Luigi Comencini (1916-2007)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Re: Luigi Comencini (1916-2007)

Message par bruce randylan »

Tu es mon fils (La finestra sul Luna-park -1956)

A la mort de sa femme, un homme revient en Italie après des années d'absence. Il retrouve l'enfant qu'il a eu avec elle et qui le considère comme un étranger

Une petite merveille qui annonce fortement l'incompris avec les relations compliquées entre un veuf et son fils. Le film n'est cependant jamais un brouillon mal dégrossi mais un film personnel et juste qui pêche par quelques maladresses dans sa première partie avec un canevas entre les personnages qui met un peu de temps à se mettre en place et qui demeurent un peu superficiel par certain aspect.
On a l'impression dans le premier tiers que Comencini s'intéresse plus à une peinture néo-réaliste qu'à développer son histoire d'où quelques problèmes d'identification et de progression dramatique qui donne au film un côté un peu trop détaché (le père venant chercher son fils à l'école, les discussions avec la femme qui vit dans une semi bidon-ville). L'émotion apparaît bel et bien mais pas quelques touches un peu en dehors de l'histoire (comme cet homme dans un train qui démarre et qui dit au revoir à son bébé que porte à bout de bras son épouse).
En revanche quand au bout de 40-50 minutes l'histoire se recentre sur la relation père-fils, le film devient beaucoup plus passionnant et touchant. Comencini livre de jolis moments, tendres, pudiques et dans la retenue. La dernière séquence dans le Luna Park est une petite merveille où les 2 protagonistes parviennent à se rapprocher est belle à pleurer, souligné par une mise en scène inspirée et fluide.

Je connais encore mal sa carrière dans les années 50, mais j'ai l'impression que Tu es mon fils est un cap dans sa filmographie qui annonce des films plus lucides et matures, moins dépendant des formules et des conventions commerciales.



Marchand de rêves (La valigia dei sogni – 1953)

Au début des années 1950, un ancien acteur tente de sauvegarder des films muets sur le point d'être détruits ou recyclés.

Comencini rend un hommage vibrant au cinéma muet, lui a participé à la fondation de la cinémathèque italienne avec son frère. Il s'inpire ici de la vie de Mario Ferrari pour monter un titre qui essaierait de sensibiliser le public sur cette situation dramatique.
D'un point de vue purement cinématographique ou narrative, le film reste assez plat car plus de la moitié de sa durée est consacrée à de (longs) extraits d'oeuvres qui ont échappé à la destruction. On voit donc le personnage monter des projections devant différent public (enfants, réception mondaine, inspecteur) où il projette différent films qu'il commente et met en musique.
On tient plus au documentaire qu'au pur film de fiction. L'occasion aussi de rappeler que, définitivement, le cinéma muet ne l'a jamais été : les films étaient commentés et accompagnés de musique parfois de manière bien rudimentaire (ici, le projectionniste/bonimenteur et son assistante tentent de synchroniser des disques 78t sur les images).
Celà dit, il y a une très belle séquence où il organise une séance dans une soirée pour faire une surprise à une ancienne vedette (Héléna Makowska jouant donc son propre rôle). Sauf que le temps ont bien changé et que le public se moque ouvertement de ses films désuets.
Et la fin est assez déchirante avec un incendie détruisant un grosse partie de son stock pendant que le personnage essaye de trouver une fondation pour sauvegarder le patrimoine artistique de son pays. Il ne recevra que le mépris des des autorités (conservateur de musée, ministère...). La seule bobine qui survit est projeté devant l'inspecteur de police qui finit par se désoler de voir que tout ce pan historique et artistique vient de disparaître.

Malgré donc ces quelques séquences belles et émouvantes, l'histoire n'est quand même pas fabuleuse et passionnante. Par contre, le film lui l'est pour tous amoureux du 7ème art avec ces extraits de films invisibles. Le cinéma muet italien n'étant pas le plus connu (à part Cabiria que j'ai en DVD, je crois n'avoir vu qu'un Roméo et Juliette de 1912 signé Ugo Falena), Comencini nous donne l'occasion d'en découvrir un peu avec une dizaine extraits de films dont les commentaires de Umberto Melnati donne un éclairage précieux, surtout en ce qui concerne les acteurs et actrices.
Le film de guerre (qui l'un des premiers montré) étonne par ses cadrages inventifs et sa superbe photographie qui permet une admirable profondeur de champ. Quant à certains (mélo)drames, on découvre plusieurs films tout en nuances dont le découpage sert avec précision et pudeur les relations entre les protagonistes dont certaines des comédiennes avaient une interprétation subtile et magnifique. Mentions spéciales avec le seul dans lequel a joué Eleonora Duse et celui où apparaît Héléna Makowska

