Arthur Penn (1922-2010)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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OM77
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Re: Arthur Penn (1922-2010)

Message par OM77 »

A ne pas manquer ce soir sur Ciné+ Star : Night Moves... :D
certains critiques le considèrent même comme son chef-d'oeuvre, mais de toute façon comment faire un choix entre The Miracle Worker, The Chase, Bonnie..., Little... ou encore Four Friends.
OM77
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Re: Arthur Penn

Message par OM77 »

Nestor Almendros a écrit :LA FUGUE (1975)

J’ai profité de « TCM à la demande » pour revoir ce film que j’avais découvert sur TCM (déjà) au début des années 2000 et qui m’avait alors laissé un souvenir très moyen.

Le visionnage d’hier permet une réévaluation mais l’ensemble garde un aspect fortement bancal. On peut apprécier le style particulier qu’Arthur Penn met en œuvre ici, notamment sur l’étrange impression créée par le montage et qui saute aux yeux dans les premières minutes. Le rythme est soutenu, les scènes ont un équilibre particulier, car raccourcies, coupées plus tôt, avant leur fin « logique ». Les ellipses sont alors plus évidentes, plus brutes.

On s’attache ici davantage à l’ambiance et au personnage principal qu'à une intrigue qui apparaît finalement très accessoire et surtout brouillonne: l’enquête est utilisée comme trame narrative mais, très vite, l’aspect « suspense » se délite. C’est encore plus flagrant dans la toute dernière partie où le film, après des étapes hors du genre, revient brutalement dans les conventions policières (avec de l’action et des séquences « choc » : l’attaque par l’avion). On a un peu l’impression, à ce moment-là, de voir une histoire rattrapée à la dernière minute.

Mais vraisemblablement, l’intérêt était ailleurs et je n’en ai pas saisi toutes les clefs. Reste Hackman, toujours très bon (c’était une période assez qualitative pour lui, niveau richesse des rôles), la toute jeune Melanie Griffith (qui interprète déjà une jeune "dévergondée", comme elle le refera la même années dans LA TOILE D’ARAIGNEE avec Paul Newman) et le charme certain de ces films 70’s où, visiblement, la mode préférait alors se passer de soutiens-gorges et où Hollywood se plaisait à dénoncer ses dérives morales.
Revu également bien des années après, et même avis mitigé.
Totalement d'accord sur cet aspect "bancal" de l'oeuvre. Arthur Penn voulait-il vraiment conclure son film de cette manière...
Dès le début, l'enquête ne sert que de toile de fond, et Penn nous fait entrer petit à petit dans l'intimité de ses personnages afin que nous en découvrions les moindres blessures, les moindres faiblesses... toute l'essence du cinéma d' Arthur Penn en somme.
Et puis ces vingt dernières minutes où tout s'accélère, où il n'y a plus de temps pour l'introspection, où l'on bascule en effet dans les conventions-types du polar "lambda". Scénaristiquement pourquoi pas... Moseby subit continuellement les âpretés de la vie (selon Penn), et se retrouve au final spectateur lui-même du dénouement de l'intrigue, sans qu'il ait pu interagir de quelques façons que ce soit avec les évènements.
Mais pourquoi du point de vue de la mise en scène, ce revirement abrupt qui n'a pour seul effet que de nous faire quitter immédiatement cet état d'empathie qui nous avait gagné au fil des pérégrinations de "notre" personnage principal. Peut-être pour que nous nous retrouvions dans un "état" similaire à celui de Moseby justement.
Pour ma part, une semi-déception tout de même... mais un film qu'il me faudra sans doute revoir dans quelques années, ne serait-ce que pour ressentir de nouveau cette humanité certes désenchantée mais si touchante, qui caractérise le cinéma de ce grand réalisateur.
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Profondo Rosso
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Re: Arthur Penn (1922-2010)

Message par Profondo Rosso »

Le Gaucher (1958)

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Un riche fermier adopte un jeune orphelin, William Bonney, surnommé Billy le Kid. Mais peu de temps après, lors d'une attaque, le fermier est assassiné par quatre hommes. Dès lors, Billy jure de venger son père adoptif et abat deux des malfaiteurs. Son ami, Pat Garrett, tente de le dissuader d'assouvir sa soif de vengeance, mais Billy tient à retrouver les deux autres responsables...

