Le Western américain : Parcours chronologique III 1955-1959

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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xave44
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Re: The King and Four Queens

Message par xave44 »

Jeremy Fox a écrit : Un roi et quatre reines (The King and Four Queens - 1956) de Raoul Walsh
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Celui-la me tente beaucoup Jeremy.
La photo est absolument superbe.
La capture des 4 femmes alignées le long du mur m'a tout de suite accroché l'oeil.
Merci pour la chronique, très instructive comme d'habitude. :)
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par Jeremy Fox »

De toute manière, rien que pour le couple Gable/Parker, le film vaut le coup d'oeil. :wink:

Et c'est donc l'année 1957 qui démarre avec encore quelques sommets du genre.
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hellrick
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Re: Le Western américain : L'année 1956

Message par hellrick »

Jeremy Fox a écrit :
Mon top 30 arrivé à cette date :


* 1- La Charge Héroïque (John Ford)
* 2- Le Passage du Canyon (Jacques Tourneur)
* 3- Les Affameurs (Anthony Mann)

* 4- Johnny Guitar (Nicholas Ray)
* 5- Je suis un aventurier (Anthony Mann)
* 6- La Porte du Diable (Anthony Mann)
* 7- Le Massacre de Fort Apache (John Ford)
* 8- Au-Delà du Missouri (William Wellman)
* 9- Sept hommes à abattre (Budd Boetticher)
* 10- La Dernière caravane (Delmer Daves)
* 11- L'Homme de la Plaine (Anthony Mann)
* 12- Convoi de Femmes (William Wellman)
* 13- La Ville Abandonnée (William Wellman)
* 14- Le Convoi des Braves (John Ford)
* 15- Rio Grande (John Ford)
* 16- Le Traître du Texas (Budd Boetticher)
* 17- La Rivière de nos Amours (André de Toth)
* 18- Fort Bravo (John Sturges)
* 19- Sur la Piste des Mohawks (John Ford)
* 20- Une Aventure de Buffalo Bill (Cecil B. DeMille)
* 21- Winchester 73 (Anthony Mann)
* 22- La Prisonnière du désert (John Ford)
* 23- Le Mariage est pour Demain (Allan Dwan)
* 24- La Charge Victorieuse (John Huston)
* 25- Tomahawk (George Sherman)
* 26- Quatre étranges cavaliers (Allan Dwan)
* 27- La Dernière chasse (Richard Brooks)
* 28- Smith le Taciturne (Leslie Fenton)
* 29- Un Jeu Risqué (Jacques Tourneur)
* 30- Victime du destin (Raoul Walsh)
Tous vus! Yeah :lol:
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Chip
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par Chip »

Tous vus et (re)revus, seulement 3 dans mon TOP TENS .
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Jeremy Fox
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Drango

Message par Jeremy Fox »

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Le Pays de la haine (Drango - 1957) de Hall Bartlett & Jules Bricken
UNITED ARTISTS


Avec Jeff Chandler, Joanne Dru, Morris Ankrum, John Lupton, Donald Crisp, Ronald Howard
Scénario : Hall Bartlett
Musique : Elmer Bernstein
Photographie : James Wong Howe (Noir et blanc 1.37)
Un film produit par Hall Bartlett & Jules Bricken pour la United Artists


Sortie USA : Janvier 1957


Drango sera l’unique western réalisé par Hall Bartlett, cinéaste dont le nom ne dira pas grand-chose à une majorité mais qui signa néanmoins en 1971 un film devenu mondialement connu, sur une musique de Neil Diamond tout aussi célébrée à l’époque, Jonathan Livingston le goéland (Jonathan Livingston Seagull). Aujourd’hui, pour les nouvelles générations, ce titre sera très probablement aussi obscur que le nom de son réalisateur ; mais demandez à tous ceux qui avaient 20 à 30 ans dans les années 70 ; ils vous parleront très certainement de ce film ‘animalier’ avec enthousiasme puisqu’il eut une résonnance toute particulière sur la jeunesse de ce début de décennie, et notamment auprès de la communauté hippie, pour avoir été une sorte de manifeste/plaidoyer en faveur de la liberté et de l’anticonformisme. Mais ceci est une autre histoire et le réalisateur est retombé ensuite dans l’anonymat. Hall Bartlett fut cependant depuis ses débuts un auteur complet puisque, entre 1955 et 1983, il scénarisa et produisit la plupart de ses dix films en tant que metteur en scène dont Zero Hour, source d’inspiration principale pour les auteurs déjantés de Y-a-t-il un pilote dans l’avion ? (Airplane). Le Pays de la haine est le deuxième titre de sa courte et éclectique filmographie : un western coréalisé par le prolofique 'téléaste' Jules Bricken et au postulat de départ historiquement passionnant sur l’ère de la reconstruction dans le Sud des États-Unis (plus précisément en Géorgie) juste après la fin de la Guerre de Sécession.

"In the months that followed the War between the States, the South lay in pitiable desolation. Within the people, a fire still smouldered. Proud, unbowed, they watched with ominous foreboding as the hated Yankees again rode down upon their land-this time as military governors."

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La Guerre de Sécession vient de prendre fin. Les habitants de Kennesaw voient avec d’un très mauvais œil l’arrivée de deux soldats de l’Union, le Major Drango (Jeff Chandler), accompagné par le Capitaine Banning (John Lupton). Drango se présente devant le juge Allen (Donald Crisp) comme nouveau gouverneur militaire de sa petite ville ; il a été envoyé par le gouvernement pour organiser la reconstruction de la bourgade après qu’elle ait été quelques mois auparavant totalement mise à sac par les troupes du Général Sherman. La haine et les rancunes étant tenaces envers les destructeurs de leur bourgade, personne ne veut croire Drango lorsqu’il dit vouloir accomplir sa mission dans la paix et la bonne entente. Il faut dire que le fils du juge, Clay (Ronald Howard), attise les rancœurs de ses concitoyens en les poussant à ne rien faire pour aider les hommes envoyés par l’État, à ne pas accepter leur autorité mais au contraire les pousser à évacuer les lieux quitte à en passer par la violence et les meurtres. Les deux soldats nordistes ne se démontent pas et tentent le tout pour le tout pour s’attirer les bonnes grâces des habitants de Kennesaw. Mais la bonne volonté de Drango se heurte aux tentatives de déstabilisation de Clay Allen. Résultat, le lynchage de Henry Calder (Morris Ankrum), un homme qu’il souhaitait faire juger équitablement en lui promettant un prompt acquittement, la blessure grave du docteur, le seul habitant à avoir pris parti pour la collaboration pacifique, et autres drames… Le jour où les citoyens apprennent que Drango faisait partie du détachement ayant participé à la dévastation de Kennesaw, la situation va en empirant. Seule la fille de Calder (Joanne Dru) est encore là pour soutenir celui qu’au départ elle accusait d’avoir laissé tuer son père. Une romance va d’ailleurs naitre entre eux…

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Un Nordiste commissionné à la fin de la guerre civile pour rétablir l’ordre, réorganiser la vie quotidienne et superviser la reconstruction d’une ville du Sud dont il avait participé à la dévastation ; ses remords suite aux exactions commises durant le conflit qui le poussent à prendre sa mission très à cœur afin de pouvoir se racheter ; ses difficultés à se faire accepter par une population assez légitimement rancunière et haineuse ; un portrait de cette communauté déprimée et affamée qui pousse même les plus jeunes à se battre à mort pour un bout de viande... Les situations mises en scène sont assez inédites et il est évident que les intentions de Hall Bartlett étaient plus que louables, faisant dans le même temps une sombre description de cette période d’après-guerre dans un pays physiquement et psychologiquement dévasté et ruiné, tout en mettant en place un plaidoyer en faveur de la paix, de la collaboration et de l’entente entre ex-ennemis. Les bonnes intentions ne font pas forcément les bons films mais Drango prouve que c'est possible. Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon, dans leur 50 ans de cinéma américain, faisaient débuter ainsi leur notule sur Hall Bartlett : "Toujours producteur et scénariste (ou coscénariste) de ses propres films, il témoigne dans chacun d'eux une louable ambition mais son talent ne se situe pas toujours au niveau de ses aspirations." Et il est vrai que la mise en scène même si tout à fait honorable manque quelque peu de vigueur.

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Le casting n'est pas inintéressant. Jeff Chandler porte parfaitement la Tunique bleue vu le nombre de fois où il l’a auparavant endossée ; son personnage hanté par le passé récent est très attachant et remarquablement bien écrit ; un homme rongé par les remords de ce qu’il a pu faire durant la guerre, l’humiliation acceptée pour se racheter et la tristesse de ne pas arriver à mener à bien sa difficile mission. Que ce soient John Lupton, Donald Crisp ou Julie London (qui ici ne pousse pas la chansonnette), ils n’ont pas grand-chose à faire alors que Ronald Howard a du mal à nous faire oublier son père même si sa ressemblance avec Leslie est ici frappante au point de parfois fortement faire penser au Ashley Wilkes de Autant en emporte le vent. Sauf qu’au contraire de ce dernier, Clay Allen est un homme méprisable qui ne cherche qu’à semer la discorde en insufflant des idées de vengeance et de haine dans le cœur de ses compatriotes. Quant à la sublime Joanne Dru (qui remplace Linda Darnell, initialement prévue), elle toujours aussi belle et talentueuse même si on a un peu de mal à croire à sa romance de dernière minute avec Jeff Chandler, un homme qu’elle a eu en horreur durant les ¾ du film qui ont précédé ce revirement assez peu crédible.

