Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
Truffaut Chocolat
Rene Higuita
Messages : 6087
Inscription : 28 juil. 05, 18:33
Localisation : Deutschland

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par Truffaut Chocolat »

Qui a vu ça ?

Avatar de l’utilisateur
Truffaut Chocolat
Rene Higuita
Messages : 6087
Inscription : 28 juil. 05, 18:33
Localisation : Deutschland

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par Truffaut Chocolat »

Vu.
C'est pour les Kubrick freaks, à base d'éloges sur la fascination qu'exerce son travail en général et sur Shining en particulier, donc.

Au menu, plusieurs intervenants-spécialistes-analystes qui dissèquent comme un chirurgien le ferait avec un corps humain et qui ne voit plus le sang ni les blessures mais des mécanismes cohérents et fonctionnels.
Pour eux, ce n'est plus un film d'horreur ni d'épouvante, mais un maëlstrom de thèmes allant de l'holocauste à la conquête de l'ouest (et les massacres des indiens), en passant par l'aveu du tournage des images d'Apollo 11 par Kubrick (...).

Au-delà des thématiques auxquelles on est libre de plus ou moins adhérer, le doc relève également une succession d'erreurs "volontaires" (qui vont plus loin que la fameuse ombre de l'hélico) particulièrement troublantes, comme des chaises qui disparaissent d'un plan à l'autre, des motifs de tapisseries qui varient toujours d'un plan à l'autre, etc.

Le clou du clou étant à mes yeux l'expérience réalisée par un vidéaste qui, par pur hasard, s'est amusé à diffuser le film dans sa version normale et à l'envers, en même temps : soit un film qui serait la surimpression des 2.
Je n'en dis pas plus mais c'est absolument stupéfiant, je n'en croyais pas mes yeux...
Avatar de l’utilisateur
Thaddeus
Ewok on the wild side
Messages : 6143
Inscription : 16 févr. 07, 22:49
Localisation : 1612 Havenhurst

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par Thaddeus »

Truffaut Chocolat a écrit :Le clou du clou étant à mes yeux l'expérience réalisée par un vidéaste qui, par pur hasard, s'est amusé à diffuser le film dans sa version normale et à l'envers, en même temps : soit un film qui serait la surimpression des 2.
Je n'en dis pas plus mais c'est absolument stupéfiant, je n'en croyais pas mes yeux...
Ça fait partie des nombreuses séquences du documentaire où l'on se prend au jeu de l'interprétation, et où c'est notre propre perception orientée qui choisit de ne plus voir que détails et symboles signifiants. C'est la meilleure idée du projet : forcément, réaliser un film obsessionnel sur un film obsédant, c'est payant. Le film-cerveau sur le film-cerveau : cerveau au carré. Personnellement, c'est la reconstitution du trajet en tricycle de Danny à l'intérieur de l'hôtel, avec plans architecturaux à l'appui, qui m'a limite fait tourner maboul. Arrive un moment où le vertige te saisit et t'embarque dans son irrésistible spirale.
Après, d'un strict point de vue objectif, je pense que le propos du réalisateur est clair : les théories exposées par les intervenants sont totalement invraisembables, elles relèvent de la mythomanie pure et simple. L'intérêt du docu n'est pas dans la pertinence de ces théories, selon moi, mais dans la mise en lumière d'une logique qui se nourrit du délire pour assoir sa cohérence interne. C'est un refrain connuu : les adeptes des théories les plus fumeuses ne pourront jamais être convaincus qu'ils ont tort, et chaque preuve fournie pour le leur démontrer sera tordue et détournée, en toute bonne foi, pour étayer leurs démonstration. Et puis c'est un petit régal pour les cinéphiles : les extraits de films, les agencements de séquences, les souvenirs d'émois devant le grand écran, tout ça, indépendemment du propos, m'ont fait passer un très agréable moment.
Avatar de l’utilisateur
Truffaut Chocolat
Rene Higuita
Messages : 6087
Inscription : 28 juil. 05, 18:33
Localisation : Deutschland

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par Truffaut Chocolat »

Thaddeus a écrit :Après, d'un strict point de vue objectif, je pense que le propos du réalisateur est clair : les théories exposées par les intervenants sont totalement invraisembables, elles relèvent de la mythomanie pure et simple. L'intérêt du docu n'est pas dans la pertinence de ces théories, selon moi, mais dans la mise en lumière d'une logique qui se nourrit du délire pour assoir sa cohérence interne.
Hmmm je l'ai pas perçu comme ça.
Je dis pas que le réal valide les théories, mais je l'ai senti respectueux de chacun des intervenants... sinon à quoi bon les montrer ? car lui aussi est au-même niveau que les autres, j'aime l'impression qu'il en est conscient.
En tout cas j'ai passé un très très bon moment moi aussi.