Cette véritable boite au trésor devient bouleversante en tant que tel et donne envie de voir les films en entiers. Malheureusement, le film ne connut pas un grand succès. Il faut dire que la forme était peut-être maladroite alors que le fond propose des choses miraculeuses, présentées avec une véritable passion et sincérité qui ne peut laisser indifférent.
Dernière modification par bruce randylan le 25 juil. 13, 19:38, modifié 1 fois.
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Message par bruce randylan »

Eugenio (Voltati Eugenio - 1979)

Un enfant profite d'être laisser sur le bord de la route par un ami de ses parents pour fuguer. Pour Son père et sa mère, qui vivent séparés,, c'est le moment de faire le bilan sur leur vie de couple.

Le scénario est fabuleux. Rarement j'aurais vu un film aussi sombre et cruel sur l'enfance. Il n'y a rien de sordide, de glauque, de pervers, de torturé... C'est juste un portrait d'un enfant oublié et négligé par des parents immatures, égoïstes et absents. Il n'est même pas la raison de leur séparation, à peine un argument de chantage affectif : il est seulement mis de côté. Cet absence d'Eugenio dans le quotidien de ses parents se traduit donc par une quasi absence d'Eugenio dans le film qu'on voit au final assez peu.
C'est une oeuvre d'un fatalisme, d'un pessimiste, d'une résignation déchirante mais qui ne prend jamais le parti du mélodrame, de l'apitoiement ou du démonstratif...
Comencini est plus subtil que ça mais son détachement joue malheureusement à son défaveur je trouve. La structure en flash-backs montre ses limites assez rapidement (même si le montage est extrêmement fluide) en étant trop morcellé. De plus, en évacuant Eugenio pour mieux rester sur les adultes, l'émotion et la sensibilité sont de ce fait écartées.
J'ai ainsi ressenti une certaine lassitude frustrante à plusieurs reprises. Il n'est pas surprenant d'ailleurs que de constater que dès l'enfant revient à l'image, l’intérêt remonte en flêche comme la longue séquence se déroulant en Espagne. Ou encore la dernière séquence qui se termine sur un sentiment de solitude et d'abandon à la douleur intériorisée.

Je suis donc assez partagé : le scénario et les thèmes font preuve d'une ambition, d'une lucidité et d'une honnêteté inhabituelle mais la forme n'est malheureusement pas à la hauteur du sujet. Mais, c'est que mon ressenti et j'imagine que d'autres sensibilités trouveront le film magnifique et bouleversant du début à la fin et ils auront entièrement raison. Quoiqu'il en soit, c'est l'une des pièces maîtresse de son auteur. :wink:


Les russes ne boiront pas de coco-coca (Italian Secret Service - 1968)

20 ans après la seconde guerre mondiale, Tartufano, un ancien résistant aux nazisme et aux fascistes de la seconde guerre mondiale est contacté par un soldat anglais qu'il a sauvé alors qu'il était sur le point d'être exécuté par les allemands. Il lui demande d’abattre un espion contre une grosse somme d'argent. Ca arrange bien Tartufano qui vit dans une situation précaire.

Une histoire excellente mais qui manque beaucoup trop de rythme pour être satisfaisant. L'histoire met ainsi inutilement presque 45 minutes à se mettre en place Et on connaîtra encore plusieurs baisses de régime régulièrement alors que le film devrait aller en s’accélérant.
Pourtant le film ne manque pas de péripéties (en faisant régulièrement des aller retour en Angleterre), de retournements de situations et de personnages (quasiment une dizaine).
Bon, certaines séquences sont vraiment amusantes comme la longue partie où Tartufano embauche un tueur pour assassiner sa cible à sa place... sauf que celui-ci embauche quelqu'un qui embauche à son tour quelqu'un... Bref, pas moins de 4 personnes pour remplir un "contrat", ça pause quelques complications (y compris financières) :mrgreen:
Ca permet de relancer souvent la machine (la course poursuite à Londres, la cible qui couche avec la femme de Tartufano) mais elle ne s'emballe jamais vraiment et manque un peu de folie voire de frénésie.
Comme la fin met en plus un peu de temps à conclure avec des rebondissements un peu trop mécaniques toutes les 5 minutes, on n'évite pas une certaine fatigue.