Parmi les plus fameuses visions à l'écran de Billy the Kid, Le Gaucher est le premier film d'Arthur Penn qui exprime d'emblée ici sa singularité et notamment celle qui aura cours dans ses deux autres incursions dans le western avec le picaresque Little Big Man (1970) et l'inclassable et très poussif Missouri Breaks (1976). Pour situer par rapport à d'autres transposition célèbres, on peut situer le ton de The Left Handed Gun entre le côté amusé du Banni (1941) d'Howard Hughes (qui privilégie dans un ton de comédie le côté sale gosse immature du Kid) et le plus crépusculaire Pat Garrett et Billy le Kid (1973) de Sam Peckinpah dont la vision crépusculaire démystifie la légende.

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Le scénario de Gore Vidal fait ainsi de Billy un adolescent immature et psychotique. Sa folie et violence ne semble pouvoir s'apaiser que sous l'aile de pères de substitution mais la tournure des évènements et son caractère imprévisible rendront toute rédemption impossible. On a ainsi au départ un jeune homme paumé et illettré qui semble pouvoir s'assagir grâce à l'attention que lui porte l'éleveur Tunstall (Colin Keith-Johnston) qui sera assassiné. Sa quête de vengeance et fuite en avant le placera sous la bienveillance de Pat Garret (John Dehner) mais aussi de son ami mexicain Saval (Martin Garralaga) mais son caractère autodestructeur lui aliènera ses deux mentors dans un terrible crescendo dramatique. Penn l'illustre tout d'abord en soulignant la nature enfantine de Billy, incompatible avec le climat de violence de l'Ouest. Cela fonctionne par jeu et donne quelques amusants moments de comédie (l'humiliation des soldats) où il fait figure de garnement rigolard et adepte de la farce accompagné de ses deux acolytes. Mais c'est surtout le côté irréfléchi et impulsif qui souligne cette immaturité où chaque initiative de Billy à des conséquences désastreuses pour lui et son entourage, que ce soit ce premier assassinat qui en fait définitivement un hors-la-loi ou plus tard quand ses provocations lui font perdre la possibilité d'une amnistie.

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Le point le plus captivant reste cependant l'expression à l'écran d'une forme d'addiction à la violence. Le jeu tout en tics marqués et le phrasé hésitant de Paul Newman (remplaçant un James Dean décédé et qui en bon adepte de la Méthode aurait été tout aussi excessif) est donc particulièrement judicieux pour figurer ce junkie qui ne dit pas son nom. Il faut voir son expression exaltée lorsqu'il est provoqué par un agent du gouvernement, savourant l'audace comme un drogué privé de sa dose depuis trop longtemps. Lorsqu'il ira menacer un des tueurs de Tunstall, son regard dilaté et sa gestuelle anxieuse trahissent à nouveau l'impatience du prochain shoot d'adrénaline et fait beaucoup penser au jeu de Gian Maria Volonté dans Et pour quelques dollars de plus (1966) notamment le duel dans l'église où l'acteur semble également vivre cette tension comme un trip (le scénario de Leone sans l'exprimer dans le film faisait d'ailleurs du personnage un drogué). Paul Newman traverse ainsi tout le film dans un voile inconscient et lointain où il trahit et déçoit tous ceux qui l'aiment. Le réveil n'arrivera que trop tard et le Kid ne saura trouver sa rédemption que dans le sang et les larmes. Parallèlement on aura eu tout du long une réflexion sur la célébrité où se dessine pour le Kid une légende bien éloignée de l'être torturé que l'on accompagne à l'écran.