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Étonnamment, les séquences les plus mémorables du film sont celles mettant en scène des enfants plus ou moins jeunes. C’est le plan d’un jeune adolescent allant annoncer la venue des soldats nordistes qui ouvre le film. Le seul gunfight qui aura lieu au sein d’un western avare en action verra violemment se confronter deux jeunes enfants se tirant dessus pour l'appropriation d’un poulet, une séquence très forte qui démontre très simplement et sans discours toute la meurtrissure de ce déprimant après-guerre. Enfin, nous aurons droit à une émouvante séquence de compassion, celle totalement silencieuse au cours de laquelle Jeff Chandler vient essayer d’apprivoiser une famille de jeunes orphelins en leur apportant vêtements et nourriture. On regrettera que certaines autres pistes historiques n’aient été que succinctement soulevées comme le changement d’attitude des militaires immédiatement après la mort de Lincoln. Plastiquement, Drango est également une jolie réussite notamment (et surtout) grâce à la photographie en noir et blanc très stylisée de James Wong Howe. Ainsi, la séquence du lynchage acquiert toute sa puissance grâce au travail de ce dernier sur les contrastes et les ombres. Concernant la musique, le talentueux Elmer Berstein a écrit une partition très agréable même si elle ne colle pas tout le temps ni au ton de drame de l'après-guerre ni à ses images. Premier film produit par la compagnie fondée par Jeff Chandler et son agent Meyer Mishkin, voici un western qui ne manque pas d’audace ni de noblesse. Plus intrigant que réellement excitant, mais néanmoins très intéressant !
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Jeremy Fox
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Gun for a Coward

Message par Jeremy Fox »

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Une arme pour un lâche (Gun for a Coward - 1957) de Abner Biberman
UNIVERSAL


Avec Fred MacMurray, Janice Rule, Jeffrey Hunter, Chill Wills, Dean Stockwell
Scénario : R. Wright Campbell
Musique : Joseph Gershenson
Photographie : George Robinson (Technicolor 2.35)
Un film produit par William Alland pour la Universal


Sortie USA : 30 Janvier 1957


Dans le domaine du western américain, le mois de janvier 1957 marque surtout l’apparition de nouveaux réalisateurs qui signent leur première et unique contribution au genre. Après Hall Bartlett et son louable mais raté Drango (Le Pays de la haine), c’est désormais au tour d’Abner Biberman de montrer le bout de son nez. Attention, ne pas confondre avec Herbert Biberman, auteur entre autre du puissant film semi-documentaire, Salt of the Earth (Le Sel de la terre) ! Le Biberman qui nous concerne ici fut tout d’abord journaliste puis acteur de théâtre avant d’interpréter d’innombrables seconds rôles au cinéma dont pas mal de ‘Bad Guys’, en commençant par paraître dans le Gunga Din de George Stevens. Peu apprécié sur les tournages en raison de son caractère teigneux, il fut ensuite embauché par le studio Universal afin de former en art dramatique leurs ‘nouvelles recrues’. Biberman s’est souvent vanté d’avoir découvert non moins que Marilyn Monroe, Tony Curtis et Rock Hudson sans que ça n’ait jamais vraiment été confirmé (ni infirmé d'ailleurs). Une arme pour un lâche, son sixième -et l’un de ses rares films ayant été distribué en salles en France-, rentre dans cette catégorie des westerns familiaux à tendance psychologique qui avait commencé à fleurir dès le début de la décennie (The Furies d’Anthony Mann ; La Lance brisée d’Edward Dmytryk ou encore Le Souffle de la violence de Rudolph Maté). La différence est qu’ici, l’accent est principalement mis sur les plus jeunes, ces derniers étant très en vogue ces deux dernières années à Hollywood, avec notamment l’arrivée de James Dean qui aurait dû d’ailleurs tenir le rôle de Bless, repris après son décès par Jeffrey Hunter ('prêté' par la Fox), le scénario étant passé des mains de la Warner dans celle de Universal. Après tout récemment Collines brûlantes de Stuart Heisler avec Natalie Wood et Tab Hunter, la jeunesse est à nouveau mise en avant dans ce Gun for a Coward.

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Will Keough (Fred MacMurray) est l’aîné d’une fratrie de trois. Depuis la mort de son père, c’est lui qui tient les rênes du ranch familial et le fait prospérer . Il est aidé dans sa tâche par ses deux frères, Harry (Dean Stockwell) et Bless (Jeffrey Hunter). Harry est le benjamin, jeune adolescent impulsif, prêt à en découdre pour un oui ou pour un non, alors que Bless, non violent dans l’âme, du fait de ne jamais vouloir sortir son arme, traîne une réputation de couard et de petite nature. Ce qui est certain, c’est qu’il ne se sent pas à sa place au sein de la famille d’autant qu’il se croit responsable de la mort de son père pour ne pas avoir réagi assez promptement au moment opportun pour lui sauver la vie. Will reproche à sa mère (Josephine Hutchinson) d’avoir excessivement couvé Bless ; quand pour rétorquer elle lui annonce qu’elle à l’intention de retourner vivre avec son protégé dans sa région d’origine, à Saint-Louis, Will n’est pas contre, pensant que ce serait ainsi mieux pour tout le monde. Mais la nouvelle comme quoi des bandits seraient venus squatter leurs terres pour s’emparer d’une partie de leur bétail repousse l’échéance de ce départ imminent. De plus, Bless tombe amoureux d’Audrey (Janice Rule) qui n’est autre que la fiancée de son grand frère ; il avoue alors à sa mère qu’il ne désire plus partir. Les mois passent, la mère décède et il est temps de convoyer le bétail qui doit être vendu à Abilène. Avant le grand départ, une fête est donnée au cours de laquelle Audrey et Bless s’avouent leur amour mutuel. Ils n’osent néanmoins encore pas en parler à Will qui compte bien épouser Audrey dès son retour d’Abilène. Le voyage va comporter son lot de tensions d’autant que Stringer (John Larch), leur voisin, en fait partie et qu’il a du mal à digérer le fait que les frères Keough aient racheté ses terres hypothéquées…

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Trois frères aux caractères et tempéraments fort différents ; une mère qui a sa préférence pour un de ses fils ; une jeune femme convoitée par deux des frères. Rien qu'avec ces éléments, le scénariste avait de quoi nous proposer un mélodrame familial captivant. Et on peut dire que R. Wright Campbell (le frère de l'acteur William Campbell, le jeune partenaire de Kirk Douglas dans L'homme qui n'a pas d'étoiles de King Vidor) n'est pas passé loin. Son histoire est d'ailleurs ce qui s'avère le plus réussi dans ce western avec également le choix du casting. Les personnages inventés par l'auteur se trouvent être en effet personnifiés par d'excellents comédiens qui savent les rendre vivants et attachants. Passons les rapidement en revue ! L'aîné, c'est Will qui, suite au décès de son père, s'est substitué à lui, se sacrifiant pour la bonne marche de son ranch. Droit, noble, dur à la tache, courageux, il n'a pas le temps de s'occuper d'autre chose que de la bonne marche de son domaine, reculant sans cesse la date de son mariage, ne prenant pas le temps de s'occuper des problèmes strictement familiaux. Trouvant Bless moyennement efficace, il ira reprocher à sa mère de l'avoir surprotégé, l'ayant ainsi rendu faible. Elle se défendra en disant que son mari lui ayant 'volé' son aîné en l'élevant à la dure comme il le souhaitait, elle a voulu s'accaparer son deuxième fils pour en faire un garçon comme elle avait rêvé en avoir, plus doux et plus cultivé (cette situation nous fait penser un peu au futur très beau mélodrame de Vincente Minnelli, Celui par qui le scandale arrive – Home from the Hill). Bless justement, un jeune homme calme, abhorrant l'utilisation des armes ainsi que la violence, et pour cette raison considéré comme un couard. Il dira ne pas se sentir à sa place place dans ce monde de rudesse et de virilité. Il aurait été prêt à suivre sa mère dans l'Est s'il n'était pas tombé amoureux à ce moment là... de la fiancée de son frère. Enfin, Harry (surnommé Hade), le cadet, jeune tête brulée intrépide faisant risquer le danger à lui comme aux autres par trop d’impulsivité, mais néanmoins pas un mauvais bougre. Il regrette surtout que l'on ne se soit pas assez occupé de lui, ses parents l'ayant laissé livré à lui-même, chacun d'eux ayant déjà porté leur dévolu sur les deux aînés. Se sentant probablement mal-aimé, son réflexe défensif a été de devenir rebelle, emporté et parfois violent. C'est surtout par lui que les drames arriveront.

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Les interprètes de cette fratrie sont par ordre décroissant d'âge, Fred MacMurray, Jeffrey Hunter et Dean Stockwell. Le premier, outre ses rôles mémorables dans Assurance sur la mort (Double Indeminity) ou La Garçonnière (The Appartment), tous deux signés Billy Wilder, est apparu dans une dizaine de westerns. Il est parfait ici dans la peau du grand frère honnête et courageux, seul capable de canaliser le tempérament de feu de son cadet. Ce dernier, c'est Dean Stockwell, l'un des plus talentueux enfants/acteurs qui ait jamais tourné à Hollywood, celui du Garçon aux cheveux verts de Joseph Losey ou deThe Happy Years de William Wellman. Il aurait été facile pour lui d'en faire des tonnes dans le rôle d'un jeune adolescent bouillonant et spontané, ne réfléchissant guère avant d'agir, obéissant avant tout à son instinct. Il n'en est rien et prouve qu'en grandissant, il n'a rien perdu de son brio. Mais celui qui porte le film sur ses épaules, c'est Jeffrey Hunter. A croire que lorsqu'il fait partie de la distribution d'un western, nous sommes quasiment assurés qu'il sera de bonne qualité ; pour s'en assurer, il suffit que je vous cite les titres des précédents films du genre dans lesquels il est apparu en tête d'affiche aux côtés de stars confirmées comme Robert Wagner, John Wayne ou Robert Ryan : ce seront donc respectivement Plume Blanche (White Feather) de Robert D. Webb, La Prisonnière du désert (The Searchers) de John Ford ou encore Le Shérif (The Proud Ones) à nouveau de Robert D. Webb. D'ailleurs, niveau psychologie et thèmes de réflexion, le western d'Abner Biberman pourrait se rapprocher de ce dernier (sans néanmoins lui arriver à la cheville, soyons clairs). Quoiqu'il en soit, Jeffrey Hunter se révèle ici à nouveau très bon acteur dramatique, nous faisant partager avec conviction ses aspirations, ses doutes et la tendresse de ses sentiments. Il ne faudrait cependant pas non plus oublier un quatrième larron qui, mine de rien, les ayant tous connus dès leur plus jeune âge, veille en fait sur eux trois : le régisseur du ranch interprété à merveille par un Chill Wills qui aura rarement été aussi attachant.