Bon, ça reste tout de même très recommandable avec un excellent casting qui constitue une belle équipe de bras cassés, un sujet original, des passages imprévisibles et une satire du capitalisme gratinée (la tirade du patron illuminé qui veut unifier le monde avec son soda est à mourir de rire). C'est d'ailleurs dommage que le titre français soit à ce point un gros spoiler de l'intrigue du film. :|
Dernière modification par bruce randylan le 6 mars 13, 17:10, modifié 2 fois.
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Re: Luigi Comencini (1916-2007)

Message par bruce randylan »

L'empereur de Capri (l'imperatore di Capri -1949)

Un véhicule pour l'infatigable Toto qui passe malgré lui pour un prince arabe, attisant la convoitise d'une croqueuse de diamant... Celà dit "malgré lui", ça l'arrange bien pour échapper à sa (belle)famille et pour séduire de plantureuses damoiselles.

Rien d’extraordinaire ici : Toto fait donc son Toto. Comme j'ai plutôt de la sympathie pour le personnage, ça passe pas trop mal sans être un de ses meilleurs films pour autant. C'est plutôt enlevé et conçu pour qu'on ne s'ennuie pas mais ce n'est pas ce film qu'on rira le plus au éclat. Celà dit y-a toujours quelques moments qui m'ont bien fait marrer comme le coup de Toto se substituant à une fontaine et l'humour (très WC Fields) qui en fait baver aux enfants (assez tête à claque il faut dire :mrgreen: ).
A l'image de la population de Capri qui prend les extravagances vestimentaire de Toto pour une nouvelle mode à suivre, l'humour n'est vraiment pas subtil et raffiné mais dans le genre "farce populaire", c'est dans la bonne moyenne.
Quand à la mise en scène de Comencini, bah, elle est comme on pouvait s'en douter très anodine.
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Re: Luigi Comencini (1916-2007)

Message par bruce randylan »

Mince alors, Comencini obtient autant de succès qu'un réalisateur japonais façon Ko Nakahira :o

Mogli pericolose (1958)

L'amour et l'admiration qu'éprouve une jeune femme pour son mari agacent ses deux amies, mariées elles aussi. Pour lui prouver que tous les hommes sont infidèles, elles font le pari que l'une d'elle arrivera à séduire son époux.

Une comédie de moeurs sympathique à défaut d'être inoubliable. On suit donc 4 couples plus ou moins âgées qui se retrouvent confrontés à l'adultère.
Il y a le vieux couple qui ne se supporte plus et qui se bataille pour l'éducation de leur enfant (assez grand déjà :mrgreen: ), le couple avec le mari qui drague tout ce bouge et dont l'épouse est forcément jalouse, le couple avec le mari qui imagine que sa magnifique épouse se fait draguer par tout le monde et donc le couple "cui-cui les oiseaux"... Évidement la femme du mari jaloux se fait séduire par le mari infidèle tandis que celle qui doit séduire le jeune marié se prend un peu trop au jeu...

Rien de très original au final mais les acteurs font bien passer la pilule (les actrices surtout :oops: ) et il y a quelques situations assez amusantes apportées par le couple plus âgé et leur déboires avec leur enfants timides en amour (la télé dont il suit le son par téléphone, la maladresse avec la pharmacienne, le stratagème pour la faire monter chez eux, le "sacrifice" du père pour laisser un moment d'intimité au fiston).
Le reste est plus gentillet avec quelques moments plaisants (notamment la partie de chasse au début, le mari jaloux qui fait croire qu'il est en déplacement pour mieux surprendre sa femme sur le fait, le mari dragueur qui se fait capter par son épouse sur son lieu de travail à cause d'un employé zélé etc...)

Mais dans l'ensemble, c'est très inoffensif et on regarde ça sans une passion démesurée.
Dernière modification par bruce randylan le 26 févr. 14, 12:01, modifié 1 fois.
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Re: Luigi Comencini (1916-2007)

Message par bruce randylan »

Le sorpreses dell'amore (1959)

Deux amies aux tempéraments éloignés font une sortie commune avec leurs fiancés. Elles se rendent compte qu'elles sont plus proche de l'amoureux de leurs copines que des leurs. Elles décident donc d'échanger alors que les 2 hommes font le même constat de leurs côtés.