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Visuellement Arthur Penn exprime parfaitement ces thématiques avec une violence qui surgit également comme dans un cauchemar brutal. On pense notamment au premier meurtre de Billy qui se concrétise dans un fondu enchaîné sur la vitre où il a dessiné le plan d'action. De même l'expression grotesque du shérif assassiné le visage collé contre une vitre encore fonctionne aussi sur cette même idée. Une vraie date et des débuts tonitruant pour Arthur Penn. 5/6
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Jeremy Fox
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Re: Arthur Penn (1922-2010)

Message par Jeremy Fox »

Antoine Royer nous parle d'un film méconnu du cinéaste, Mickey One, sorti en DVD chez Wild Side en début d'année dans la collection les introuvables.
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Kevin95
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Re: Arthur Penn (1922-2010)

Message par Kevin95 »

Découvert ce film il y a quelques jours, autant dire que ce ne fut pas une sinécure. J'ai beau adorer ce qui touche de près ou de loin au Nouvel Hollywood (y compris les films précurseurs comme Mickey One) mais que ce film est pompeux, laborieux et finalement assez vain. Alors oui, la photo est très belle, la musique classieuse et Warren Beatty se donne à fond mais cette pale reprise des tics européens de l'époque (on y va dans les clins d’œil au cinéma de Resnais, Godard ou Fellini) manque de chair et de personnalité pour être une réussite.

Il ne fait aucun doute pour moi que Penn ne trouve l'alchimie entre une influence européenne et des thématiques américaines que deux ans plus tard avec Bonnie and Clyde.
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Re: Arthur Penn (1922-2010)

Message par Flol »

J'étais parti confiant...avant d'arrêter au bout de 10mn. :|
Sinon, il y a un Penn que je ne connais pas (et qui n'a pas très bonne réputation, apparemment) qui passe la semaine prochaine sur Ciné+ Club : Target.
Vous en pensez quoi, vous ?
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Re: Arthur Penn (1922-2010)

Message par Demi-Lune »

Ratatouille a écrit :Sinon, il y a un Penn que je ne connais pas (et qui n'a pas très bonne réputation, apparemment) qui passe la semaine prochaine sur Ciné+ Club : Target.
Pas vu mais il y a un argument de choix : Gene Hackman.
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Re: Arthur Penn (1922-2010)

Message par bruce randylan »

Ratatouille a écrit : Sinon, il y a un Penn que je ne connais pas (et qui n'a pas très bonne réputation, apparemment) qui passe la semaine prochaine sur Ciné+ Club : Target.
Vous en pensez quoi, vous ?
Ah ouais, tiens, je connais pas non plus. Je vais essaye de l'enregistrer :)

Quant à Mickey One, j'étais content de le découvrir également... j'ai très vite désenchanté... Et longtemps...
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Flol
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Re: Arthur Penn (1922-2010)

Message par Flol »

Demi-Lune a écrit :
Ratatouille a écrit :Sinon, il y a un Penn que je ne connais pas (et qui n'a pas très bonne réputation, apparemment) qui passe la semaine prochaine sur Ciné+ Club : Target.
Pas vu mais il y a un argument de choix : Gene Hackman.
Oui justement, c'est LA raison pour laquelle je pense l'enregistrer de toute façon.
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Re: Arthur Penn (1922-2010)

Message par Joshua Baskin »

Ratatouille a écrit :
Demi-Lune a écrit : Pas vu mais il y a un argument de choix : Gene Hackman.
Oui justement, c'est LA raison pour laquelle je pense l'enregistrer de toute façon.
Y a une scène tournée à Roissy Terminal 1 dans ce film.
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Re: Arthur Penn (1922-2010)

Message par AtCloseRange »