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Si l'on aborde à leur tour les personnages féminins, nous avons donc tout d'abord la mère qui a toujours regretté que, chapeauté par son père tenant à en faire un 'homme, son aîné lui ait échappé, et qui a reporté toute son excessive affection sur son deuxième fils. Comprenant qu'il ne la suivra finalement jamais dans l'Est où elle avait la ferme intention de s'exiler avec lui, sachant qu'elle n'arrivera jamais à l'extraire de ce monde honni dans lequel elle ne s'est jamais non plus sentie à son aise, elle se résigne néanmoins à rester pour continuer à vivre auprès de lui. "Je n'avais que toi à aimer toutes ces années" lui avouera t'elle. Mais, continuant à être malheureuse au sein de cette vie menée au ranch, incapable de prendre quelque décision que ce soit, elle décèdera peu après. La séquence de sa mort auprès de Will est d'ailleurs très émouvante puisqu'elle ne se sent pas la force d'attendre que son fils adoré vienne lui faire ses adieux avant de rendre son dernier souffle ; elle demandera à son aîné de lui rapporter les efforts consentis pour y arriver. Josephine Hutchinson est très convaincante, tout comme la charmante Janice Rule dans la peau de la fiancée de Fred MacMurray, plus attirée par le plus jeune Jeffrey Hunter dont,au contraire de la majorité, elle apprécie qu'il n'aime ni la bagarre ni le danger et qu'il soit sensible. Les deux jeunes comédiens se verront attribuer quelques séquences pleine de tendresse comme celle qui précède le départ du convoi de bétail lors d'une soirée organisée pour l'occasion :très belle scène nocturne au sein d'un cimetière.

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La première partie développe toutes ces situations mélodramatiques et romantiques : il s'agit de la plus réussie. La seconde qui débute à mi-film avec le départ du convoi de bétail pour Abilene, se suit elle aussi sans ennui mais se révèle plus conventionnelle et souffre du manque de budget de la production, la plupart des plans de l'avancée du troupeau étant des stock-shots très abîmés de films plus anciens, les quelques plans en studio des comédiens ne faisant rien pour arranger l'aspect un peu étriqué de cette section se voulant pourtant plus aventureuse que celle qui a précédé. Dès l'arrivée en ville, on retrouve la qualité du début, le dramatisme s'exacerbant, les conflits se multipliant, Bless étant pris à partie par la plupart avec pour résultats des duels et bagarres à poings nus assez violents et tendus. Cependant, que les amateurs d'action soient prévenus, ils n'auront pas énormément de séquences mouvementées à se mettre sous la dent, ce western étant avant tout un drame psychologique. Ce n'est pas un mal puisque Biberman s'avère assez fade derrière la caméra, sa mise en scène étant tout à fait impersonnelle. George Robinson à la photographie n'est guère plus convaincant, ses éclairages étant bien trop visibles la plupart du temps lors des séquences filmées en studio. En revanche, Joseph Gershenson supervise une musique tout à fait agréable ; quant à savoir à qui des habituels compositeurs du studio attribuer les belles mélodies romantiques du film, ce n'est pas évident, même si j'aurais tendance à penser qu'elles sont signées par le très bon Frank Skinner.

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Une belle histoire familiale que beaucoup trouveront probablement et à juste titre manquer d’énergie, trop bavarde et mal rythmée, mais qui aura eu le mérite d'être bien écrite et remarquablement interprétée. Un hymne à la différence dont malheureusement la fin va à l'encontre de tout ce qui a précédé, Bless, enfin respecté, prenant la place de son frère à la tête de la propriété familiale, l'aîné partant dans d'autres contrées s'octroyer une retraite bien méritée. Une fin également assez abrupte puisque nous laissons Bless et ses hommes sur le point de partir à la recherche des bandits, les producteurs ayant peut-être jugés trop coûteux de tourner une nouvelle séquence d'action pour boucler leur film ; ou alors, les conflits avec les bandits n'étant qu'un des moteurs permettant d'exacerber les conflits entre les frères, on a pas jugé utile de nous faire savoir comment les démêlées de la famille Keough avec les bandits allaient prendre fin (en même temps on devine aisément que outlaws vont être définitivement mis au rencart par le nouveau chef de famille). Malgré tout, une belle dernière phrase prononcée par Joel McCrea à celle qui aurait due devenir son épouse et qui accepte avec difficulté cette nouvelle situation, elle qui était tombée amoureuse de Bless justement parce qu'il n'était pas comme les autres et qui le voit maintenant prendre la place de son aîné pour se mettre à commander un Posse : "Si on attend que tout soit parfait, on est perdu". Pas franchement excitant mais intéressant notamment dans la réflexion qui est menée sur la violence, la bravoure, le pacifisme et la nécessité de ne jamais paraître faible dans un univers aussi machiste. Assez jubilatoire également que ce soit le personnage le moins 'héroïque' qui représente la voix de la raison. Un petit western en fin de compte bien sympathique même si certains pourront s'y ennuyer à mourir : ce fut d'ailleurs mon cas à la première vision.
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Three Violent People

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Terre sans pardon (Three Violent People - 1957) de Rudolph Maté
PARAMOUNT


Avec Charlton Heston, Anne Baxter, Gilbert Roland, Tom Tryon, Forrest Tucker
Scénario : James Edward Grant
Musique : Walter Scharf
Photographie : Loyal Griggs (Technicolor 1.85)
Un film produit par Hugh Brown pour la Paramount


Sortie USA : 09 février 1957


Quelques semaines après la sortie de Drango (Le Pays de la haine) réalisé par Hall Bartlett, voici à nouveau un western ayant pour toile de fonds une période qui a immédiatement suivie la Guerre de Sécession, celle dite de ‘la reconstruction’ ; une ère heureusement de courte durée au cours de laquelle, après la mort de Lincoln, un gouvernement provisoire s’est installé et a envoyé des ‘Carpetbaggers’ essayer de s’approprier toutes les terres des ex-confédérés en les pressant de taxes colossales dont il était quasiment impossible de s’acquitter. Three Violent People est le dernier des six westerns signés par Rudolph Maté. On peut désormais affirmer preuves à l’appui que cet immense chef-opérateur n’aura pas spécialement brillé en tant que réalisateur, tout du moins dans le genre ; on se souviendra de lui surtout grâce au film noir. Néanmoins, il ne nous aura pas moins délivré quelques plaisants westerns à commencer par son premier essai, Marqué au fer (Branded) avec Alan Ladd, mais aussi, toujours dans le drame westernien familial et psychologique, peut-être sa plus belle réussite, Le Souffle de la violence (The Violent Men) avec Glenn Ford. Dans le domaine du western fantaisiste, les plutôt bien rythmés Le Siège de la rivière rouge (Siege at Red River) avec Van Johnson et surtout Les Années sauvages (The Rawhide Years) avec Tony Curtis, nous auront également grandement diverti. Un cursus finalement pas désagréable si ce n’est mémorable, simplement ‘gâché’ par un western d’aventure sans souffle et totalement raté, Horizons lointains (The Far Horizons), ainsi que par un troisième mélodrame westernien, celui qui nous concerne ici, pas spécialement mauvais mais franchement très moyen, en tout cas sacrément décevant. Charlton Heston, tête d’affiche de ces deux films, n’aura pas vraiment porté chance au cinéaste.

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La Guerre civile vient de se terminer. Le Capitaine Colt Saunders (Charlton Heston) de l’ex-armée confédérée revient dans son Texas natal. Voulant prendre la défense de Lorna Hunter (Anne Baxter), une jeune femme qui vient de lui taper dans l’œil à sa descente de diligence, il se fait assommer par les railleurs Yankees. Lorna le conduit dans une chambre d’hôtel afin qu’il y soit soigné et profite de son évanouissement pour lui subtiliser les 900 dollars qu’il avait en poche. Lorsqu’elle apprend par une vieille connaissance, Ruby LaSalle (Elaine Stritch), tenancière de l’hôtel de la ville, que Saunders est un des ranchers les plus riches de la région, elle retourne le voir espérant le séduire. Sans rien connaître de son passé et sur un coup de tête, Saunders lui propose immédiatement de la prendre pour épouse ; ce qu’elle accepte aussitôt. Les voilà partis pour le ranch Bar S ! En arrivant sur le domaine familial, Colt a la désagréable surprise de voir que la brebis galeuse de la famille, déshéritée par son grand-père, son frère Beauregard (Tom Tryon), est revenu pour réclamer son dû. Se sentant responsable de son infirmité (il lui manque un bras), Colt accepte de vivre à nouveau à ses côtés et de lui octroyer la part qui lui revient. D’autre part, Harrison (Bruce Bennett), l’envoyé corrompu du gouvernement provisoire du Texas, lui demande d’imposantes taxes, espérant secrètement qu’il ne puisse pas s’en acquitter et soit ainsi obligé de vendre son domaine. La situation empire lorsqu’un autre ‘carpetbaggers’ reconnait Lorna ; à partir du moment où Saunders sait que son épouse fut une femme de petite vertu, il la répudie. Mais le régisseur du domaine, le probe Innociencio (Gilbert Roland), qui vient avec succès de gérer le ranch pendant cinq ans, continue à veiller au grain et, avec l’aide de ses cinq fils, va essayer d’arranger les problèmes, y compris les peines de cœur de ses patrons…

