Amarcord a écrit :Félicie (Conte d'hiver) essaie d'analyser ses sentiments (qui ne le fait pas, d'ailleurs, chez Rohmer ?) mais n'en est pas vraiment capable ; elle peine à trouver les mots justes : sa mère la reprend, Maxence ne la contredit pas quand elle lui dit "tu sais bien comment je mets un mot pour un autre !", et elle va même jusqu'à se tromper dans sa propre adresse, faisant la confusion entre Levallois et Courbevoie (confusion/quiproquo qui sera d'ailleurs le point déterminant de ce que sera la destinée de Félicie).
Jeanne, au contraire, sait parfaitement quels mots utiliser (elle en remontre à la jeune Natacha, qui ignore par exemple ce qu'est "l'anneau de Gygès").
Alors bien sûr, là où toutes deux se rejoignent, c'est dans ce besoin (là encore, terriblement rohmérien !) d'analyser ses sentiments, ses raisonnements, ses mouvements du cœur... Mais il y a entre elles toute la distance rhétorique (et théorique, bien sûr !) qui sépare une coiffeuse d'une prof de philo (c'est quelque peu cruel, j'en conviens, mais ça doit nous rappeler à quel point le cinéma de Rohmer est aussi un cinéma subtilement social).
Félicie dans Conte d'Hiver ne possède pas les références philosophiques de Jeanne évidemment. Et plusieurs fois dans le film, effectivement, elle s'excuse de ses confusions et est reprise par sa mère. Mais en réalité, elle est parfaitement capable de raisonner à voix haute et de justifier ses choix par la rhétorique. Elle ne cesse de le faire à chaque scène (c'est pour cela que je parlais de "femmes de lettre" y compris pour Félicie, même si le terme n'était sans doute pas heureux pour elle). Plus encore : Félicie parle en fait très bien quand elle décrit ses choix (mieux qu'elle ne le croit) et trouve les mots et le raisonnement justes puisque les faits lui donnent raison ! Le père disparu revient. Tous les raisonnements qu'elle a échaffaudés aussi absurdes qu'ils aient paru à son entourage étaient donc en fait justes. C'est son entourage qui avait tort. Il ne faut donc pas se laisser leurrer par le fait qu'elle n'est que "coiffeuse". Si je n'ai pas beaucoup aimé ce film, c'est parce que le personnage de Félicie a fini par m'énerver à force. On voit venir la fin très vite et le seul suspense est de savoir quand l'aimé disparu, le père, reviendra. Et j'ai trouvé l'interprète bien moins séduisante qu'Anne Teyssèdre dans Conte de Printemps.
A l'inverse, tout le bagage philosophique de Jeanne dans Conte de Printemps ne l'empêche pas d'avoir des difficultés à agir en conformité avec ses véritables pensées et sentiments. Ses actions contredisent souvent ce qu'elle dit à voix haute. En réalité, elle n'a pas beaucoup de certitudes et semble vouloir se marier comme pour se protéger de la vie, pour mettre un terme à l'instabilité de ses actes et de ses véritables pensées. Elle a beau être prof de philo, elle est moins cohérente, moins sûre d'elle-même dans la vie, que la "coiffeuse" Félicie qui vit sa vie envers et contre tous. Jeanne se laisse même manipuler par une fille de 16 ans. Et quand Jeanne dit au père de Natacha qu'elle l'a laissé l'embrasser en référence aux "trois voeux", on voit bien qu'elle cherche a posteriori, mais sans nous convaincre, à justifier son comportement par une référence littéraire, une de plus.
Entre les deux films, c'est le charme de l'interprète féminin qui fait la différence pour moi, comme d'habitude dans un film de Rohmer. Peut-être aussi que les personnages bardés de certitudes, comme Félicie, m'ennuient un peu.
Sinon, je ne trouve rien de "social" dans le cinéma de Rohmer. Au contraire, il n'a rien de réaliste, tout le monde parle de la même façon, comme Rohmer lui-même.

C'est le cinéma d'un moraliste, vieille tradition littéraire française, qui se soucie peu du social à mon avis.
Amarcord a écrit :Justement non, il ne "fait (pas) dire" : née en 1964, Anne-Laure Meury (puisque c'est d'elle qu'il s'agit) a 15-16 ans au moment du tournage.
Il lui fait quand meme dire "j'ai 15 ans" dans le film. Mais je suis étonné de son âge véritable - elle fait beaucoup plus.
Roy a écrit :Tu fais bien de le préciser. Je crois que mon désintérêt quasi général pour le cinéma de Rohmer provient aussi - en dehors de sa mise en scène que je trouve pauvre et rebutante dans les années 70 et 80 (sauf exceptions) - de la faiblesse de caractérisation des personnages masculins. Avec ceux qu'incarnaient Trintignant et Brialy, ça passait déjà beaucoup mieux pour moi. D'ailleurs Pascal Greggory (que le cinéaste a découvert), qui est un acteur que j'apprécie normalement, m'est vraiment insupportable chez Rohmer.
Effectivement, il ne faut pas regarder Rohmer pour le charisme de ses personnages masculins et l'inventivité de sa mise en scène.

Enfin, je préfère quand même son découpage, qui illustre efficacement ses suspenses moraux et sentimentaux, à la caméra à l'épaule tremblotante de trop de films français aujourd'hui.