Peter Weir

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Demi-Lune
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Re: Peter Weir

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La dernière vague (1977)

Intéressant à défaut d'être totalement convaincant, même si le film me titille plus que je ne l'aurais cru à l'issue du visionnage.
Ça commence très bien avec ces dérèglements météorologiques en ouverture, qui définissent de suite une ambiance bizarre. On retrouve le Weir de Pique-nique à Hanging Rock avec cette mise en images sensitive qui flirte avec le fantastique. Néanmoins, je trouve que le cinéaste se montre rapidement assez mal à l'aise avec les scènes de dialogue, souvent plombantes lorsqu'elles ne font pas intervenir les Aborigènes. En outre son film ne retrouve pas vraiment la force d'évocation de l'ouverture lors des passages plus visuels des cauchemars (d'ailleurs invariablement accompagnés d'un oooooouuiiiiin, oooouuuiiiiiin couineur bien relou). Dès lors que le film devient plus explicite, la mise en scène commence à accuser de sérieuses faiblesses et prend un coup de vieux (la tempête dans la maison de Chamberlain, le face-à-face incompréhensible dans la grotte ou ce stock-shot foireux de surf qui donne à la fin son titre au film). C'est vraiment lorsque Weir est dans la suggestion qu'il est le meilleur.
L'ambiance reste lourde et prégnante grâce au mystère entretenu, mais La dernière vague frustre car contrairement à Hanging Rock, c'est un film qui en dit à la fois beaucoup et pas assez. Les notions centrales de la culture aborigène du temps des rêves ou du Moulcouroul (je ne sais pas comment ça s'orthographie) restent très opaques. Cela assure à rebours au film son goût de reviens-y, grâce notamment à toutes ces zones d'ombre (les photos de l'arrière-grand-père, l'identité de la momie - rien compris à ce truc), mais Weir a un peu le cul entre deux chaises et cela donne un film inabouti malgré une très bonne histoire.
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G.T.O
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Re: Peter Weir

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Demi-Lune a écrit :
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La dernière vague (1977)

Intéressant à défaut d'être totalement convaincant, même si le film me titille plus que je ne l'aurais cru à l'issue du visionnage.
Ça commence très bien avec ces dérèglements météorologiques en ouverture, qui définissent de suite une ambiance bizarre. On retrouve le Weir de Pique-nique à Hanging Rock avec cette mise en images sensitive qui flirte avec le fantastique. Néanmoins, je trouve que le cinéaste se montre rapidement assez mal à l'aise avec les scènes de dialogue, souvent plombantes lorsqu'elles ne font pas intervenir les Aborigènes. En outre son film ne retrouve pas vraiment la force d'évocation de l'ouverture lors des passages plus visuels des cauchemars (d'ailleurs invariablement accompagnés d'un oooooouuiiiiin, oooouuuiiiiiin couineur bien relou). Dès lors que le film devient plus explicite, la mise en scène commence à accuser de sérieuses faiblesses et prend un coup de vieux (la tempête dans la maison de Chamberlain, le face-à-face incompréhensible dans la grotte ou ce stock-shot foireux de surf qui donne à la fin son titre au film). C'est vraiment lorsque Weir est dans la suggestion qu'il est le meilleur.
L'ambiance reste lourde et prégnante grâce au mystère entretenu, mais La dernière vague frustre car contrairement à Hanging Rock, c'est un film qui en dit à la fois beaucoup et pas assez. Les notions centrales de la culture aborigène du temps des rêves ou du Moulcouroul (je ne sais pas comment ça s'orthographie) restent très opaques. Cela assure à rebours au film son goût de reviens-y, grâce notamment à toutes ces zones d'ombre (les photos de l'arrière-grand-père, l'identité de la momie - rien compris à ce truc), mais Weir a un peu le cul entre deux chaises et cela donne un film à mon sens inabouti malgré une très bonne histoire.
Je ne comprends en quoi La dernière Vague est atteint du syndrome du verre à demi-plein à demi-vide. Je ne pense pas qu'il faille nécessairement le comparer, dans son approche du fantastique, à Picnic. Ce sont deux films très différents. Picnic à Hanging Rock est plus allégorique que ne l'est La dernière vague qui est un véritable récit apocalyptique, presque frontal dans sa lecture de la mythologie aborigène.Le temps des rêves est un temps prédictif, qui annonce des choses. Certains êtres sont élus pour les recevoir et les propager aux autres. C'est le rôle du sorcier, même issu d'une culture éloignée de la culture aborigène. L'idée implicite est de dire qu'il y a, malgré l'éloignement culturel et le degré de civilisation d'une culture donnée, une continuité et une persistance du primitif; lequel est un mode de connaissance auquel le rêve donne accès. C'est une idée assez proche de celle qui anime le premier film de Mc Tiernan, Nomads.
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Père Jules
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Message par Père Jules »

