Ces quatre points, je me sens obligé de les réfuter, car si le film de Boetticher semble d'un classicisme à toute épreuve, ça n'est qu'une façade de circonstance. Il ne faut pas oublier que le film date de 1959, et qu'il fait donc œuvre de reconstitution. A ce titre, il emploie certaines techniques de mise-en-scène et, surtout, d'éclairage propres aux films de l'époque qu'il décrit. Pour être tout à fait honnête, la photo de Ballard m'est par moments parue laide, plate, sans relief et statique. Mais le doute concernant ces intentions artistiques a définitivement disparu quand j'ai relu l'entretien de Boetticher avec Tavernier (in Les Amis américains), dont je vais citer un passage:semmelweis a écrit :Budd Boetticher suit donc une ligne narrative vue mille fois depuis des décennies sur le film de gangster.
Je ne peux pas dire que je n'ai pas aimé mais finalement le film ne recèle aucune surprise.
Le film n' a pas la portée de reflexion sur la mythologie américaine qu'a le Scarface de De Palma (je n'ai pas vu celui de Hawks).
On peut regretter la présence d'ellipses (sans doute due à un faible budget) qui font que le film est trop court.
Ensuite, concernant le montage, et les ellipses en particulier, j'ai trouvé que c'était un boulot fantastique, en ce sens très moderne dans sa volonté de ne pas tout expliciter et de laisser certains passages caractéristiques dans l'ombre. Quand au début du film Legs commet son premier larcin (le vol du collier), et que sans l'aide d'aucun marqueur temporel, le plan suivant nous le présente un an plus tard en prison, ça tient du génie. Et ça me donne à penser que le travail préliminaire sur le scénario (qu'on doit à Boetticher: "bien ou mal, sur Legs Diamond tout est de moi") finit d'entériner un projet autre qu'un énième film de gangster. C'est d'ailleurs sans compter que l'humour est omniprésent, ce qui peut présenter une gageure, surtout dans le genre du film de gangster (à moins d'en faire un exercice parodique, ce qui ne me semble pas le cas ici). Le ton employé vraiment autre. Et puis, le film fait indubitablement le lien entre les premières œuvres matricielles et le renouveau du nouvel Hollywood, ça j'y crois pleinement."J'allai voir Lucien Ballard, mon opérateur préféré (nous avons fait neuf films ensemble), et je lui expliquai que je ne pouvais pas faire ce film en respectant la réalité. Il fallait trouver autre chose[...] Nous nous projetâmes tous les films des années vingt et trente. A cette époque, on ne connaissait pas encore la technique moderne, tel que le travail à la grue. Le seul mouvement de caméra connu était le panoramique. Nous décidâmes de supprimer tous les effets modernes de caméra, je ne veux pas dire les effets à la Frankenheimer, qui sont ma bête noire, je veux dire la technique améliorée d'aujourd'hui. Nous avons supprimé les plans à la Dolly, les travellings, sauf ceux qui étaient fonctionnels, parce que personne, sauf les techniciens, ne les remarque. Les gens pensent que l'on reste en gros plan sans savoir comment. Le zoom est très efficace pour ce genre de choses. nous avons également évité de placer des objets ou des personnages au premier plan pour mettre en valeur la profondeur de champ; nous sommes revenus aux anciens éclairages plats. Cela avait même l'air assez laid."
A titre personnel, si j'ajoute que la partition de Leonard Rosenman m'a souvent touché, que les rôles féminins ne sont pas de simples faire-valoir (voir la scène fabuleuse de Legs, alité suite à sa dernière blessure, qui se fait retourner par sa femme-objet Alice suite à un speech d'une clairvoyance confondante) et que le film est un festival de bons mots et de bonnes blagues (le coup du maître d' qui se fait virer, c'est fabuleux ), j'y vois une quinte flush royale du film de gangster. Grand!