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James Edward Grant à l’écriture, Loyal Griggs à la photographie, le couple Néfertiti/Moïse des Dix Commandements de Cecil B. DeMille à nouveau reformé, ainsi que de nombreux éléments dramatiques et historiques à priori très intéressants sur le papier : tout ceci n’est malheureusement pas suffisant pour faire de ce Three Violent People (comprenne le titre qui pourra) un mélodrame westernien captivant. Il commençait pourtant plutôt bien, un peu la manière du début d'Autant en emporte le vent, avec, au travers de longues séquences très bien dialoguées, la présentation du personnage culotté et haut en couleurs interprété par Anne Baxter et ses relations fougueuses avec Charlton Heston. Le prenant de prime abord pour un parfait pigeon, elle finit par tomber sous son charme (la richesse en faisant néanmoins partie : on ne passe pas de roublarde en chef à amoureuse passionnée en un tournemain). Après un intéressant prologue plantant le décor de cette époque de l’après Guerre de Sécession au cours de laquelle les ex-confédérés furent malmenés par les envoyés sans scrupules du gouvernement provisoire, les 20 minutes suivantes se rapprochent donc plus de la comédie romantique et vaudevillesque que du western. Les scènes qui voient rassemblées Anne Baxter et Elaine Stritch sont même assez jubilatoires et cela continue de la sorte jusqu’à la fameuse séquence des ‘dessous’ (Charlton Heston prend Anne Baxter par les pieds et la secoue pour voir s’il tombera son argent volé de sous les jupons de la demoiselle). Malgré une mise en scène paresseuse et impersonnelle ainsi qu’une musique insipide, on se prend à rêver que le film se poursuive aussi plaisamment d’autant que les dialogues sont bien relevés, que les costumes d’Anne Baxter sont un régal pour les yeux tout comme la sublime photographie de Loyal Griggs… Puis, sans que ça ne paraisse crédible une seule seconde, alors qu’il est censé plein de bon sens et de droiture ("Le Rio Grande dévie son cours. Pas un Saunders" dit-on de lui), Colt demande de but en blanc à Lorna de l’épouser alors qu’ils ne se connaissent que depuis cinq minutes ! Plus tard, le revirement subi à l’encontre de sa femme, lorsqu’il vient à apprendre son passé sordide, n’est guère plus convaincant et son personnage devient par la même occasion assez haïssable par sa muflerie, son étroitesse d’esprit et sa bêtise. Mais surtout, dès que l’on passe, avant même la fin du premier tiers, de la comédie au drame, tout devient bien plus conventionnel et sans presque aucune surprise.

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En effet, dès que le couple arrive dans le domaine familial de Colt, le film change de ton mais n’arrive presque jamais plus à décoller ; un comble pour un mélodrame qui semblait vouloir prendre la direction d’un film comme Duel au soleil de King Vidor. Mais là où ce dernier devenait génial par son outrance et sa démesure, le film de Maté est totalement dépourvu de l’un comme de l’autre. Un mélodrame sans la moindre emphase ou forte sensibilité pourrait en quelque sorte être considéré comme une comédie sans humour ; dans te tels cas de figure, le résultat n'est que rarement attrayant ! On imagine ce qu'une telle histoire aurait pu donner sous la houlette de Michael Curtiz, au début pressenti pour réaliser le film. Ici, que ce soient les relations entre Colt et son frère manchot, celles se faisant jour entre ce dernier et Lorna, ou encore le banal conflit entre ranchers et carpetbaggers, rien ne sort de l’ordinaire, ou alors rien n’est suffisamment approfondi pour que ces différents éléments de l’intrigue continuent à nous tenir en haleine. Et là, la faute n’en incombe plus seulement à la mise en scène cotonneuse de Rudolph Maté mais il s’agit également bel et bien d’un problème d’écriture. James Edward Grant a-t-il eu la mainmise totale sur son scénario ? Il semblerait que non et que, s’il est resté le seul crédité au générique, il aurait été ‘aidé’ par deux autres personnes. L’impression qu’il en ressort est que les auteurs n’ont pas tous été sur la même longueur d’ondes concernant l’avancée de l’intrigue ou le ton à donner à leur histoire. Car même les retournements de situations ou coups de théâtres paraissent factices et (ou) trop rapides, voire peu crédibles ni convaincants. Tout comme le personnage interprété par un Gilbert Roland sous-employé, celui du contremaitre fidèle qui ne s’exprime que rarement sans un lyrisme souvent plus niaiseux que poétique, ce qui ressort encore plus lorsqu’il est entouré de ses cinq fils aux sourires de godiches. "Ma belle dame, maintenant que vous êtes parmi nous, le soleil se lèvera chaque matin sur les pentes verdoyantes de la Cordillère. L’herbe sera plus verte, le grain poussera plus vite, et la lune montante repeindra les montagnes d'argent grâce à votre présence. C'est pourquoi Senora, nous vous souhaitons bienvenue au ranch BAR S, ainsi que dans nos cœurs" déclamera Innocencio pour accueillir sa nouvelle patronne. Gilbert Roland aura le même style de phrases ampoulées à débiter lorsqu’il devra expliquer l’amour à l’un de ses fils ; autant dire que l’on passe parfois très près du ridicule ; heureusement que Gilbert Roland est un comédien chevronné (inoubliable par exemple dans La Dame et le toréador de Budd Boetticher) et que dans sa bouche de tels discours arrivent néanmoins -tout juste- à passer. Dommage qu’il ait été rendu aussi irritant car sinon son personnage était très attachant, symbole de l’amitié indéfectible, du bon sens et de la raison.

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Le reste de la distribution est composé par une Anne Baxter que l’on aura rarement vu aussi belle (merci également à Edith Head pour la multiplicité de ses splendides costumes), un Charlton Heston à nouveau dans la peau d'un macho et d'un mufle (personnage qui ressemble d’ailleurs beaucoup à celui qu’il tenait dans l’étonnant The Naked Jungle de Byron Haskin), un Tom Tryon qui se sort plutôt bien d’un protagoniste infirme écrit à la truelle, et de deux seconds rôles plutôt convaincants du côté des vils envoyés du gouvernement, Bruce Bennett et surtout Forrest Tucker qui était déjà le partenaire de Charlton Heston dans le plaisant Pony Express de Jerry Hopper. Si l’ensemble, presque jamais ennuyeux, nous aura néanmoins paru trop convenu et un peu lourd faute à un script et à une mise en scène peu inspirés, plastiquement, le film est néanmoins un régal pour les yeux grâce à l’alchimie qui s’opère entre le travail de Loyal Griggs (Shane), le Technicolor et la Vistavision. Parmi les points positifs, on trouve aussi une très belle séquence initiée par Anne Baxter, lorsque celle-ci, sur le point de quitter le foyer familial en laissant son nouveau-né à son mari, lui tient un beau discours sur le droit à l’erreur : “When you're raising the boy, try to remember something. The people aren't perfect. They make mistakes. And when they do, they suffer, they pay. So when he makes his mistakes, try to find it in you to forgive him.” Et enfin, le duel final entre Charlton Heston et Tom Tryon bénéficie d’une idée intéressante pour entretenir le suspense : une bouteille d’alcool est retournée ouverte sur la table et les deux adversaires doivent dégainer une fois le récipient complètement vide. Pour résumer, un début assez jubilatoire, quelques bonnes idées, une photographie splendide et un casting correct pour un résultat certes pas déshonorant mais dans l'ensemble bâclé et assez insipide.
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Jeremy Fox
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The Big Land

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Les Loups dans la vallée (The Big Land - 1957) de Gordon Douglas
WARNER


Avec Alan Ladd, Edmond O'Brien, Virginia Mayo, Anthony Caruso, John Qualen
Scénario : David Dortort & Martin Rackin d'après une histoire de Frank Gruber
Musique : David Buttolph
Photographie : John F. Seitz (Warnercolor 1.33)
Un film produit par Alan Ladd pour la Jaguar (Warner)


Sortie USA : 01 mars 1957


Même si Face au châtiment (The Doolins of Oklahoma), sa première contribution au western, s’était révélée extrêmement attachante, par la suite, jusqu’en ce début 1957, Gordon Douglas n’aura pas forcément brillé à l’intérieur du genre, beaucoup de ses westerns qui ont suivi n’ayant pas été entièrement satisfaisants : se succédèrent un exercice de style un peu froid (Only the Valiant - Fort Invincible), un bon divertissement guère mémorable (The Nevadan – L’Homme du Nevada), voire un film très médiocre (The Great Missouri Raid - Les Rebelles du Missouri). Avec le méconnu Les Loups dans la vallée, le cinéaste nous offre à nouveau, après son premier western, un autre au charme certain et au ton étonnamment doux, une des constantes des westerns interprétés par Alan Ladd, ce qui nous renseigne sur le fait que le comédien avait probablement son mot à dire sur les scénarios et les personnages qu’on lui donnait à jouer. Des films dans l’ensemble d’une très belle probité, souvent d’une grande douceur dans les relations entre les personnages et au rythme plutôt serein. L’action est très souvent réduite à portion congrue mais lorsqu’elle fait son apparition, elle nous déçoit rarement tellement le contraste entre sa brutalité et la délicatesse de ce qui a précédé provoque son effet. Pour la troisième fois consécutive en ce début d’année 1957 (après Drango de Hall Bartlett et Terre sans pardon de Rudolph Maté), Les Loups dans la vallée, adaptée d’une histoire de Frank Gruber, prend pour toile de fonds la période qui a immédiatement suivie la fin de la Guerre de Sécession, ère dite de la ‘reconstruction’ au cours de laquelle les vaincus furent souvent maltraités par les vainqueurs, les rancœurs étant tenaces, les Yankees cherchant par tous les moyens à rabaisser leurs anciens adversaires en les tenant à l’écart de toutes activités ou en les dépossédant de tous leurs biens.

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Chad Morgan (Alan Ladd), ancien soldat confédéré, conduit un troupeau de bétail jusqu'au Missouri avec ses voisins texans, tous ayant besoin de refaire fortune après ces douloureuses années de guerre. Chad pense pouvoir vendre à bon prix leurs 2000 bêtes, les états de l’Est étant en flagrant manque de viande. Malheureusement, ayant fait place nette par intimidation, un seul acheteur est présent sur les lieux, le peu sympathique Brog (Anthony Caruso) qui leur propose 1.50 dollars la tête au lieu des 10 dollars annoncés. Les éleveurs veulent se révolter mais Chad accepte de vendre ses bêtes à ce prix ridiculement bas. Ses amis s'estiment trahis et retournent dans leur Texas natal tout en se jurant de se venger de ce coup pendable, de cette perte de temps et d’argent. Se sentant responsable, de peur d’être tué, Chad décide de se faire oublier en restant quelques temps dans le Missouri. Lors d’un violent orage, ayant fait une halte dans une grange louée aux sans abris sudistes (les hôtels refusant de les accepter), Chad sauve Joe Jagger (Edmond O’Brien) de la pendaison ; ils s’enfuient tous deux avec des chevaux volés aux lyncheurs. Obligés de quitter le Missouri sous peine d’être pendus haut et court, ils arrivent au Kansas et font une pause dans une ferme tenue par Sven Johnson (John Qualen). Ici, Chad apprend qu’avant de s’adonner à la boisson, son compagnon de route avait été architecte. Il lui soumet alors ce projet fou de bâtir leur propre ville où les ranchers texans pourraient amener leur bétail en raccourcissant la distance du convoyage et sans être embêtés par des escrocs tels que Brog. Il découvre également que le beau-frère de Joe, Tom Draper (Don Castle), est un ingénieur ferroviaire. Si celui-ci pouvait prolonger la ligne de chemin de fer jusqu’à la ville dont il rêve, plus rien ne les empêcherait d’être prospères, et lui, de pouvoir se racheter auprès de ses confrères éleveurs. En allant lui soumettre cette proposition, il tombe amoureux de sa fiancée Helen (Virginia Mayo), la sœur de Joe...