Assez d'accord avec GTO pour ce film que j'avais trouvé d'une grande force mentale et visuelle. T'es sévère Demi !
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Demi-Lune
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G.T.O a écrit :Picnic à Hanging Rock est plus allégorique que ne l'est La dernière vague qui est un véritable récit apocalyptique, presque frontal dans sa lecture de la mythologie aborigène.
Nous sommes bien d'accord. Sauf que moi, ça a tendance à me laisser sur ma faim.
Le film oscille entre une suggestion vraiment intrigante et un symbolisme plus ou moins démonstratif.
Du coup ce traitement me paraît boiteux, avec un Weir moins à l'aise lorsqu'il s'agit d'expliciter les choses et de se confronter directement au fantastique. La préservation totale du mystère dans Hanging Rock est une approche qui me fascine beaucoup plus. C'est peut-être con mais chez moi c'est de la "bonne" frustration, qui travaille l'imaginaire, et pas une frustration liée pour La dernière vague à un traitement bancal.
On pense de toute façon forcément un peu à son précédent film pour l'aspect énigme et la manière dont les éléments naturels jouent un rôle central, s'imposent comme une force supérieure et semblent adresser un message aux hommes. On peut voir dans La dernière vague un prolongement plus explicite des enjeux civilisation/Nature de Hanging Rock avec la culture aborigène, ingérée par la modernité mais ayant su conserver sa fameuse Loi et ses pouvoirs immémoriaux. Et puis si on voulait pousser vraiment le bouchon, ce "ventre" de la Terre qui contient le secret des Aborigènes, ça entretient un écho en creux avec ce piton rocheux qui avalait et recrachait inexplicablement des filles dans Hanging Rock et qu'il ne faut pas plus violer. Bon ça c'est capillotracté, je l'accorde. :mrgreen:
Spoiler (cliquez pour afficher)
Question : qu'est-ce que c'est que cette momie entreposée dans la caverne aux fresques ? Est-ce l'aïeul de Chamberlain, celui qui intriguait tant le shaman dans l'album photo et qui posait devant l'entrée du temple ? Pourquoi dans ce cas ce moulage de visage qui est celui de Chamberlain ? Simple ressemblance familiale ?
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Re: Peter Weir

Message par G.T.O »