Et bon sang, ces 2 versions en surimpression...
Avatar de l’utilisateur
Thaddeus
Ewok on the wild side
Messages : 6143
Inscription : 16 févr. 07, 22:49
Localisation : 1612 Havenhurst

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par Thaddeus »

Image



L’éternel retour


Ce sont des séquences gravées dans le marbre du patrimoine cinématographique. La progression filmée en plongée verticale d’une voiture qui passe des feuillages automnaux au vert persistant des conifères, de l’étendue d’un lac à l’aridité des rochers puis aux neiges d’altitude, et qu’accompagnent les accords glaçants d’un Dies Irae funèbre. Des flots de sang qui se déversent au ralenti par les portes laquées d’un ascenseur et font valser des canapés de velours. Le balancement d’une hache assénant des coups fracassants sur une porte, cernée par des panoramiques rivés à son axe qui épousent son mouvement pendulaire. Un petit garçon roulant sur son tricycle au sein d’intérieurs déserts : le crissement lancinant des roues s’interrompt quand il passe du parquet au tapis, puis reprend. Isolé dans les Rocheuses du Colorado, au bout d’un sinueux lacis de routes escarpées qui domine un paysage reculé et solitaire, se dresse un imposant promontoire, vaisseau-fantôme échoué sur un glacier : l’hôtel Overlook. Les salons monumentaux et les grands halls aux ornementations Art déco y sont multiples, hiératiques, écrasants. La cuisine, colossale et suréquipée, a tout d’une jungle métallique. Quant à la Gold Room, la luxueuse salle de fêtes, elle semble sortir d’un roman de Fitzgerald. Partout règne un silence de mausolée. Vaste et mystérieux comme une pyramide, le bâtiment est totalement coupé du monde pendant la longue saison d’hiver. Du pain béni pour Jack Torrance, ex-enseignant engagé en tant que gardien, qui souhaite se consacrer à l’écriture. Il s’y installe avec pour seule compagnie sa femme Wendy et leur fils de cinq ans, Danny, medium pourvu du don extrasensoriel de voyance. C’est là, au croisement des labyrinthes, que Stanley Kubrick conduit le récit envoûtant de Shining, adapté du (formidable) best-seller de Stephen King. Une histoire en prismes faite de reflets obliques, de mises en abîme, d’obsessions et d’aberrations. Une parabole de l’épouvante absolue dont le thème central est le temps circulaire de l’éternel retour. On y trouve des ambiances de rêve qui se cristallisent et s’évanouissent tels les fondus-enchaînés de la mémoire, des travellings reptiliens, ondoyants et perfides, des damnés de la terre qui hurlent avec une masochiste volupté. L’angoisse est décuplée par l’utilisation bruitiste des morceaux de Bartók, Ligeti et Penderecki, dont les pizzicati et les glissandi ponctuent les errances spatio-psychiques de la famille Torrance. Et le spectateur de ressentir comme un tremblement de la raison devant la puissance démesurée des images, à l’instar de la dernière photo de bal prise à l’Overlook en 1921, oblitérant les conclusions prématurées et rassurantes qui pourraient émaner de logiques trop rationnelles.