Voici ce que j'en disais
AtCloseRange a écrit :Mais pour ce qui est de Target et Froid Comme l'Hiver, c'est vraiment pas terrible. Il y a bien encore quelques moments au début de Target qui peuvent ramener au Penn d'antan dans des scènes familiales mais dès qu'on part en Europe, ça devient franchement raté (et pourtant dieu sait si je suis indulgent pour les films avec Gene Hackman).
En même temps, si on aime ce cadre-là (la France vue par les Américains, la Guerre Froide, un film d'espionnage avec Gene Hackman), ça peut se tenter.
ça me fait penser à un autre film de la même époque, Gotcha de Jeff Kanew (qui est plus réussi d'ailleurs).
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Flol
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Re: Arthur Penn (1922-2010)

Message par Flol »

Joshua Baskin a écrit :
Ratatouille a écrit : Oui justement, c'est LA raison pour laquelle je pense l'enregistrer de toute façon.
Y a une scène tournée à Roissy Terminal 1 dans ce film.
Ok, ça fait 2 raisons.
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Re: Arthur Penn (1922-2010)

Message par manuma »

Ratatouille a écrit :J'étais parti confiant...avant d'arrêter au bout de 10mn. :|
Sinon, il y a un Penn que je ne connais pas (et qui n'a pas très bonne réputation, apparemment) qui passe la semaine prochaine sur Ciné+ Club : Target.
Vous en pensez quoi, vous ?
Pas revu depuis son passage à la télé au début des années 90, mais grosse déception à l'époque. Un film d'espionnage d'une confondante banalité, pas toujours très crédible par dessus le marché. Gene Hackman s'en sort bien, mais on est à des années lumière d'un Night moves.
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Re: Arthur Penn (1922-2010)

Message par Bogus »

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Little Big Man (1970)
Quelle surprise que ce film!
Superbe récit picaresque qui passe du burlesque au drame avec une constante (et parfois tragique) ironie où le candide Dustin Hoffman traverse le Far West au gré des évènements et des rencontres en incarnant un personnage aux multiples vies (de l'adolescence à la vieillesse, indien ou as de la gâchette) avec un réel talent. Je crois que c'est le rôle dans lequel je l'ai préféré.
Ce qui est également beau dans le récit autobiographique de ce "grand petit homme", c'est qu'il ressuscite le temps d'une confession un monde finalement pas si lointain mais qui n'existe plus.
Spoiler (cliquez pour afficher)
J'ai aussi aimé comment le Général Custer apparait petit à petit comme le grand méchant de l'histoire, d'abord charismatique puis cruel et mégalomane, ne causant que du malheur à notre héros chaque fois qu'il croise sa route.
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Thaddeus
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Re: Arthur Penn (1922-2010)

Message par Thaddeus »

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Le gaucher
Conçu et sorti à une époque où le western subissait une profonde mutation, le premier long-métrage de Penn ne se cantonne pas à la geste du célèbre Billy le Kid. Il s’affranchit de la psychologie facile et de la conduite régulière du récit pour imposer une alternance de violence irrationnelle et d’ironie iconoclaste en rupture avec les codes du genre. Jeune antihéros immature, en proie à des pulsions qu’il ne comprend pas, confronté à une problématique œdipienne et n’ayant pu régler son rapport passionnel vis-à-vis de son père, Paul Newman y compose un personnage singulier, aux prises avec une homosexualité latente. Assez littéraire, sans doute influencée par le cinéma européen, cette anti-épopée est une œuvre originale, sans véritable antécédent, et en phase avec les mouvements de l’inconscient. 4/6

Miracle en Alabama
Un film d’une force tellurique, d’une incroyable générosité. La formidable Anne Bancroft y personnifie la persévérance humaniste d’une lutte vitale pour la communication, contre l’aliénation d’une jeune fille enfermée en elle-même, confrontée à la détresse et à l’impuissance de ses parents. Le chemin est long pour tirer l’enfant des ténèbres qui l’entourent, le travail éprouvant autant pour les personnages que pour le spectateur, et chaque progrès, si minime soit-il, fait figure d’évènement. C’est une suite de combats, de confrontations physiques, où la moindre petite victoire est arrachée avec une intensité viscérale. Grande œuvre sur la force du langage, la nécessité de l’atteindre pour accéder à l’éclosion des sentiments, une œuvre fondamentale sur la puissance du lien affectif aussi, dont la fin arrache des larmes. 6/6
Top 10 Année 1962