Demi-Lune a écrit :
Spoiler (cliquez pour afficher)
Question : qu'est-ce que c'est que cette momie entreposée dans la caverne aux fresques ? Est-ce l'aïeul de Chamberlain, celui qui intriguait tant le shaman dans l'album photo et qui posait devant l'entrée du temple ? Pourquoi dans ce cas ce moulage de visage qui est celui de Chamberlain ? Simple ressemblance familiale ?
Non, je ne crois pas que la "momie" soit l'aïeul de Chamberlain ni que le moulage lui ressemble. D'ailleurs, à bien y réfléchir, je n'ai pas le souvenir d'une quelconque momie mais plutôt, d'un lieu de culte funéraire, dédié au sorcier, avec des statues et des peinture murales. Et, ce sorcier peut être issu, soit du peuple aborigène, soit être un étranger. Dans ce dernier cas, les aborigènes le nomment : Moulkouloul ( pas sur, non plus, de l'orthographe :mrgreen: ). C'est moins un type en particulier, qu'une fonction sociétale : celui du sorcier étranger.
Chamberlain prend progressivement conscience qu'il est Moulkouloul, ce "sorcier blanc" qui, selon la mythologie aborigène, a la capacité de prévoir le futur. C'est un être d'exception, une sorte de prophète annoncé qui peut apparaitre n'importe où; y compris dans une culture étrangère. Et, le plus surprenant, c'est que les motifs muraux que Gulpilil identifie sur la photo où l'aïeul de Chamberlain apparait, ont l'air d'être les mêmes que ceux existant dans la culture aborigène. Donc, non seulement le sorcier peut être un étranger mais aussi apparaitre dans un contexte moderne.
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Intéressant, merci. :wink:
Par contre - le mec relou -, il y a bel et bien un squelette entreposé dans la caverne, effectivement entouré de talismans et surtout d'un moulage de visage sur lequel la mise en scène insiste quand même vachement (Chamberlain qui s'en saisit au ralenti et le contemple éberlué - on ne voit que le profil du masque mais je trouve qu'il y a une ressemblance sous certaines ombres).
Alors, c'est peut-être une modélisation aborigène et prophétique du futur Moulkouroul qui prendra les traits de Chamberlain, sans rapport avec l'aïeul pris en photo devant une porte de temple similaire. Quand même bizarre, ce truc des photos de famille.

D'ailleurs, remarque au passage, les fresques et les bas-reliefs dans cette caverne m'évoquent plus l'art précolombien que l'art aborigène, ce qui est intéressant si on se souvient que les racines de la famille de Chamberlain ("quel est le territoire de votre clan ?"), comme il le dit lui-même, sont en Amérique du Sud. Et le truc du calendrier, ça fait du coup vachement penser à celui des Mayas.
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Message par G.T.O »

Demi-Lune a écrit :Intéressant, merci. :wink:
Par contre - le mec relou -, il y a bel et bien un squelette entreposé dans la caverne, effectivement entouré de talismans et surtout d'un moulage de visage sur lequel la mise en scène insiste quand même vachement (Chamberlain qui s'en saisit au ralenti et le contemple éberlué - on ne voit que le profil du masque mais je trouve qu'il y a une ressemblance sous certaines ombres).
Alors, c'est peut-être une modélisation aborigène et prophétique du futur Moulkouroul qui prendra les traits de Chamberlain, sans rapport avec l'aïeul pris en photo devant une porte de temple similaire. Quand même bizarre, ce truc des photos de famille.
Il y a effectivement une vague similitude entre la forme du moulage et le visage de Chamberlain.
L'autre hypothèse auquelle je crois davantage est que ce masque symbolise l'étranger, en général. Je le vois davantage comme une représentation d'un archétype. L'archétype du blanc, de l'étranger. Après, le ralenti est là pour souligner la prise de conscience de Chamberlain à tenir ce rôle de sorcier qui, dépositaire d'un savoir funeste sur la fin du monde, est dans l'incapacité de le communiquer rationnellement à d'autres. Car, les barrières culturelles sont trop importantes pour que l'on croit et accepte un type qui a des visions. Je ne fais pas de dessin : tu sais comment on appelle un type qui prétend avoir des visions. Donc, il y a quand même tout un truc lié à ce don, dont le personnage de Chamberlain hérite et prend acte, qui est, presque, de l'ordre de la malédiction. Pas une malédiction en tant que telle mais liée au fait qu'il ne puisse pas convaincre autrui. Les rêves sont chargés pour les aborigènes d'une signification et d'une fonction qu'un occidental a du mal saisir. C'est à ce mur auquel se heurte, aussi, le héros.