Image


Tout est vestige dans ce pur chef-d’œuvre architectural qu’est Shining. Plus qu’une matière épaisse, la profondeur du passé qui les hante définit les êtres et les choses. Un réseau secret de sillons historiés nielle la demeure humaine. La reconnaissance des jalons n’indique plus qu’un pouvoir d’égarement halluciné. Interminables, symétriques, enchevêtrés, les corridors s’étirent et se croisent sans repérage topographique possible, leurs plafonds accentuant encore les lignes de fuite. Au bout du couloir, un autre couloir identique et perpendiculaire : lieu de rencontres tétanisantes (les sœurs jumelles au front bombé, immobiles, endimanchées en robes à volants) ou chemin du Minotaure (l’arrivée de Jack, régressant en gestes simiesques et se dirigeant vers le bar). La structure du décor et les mouvements d’appareil reproduisent la configuration tortueuse du dédale, se coupent selon des emblèmes géométriques que le montage ne cesse de redoubler. Ils édifient un espace clos, inextricable, d’où il est impossible de s’évader. Enfilade de miroirs ou procédé swiftien, on est tantôt géant, tantôt nain, suivant à qui l’on a affaire. Jouant avec de petites autos, comme s’il manipulait à distance le véhicule d’Halloran, Danny est en revanche miniaturisé dans la maquette examinée d’en haut par son géniteur. Si celui-ci est un instant pareil à un démiurge observant des insectes, il n’est d’abord qu’un point minuscule pour la caméra qui vole sur les ailes du démon. Métaphore immémoriale de la domination : Jack est la proie de forces qui le dépassent. Écrivain raté et dépressif, il tape à sa machine un roman sans issue qui n’en finit pas, qui n’existe pas et qui naît pourtant par la répétition saccadée, en de multiples variations typographiques, d’une seule et même phrase frappée ad libitum : All work and not play makes Jack a dull boy. Cette chaîne de mots enfantins parcourt, occupe, bloque les circonvolutions grises de son cerveau. Elle recueille la peur et se gonfle de la haine du médiocre, de l'anonyme, de l’aliéné, assujetti par le palace fermé sur ses fastes inutiles, où plus rien n'est fonctionnel, où plus rien n'est à sa place. Elle vient du temps des punitions et des lignes à copier, de plus loin encore : le temps de l’imaginaire, avant l’emprise du symbolique, avant que le troisième terme, le père, ne se soit imposé dans le système duel de la mère et de l’enfant. Le cliquetis-martèlement des touches, s’il fait écho aux battements de cœur survenant avec l’émergence des faits paranormaux, favorise surtout cette image caractéristique du film : l’homme seul qui travaille en dépit d’une réalité troublante et effrayante.

Car un monde total, fantasmé ou authentique, s’implante autour de lui, têtu comme un tableau posé sur son socle. Jack est celui qui regarde, de la même manière que Bowman, dans la chambre à coucher de 2001, se regardait et contemplait, par les yeux de son propre double expirant sur le lit, l’Univers. Il jouit d’un sentiment de possession illimitée, n’éprouve plus que la satisfaction de son désir et, au milieu de la salle majestueuse où il s’installe pour élaborer sa création, devient le metteur en scène illusoire d’un décor qu’il veut diriger. Construisant des trajets qui tous partent de lui et reviennent à lui, il pourrait être une espèce de Dieu (comme l’hôtel est une sorte de sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part). Un Dieu le Père, vengeur, castrateur, "maximum absolu", mesure de toute chose, traqué par les chimères qui n’arrivent pas à s’incarner sur sa feuille et bientôt incapable de refréner ses instincts. Parce qu’il ne s’accorde plus aucun répit à convoquer un texte qui ne vient pas, Jack le père, Jack l’époux, Jack le gardien, trois rôles jusqu’ici confondus, en engendrent un nouveau, négation des précédents : Jack the Dull Boy, qui pète les plombs et arpente l’Overlook une hache à la main. Mais peut-être que, souffrant d’un carabiné cabin fever, Jack a toujours été fou. Que son attitude posée du début n’a jamais été qu’une posture de marionnette. Tony/Danny, Jack the Dull Boy/Jack Torrance sont deux occurrences d’une hypothèse bien plus large : il y a constamment, dans Shining, quelqu’un (un petit garçon, un adulte trouble, une épouse malheureuse) que l’enfermement et l’isolement font sortir. Jack refoule, jusqu’au moment où, la coupe étant pleine, il se met sous sa pression interne à rouler des yeux. Il devient un être instable, névrotique, le père-ogre-loup qui veut dévorer son fils-petit Poucet-Chaperon rouge, et pour qui la matérialisation du cauchemar est moins la fameuse angoisse de la page blanche que le regard des siens sur son irrémédiable impuissance. Voilà pourquoi il est condamné à revivre le meurtre de sa famille qui s’est produit quelques années plus tôt. Le milieu photographique sert à magnétiser, à réactiver toutes sortes de hantises, de fantômes, de visions macabres (les fillettes déchiquetées, la femme dans la baignoire). À faire parler le Dull Boy, à faire parler Tony, à faire remonter le sang des Indiens dont le cimetière a servi de fondations. Ce qui jaillit, éclabousse, fait éclat (shining) existait à l’état latent bien avant que les héros n’investissent l’endroit maléfique. Il resurgit sous forme d’engrammes, de souvenirs reconnus, de traces mnésiques, signes d’une terreur presque sacrée, d’un cycle perpétuel qui joue le refrain de l’éternité. À jamais, à jamais…