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"The East Needs Beef !" : une phrase qui revient à de très nombreuses reprises dans le courant de ce western et qui pose d’emblée les jalons de cette histoire finalement assez simple malgré ses nombreuses ramifications (triangle amoureux, dignité retrouvée d'un alcoolique, tentative de rachat du 'héros traître'...). La Guerre de Sécession a pris fin et les États de l’Est souffrent d’une carence en viande. Une aubaine pour les Texans qui, pour la plupart d’ex-confédérés, ont presque tout perdu durant ces cinq années de conflit. Seulement, les éleveurs doivent convoyer leurs bêtes jusqu’à la première gare de chemin de fer qui se rend dans l’Est, à savoir dans le Missouri. Arrivés à destination, tout n’est pas encore gagné puisqu’ils se trouvent encore confrontés à la haine envers les Sudistes qui perdure toujours et aux escrocs qui ne cherchent qu’à les rabaisser encore plus, la victoire ne leur ayant pas suffit. Par intimidation, un seul acheteur est sur place et il s’agit d’un profiteur qui, sans concurrence, peut ainsi imposer aux vendeurs des prix dérisoires qu’ils sont obligés d’accepter s’ils ne veulent pas repartir bredouilles. Les Loups dans la vallée trace donc dans un premier temps un portrait peu reluisant de cette période dramatique pour les vaincus de la Guerre Civile. Alors que Chad décide de rester dans la région, honteux d’avoir ‘trahi’ ses compatriotes éleveurs, il est rejeté par les hôteliers du coin et, sous une pluie battante (très beaux éclairages de John F. Seitz), trouve à se loger pour la nuit dans une grange où un fermier accepte d’accueillir tous ceux qui sont rejetés. Idée assez nouvelle dans le western que ce 'refuge pour sans-abris' qui donne naissance à une séquence très réussie au cours de laquelle Chad fait la connaissance du deuxième personnage principal du film, un alcoolique invétéré interprété par Edmond O’Brien dans l’un de ses plus beaux rôles westerniens, un personnage non dénué d’humour ("I've been eating so much rabbit, when I sleep at night, I keep dreaming about carrots."). Pour avoir voulu voler une bouteille d’alcool, il manque de se faire lyncher mais, malgré sa haine des armes et de la violence pour avoir assisté à trop de tueries durant la Guerre Civile, Chad lui sauve la vie en faisant preuve de sa virtuosité au pistolet. Devenu voleurs de chevaux malgré eux, ils sont obligés d’émigrer au Kansas. Un long chemin les attend durant lequel ils font plus ample connaissance, Chad expliquant sa haine de la violence, Joe les causes de son alcoolisme.

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Le film est tout du long ainsi construit : de longues séquences au cours desquelles on apprend à connaître les personnages et où on les voit tranquillement évoluer, entrecoupées de brèves et efficaces scènes d’action qui font repartir les protagonistes vers d’autres lieux, d'autres horizons, d'autre problèmes. Arrivé au Kansas, notre duo est hébergé par une famille d’émigrants suédois dont les deux enfants sont interprétés par la propre progéniture d’Alan Ladd. L’arrivée de Chad et Joe à la ferme avec l’accueil des deux jeunes garçons nous fait malheureusement nous souvenir de la main lourde que pouvait avoir la Warner sur certains ingrédients au sein des westerns qu'elle produisait : abus de transparences, humour répétitif et lourdingue ainsi qu'une musique illustrative parfois insupportable, signée en l'occurence une nouvelle fois par le tâcheron qu’était David Buttolph à qui il faut quand même attribuer ici un très beau thème principal. Ses fautes de goûts oubliées, on assiste ensuite à des conversations crédibles et très intéressantes sur la culture du blé, la difficulté à pouvoir vendre la récolte à cause de la grande distance qui sépare la ferme de la première gare… C’est de là que germent dans la tête des principaux protagonistes les idées qui vont lancer le film vers d’autres horizons scénaristiques, la construction de leur propre ville et la volonté de faire venir le train jusqu’à eux. S'ensuivent d'amples et belles séquences de l'édification puis de la destruction nocturne de la ville, pour en arriver à la dernière partie où, le projet ayant enfin abouti grâce à la persévérance, l’entraide et l’entrain de ce petit microcosme bienveillant, les éleveurs texans sont attendus de pied ferme par les gros acheteurs de l’Est. Le suspense est bien construit et la tension va en grandissant puisqu’arrive également en ville le fameux Brog du début, celui qui avait aussi précédemment incendié la ville avant de baisser les bras devant la ténacité surhumaine des habitants qui auraient probablement recommencé à bâtir autant de fois qu’il l'aurait fallu.

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A la lecture de ces lignes, on se rend compte que les valeurs d’entraide, de bienveillance, de courage et de lutte sont ici mises en avant, le cynisme étant laissé de côté comme dans la plupart des westerns avec Alan Ladd. Il a d’ailleurs lui-même produit le film au sein de sa petite compagnie Jaguar dont le premier essai avait été Drum Beat (L’aigle solitaire) de Delmer Daves. Le thème de la possibilité de faire des erreurs et de l'importance de se voir accorder une deuxième chance sont aussi de la partie puisque l’ex-alcoolique deviendra sobre par amitié pour son nouvel ami et par le fait de se sentir à nouveau indispensable à la mise en œuvre d’un projet ‘d’utilité publique’, le challenge le stimulant à retrouver sa totale dignité. Ceux qui assimilent les bons sentiments à de la mièvrerie ne devraient pas être à la fête à moins qu’ils puissent découvrir grâce à ce film que ces thématiques 'angéliques' peuvent parfois être pourvoyeuses d’émotion sincère surtout quand elles sont portées par de bons acteurs qui semblent y croire dur comme fer tels qu’Alan Ladd (pour la quatrième fois sous la direction du cinéaste après entre autre avoir interprété Jim Bowie dans La Maîtresse de fer - The Iron Mistress), George O’Brien ou encore Virginia Mayo ici assez touchante notamment lorsqu’elle vient remercier Chad d’avoir fait retrouver l’estime de soi à son frère. Attendrissant aussi le regard de Don Castle quant il s’aperçoit que sa fiancée est amoureuse d’un autre ; tout comme son attitude compréhensive à son égard. En revanche, du côté des ‘Bad Guys’, les interprètes sont moins convaincants ; mais la faute en incombe surement en premier lieu aux scénaristes qui s’en sont à priori bien moins intéressés, et de ce fait les ont croqué de manière tout à fait conventionnelle. Seul Anthony Caruso dans le rôle de l’acheteur contrôlant le marché par intimidation a de l’importance dans le cours de l'intrigue, cabotinant assez mal, ses acolytes n’étant que de simples pantins à son service, aucunement développés par les auteurs et finalement sans vie.

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Un joli scénario ainsi qu’une mise en scène efficace qui n’arrivent malheureusement pas toujours à pallier le manque flagrant de moyens, parfois sacrément pénalisant notamment dans l’utilisation à outrances de transparences en extérieurs et ce, dès le début, lors de l’arrivée des éleveurs à la gare et leur conflit avec Anthony Caruso. On savait la Warner habituée de ce genre de méthodes mais le budget restreint de ce film précis augmente encore leur utilisation peu gratifiante ; on ne peut de ce fait pas dire que l’aspect plastique du film soit très réussi ; il était d'ailleurs également assez rare de voir encore un western filmé en 1.37 à cette date. Si on y ajoute les quelques fautes de goûts déjà relevées et une fin trop vite expédiée (poussé à bout, Alan Ladd ressort finalement ses armes pour précipiter la fin des gêneurs : ce revirement final n’est pas une nouveauté et de plus va à l’encontre de ce qui a précédé), Les Loups dans la vallée ne peut encore prétendre atteindre des sommets dans le genre (le cinéaste s’en approchera parfois par la suite mais flirtera malheureusement aussi à quelques reprises avec les tréfonds). Le film reste néanmoins une très sympathique réussite au ton très attachant et au rythme serein. Sans réelles surprises mais bougrement plaisant.
bogart
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par bogart »

Western qui fait parti de mes souvenirs d'adolescents. Sidonis si tu traines sur ce forum...
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Jeremy Fox
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War Drums

Message par Jeremy Fox »

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Les Tambours de la guerre (War Drums - 1957) de Reginald LeBorg
UNITED ARTISTS


Avec Lex Barker, Joan Taylor, Ben Johnson, Larry Chance
Scénario : Gerald Drayson Adams
Musique : Les Baxter
Photographie : William Margulies (DeLuxe 1.37)
Un film produit par Howard C. Koch pour la United Artists