Demi-Lune a écrit : D'ailleurs, remarque au passage, les fresques et les bas-reliefs dans cette caverne m'évoquent plus l'art précolombien que l'art aborigène, ce qui est intéressant si on se souvient que les racines de la famille de Chamberlain ("quel est le territoire de votre clan ?"), comme il le dit lui-même, sont en Amérique du Sud.
Oui, c'est ça, il y a conservation d'un bout de culture étrangère. Cela laisse entendre que la culture aborigène a rencontré d'autres hommes, des "étrangers" venu d'un autre continent, bien avant d'avoir été colonisé. Dans ce sens, le film possède une dimension politique : la culture aborigène, contrairement à ce que l'on pense, n'est pas une culture ayant peu évoluée, isolée, replié sur elle-même sans avoir connu le moindre contact, avant le "colonisateur", avec l'étranger ... Ce que le film suggère est qu'elle a, au contraire, connu, et même, sans doute, rencontré des étrangers ( sous quelle forme, après, mystère...) dont elle a conservé des traces, vestiges. La preuve étant qu'elle a assimilé et rendu hommage dans sa mythologie à cette figure étrangère, et en même temps si proche d'elle : le sorcier blanc, Moulkouloul. La Dernière Vague, si on voulait le politiser, ce serait un peu l'histoire de l'arroseur arrosé : c'est-à-dire, l'histoire tragique d'un type enfermé dans des préjugés ethnocentriques qui se rend compte qu'il sait que la fin du monde arrive mais qui ne peut pas le communiquer à autrui, parce que la culture auquel il appartient ne peut pas le comprendre en raison même de ces préjugés. Car, pour cette culture le rêve et les visions ne sont rien d'autre que des vues de l'esprit, nullement une partie de la réalité.
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Bogus
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Re: Peter Weir

Message par Bogus »

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The Mosquito Coast (1986)
Revu et d'avantage apprécié que lors de sa découverte ce film très inconfortable.
La première fois que je l'ai vu j'avais été particulièrement décontenancé. En effet le résumé de mon programme tv annonçant un inventeur qui part vivre dans la jungle avec sa famille, je m'attendais à un divertissement familial! La tournure prise par les évènements m'avait alors mis très mal à l'aise.

Plus qu'une sorte de Géo Trouvetou idéaliste et borné, le personnage d'Harrison Ford (exaspérant, flippant) c'est ce type aigri, qui ne veut pas voir son propre échec et qui est en colère contre tout et tout le monde.
Dès le départ on sait que toute cette entreprise n'est qu'une chimère.
Pourtant dans un premier temps l'utopie semble fonctionner mais on ne peut s'empêcher de souffrir en silence avec cette famille (la caméra qui s'attarde ici sur un regard, là un soupir, des petites phrases qui laissent apparaître des fissures dans cet union de façade) qui subit en permanence l'obstination de ce père égoïste.
Lorsque tout s'écroule la douce folie laisse place à la quasi démence et le film vient chercher en nous des émotions très sombres.

Peter Weir signe un film sombre et métaphorique tout en restant divertissant (cette micro société à la Robinson Crusoe, le frigo géant dans la jungle, les soubresauts d'une romance teenage...) mais cette histoire manque de souffle ou de rythme, un je ne sais quoi d'émotion en plus qui aurait rendu l'ensemble encore meilleur.
Dernière modification par Bogus le 8 déc. 16, 21:10, modifié 1 fois.
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Thaddeus
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Re: Peter Weir

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(en italiques : films découverts en salle à leur sortie)

Les voitures qui ont mangé Paris
Entre le récent Duel et l’imminent Mad Max, le premier film de Weir s’appuie sur le culte de la voiture et développe un univers insolite, à mi-chemin de l’absurde, de l’effroi et de la provocation. Si la description d’un village aux mœurs dégénérées campe de façon cohérente cette petite société (l’économie fondée sur le troc des dépouilles automobiles, la vie politique ramenée à la préservation de l’isolement, la mentalité des habitants qui implique le refoulement de toute culpabilité), la narration s’avère incertaine et hybride. Tantôt elle développe la cure d’une phobie médiocrement représentée, tantôt elle se rattache à la tradition kafkaïenne de l’homme confronté à un monde dont il ne détient pas la clé. Mais bien qu’assez boiteux , ce coup d’essai indique quelques belles directions pour la filmographie à venir. 3/6