Image


Les grands traumatismes sont toujours de quelque manière des anamnèses. Celle de Shining est suscitée par son tissu même, son contenu subliminal. L’enchâssement fantastique des différentes apparitions obéit à la mise en espace d’intérieurs dont la disposition s’agence autour de la durée de perception des personnages. Il établit un dispositif dramatique et scénographique d’autant plus impressionnant que le cinéaste fait le pari gagnant de terrifier en pleine lumière, car il sait que l’horreur n’est pas une question d’intensité visuelle ou sonore mais la résultante d’une construction cérébrale. Tantôt subjective, tantôt objective, elle est toujours éprouvée par l’un des trois protagonistes à l’exception des deux autres. Kubrick inscrit dans le cadre le même motif réitéré plusieurs fois selon la grosseur du plan, le fragment n’étant que la forme réduite et répétée d’une figure entière, celle d’une composition infinie — ainsi de la moquette navajo, qui représente une succession d’objets fractals. Tout renvoie finalement au locus proprius de la tragédie implacable qui se noue dans la cellule œdipienne père-mère-enfant. La famille est désignée comme une très mince surface d’affection lisse, prête à craquer à la moindre sollicitation, au moindre choc. Entre les différentes strates de cadavres sur lesquelles repose l’hôtel maudit (l’ossuaire enfoui depuis le siècle dernier, le massacre perpétué par Grady) se situe un blanc, quelque chose qui s’est passé dans les années vingt, cette époque que Jack regagne peu à peu, jusqu’à ce que le "I am home !" atrocement burlesque qu’il adresse à Wendy en venant la tuer acquiert sa véritable signification. La conclusion de 2001 introduisait à un monde d’Idées, fait pour être vu et inconciliable avec les œuvres écrites. Les entités illisibles provoquent ici le retour à la Caverne, à la "maison des viscères", à l’encéphale obsessionnel du lieu. Magnifique dans son imagerie, d’une suprême virtuosité formelle et stylistique, le huis-clos oppressant de Shining traduit une incoercible pulsion de mort. Et si Jack Nicholson, prodigieux, possédé, y trouve l’un de ses rôles les plus emblématiques en y déchaînant comme jamais son génie expressionniste, c’est parce que son rire sauvage résonne depuis l’ombilic des limbes.