Mickey one
L’histoire d’un individu traqué, play-boy à succès convaincu d’être poursuivi par les tueurs de l’Organisation pour avoir violé les règles du Syndicat. Il fuit, change d’identité, erre dans la banlieue lépreuse de Chicago, devient showman dans un cabaret. On peut lire son itinéraire paranoïaque comme un apologue kafkaïen filmé à la manière nerveuse de la Nouvelle Vague française, avec un style abrupt fait de brio et de ruptures, de perte de contrôle et d’emphase chaotique. L’auteur dit avoir voulu signifier la terreur de l’homme américain devant la menace atomique, mais c’est aussi le symbolisme complémentaire du harcèlement bureaucratique, des fonctionnaires du crime, de l’individu harcelé par des obsessions imaginaires qui transparaît dans cette œuvre délibérément fébrile et incertaine. 4/6

La poursuite impitoyable
Un casting dément pour une charge vigoureuse et féroce contre un certain conservatisme de la société sudiste américaine, gangrenée par des mécanismes d’auto-justice et de violence ancestrales, par un instinct grégaire destructeur. Contrairement au Furie de Fritz Lang, qui développe un sujet analogue, chaque personne est ici responsable, démasquée, sa culpabilité individuelle n’étant plus le fait d’une abstraction collective. Conçu comme une condamnation, le film impose une violente âpreté, suit un crescendo dramatique éprouvant, et met en lumière une logique comportementale faite de frustrations et d’aspirations détournées ou refoulées qui, loin de s’opposer à l’idée de civilisation, en souligne la permanence de l’état sauvage, dans toutes les couches du tissu social. 4/6

Bonnie et Clyde
Poursuite dans la continuité : plus que jamais, l’art de Penn se fait social, politique, soulignant l’ambivalence d’un pays dont l’hypocrisie et la misère produisent des monstres-victimes. Le conflit est chez lui comme une explosante-fixe, une vitre qui s’étoile mais ne vole jamais en éclats. Il est aussi le cinéaste de l’instinct, le créateur de personnages qui parviennent à peine à s’exprimer et qu’il sonde dans leurs profondeurs pour en découvrir les mobiles cachés. Le mythique couple Beatty-Dunaway n’a rien perdu de sa superbe, et l’évocation de l’Amérique de la Dépression, avec ses ruptures de ton permanentes, son approche brutale et sans complaisance de la mort et de la violence, ses digressions cocasses ou pathétiques, brille toujours par son acuité subversive et par son ardeur du désespoir. 5/6
Top 10 Année 1967

Alice’s restaurant
Une ballade en images : la vie communautaire, la musique, la fête, le bonheur de l’amitié et des beaux projets. Mais aussi son envers, le drame de la drogue, l’inconciliable de l’utopie collective et de l’épanouissement conjugal. Avec cette œuvre que l’on devine très personnelle et qui émerge en pleine explosion libertaire, le cinéaste travaille à chaud dans l’effervescence du moment, capte le mouvement hippie tantôt avec sérénité, tantôt avec crispation, tantôt avec une rigidité funèbre, appréhendant déjà sa fin. Son approche parfois sournoise et insinuante, apte à créer la discordance, gorgée d’humour, de dynamisme, de chaleur humaine, ne romance jamais le sujet mais brode sur un canevas en roue libre, et cerne avec une profonde justesse les différents visages de la jeunesse et de la liberté. 5/6