Sortie USA : 21 mars 1957



Mangas Coloradas (Lex Barker) et ses braves guerriers Apaches attaquent un ranch où s’étaient réfugiés des bandits mexicains venant de voler leurs chevaux. Les indiens massacrent tous les mexicains et récupèrent leurs biens ; ils ramènent aussi Riva (Joan Taylor), métisse moitié indienne moitié mexicaine qui était devenue l’esclave des brigands après que son père se soit fait assassiner par leurs soins, en attendant d’être vendue comme prostituée. Sur le chemin du retour au campement, Mangas croise la route d’un grand ami à lui, le trappeur Luke Fargo (Ben Johnson), qui tombe immédiatement sous le charme de la jeune femme et qui propose au chef Apache de l’échanger contres des armes. Mais Mangas refuse, ayant décidé de la prendre pour épouse ; les voilà repartis chacun de leurs côtés. Dans son village, on voit d’un très mauvais œil le fait que Mangas décide de se marier avec une métisse, et notamment le sorcier (John Colicos) qui pense que cet acte va porter malheur à leur tribu. Mangas doit d’ailleurs se battre à mort contre deux guerriers qui refusaient également cette union. Les sœurs et cousines du chef sont elles aussi choquées lorsque, au lieu de s’occuper des tâches ménagères dévolues aux femmes, Riva décide d’être guerrière et chasseresse aux côtés de son époux. Elle va d’ailleurs bientôt pouvoir prouver ses capacités à se battre le jour où des chercheurs d’or viennent mettre à mal le traité de paix en s’aventurant sur les terres indiennes. Craignant le pire, Luke va faire son possible pour que la situation ne s’envenime pas plus, en allant trouver son ami indien…

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Avant de vous toucher deux mots de ce western qui ne mérite pas que nous nous y attardions bien longuement (d’ailleurs Patrick Brion lui-même, lors de sa présentation du film sur le bonus du DVD Sidonis, prèfère carrément éviter d’en parler, se contentant de dire en une phrase laconique qu’il s’agit d’une curiosité), revenons brièvement sur Reginald Le Borg, cinéaste d’origine autrichienne qui, aux dires des connaisseurs, n’aurait pas démérité dans d’autres domaines que le western. Espérons que ce soit effectivement le cas, car en revanche il ne nous aura démontré aucun talent dans le genre qui nous concerne ici. Il commença par étudier la musique avec Arnold Schoenberg puis partit faire des études en France à la Sorbonne, avant de travailler à la mise en scène de spectacles musicaux en Allemagne dans les années 20 aux côtés de Max Reinhardt. Autant dire que le cinéma n’était pas sa vocation première. Il ne s’en cachera d’ailleurs jamais, disant avoir tourné uniquement pour gagner sa vie et non par passion pour son métier. A Hollywood, il commença par superviser les scènes d’opéras incluses dans les films de la Fox et de la Paramount avant de devenir réalisateur de seconde équipe à la MGM. Une fois passé à la Universal, on lui confia tout d’abord la réalisation de nombreux courts métrages musicaux avant qu’il ne se spécialise surtout dans le fantastique (Le Fantôme de la Momie - The Mummy’s Ghost) -faisant parfois tourner les habitués du genre que sont Lon Chaney Jr et Vincent Price- ainsi que dans le film d’aventures de série Z (la série des Joe Palooka). Il est également à l’origine d’une adaptation parait-il intéressante du Horla de Maupassant (L’étrange histoire du juge Cordier - Diary of a Madman) ainsi que d’une série de cinq westerns dont le minable Wyoming Mail (Dangereuse mission) qui sera son premier essai dans le genre, ou bien encore ce guère meilleur Les Tambours de le guerre (War Drums). "Je n'ai jamais fait attention à ce que je tournais" disait le cinéaste avec une grande lucidité ; en effet, ce western vient malheureusement de nouveau nous le confirmer. Et pourtant le pitch de départ s’avérait une fois encore, comme celui de Wyoming Mail, pour le moins alléchant, certaines situations assez nouvelles.

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En effet, nous n’avions encore que rarement eu l’occasion de voir un western narrant les rivalités entre indiens et mexicains ou de tomber sur un triangle amoureux mettant en scène un indien, un blanc et une métisse. Et puis, surtout en ces temps d’intolérance et de remise en cause de nos valeurs démocratiques les plus saines, il n’est jamais désagréable de tomber sur un western progressiste, en l’occurrence à la fois pro-indien et féministe avant l’heure, prônant l’émancipation de la femme. Dans la première séquence avec Ben Johnson, celui-ci, pour contrer son compagnon de voyage qui critique la sorte d’esclavage qui consiste pour les mexicains à vendre leurs prisonnières pour les saloons, lui rétorque que le fait pour les États-Unis de vouloir enfermer les Apaches dans des réserves en est également une autre forme. Et puis voir l’épouse d’un grand chef préférer la bagarre et la chasse aux tâches ménagères et à la cuisine n’était pas non plus si courant dans le cinéma de l’époque. Le premier quart d’heure laissait donc espérer un honnête western d’autant que la scène d’action qui lui servait de prologue n’était pas sans une certaine brutalité inaccoutumée, les lances et flèches lacérant et traversant allègrement les corps. De l’action, une situation bien posée, des messages progressistes, trois comédiens assez convaincants et de superbes paysages en couleurs : ça partait plutôt bien ! Puis au bout d’un quart d’heure, dès que l’on arrive au campement indien au sein duquel va se dérouler une grande partie du film, plus rien ne fonctionne ! Si le film de Reginald LeBorg semblait vouloir suivre la droite lignée de La Flèche brisée (Broken Arrow), il n’emprunte finalement que la voie d’un mauvais film de la série des Winnetou, la naïveté lyrique du premier se transformant bien vite en niaiserie infantile, kitsch et risible. Et cela débute dès l'apparition des personnages de la sœur et de la cousine de Mangas qu’on dirait sorties tout droit d’un mauvais Soap : maquillages, coiffures et accoutrements, accents et comportements…rien n’est crédible un seul instant et on se met discrètement à décrocher devant un film au budget de série B se mettant à ressembler de plus en plus à une œuvre de série Z.

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S’ensuivent des combats mal filmés, des répliques d’une grande niaiserie, des scènes romantiques d’un ridicule achevé (Joan Taylor apprenant à Lex Barker à rouler un patin) et une intrigue qui devient totalement inintéressante. La mise en scène amorphe de Reginald LeBorg n’arrange évidemment rien à l’affaire, les petites 72 minutes du film semblant alors durer une éternité. Heureusement qu’il reste de très beaux paysages (néanmoins très moyennement exploités par le cinéaste), ainsi que les deux acteurs principaux qui, à défaut de grands talents dramatiques, font cependant ce qu’ils peuvent pour rendre leurs personnages captivants, s’acquittant au moins avec professionalisme de leur travail d’interprétation. Lex Barker, doté d’une belle musculature (il le fallait pour avoir été l’un des innombrables interprètes de Tarzan) arrive à convaincre dans la peau de Mangas Coloradas, personnage réel qui fut l’un des chefs Apaches les plus charismatiques avant Geronimo et Cochise, et que l'on avait précédemment rencontré dans un western de Lesley Selander datant de 1955, Fort Yuma avec déjà l’actrice Joan Taylor ; quant à Ben Johnson, entre les univers de John Ford et de Sam Peckinpah, il arrive toujours à se rendre sympathique, son personnage de trappeur amoureux de l’épouse de son meilleur ami parvenant à nous être par moments attachant. Il y avait donc de quoi accoucher d’un honnête western si les auteurs avaient fait un minimum d’efforts ; ce qui n’est ni le cas de Reginald LeBorg, pas plus que celui de Gerald Drayson Adams. Si ce dernier, surtout spécialisé dans le western pro-indien, avait écrit le très honorable Au mépris des lois (The Battle of Apache Pass) de George Sherman, il avait en revanche déjà complètement ratés ceux de Taza fils de Cochise de Douglas Sirk ou du Grand Chef (Chief Crazy Horse) de George Sherman, néanmoins bien plus agréables à regarder grâce à la qualité de leur mise en scène, surtout d’ailleurs le second et la splendeur de ses cadrages en cinémascope.

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A voir éventuellement pour la beauté des paysages naturels, pour quelques cascades, pour un thème musical romantique assez plaisant (le reste de la composition s’avérant totalement à côté de la plaque), pour les admirateurs de Ben Johnson, pour ceux qui veulent voir Stuart Whitman le temps de quelques minutes, ou au contraire pour ceux qui voudraient rigoler entre copains devant une squaw qui préfigure Xena la princesse guerrière ou au vues des danses indiennes parmi les plus kitschs jamais filmées. Mais plus sérieusement, pour le reste, mieux vaut passer son chemin plutôt que de perdre son temps devant un western aussi mollasson et qui devient très vite extrêmement ennuyeux. Que ceux qui auraient voulu tomber sur une bonne biographie de Mangas Coloradas ne s'y attardent pas non plus ; pour un exemple parmi tant d'autres, il leur faut savoir que contrairement à un Lex Barker en pleine fougueuse jeunesse, le chef indien avait en réalité plus de 60 ans au moment où l’histoire se déroule ! Un western pro-indien sur lequel on peut aisément faire l'impasse.
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Jack Carter
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par Jack Carter »

faut esperer une fournée western des Tresors Warner..parce que bon, les pre-code, ça va 5 minutes.. :mrgreen:
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The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
feb
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par feb »

Allez je balance une petite pique et je me barre comme si de rien n'était, bravo bel esprit :mrgreen:
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Jeremy Fox
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Utah Blaine

Message par Jeremy Fox »

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Le Traquenard des Sans-lois (Utah Blaine, 1957) de Fred F. Sears
COLUMBIA


Avec Rory Calhoun, Ray Teal, Susan Cummings, Angela Stevens
Scénario : Robert E. Kent d’après Louis l’Amour
Musique : George Duning
Photographie : Benjamin H. Kline (Noir et blanc)
Une production Sam Katzman pour la Columbia
Couleur - 72 mn


Sortie USA : 01 Février 1957


Joe Neal, un gros rancher, est sur le point de succomber à un lynchage organisé par de petits éleveurs s’étant regroupés sous la direction de Russ Nevers (Ray Teal) pour s’accaparer les terres de la région. Il est sauvé in extremis par un certain Utah Blaine (Rory Calhoun) qui arrive du Mexique à la recherche d’un ex-complice l’ayant trahi. Il s’avère que l’homme dont il suit la piste fait partie du groupe qui vient de pendre le vieil homme. Pour le récompenser de lui avoir sauvé la vie, Neal propose à Blaine le poste de régisseur de son ranch et, s’il parvient à se débarrasser des lyncheurs, pas moins que la moitié de ses terres. Rêvant depuis toujours d'être propriétaire, Blaine accepte. Il va être aidé dans sa dangereuse mission par Angie (Susan Cummings), la fille de l’autre gros éleveur de la région qui vient d’être tué par la même bande…

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Comme déjà Les Forbans du désert (Ambush at Tomahawk Gap), l’un des rares westerns de Fred F. Sears dont il nous avait déjà été donné l'occasion de découvrir en France, Utah Blaine (du nom de son protagoniste principal interprété par Rory Calhoun), est un film à très petit budget tourné très rapidement, le réalisateur en ayant signé quatre autres rien que cette même année ! Comme Les Forbans du désert, Utah Blaine n’est certes pas un western mémorable mais il se sera néanmoins révélé extrêmement plaisant et très efficace, en tout cas bien plus acariâtre et violent que la plupart des westerns de série de cette époque. Pour nous, Européens, pas grand-chose n’est resté de la filmographie de Sears essentiellement composée de ses genres de prédilection, à savoir la comédie musicale, le fantastique, la science-fiction, ainsi que le western au sein duquel il s'illustra à une quinzaine de reprises. Une chose est certaine, à la vision de ces deux westerns, la minable réputation du cinéaste me semble sacrément sévère et ce double visionnage nous fait espérer au contraire que d’autres de ses films suivront sur galettes numériques. Messieurs les éditeurs, ne vous faites donc pas prier pour poursuivre les investigations au sein de ce corpus !