D’extensions en extensions, de projections panoptiques en emboîtements centripètes, le film catalyse ainsi un arrière-monde où les évènements surnaturels excitent les penchants destructeurs, où les démons poussent à agir, où la pensée est motivée par une dialectique maladive. Ce labyrinthe intérieur, figuré en d’hypnotiques arabesques à la Steadicam, et ce labyrinthe extérieur, constitué de feuillages et de buis parfaitement taillés, catafalque de la pétrification finale de Jack gelé, couvert de givre, devenu le Cerbère de l’Overlook, favorisent l’émergence en dur d’un palais mental de la mémoire. Rarement, dans toute l’histoire du cinéma, mise en scène aura formalisé avec tant d’éloquence métaphysique les rapports d’interpénétration entre l’esprit et la matière. Rien de surprenant à ce que la frénésie interprétative provoquée par cet inépuisable bloc d’abstraction n’en finisse pas d’affoler les exégètes et les herméneutes (le documentaire Room 237 offre une bonne idée du phénomène). Les ultimes moments illustrent l’incessant, l’étincelant écartèlement des temps sur lequel se fonde son vertigineux paradoxe : la nuit dans la neige s’est ouverte sur l’idéal historique de Jack, son appartement Louis XVI à lui, ce 4 juillet spectral où il rejoint enfin ses personnages — jusqu’à en devenir un pour toujours. Le bar somptueux et irréel du salon d’or, la fête apocalyptique, l’onctueuse musique d’époque qui traîne dans les parages ne sont pas sans évoquer le Titanic et son naufrage. Mais ce n’est pas tant lui-même que le paradis perdu des roaring twenties qui vient définitivement sombrer là : l’épouvante évoquée, quelle que soit sa nature, est de toute évidence peu compatible avec le mythe de ces beaux jours révolus et avec l’idylle qu’ils peuvent par ailleurs représenter. Plutôt que d’ouvrir sur autrefois, la conclusion de Shining rappelle la mort, la violence, la peur comme le présent permanent de toute l’Histoire. Parvenue jusqu’aux couloirs funestes de l’hôtel, la douce familiarité des années folles s’avère n’être qu’un mirage parmi d’autres, pour s’effacer à son tour devant l’inquiétante étrangeté du monde.


Image
Dernière modification par Thaddeus le 8 avr. 23, 11:33, modifié 2 fois.
Avatar de l’utilisateur
Truffaut Chocolat
Rene Higuita
Messages : 6087
Inscription : 28 juil. 05, 18:33
Localisation : Deutschland

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par Truffaut Chocolat »

Dans ce cas, oui, je suis d'accord avec toi.

Bon sinon. :mrgreen:
Perso je suis plutôt partisan de la thèse indiens/conquête de l'ouest, mais à mes yeux Rob Ager l'a expliqué plus lisiblement.
Avatar de l’utilisateur
Truffaut Chocolat
Rene Higuita
Messages : 6087
Inscription : 28 juil. 05, 18:33
Localisation : Deutschland

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par Truffaut Chocolat »

Extrait :
JeanLucGodardIV
Stagiaire
Messages : 77
Inscription : 28 oct. 13, 00:40

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par JeanLucGodardIV »

"The Shining" est sans doute le film le plus populaire et le plus abordable de son auteur, le spécial K. Un démiurge assez extraordinaire, qui a eu la chance de faire ce qu'il voulait ou presque à Hollywood tout en révolutionnant à chaque fois le genre qu'il décidait de s'approprier. Ici bas, il s'est attaqué à l'oeuvre fantastique du très populaire Stephen King qui lui-même n'est pas en reste au niveau du talent et de l'imaginaire. Kubrick trouva donc très opportun de se saisir d'une oeuvre déjà préexistente pour en décortiquer la logique interne afin d'en reprendre la meilleure équation pour la portée au plus haut de son potentiel, cette fois ci avec l'aide bienvenu d'une spécialiste en littérature gothique, l'universitaire et écrivain Diane Johnson.
"The Shining" ou "l'Enfant Lumière" fut donc réécrit dans l'optique de porter au plus haut niveau, et non sans ironie, la psychanalyse et les relations inter-parentales amorcées par King - pour simplifier les choses - Kubrick et Johnson éliminent d'emblée certaines scories et décrassent la mécanique pour éviter d'ouvrir un cirque du ridicule. Il faut adapter à l'écran, comprendre rendre moins invraisemblable et stupide les débordements fantastique bon marchés tout en transfigurant le haut potentiel décrit et écrit par Stephen King. Kubrick travailla donc pour obtenir le parfait scénario, ou du moins il travailla pour avoir le scénario qui pourrait, à son sens, se rapprocher d'une certaine perfection. Le résultat, fascinant, enterre presque tout les films d'épouvante déjà sortis et enterrera aussi, par la même occasion, les futurs films à venir.