Une autre comédie de moeurs dans la lignée de Mogli Pericolose mais qui s'avère bien plus réussie. Tout d'abord le casting est excellent, le quatuor de tête est excellent. Les acteurs grossissent le trait pour verser dans une caricature entraînante mais qui évite quand même l'hystérie ou le cabotinage. Ils sont ainsi tous attachants et parfaitement drôles tout en conservant ce qu'il faut de justesse pour qu'on s'intéresse à l'intrigue et aux histoires de coeurs assez compliquées quand même.
Les comédiens ont l'air en tout cas de bien s'amuser et nous aussi par la même occasion. Walter Chiari est fabuleux en professeur timide et introverti qui tente de s'affirmer un peu. Quant à l'actrice qui joue la servante discrète mais décidée à avoir l'homme qu'elle aime, elle vole la vedette à chacune de ses scènes malgré des partenaires féminins qui sont déjà fabuleuses... c'est dire !
Comme souvent dans ce genre de film un peu choral, quand le scénario est bien écrit, ce sont ce genre de seconds rôles qui rendent le film vivant et touchant. On pourrait en dire tout autant avec le rôle de la logeuse coincée et rigide qui essaye maladroitement de séduire un vieux garçon puritain qui lui cherche une femme pure. Le trait est bien-sûr forcé mais ça n'empêche pas le fond d'être rigoureux et crédible.

bref, on rit et sourit très souvent (parfois avec des soupçons mélancoliques) avec des moments savoureux comme le personnage du prêtre qui donne des conseils sentimentaux à Walter Chiairi, les manigances de la jeune fille frivole à sa colocataire plus sage et réservée, la scène formidable où Chiari attend que sa douce descende le rejoigne au bar en face de sa maison, le caméo d'Alfredo Sordi à la fin, la mauvaise foi de Dorian Gray...
De plus les dialogues sont succulents comme cette réplique où une belle de jour expliquant à son amant que "les femmes qui refusent se donner avant le mariage sont ridicules. Comme si on entrait dans un magasin pour acheter un article et qu'on réponde : c'est la boutique entière ou rien" :mrgreen: .
Ce qui fonctionne souvent très bien également, c'est l'espèce de sans-gêne candides des personnages dans des situations qui sortent de leur quotidien : l'emprunt de la chaise du bar, les bouteilles de lait dans l'évier, persuader une femme de monter dans sa chambre avant de critiquer son manque de vertu, s'incruster dans le rendez-vous de sa copine, attendre que la logeuse se soit endormi pour aller piocher dans le gâteau d'anniversaire qu'elle a préparé, la servante qui rappelle fréquemment le voyage qu'elle va faire dans sa famille etc...
C'est souvent inventif et inattendu tout en donnant plus de reliefs et de caractères aux protagonistes. C'est surprenant, ça dynamise le récit, ça nuance la psychologie sans jamais perdre de vue le trait des chaque individu.

Et mine de rien, la mise en scène est très fluide et vivante avec une excellente gestion de l'espace et de la profondeur de champ.

Une des excellentes surprises de cette rétrospective pour un film malheureusement vraiment méconnu.
Dernière modification par bruce randylan le 25 juil. 13, 23:31, modifié 1 fois.
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Message par bruce randylan »

Und das am montagmorgen (1959)

Le directeur d'une agence bancaire, timide et pleinement dévouée à son travail, décide après un lundi matin chaotique de ne pas aller au travail pour vivre enfin pour lui.

Une petite curiosité pour Comencini puisque, comme son titre l'indique, ce film fut réalisé en RFA. Celà dit, son origine importe peu car l'histoire aurait pu se dérouler n'importe où et n'importe qaund ; le "burn-out" restant plus que jamais toujours d'actualité. Mais Comencini tourne vraiment le dos à la comédie sociale pour tirer vers la comédie américaine aux situations un peu absurdes façon Chérie, je me sens rajeunir (y compris par la présence de la psychanalyse) sans en avoir véritablement la folie et la frénésie.
Mais il y a bien une énergie et un dynamisme qui donnent plusieurs moments tordants comme le concert classique qui ouvre le film, les hilarantes version de Wagner aux instruments pour enfants et le moment où l'assistante du psy se laisse aller et exprime enfin sa sensualité.