Little big man
Penn remonte aux sources et applique au genre le plus mythologique qui soit la vigueur de son approche corrosive et hautement métaphorique – on est en pleine guerre du Viêtnam. As de la gâchette (Hickcok), bigotes hypocrites (Mme Pendrake), généraux psychopathes (Custler) y soulignent par le biais de la bouffonnerie la déliquescence d’une société américaine qui cède au capital, à la corruption et au racisme, animant une sorte de grande farce démythificatrice dont la dramaturgie s’inscrit dans la tradition picaresque. La narration, ample et iconoclaste, affirme un désenchantement de plus en plus prononcé, de plus en plus écœuré : derrière les apparentes extravagances, les mouvements, les cris et la fureur d’un grand western, le cinéaste dissimule un propos d’une gravité et d’une amertume sans appel. 5/6

La fugue
Penn est un intellectuel influencé par le cinéma européen, qui se réfère aux structures d’un genre existant et bien défini pour les renouveler de l’intérieur. S’il investit ici les codes du film noir, c’est pour leur imposer un traitement pas si éloigné de celui opéré par Altman deux ans plus tôt, avec plus d’ironie, dans Le Privé : un refus constant de la dramatisation, un déplacement de l’enquête sur un terrain introspectif, la description précise d’un milieu opaque, habité par des personnages ambigus et insaisissables, qui met en perspective la quête intérieure du détective. Telle est la nature de cet étrange et captivant polar, où l’enquête menée par l’excellent Gene Hackman procède dans une incertitude, un flou permanent, qui formalise son doute existentiel. Et existe-t-il un autre film américain où l’on va voir du Rohmer au cinéma ? 5/6
Top 10 Année 1975

Missouri breaks
On s’en doutait depuis longtemps : il y a vraiment quelque chose de pourri au royaume de l’Ouest. Le règne des bons et des méchants s’achève. De quelque côté du colt qu’ils fussent, ils avaient en commun le courage. Désormais la lâcheté est au menu du jour, le voleur n’est qu’un sympathique rêveur et le justicier adipeux ramène les grands espaces aux dimensions étriquées du fait divers. Fossoyeurs de l’ordre capitaliste, liquidateurs d’une minorité anarchique incapable d’assurer sa survie, Brando, en crapule odieuse, et Nicholson forment un duo assez mémorable. On peut se souvenir aussi de la mort du premier, de chevauchées somptueuses, d’un ton ironique, d’une anti-épopée dérisoire alternant le convenu et le nouveau, la théâtralité désuète et la fraicheur d’un geste d’intimité. 4/6

Georgia
S’il démythifie la période glorieuse et florissante des années 60, Penn témoigne néanmoins à travers ce film nostalgique et foisonnant d’une sérénité totale, sans doute inédite chez lui. Il met en scène des désordres, des doutes, des espoirs déçus, consacre les mouvements heureux ou tragiques de la vie en suivant un quatuor de personnages pris dans les tressautements d’une époque animée et exaltante. C’est avec une autant de générosité dans le regard que d’acuité dans l’analyse que le cinéaste pousse ici, jusqu’au bout, le portrait de sa génération, qu’il retranscrit la fin des utopies et démonte l’envers du rêve américain. Une magnifique histoire d’amitié, un film lumineux, poignant, au sommet de laquelle trône une Jodi Thelen épatante de fraîcheur et de spontanéité épanouies. 5/6
Top 10 Année 1981


Mon top :

1. Miracle en Alabama (1962)
2. Georgia (1981)
3. Bonnie et Clyde (1967)
4. Little big man (1970)
5. Alice’s restaurant (1969)

Incontestablement l’une des figures majeures du cinéma américain des années 60-70, l’un de ceux qui ont contribué à rajeunir et démythifier les icônes sacrées d’un pays en plein doute. J’aime beaucoup son ton iconoclaste, l’ironie cinglante de sa vision, la sévérité de son regard (bien atténuée dans Georgia), et la manière dont il s’est démarqué du classicisme américain pour s’imposer comme l’un des plus brillants représentants du Nouvel Hollywood (dont le mouvement a été lancé, comme les historiens s’en accordent, avec Bonnie et Clyde).
Dernière modification par Thaddeus le 10 nov. 23, 17:17, modifié 6 fois.
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