Tout le monde connait "The Shining", tout le monde l'a vu, détesté ou adoré, méprisé ou porté aux nues, certains fantasment dessus en évoquant complots, machinations et autres subtils débordements qui dépassent même ce que Kubrick a voulu dire ou démontrer avec ce film. Kubrick a tout le moins voulu faire une oeuvre novatrice, très technique, pleine d'humour et de grotesque avant toutes choses, le reste se passant dans la tête du spectateur ou de l'exégese limite parano qui ferait se tordre de rire le barbu qui adorait aussi l'ironie voir la moquerie gratuite. Bien sur, il y a du symbolisme dans pas mal de ses films ; alors on peut légitimenent se poser quelques questions que je ne me risquerai pas de poser ici. Revenons à "The Shining", l'histoire est simple dans son déroulement programmé : un écrivain plus ou moins râté dont le péché principal se révèle être un fort penchant pour l'alcool, accepte durant un hiver de jouer les gardiens d'hôtel dans le Colorado. Jack Torrance, après avoir été reçu et sélectionné (si,si) par le dirigeant et un de ses associés de l'hôtel Overlook, décide de passer, avec sa femme et son fils, tout l'hiver coupé de tout dans un gigantesque lieu récréatif où pourtant quelques menaces palpables et assurément malsaines ont élu domicile.

Jack Torrance est bien entendu le génial Jack Nicholson, qui, en un sourire carnassier, préfigure la suite des évenements, et pas vraiment besoin de jouer les cassandres pour bien assimiler le processus final entamé par Kubrick pour tout faire exploser. Wendy Torrance, incarnée par Shelley Duvall, est le défouloir de son époux mal luné en proie à la paralysie créatrice, bonne épouse vaguement niaise (les apparences sont pourtant trompeuses), elle tempère les exubérances de son mari sadique. Le petit ‎Danny Lloyd incarne Danny Torrance qui a la capacité d'anticiper les évènements futurs mais aussi d'apercevoir le passé qui se cristalise en de multiples phénomènes surnaturels. L'histoire est donc simple mais le reste est assez complexe dans la démesure et peut rendre fou, oui aussi dérangé, que son personnage principal et ses cohortes de fantômes coincés au dessus d'un cimetière indien (évidemment cela frappe fort). Un bien joli creuset où vient se fondre ainsi toutes les composantes de la civilisation américaine : amérindienne, noire et blanche avec les relants de la découverte européenne d'une terre inconnue à coloniser et des massacres qui en ont découlé.

On peut noter très aisément que Kubrick prend à contre pied la manière qui, en principe, se révèle payante pour provoquer la peur en utilisant toute la panoplie du petit train fantôme sauf qu'ici les spectres font autre chose que de nous refiler la frousse. Le surnaturel dans ce film impressionne et fait très peur. Pourquoi ? Parce que les phénomènes rencontrés par les protagonistes fonctionnent parfaitement, ils s'intercalent insidieusement au sein de nos lois naturelles qui en principe ne peuvent pas être transgressées par des éléments que l'on détermine impossible. La réalité telle que nous la connaissons n'a qu'une seule voie, la nôtre, faite de normalité que vient n'altérer ni objets impossibles à concevoir ni entités difficilement supportables dans notre monde concrêt. le génie de Stanley Kubrick, en plus d'être un fabuleux technicien, c'est justement d'avoir su créer une alternative à la réalité qui ne soit pas dépeinte comme un vaste cirque à la Poltergeist (bon film fantastique au demeurant).Ce qui pourrait laisser penser que la manifestation d'univers parallèles dès lors que l'on en aurait trouvé la clef et pour peu qu'ils existeraient, correspondraient sans doute avec ce que l'on peut entrevoir dans le film de Kubrick. Jack Torrance, dans "The Shining", est la clef officieuse, tout arrive et fonctionne parce que ce monsieur va être la victime d'un jeu sordide commandité par des instances supérieures, voire par une direction hiérarchisée comme se plait à le signaler ce bon vieux barman Llyod, incarné par Joe Turkel, et face au questionnement de Jack qui s'étonne que l'on le laisse boire des coups sans rien débourser Un simple "buvez monsieur Torrance", comme toute réponse de la part d'un barman assez faustien aux entournures, permet d'entrevoir que ces entités ont un plan et sont totalement "rationnelles" dans leur démarche. C'est Jack qui est schizo !!! Il hallucine complètement et interprète la réalité comme il l'entend parce que c'est le projet de son nouveau roman, on pourrait arguer de ce fait mais Jack ne peut pas avoir inventé le verre de bourbon qu'il tient dans sa main, tandis que Wendy n'a surement pas de cacosmie lorsqu'elle se penche vers son mari et que l'haleine de ce dernier trahi bien la consommation d'alcool, et plus tard les visions de son mari viendront empiéter sur la réalité, déborder de leur temporalité en suspension pour aller contaminer la réalité de Wendy.