Pique-nique à Hanging Rock
Au cœur du bush australien, un mont volcanique millénaire s’élève comme une porte ouverte sur l’infra-sensible, faisant ressentir, sous le regard d’une faune complice et tels des émanations d’outremonde, le murmure de la terre, les chuchotements de la roche, la caresse du vent. Répondant à ses insidieuses tentations, trois nymphes angéliques sont littéralement absorbées par la nature. De cette poétique de la dissolution, Weir tire un film apollinien, sensuel, alangui dans une torpeur hypnotique, dont la suavité et la beauté iridescentes ne se défont jamais d’une angoisse diffuse. Envoûtement total : ce songe entêtant brode autour de la douceur sororale, de la grâce éthérée de ses fragments de paradis, de l’abolition des repères rationnels, une fascinante trajectoire initiatique. C’est assez sublime, et ça frise la note maximale. 5/6
Top 10 Année 1975

La dernière vague
Le changement d’époque et de cadre n’altère pas le goût du réalisateur pour le fantastique suggestif, l’inquiétude irrationnelle, l’énigmatique ambigüité : au-dessus de la raison, de l’ordre, de la loi physique et de l’apparence policée du monde subsisterait un domaine confus et bizarre. À Sydney, murs de béton, buildings modernes, matérialisme de la civilisation blanche n’ont pas étouffé la voix secrète de la culture aborigène, ses légendes ancestrales, ses rites de sorcellerie, ses lois tribales qui agissent comme un retour presque géologique de son refoulé. En s’appuyant sur ce conflit, Weir bâtit un film-catastrophe qui tâtonne, ennuie parfois, pâtit d’une faux-rythme étrange mais sans doute nécessaire au climat d’apocalypse en suspens que la dernière partie parvient à créer. Inabouti mais original. 3/6

Gallipoli
L’Australie, en 1915. Le départ pour la guerre change deux naïfs conscrits en hommes ; il leur fait découvrir l’amitié, les différences sociales, la diversité du monde et l’incertitude de leur cause. La trajectoire se fracassera sur les falaises turques des Dardanelles, petit Verdun de la Méditerranée : tandis que le premier tente de sauver son régiment en portant un contre-ordre, le second fait, avant la charge, l’aveu que toute sa préparation ne le menait qu’à sa perte. La force de l’argument vient de ce qu’il expose généreusement la morale qui lie depuis Pindare les exploits guerriers et sportifs en une même gloire, avant d’en montrer la vanité. Avec cette évocation d’une défaite héroïque, Weir livre un réquisitoire sensible contre la grande faucheuse de la jeunesse, et signe un beau film d’inspiration classique. 4/6

L’année de tous les dangers
L’Indonésie convulsive de 1965, où à quelques jours du putsch communiste visant à renverser Sukarno, un gnome mystérieux et idéaliste se plaît à jouer les démiurges. Mabuse de poche à la Graham Greene, petit roi sans royaume prenant en charge le destin d’un Galatée mâle, il est le meilleur atout d’une intrigue où il reste pourtant secondaire. Car pour l’essentiel, le réalisateur s’en remet à un hollywoodianisme propre et carré, filmant aussi prudemment que son héros écrit, quelque part entre Lelouch et Costa-Gavras. De la love-story conventionnelle au happy-end bâclé, du mythe du reporter aventurier au boy-scoutisme un peu fade du récit, tout relève davantage du cliché touristique que du romanesque embrasé. Ce qui, pour un cinéaste d’ordinaire aussi subtil et perspicace que lui, est décevant. 3/6