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L’intrigue est assez classique, celle d’une War Range (guerre des prairies), sauf que pour une fois 'les gentils' s’avèrent être les gros ranchers alors qu’au contraire ceux qui cherchent à les déloger sont les petits éleveurs qui pensent légitimement avoir le droit de posséder quelques lopins de terre ; sauf que pour y parvenir ils n’hésitent pas à tuer de sang-froid les grands propriétaires, les lynchant ou tuant à bout portant, s’étant érigés en hommes de loi en absence de toute organisation citadine. Sous la direction de Russ Nevers – Ray Teal qui prouve à l’occasion être extrêmement convaincant en salopard, lui que l’on avait beaucoup plus l’habitude de voir dans la peau de bons et honnêtes citoyens – les petits fermiers se sont formés en milices et détruisent tous ceux qui se mettent en travers de leur chemin. De l’autre côté, deux gros éleveurs qui, une fois liquidés, laissent leurs filles à la tête de leurs immenses domaines. Avant de passer l’arme à gauche – en hors champs, voire même en 'hors séquence' puisque nous ne l’apprendrons qu’au cours d’une discussion ; une des quelques réjouissantes curieuses idées du film – l’un des deux Cattle Baron aura par reconnaissance nommé régisseur son sauveur de la première scène, un aventurier tireur d’élite venant de purger une peine d’emprisonnement alors qu’il se trouvait sur le territoire mexicain durant la révolution, désormais à la recherche de son ex-coéquipier qui l’avait alors trahi et envoyé en prison.

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Par le plus grand des hasards, ce traitre – George Keymas, la tête de l’emploi, parfaite sale gueule, inquiétant à souhait - fait partie du groupe des éleveurs meurtriers, l’un de ses plus dangereux 'Gunman'. Autant dire que notre héros, Utah Blaine, ne va pas hésiter à prendre cette place d’intendant : il sera non seulement aux premières loges pour se venger mais pourra aussi peut-être réaliser son rêve, posséder son propre ranch, le patron lui ayant promis la moitié de ses terres s’il parvenait à protéger ses propriétés et faire cesser les agissements de ses ennemis. Les habitants de la petite ville étant effrayés par la bande organisée des petits éleveurs, Utah Blaine n’est aidé dans sa mission que par les deux filles des gros propriétaires assassinés ainsi que par un ami et un fermier ayant quitté les rangs du gang de Nevers, l’acteur Max Baer, ancien boxeur, champion du monde des poids lourds, qui jouait son propre rôle dans Plus dure sera la chute (The Harder they Fall) de Mark Robson. Sachant ceci, il est dès lors assez cocasse que lors de la première rencontre musclée entre Rory Calhoun et Max Baer, ce dernier se fasse mettre KO par son adversaire ! Quant à la fille qui va se battre à ses côtés, la ravissante Susan Cummings, il s’agit d’une femme de tête, moderne et courageuse, qui n’hésite pas à se servir d’armes voire même de ses poings. Nous trouvons donc quelques détails insolites, quelques situations un peu ‘originales’ et quelques éléments de décors inhabituels (le cimetière en forêt, le pont couvert comme ceux que l’on trouve dans le Comté de Madison…) au sein d'un scénario à la ligne dramatique ultra-claire. Et, encore plus intéressant, une amorce de réflexion sur l’importance de la démocratie ; car si les Bad Guys peuvent faire leur loi sans être inquiétés c’est à cause d’une ville sans organisation et donc de l’absence de tous personnages officiels, pas plus de maire, de juge que de shérif.

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Budget très minime, ce qui n’empêche pas le réalisateur Fred F. Sears de nous livrer un petit western d’une redoutable efficacité, très teigneux, sec, plutôt sadique et violent pour l’époque... de ces films pétaradants au cours desquels ça canarde à tout va et qui ont probablement le plus influencés les futurs réalisateurs de westerns italiens. Le scénario de Robert E. Kent est évidemment très classique et sans grandes surprises mais son travail est bien plus convaincant et surtout moins ridicule que les innombrables qu’il écrivit pour les ‘Easterns Columbia’ de Sam Katzman durant cette même décennie. Que ceux qui craignaient au générique ce duo nous ayant fait subir d’insupportables heures perdues se rassurent : nous tenons cette fois une bonne série B à la belle photo en noir et blanc au cours de laquelle on ne s’ennuie pas une seule seconde. Distrayant à défaut d’être mémorable, idéal pour les amateurs d'action avec son lot de bagarres et fusillades, et enfin, pour ne rien gâcher, plutôt bien interprété par, outre une tripotée de bons seconds rôles, un Rory Calhoun qui n’est décidément jamais meilleur que lorsque son personnage est peu loquace, un peu à la manière de ceux incarnés par Randolph Scott dans ses plus grands westerns. Plaisant !
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Jeremy Fox
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The True Story of Jesse James

Message par Jeremy Fox »

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Le Brigand bien aimé (The True Story of Jesse James - 1957) de Nicholas Ray
20TH CENTURY FOX


Avec Robert Wagner, Jeffrey Hunter, Hope Lange, David Carradine, Agnes Moorehead
Scénario : Walter Newman d'après celui de Nunnally Johnson pour le film d’Henry King
Musique : Leigh Harline
Photographie : Joseph MacDonald (De Luxe 2.35)
Un film produit par Buddy Adler pour la 20th Century Fox


Sortie USA : 22 mars 1957


Ce début d’année 1957, avec quatre westerns consécutifs concernés, est décidément placé sous le signe des conséquences désastreuses de la Guerre de Sécession pour les ‘Southerners’. Le prologue du Brigand bien aimé fait incomber principalement la chute de Jesse James du mauvais côté de loi à ce conflit fratricide et aux malversations des profiteurs nordistes qui se sont déversés sur le Sud après l’armistice. Ce constat étant fait, certains seront curieux de savoir s’il s’agit ou non d’un remake ou resucée du film d’Henry King daté de 1939, puisque d’une part tous deux se sont vus attribuer le même titre français, de l’autre le scénariste Nunnally Johnson est présent aux génériques des deux films. Qu’importe dans l’absolu puisque tout le monde a le droit de s’approprier plusieurs fois la même histoire sans nécessairement voir son travail être taxé de plagiat si sa vision des faits ou le style de son œuvre divergent ! Mais qu’il le soit ou non, il est cependant clair que le ton des ces deux versions (parmi moult autres à propos du célèbre bandit et de son gang) est totalement différent. Au doux romantisme de King succède une volonté chez Ray de plus grand réalisme anti manichéen tout à fait louable. Seulement les intentions du réalisateur de La Fureur de vivre vont se heurter à son producteur et le cinéaste reniera toujours son film ainsi charcuté ; à sa vision on peut le comprendre tant le résultat s’avère, à mon humble avis, catastrophique ! Mais le fait de ne pas avoir eu les coudées franches quant à la construction, aux idées et au montage n’excuse pas tout, et en effet, le cinéaste qui nous avait pourtant offert dans le genre le sublime Johnny Guitar trois ans plus tôt, n’est pas exempt de culpabilité dans ce fiasco artistique. Nous y reviendrons après en être passé par la genèse de cette ‘histoire vraie de Jesse James’ qui, aux dires même des historiens, n’apparait pas plus vraie que d’autres versions précédentes.

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Après le raid désastreux contre la banque de Northfield, Jesse James (Robert Wagner) et son gang sont ardemment poursuivis par les autorités ; avec d’autant plus de 'ferveur' que la prime pour leur capture est devenue sacrément croquignolette. Les renégats tombent tous les uns après les autres sous les balles des hommes de loi. Seuls Jesse, son frère Franck (Jeffrey Hunter) et un troisième comparse ont réussi à trouver une planque dans une grotte. Pendant ce temps, dans sa maison familiale du Missouri, la mère des frères James (Agnes Moorehead) est morte d’inquiétude ; elle se lamente et met sur le dos des Yankees le fait que ses rejetons aient mal tournés. Elle commence à se remémorer le passé pour essayer de comprendre comment ses fils ont pu arriver à se fourrer dans de telles dramatiques situations. Tout a commencé le jour où Frank a décidé de rejoindre les rangs du franc-tireur Quantrill alors que la Guerre de Sécession faisait rage. Lorsque des soldats nordistes arrivent à la ferme des James pour interroger l’aîné dans le but d’obtenir des renseignements sur l’armée de Quantrill, ils ne trouvent que Jesse qui, après s’être fait fouetté, se révolte et part retrouver son aîné. A la fin du conflit, Jesse demande en mariage la nièce d’un de leurs voisins, la douce Zee (Hope Lange). Alors qu’ils pensent enfin couler des jours heureux, des sympathisants Nordistes arrivent à leur ferme, la détruisent et pendent haut et court un de leurs hommes de main pour avoir fait partie des Quantrill’s Raiders. De peur que leur tour arrive et dans le but de reconstruire leur propriété, Jesse et Frank réunissent d’anciens compatriotes confédérés afin d’aller cambrioler une banque, jurant que ce sera un coup unique et qu’ils retourneront à la vie civile après ce hold-up. C’est pourtant le début d’une infernale spirale de violence. D’autres flashbacks essayeront de cerner la personnalité du chef de cette bande célèbre entre tous…