"The Shining" permet également - en plus de livrer des théories plus ou moins vérifiables - de contempler le travail d'orfèvre proposé par Kubrick et son chef-opérateur John Alcott à travers un format d'exploitation d'1.85, la lumière est assez sophistiquée et emprunte des teintes automnales durant la première visite de Jack Torrance puis durant l'installation de la famille, dans le cadre du travail "hors saison", les teintes vont se venir se bleuter de plus en plus pour obtenir une température de couleur de moins en moins chaude en correspondance avec l'isolement hivernal qui vient frapper nos héros. On peut aussi saluer l'incroyable composition des cadres et la symétrie presque parfaite de l'ensemble qui ferait passer presque Cartier-Bresson pour un amateur (j'exagère hein), oui le cinéma c'est un art avant tout de la photographie, chose que nos réalisateurs français contemporains et surement intellectuels, n'ont sans doute pas encore compris et assimilés ce qui pourrait expliquer la laideur de leur production. Kubrick expérimenta durant tout le film, notamment avec l'emploi d'une caméra à poids et bascule qui permis de compenser les erreurs de mouvements tout en procurant une fluidite presque parfaite de la caméra, Saluons donc l'inventeur de ce système connu sous le nom de steadycam, le génial Garrett Brown. Le côté documentaire du film au détour de quelques plans ou séquences n'est pas à rejeter non plus, Kubrick en effet filme certaines scènes clefs du film avec une lumière très crue, presque blafarde, dans un style que n'auraient pas reniés certains expérimentateurs européens par exemple lorsque Danny entre discrètement dans la chambre de Jack et de Wendy où ce dernier s'est isolé, la lumière est très "amateur" sans artifices explicitant rapidement dans quel état mental se retrouve Jack.

Kubrick a d'une certaine manière, révolutionné le film d'épouvante aussi bien d'un point de vue purement technique que d'un point de vue cérébral ou intellectuel, à travers toujours ce miroir des apparences qui trompe si bien le réel fantasmé que tout le monde semble vouloir s'approprier.
Image
DwightE
Stagiaire
Messages : 14
Inscription : 5 nov. 13, 00:46

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par DwightE »

Point de vue très intéressant, j'ai revu le film hier au soir en lisant différents avis sur le film, c'est assez extraordinaire de voir qu'un Kubrick puissent susciter autant d'intéret. Je ne dis pas que c'est surfait ou que ça va trop loin, c'est juste too much..
Strum
n'est pas Flaubert
Messages : 8464
Inscription : 19 nov. 05, 15:35
Contact :

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par Strum »

DwightE a écrit :Point de vue très intéressant, j'ai revu le film hier au soir en lisant différents avis sur le film, c'est assez extraordinaire de voir qu'un Kubrick puissent susciter autant d'intéret. Je ne dis pas que c'est surfait ou que ça va trop loin, c'est juste too much..
J'ai le même sentiment que toi. Shining est un bon film, mais ne m'a jamais paru révolutionner quoique ce soit.
Avatar de l’utilisateur
Major Tom
Petit ourson de Chine
Messages : 22225
Inscription : 24 août 05, 14:28
Contact :

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par Major Tom »

Strum a écrit :
DwightE a écrit :Point de vue très intéressant, j'ai revu le film hier au soir en lisant différents avis sur le film, c'est assez extraordinaire de voir qu'un Kubrick puissent susciter autant d'intéret. Je ne dis pas que c'est surfait ou que ça va trop loin, c'est juste too much..
J'ai le même sentiment que toi. Shining est un bon film, mais ne m'a jamais paru révolutionner quoique ce soit.
Pardon?? :o
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image

:mrgreen:
Dernière modification par Major Tom le 5 nov. 13, 10:24, modifié 1 fois.
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99491
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par Jeremy Fox »