Witness
Construit autour de la rencontre de deux modes de vie, deux cultures, ce singulier polar trouve un tempo surprenant, en phase avec le quotidien d’une communauté anabaptiste rurale et agraire qui cherche dans le maintien ombrageux des traditions une sérénité porteuse de vertueuses promesses, et où le héros urbain est perçu comme un étranger. De cette opposition entre des mondes inconciliables, Weir tire une subtile réflexion sur le refus du progrès technique et ses conséquences, et habille le suspense inhérent au genre de préoccupations ethnologiques. Laissant dériver l’action pour faire sentir le temps, la substance de la vie, la pluie qui se prépare, l’air autour des personnages et le cosmos qui les englobe, il donne aussi à voir comment l’utopie se dégrade en duplicité au contact de la réalité et de l’urgence. 4/6

Mosquito coast
L’auteur a toujours été préoccupé par le vertige qui saisit l’homme de la civilisation industrielle et consumériste devant le soupçon que fait naître en lui sa démiurgique fuite en avant et la fascination qu’exercent, quand il fait retour sur lui-même, les fondements archaïques de son être. L’histoire de cet aventurier visionnaire, inventaire maniaque et écolo, frère cadet d’Aguirre et de Fitzcarraldo, déconstruit progressivement les excès de l’utopie en même temps que la figure tyrannique du père. Malgré un script exagérément explicatif, elle développe une fable captivante qui pose sans les résoudre les questions fondamentales d’une société effrayée par les effets du progrès technique et menacée par la tentation involutive d’un conservatisme réactionnaire, danger symétrique mais non moins mortifère. 4/6

Le cercle des poètes disparus
Hommage à l’indépendance de l’esprit et à la beauté du mot, qui place judicieusement le temps de son récit entre l’ère McCarthy et la révolte des étudiants, ce beau film aux accents mélodramatiques se grise de poésie, des pensées de Whitman et de Thoreau, sans jamais se draper d’élitisme ou d’intellectualité vieillotte. La libération intérieure que Weir défend ici est tout à la fois un rêve d’irresponsabilité grâce à la fuite et un appel à cultiver ses différences, à construire un bonheur que la soumission à un ordre moral très strict ne saurait plus altérer. Le tact et la sobriété naturels du réalisateur confèrent à l’initiation de ces adolescents un charme tenace, et vivifient la prévisibilité quelque peu didactique de l’éternel combat entre épanouissement individuel et rigorisme social. 4/6

État second
Rien de tel qu’une bonne séance de zyeux dans les yeux avec la mort pour mieux appréhender le sens de la vie. Il est assez rare qu’une grosse production hollywoodienne prenne autant de liberté avec les normes narratives : celle-ci se situe sur un pôle plutôt expérimental, à la limite du kitsch en raison de tendances métaphysiques un peu sulpiciennes. Examinant les répercussions d’une tragédie collective sur les survivants, leurs proches, ceux des victimes, Weir raconte une histoire complexe où ce que l’on ressent prend le pas sur ce que l’on comprend, et creuse à nouveau les thèmes de l’illumination mystique, de l’aveuglement d’un homme écartelé entre deux mondes, de la prise de conscience menant au dépassement de soi. Un film insolite, décousu, imparfait mais toujours inattendu et émouvant. 4/6

The Truman show
Un Dieu tout-puissant allume le soleil comme une lampe de chevet. Sur la grand’place, des habitants-marionnettes attendent figés que la ville s’anime. Le conseil d’un ami sincère se révèle soufflé dans une oreillette. Arrivé au bout de l’océan, une embarcation heurte un mur invisible. Weir se livre à une extraordinaire mise en abyme de la condition humaine à travers le prisme de notre société cathodique, ouvre les vannes d’un questionnement existentiel – sur le rapport au monde, les relations du créateur à sa créature, la liberté et la responsabilité individuelles. Le film fait sourire, émerveille, fascine, bouleverse : la sortie finale nous fait pleurer, spectateurs qui partageons l’émotion du public à l’écran. Avant que la réplique finale ne tombe comme un couperet, relançant le show une nouvelle fois… Vertigineux, inépuisable, absolument génial. 6/6
Top 10 Année 1998