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En 1939, Henry King réalisait Jesse James, un western mémorable par la douceur de son ton racontant à la manière d'une chronique la vie des deux célèbres hors-la-loi, les frères Franck et Jesse James, et qui se terminait par l’assassinat de ce dernier par Bob Ford. 17 ans plus tard, la 20th Century Fox décide de produire un remake de ce film, l'un de leurs plus grand succès de l'époque, en profitant pour essayer de promouvoir quelques uns de leurs jeunes valeurs montantes, en l’occurrence Robert Wagner, Jeffrey Hunter et Hope Lange. La Fureur de vivre (Rebel without a Cause) venant de faire un tabac, on propose à Nicholas Ray (qui contractuellement devait encore un film au studio) de s’occuper de ce projet mettant à nouveau en vedettes de jeunes gens. On compte secrètement sur lui pour qu’il arrive à ce que Robert Wagner fasse aussi forte impression sur le public que James Dean précédemment. Attiré par les jeunes rebelles qui ont d’ailleurs souvent peuplé son univers cinématographique, très attaché au mythe qui entoure le célèbre bandit, Nicholas Ray est enthousiaste et accepte immédiatement de prendre les rênes de cette nouvelle version de l’histoire écrite par Nunnally Johnson. Très proche de la culture folk, passionné par Woodie Guthrie, il décide de bâtir son film autour de la fameuse ballade intitulée ‘Murder Song’ que le chanteur avait interprété à de nombreuses reprises et qui viendrait rythmer son récit. Malheureusement, il se heurte à son producteur Buddy Adler qui a bien d’autres idées sur comment devra être ce western, et qui calme immédiatement les velléités artistiques de son réalisateur, l’obligeant à se plier à ses exigences scénaristiques. Trouvant l’idée déraisonnable, il refuse tout d’abord son choix de prendre Elvis Presley pour interpréter le fameux outlaw alors que ce dernier avait accepté la proposition avec un fort engouement. Mais, au vu de sa prestation dans Love me Tender quelques mois plus tôt, je ne suis pas certain que ça aurait été une meilleure idée que le choix de Robert Wagner. Le producteur décide ensuite de construire le récit à partir de trois flashbacks qui expliqueraient de fond en comble les actes et motivations de leur antihéros. Même si son rêve de ballade romantique et émotionnelle temporellement morcelée se voit balayé d’un revers de main par Buddy Adler, Nicholas Ray ne lâche pas l’affaire et se lance dans le tournage. Sans que ça n’ait été prouvé, il semblerait qu’il ne soit cependant pas resté jusqu’au bout sur le plateau et qu’il n’aurait pas eu le droit de mettre les pieds dans la salle de montage.

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Les conflits entre le réalisateur et le producteur aboutissent à ce que ce western, qui avait tout pour être captivant déjà par le fait de convenir parfaitement à l'univers du cinéaste, devienne un monument d’ennui. De multiples pistes passionnantes sont bien présentes et sont à l’origine de quelques bonnes séquences, malheureusement perdues au milieu d'une grisaille générale guère enthousiasmante. Il était intéressant de voir le mythe du brigand bien aimé démystifié, notamment au travers de cette scène voyant Jesse et ses hommes rire des articles de journaux présentant leur chef comme un honorable Robin des Bois, ou au travers de cette autre, sidérante de cynisme, au cours de laquelle Jesse, pour passer pour plus bienveillant que son coéquipier auprès d’une vieille dame qui les accueille, apprenant que cette dernière est menacée d'expulsion par le propriétaire, règle l’imposante dette de la femme avant d’aller récupérer la somme auprès du créancier une fois que celui-ci s’est fait payer. Des séquences assez jubilatoires qui ne sont malheureusement que très rares, le reste étant dilué dans une chronologie totalement dénuée de sens et qui nous empêche de ressentir la moindre empathie envers n’importe quel personnage. A ce propos, le choix du casting et la direction d’acteur y sont également pour beaucoup, Nicholas Ray n’ayant pas réussi à faire vivre ses protagonistes (tous portraiturés sans profondeurs), faute également à des comédiens qui ne semblent pas concernés, tous aussi fades les uns que les autres, que ce soit, pour ne parler que des têtes d’affiches, Jeffrey Hunter, que l’on a connu dernièrement bien plus inspiré (La Prisonnière du désert ; Le Shérif…) ou surtout Robert Wagner incapable de par son total manque de charisme de donner le moindre poids, le moindre caractère, la moindre sensibilité à son Jesse James. L’auteur ayant eu l’air hésitant quant à se décider si Jesse devait être vu comme un outlaw malgré lui ou comme un égoïste cynique finissant par être fasciné par la violence, l’acteur ne sait pas non plus comment s’y prendre et le résultat est que c’est le spectateur qui en pâtit, finissant par se fiche totalement de ce qui peut bien lui advenir de bon comme de mauvais.

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Concernant le reste de la distribution, on regrette que la grande Agnes Moorehead ait été à ce point sous-employée, on trouve amusant de voir John Carradine, déjà présent dans la version King dans le rôle de Bob Ford, tenir ici celui du révérend Bailey, et on se dit que si Nicholas Ray avait eu plus d’emprise sur son film, le personnage jouée par Hope Lange aurait pu apporter un romantisme et un lyrisme qui manquent cruellement ici malgré le fait qu’ils fassent habituellement partie des éléments les plus représentatifs du style du cinéaste. D’ailleurs, Le nom de Ray n’aurait pas été indiqué au générique que nous n’aurions jamais pu deviner qu’il était le réalisateur tellement son western est dépourvu de tout ce qui jusqu’ici nous faisait trouver son œuvre remarquable et (ou) originale et novatrice, y compris son habituelle sensibilité à fleur de peau. Autant nous étions émus par les couples de Les Amants de la nuit (They Live by Night), Johnny Guitar ou La Fureur de vivre, autant celui de ce western nous laisse de marbre. Même la musique mélodramatique de Leigh Harline n’arrive pas à nous procurer le moindre frisson. Quant à la mise en scène proprement dite, elle ne s’avère guère plus brillante, tout comme le film s'avère plastiquement assez décevant à l'exception du travail à la photo de Joseph MacDonald. Et pour s’en persuader, il suffit de comparer ce film avec la version d'Henry King. A plusieurs reprises, Nicholas Ray parait vouloir rendre hommage à son aîné, reprenant la même iconographie, voire les mêmes séquences comme celle du saut des deux frères à cheval du haut d’une falaise dans la mer, ou bien la traversée de la vitrine par les chevaux lors du hold-up ; malheureusement, il se contente ici de reprendre certains plans du film précédent, la colorimétrie n'étant ainsi pas raccord. Quant en revanche il tente de refaire lui même certaines séquences, comme celle, fameuse, de la première attaque ferroviaire avec Jesse courant en nocturne au dessus du train, le montage s’avère calamiteux avec faux raccords à la pelle. Parmi les scènes réussies citons celle très efficace et assez réaliste qui ouvre le film, celle de l’attaque de la banque de Northfield qui préfigure le cinéma de Sam Peckinpah, mais que les auteurs se sentent devoir réutiliser presque à l’identique vers la fin du film sans quasiment changer le point de vue, rajoutant juste quelques plans filmés de l’intérieur de l’établissement.

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Hormis quelques fulgurantes séquences ici et là, la déception est presque totale devant ce western figé, sans vie et sans âme, qui donne de plus l’impression d’être totalement factice à l’image de ses décors en intérieur (c'était une des options de départ de Ray de réaliser son western tout en studio et de manière très théâtrale ; mais en l’occurrence, avec les remaniements voulus par Adler, ça ne marche plus vraiment). Heureusement, la photographie en cinémascope de Joseph Macdonald est superbe et nos bandits vêtus de leurs cache-poussière sont vraiment cinégéniques. Oublions vite ce western massacré en partie par le producteur (avec des trous béants dans le scénario qui oublie de nous présenter certains personnages comme les enfants de Jesse ou l’épouse de Franck, qui arrivent comme des cheveux sur la soupe) et espérons que la version non-remaniée (qui existerait encore aux dires de Bertrand Tavernier) puisse être un jour ressortie des cartons afin de pouvoir constater l’ampleur ou non des dégâts. Ce désastreux découpage et ces ridicules fondus-enchainés enfumés précurseurs des flashbacks pourraient ainsi peut-être nous être épargnés ! Des figures mythiques de l’Ouest américain qui ont connu résurrections plus charismatiques et prestigieuses au sein d'un film sans saveur à l’image du caractère de Jesse qui demande à ce que l’on enlève de son salon l’indécent tableau ‘Venus et Mars’ de Rubens pour le faire remplacer par un autre plus ‘édifiant’ ! Le point de vue et les intentions étaient intéressants sur le papier : il n’en reste plus grand-chose à l’écran et je suis le premier à en être peiné après avoir été enthousiasmé comme rarement par son inégalable Johnny Guitar. Une entreprise de démystification pesante, fumeuse et inaboutie qui se termine néanmoins par quelques détails amèrement croustillants comme celui de Bob Ford jubilant d’avoir tué son ami ou encore ces quidams quittant la chambre mortuaire de Jesse en volant des objets souvenirs qu’ils pensent peut-être pouvoir ensuite revendre. Ces détails sont d'autant plus frustrants qu'ils nous donnent une idée de ce que le film aurait pu être. Si quelques classiques du genre m'ont évidemment déçu, il y en a finalement très peu que j'ai rejeté en bloc : ils ne doivent pas même se compter sur les doigts d'une main ; mais celui-ci en fait partie !
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par NotBillyTheKid »

LE BRIGAND BIEN AIME.
Ah zut, je l'ai acheté il y a 3 jours seulement et me faisais une joie de le découvrir... :mrgreen:
Dernière modification par NotBillyTheKid le 16 juin 13, 20:40, modifié 1 fois.
"Je ne veux pas rester dans l'histoire comme le gars qui a détruit l'Univers"
Dude, where's my car
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