Strum a écrit :
DwightE a écrit :Point de vue très intéressant, j'ai revu le film hier au soir en lisant différents avis sur le film, c'est assez extraordinaire de voir qu'un Kubrick puissent susciter autant d'intéret. Je ne dis pas que c'est surfait ou que ça va trop loin, c'est juste too much..
J'ai le même sentiment que toi. Shining est un bon film, mais ne m'a jamais paru révolutionner quoique ce soit.
Me concernant, c'est le film d'horreur ultime ; jamais fait mieux avant, jamais fait mieux après.
Strum
n'est pas Flaubert
Messages : 8464
Inscription : 19 nov. 05, 15:35
Contact :

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par Strum »

Major Tom a écrit :
Strum a écrit :
J'ai le même sentiment que toi. Shining est un bon film, mais ne m'a jamais paru révolutionner quoique ce soit.
Pardon?? :o
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image

:mrgreen:
Que l'usage de la Steadycam ait été généralisé avec Shining, c'est un fait - même si la Steadycam avait déjà été utilisée dans En route vers la Gloire, Rocky, Marathon Man, etc. Pour autant, si on laisse de côté cet aspect technique, je peine à voir en quoi Shining "révolutionnerait" le film d'horreur, en termes d'approche, d'atmosphère, de thèmes, de traitement du récit ou en quoi ce serait le pinacle du genre, comme le dit Jeremy. Il s'agit d'un film où Kubrick apporte, comme il en a l'habitude, sa rigueur et son perfectionnisme techniques, son traitement géométrique de l'espace, sa sensibilité un peu clinique, son thème fétiche de la solitude des êtres. Cela convient parfaitement à ce froid récit de solitude car la sensibilité de Kubrick se marie idéalement à la peur et à l'horreur. Un des meilleurs films dans le genre de l'horreur certes. Une révolution ? Je n'ai jamais lu d'argument m'en ayant convaincu - je peine même à voir la pertinence de ce débat. Je me méfie de l'idée de révolution au cinéma. Je lui préfère l'idée d'évolution. Plus généralement, ce n'est pas un secret que je n'ai jamais été grand amateur de Kubrick - à part 2001.
Avatar de l’utilisateur
Major Tom
Petit ourson de Chine
Messages : 22225
Inscription : 24 août 05, 14:28
Contact :

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par Major Tom »

Strum a écrit :
Major Tom a écrit : Pardon?? :o
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image

:mrgreen:
Que l'usage de la Steadycam ait été généralisé avec Shining, c'est un fait - même si la Steadycam avait déjà été utilisée dans En route vers la Gloire, Rocky, Marathon Man, etc. Pour autant, si on laisse de côté cet aspect technique, je peine à voir en quoi Shining "révolutionnerait" le film d'horreur, en termes d'approche, d'atmosphère, de thèmes, de traitement du récit ou en quoi ce serait le pinacle du genre, comme le dit Jeremy. Il s'agit d'un film où Kubrick apporte, comme il en a l'habitude, sa rigueur et son perfectionnisme techniques, son traitement géométrique de l'espace, sa sensibilité un peu clinique, son thème fétiche de la solitude des êtres. Cela convient parfaitement à ce froid récit de solitude car la sensibilité de Kubrick se marie idéalement à la peur et à l'horreur. Un des meilleurs films dans le genre de l'horreur certes. Une révolution ? Je n'ai jamais lu d'argument m'en ayant convaincu - je peine même à voir la pertinence de ce débat. Je me méfie de l'idée de révolution au cinéma. Je lui préfère l'idée d'évolution. Plus généralement, ce n'est pas un secret que je n'ai jamais été grand amateur de Kubrick - à part 2001.
Non mais je plaisantais en t'enquiquinant sur la steadicam et en pinaillant ;) mais je te rejoins, je n'y vois pas une "révolution" non plus. Disons simplement que les raisons que tu cites (la grammaire kubrickienne appliquée au genre horrifique) rendent simplement ce film assez unique en son genre.
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99491
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: The Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par Jeremy Fox »

En même temps, j'étais assez mal placé pour le placer au pinacle, n'appréciant pas le genre en général.
Répondre