentimental de fougueuses rafales de détresse, d’énergie et de cruauté, de drôlerie et d’impuissance, de déséquilibre et de tours de force. Un tel tempérament est rare.
5/6
Top 10 Année 2014
Juste la fin du monde
Où l’auteur, en excès de confiance manifeste, fait involontairement glisser l’apocalypse familiale vers le freak show outrancier. Dans ce pénible festival de rancœurs et d’incompréhensions, huis-clos artificiel asséché de toute émotion où vocifèrent une poignée de pantins grotesques, il semble considérer la crédibilité des caractères et des situations comme un paramètre négligeable. Entre la mère immature, la sœur envappée et le connard-sociopathe de grand frère (ascendant fou furieux), les acteurs se dépatouillent comme ils peuvent avec un texte étouffant, impuissants à éviter le naufrage vaguement contrôlé auxquels mènent l’hystérie généralisée et la vulgarité de la mise en scène, deux flash-black neuneus sur soupe musicale venant parachever l’embarras. C’est ce qu’on appelle une belle sortie de piste.
2/6
Mon top :
1.
Mommy (2014)
2.
Laurence anyways (2012)
3.
J’ai tué ma mère (2009)
4.
Les amours imaginaires (2010)
5.
Tom à la ferme (2013)
Mini-phénomène et nouvelle petite star consacrée de la critique et de la cinéphilie tendance (à tort ou à raison, on en reparlera plus tard), le jeune québequois est un réalisateur qu’il ne faut pas négliger. Car si les manifestations de son talent peuvent paraître un brin démonstratives, il n’existe pas beaucoup, parmi les découvertes de ces dernières années, de personnalités aussi fraîches, enthousiastes et séduisantes que lui.