Master and commander
Ligne claire et limpide, souffle exaltant des récits de Melville et Conrad, alternance harmonieuse de séquences spectaculaires et de plages contemplatives : Weir signe l’un des plus beaux films d’aventures de la décennie. Il y joue avec le mythe et le fantastique (l’Acheron envisagé comme vaisseau fantôme), s’égare du côté de chez Darwin lors d’une escapade aux Galapagos (oiseaux multicolores et faune extraterrestre), restitue avec méticulosité le microcosme d’un navire de guerre britannique à l’époque des campagnes napoléoniennes (les enfants galonnés chargés de responsabilités, c’est quelque chose !), charge de non-dits et d’évidence les rapports de respect et d’amitié entre les deux héros – savoir et sensibilité, culture et intelligence. Une superbe odyssée initiatique. 5/6
Top 10 Année 2003


Mon top :

1. The Truman show (1998)
2. Pique-nique à Hanging Rock (1975)
3. Master and commander (2003)
4. Gallipoli (1981)
5. Witness (1985)

Un réalisateur aussi essentiel que discret, dont la productivité relativement parcimonieuse a dévoilé une personnalité passionnante, et qui a pleinement réussi à intégrer et à acclimater ses obsessions premières au système de production hollywoodien. L’individu et son rapport à la communauté, la place de l’être dans le monde, les ambiguïtés sociales et relationnelles, l’angoisse diffuse provoquée par l’existence de réalités invisibles nourrissent cette œuvre singulière, poétique, à la fois exigeante et accessible.
Dernière modification par Thaddeus le 31 janv. 22, 22:15, modifié 7 fois.
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Re: Peter Weir

Message par Demi-Lune »

Thaddeus a écrit :Très envie de découvrir Mosquito Coast et État second ; ce sera bientôt chose faite.
Regarde aussi au passage son dernier film en date : Les chemins de la liberté. Il n'avait pas forcément fait un carton critique à sa sortie, mais au hasard d'une diffusion à la télé, et m'étant préparé à être déçu, j'avais au contraire été happé par ce beau film d'aventures et de survie, éloigné des sentiers battus. Le personnage de Saoirse Ronan reste gravé dans ma mémoire.
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Re: Peter Weir

Message par AtCloseRange »

Demi-Lune a écrit :
Thaddeus a écrit :Très envie de découvrir Mosquito Coast et État second ; ce sera bientôt chose faite.
Regarde aussi au passage son dernier film en date : Les chemins de la liberté. Il n'avait pas forcément fait un carton critique à sa sortie, mais au hasard d'une diffusion à la télé, et m'étant préparé à être déçu, j'avais au contraire été happé par ce beau film d'aventures et de survie, éloigné des sentiers battus. Le personnage de Saoirse Ronan reste gravé dans ma mémoire.
C'est un peu beaucoup emmerdifiant quand même.
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Re: Peter Weir

Message par AtCloseRange »

Quant au Truman Show même si j'aime bien le film, je trouve ça beaucoup plus formaté et moins incarné que toute sa première partie de carrière (jusqu'au Cercle).
C'est d'ailleurs à mes yeux beaucoup plus un film d'Andrew Niccol que de Peter Weir dont je ne reconnais pas vraiment les préoccupations habituelles.
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Re: Peter Weir

Message par patrick desmoulin »

Il me semble qu'à l'origine le scénario d'Andrew Niccol pour Truman Show était beaucoup plus noir mais il a était remanié par la production. C'est vrai que c'est assez frustrant parce que le film avait un bon potentiel. De toute façon, tu sais aussi bien que moi que les bons scénaristes n'intéressent plus tellement les producteurs de cinéma.
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Jeremy Fox
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Re: Peter Weir

Message par Jeremy Fox »

Et comme un bon film c'est avant tout une bonne histoire. Un jour je te raconterais celle du charpentier. Tu la connais peut-être ?
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Re: Peter Weir

Message par Watkinssien »

Jeremy Fox a écrit :Et comme un bon film c'est avant tout une bonne histoire. Un jour je te raconterais celle du charpentier. Tu la connais peut-être ?
Ah comme quoi les reboots, c'est aussi dans les forums de cinéma. :mrgreen:
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