Les nains aussi ont commencé petit (1970).
Un pensionnat quelque part dans une contrée aride qu'on imagine sans mal le Mexique. Profitant de la sortie du directeur en ville, les pensionnaires, tous des nains, en profitent pour semer la discorde à travers une série d'actes aussi absurdes qu'étranges et parfois cruels...
"Une certaine chaleur se dégage de la convocation de ces moments vécus ensemble. C'est seulement parce qu'il y a cette chaleur que le rire est possible. Si c'était un film froid, réalisé de manière chirurgicale, vous ne ririez pas. Même un film comme Rescue Dawn est drôle : les gens rient beaucoup. C'est merveilleux de voir ça. The wild blue wonder est une pure comédie. Même Les nains ont commencé petits (1970) peut faire rire".
Werner Herzog : Manuel de survie, entretien avec Hervé Aubron et Emmanuel Burdeau, éditions Capricci, p.43.
Herzog a raison d'être un brin circonspect avec ce film car il n'est pas vraiment drôle. Ou alors s'agit-il du rire du désespoir. Film malade confirmé par son auteur himself (cf
la chronique de Classik), étrange, peu aimable,
Les nains aussi ont commencé petit ne fait que chercher à désarçonner son spectateur tout le long, à la fois dans la mise en scène d'Herzog qui accumule plans courts et parfois étirés inutilement en recherchant toute dramaturgie. En résulte un film qui ne va aucunement dans une direction donnée si ce n'est la folie même de ses personnages tournée envers le monde extérieur quand ce n'est pas eux-même (la cruelle scène où l'on enferme Hombre avec un nain de sexe féminin dans une chambre en leur disant qu'il est temps de les marier. La scène tourne à l'absurde quand le dit Hombre ne peut même pas monter sur le lit pour rejoindre "sa promise" et que finalement ils s'en tiennent à lire des magasines cochons trouvés là). Mais le monde extérieur et la nature ne sont-ils pas eux-même un peu cinglés ?
Il faut voir ces nains plongés dans un monde trop grand pour eux et où les poignées de portes ne peuvent s'atteindre que sur la pointe des pieds quand elles ne vous restent pas dans les mains. Il faut voir ces poulets et coqs qui s'attaquent à celui d'entre eux qui est estropié (à l'image des nains --enfants ?-- aveugles que les autres nains vont volontairement attaquer quand le temps des moqueries sera fini), quand ils ne bouffent carrément pas son corps quand il est mort. Ou cette poule qui, ayant trouvé un cadavre de musaraigne, entreprend de le déchiqueter pour le manger. Comme si le dérèglement dont les nains sont victimes consentantes (en temps qu'exutoire nécessaire) se propageait dans toutes choses alentour.
Il y a pourtant des accalmies mais elles sont trompeuses. Quand une voiture se perd pour arriver dans ce lieu et que la conductrice en sort, c'est une naine comme les autres qui vient chercher son chemin. Mais la parenthèse n'apporte rien et si le chef du personnel cloîtré fait des signes sur le toit, il est royalement ignoré aussi bien par les pensionnaires que la conductrice. Cela semble même presque normal pour la naine qui s'est perdue que pas un instant elle ne vient à poser de question sur l'individu qui hurle au loin. C'est cette banalisation du mal qui permet au film de rester inquiet, anxieux, hors des chemins battus. A un autre moment, nos nains trouvent une voiture mais plutôt que de s'échapper, il la font rouler sans fin en cercle une bonne partie du film.
Une action sans but et répétitive qui ramène à la fonction de machine. Tout comme le cercle est une figure parfaite (et adoptée de maintes fois dans sa mise en scène par Herzog --l'ouverture est un panorama circulaire. Et quand Herzog filme les nains "jouant" avec la voiture, la caméra adopte un mouvement qui va dans le même sens --en rond donc-- que le véhicule) de l'enfermement comme cela a déjà été écrit (cf chro' Classik), c'est aussi une figure tout bonnement inhumaine car trop parfaite. L'être humain ne peut tracer de cercle parfait, la machine oui. Or ici l'absurde finit parfois par transformer les êtres en machines. Tel ces nains aveugles (et très proches du design des bébés de la
birth machine que Giger peint en 1967, bébés abstraits, eux-même placés à l'intérieur d'un environnement absurde et fou) qui battent l'air et continue de mouliner de leurs batons le vide alors que toute menace est finie depuis un moment. Plus loin, ces mêmes nains s'envoient des balles qui viennent ricocher sur des vases de fer. Repérage grâce au son et plaisir du métal qui résonne, interrompu par nos nains ravageurs une fois de plus.
Car il faut sortir de cet état répétitif, il faut casser les choses, la/les machines, pour repartir de zéro. Tomber deux fois de la moto (le nain nommé territory au début, puis Hombre plus loin), user une voiture pendant une journée entière avant de la balancer dans un trou béant, faire tomber des fils électriques. Quitte à casser les animaux et même le spectateur ?
Birth machine (Giger), version métallique.
C'est donc un film difficile (Je rejoins d'ailleurs Julien et Federico dans leurs avis plus bas) dans la filmographie de son auteur mais que le fan du cinéaste regardera afin d'avancer dans l'immense périple du cinéma Herzogien qui lui réserve encore heureusement moults surprises...