Par contre, comme sur d'autres comédies du cinéaste, je trouve que le film est bon (très bon par moment même) mais n'est jamais étourdissant à cause de scènes qui ne vont jamais au bout des choses. Beaucoup de situations auraient gagné à être mieux développés (le cerf-volant, l'interrogatoire du flic, la réaction du fiancé quand il découvre l'infidélité de sa promise, la jeune voisine assez épanouie et libérée, l'hypnose...). Le film aurait pu être un peu plus farfelu sans pour autant perdre l'efficacité de son postulat et sa dimension sociale. Du coup, ça reste un peu trop inoffensif et gentillet.
Fort heureusement, tous les acteurs sont excellents et le film reste tout de même souvent drôle et rafraîchissants. Et comme on ne s'ennuie pas, on ne va pas non plus trop se plaindre car ça reste une comédie vraiment sympathique. Une belle rareté en tout cas.



Sinon, pas trop le temps d'en parler mais lors de cette rétrospective, j'ai aussi pu découvrir Mon dieu comment suis-je tomber si bas qui est l'une des meilleurs comédie italiennes que j'ai pu découvrir. L'immoralité (y compris l'inceste entre frère et soeur) et la frivolité du sujet sont sensationnelles et réjouissantes du début à la fin avec une Laura Antonelli désirable à souhait et un Jean Rocherfort impayable dans un second rôle.
Le grand embouteillage est une comédie sociale d'une virulence assez incroyable : caustique, cruelle, originale, pathétique, touchante, tendre voire traumatisante (la scène du viol est particulièrement glauque). Quelques baisses de rythme et quelques personnages un peu trop en retrait mais c'est fabuleux et sacrément osé.
Le commissaire est aussi un grand cru avec un Alberto Sordi immense et mémorable pour un scénario d'Age-Scarpelli formidable dont la dernière partie vire à la fable morale surprenante et ironique. Du coup, le rythme du film en pâtit un peu alors qu'on pense que l'intrigue va se finir avant de repartir. Mais me film regorge d'idées géniales et de dialogues savoureux.

Quant à la version télé de Pinocchio, j'ai bien aimé sans que ce soit la claque que j'espérais.
Il m'a fallait presque 2 épisodes pour rentrer dans l'histoire et m'attacher aux personnages. La suite devient de mieux en mieux avec là aussi une dimension fable/parabole (sociale) cruelle qui donne des séquences incroyables comme Pinocchio devenant un "chien de garde", sa relation avec un enfant mendiant, son évasion de l'école, le séquence du cirque où la fée se trouve dans le public, le voyeurisme des pêcheurs qui viennent regarder l'enfant se jeter à l'eau (je précise que je n'ai pas lu le roman d'original).
Mais, l'émotion n'a jamais été vraiment présente et je trouve que le film a pris un sacré coup de vieux avec un style visuel assez pauvre d'autant que les traces d'humour sont loin de fonctionner. Mais je ne regrette pas le visionnage et il faudrait que je le redécouvre déconnecté de toute attente fantasmée (et sans une séance marathon de 5h)
Dernière modification par bruce randylan le 25 juil. 13, 23:28, modifié 1 fois.
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Re: Luigi Comencini (1916-2007)

Message par ed »

bruce randylan a écrit :
Les russes ne boiront pas de coco-coca (Italian Secret Service - 1968)

20 ans après la seconde guerre mondiale, Tartufano, un ancien résistant aux nazisme et aux fascistes de la seconde guerre mondiale est contacté par un soldat anglais qu'il a sauvé alors qu'il était sur le point d'être exécuté par les allemands. Il lui demande d’abattre un espion contre une grosse somme d'argent. Ca arrange bien Tartufano qui vit dans une situation précaire.

Une histoire excellente mais qui manque beaucoup trop de rythme pour être satisfaisant. L'histoire met ainsi inutilement presque 45 minutes à se mettre en place Et on connaîtra encore plusieurs baisses de régime régulièrement alors que le film devrait aller en s’accélérant.
Tiens, je suis allé voir celui-là, et j'ai passé un très bon moment, avec effectivement une mise en place un peu longuette. Mais je trouve qu'à partir du premier voyage à Londres (quand on apprend que l'homme qu'ils ont tué était... enceinte :lol: ), ça devient un vrai festival pendant une bonne demi-heure, avec en particulier deux moments qui m'ont vraiment fait rire :
* le tirage au sort, dans le train, avec le gosse, et le chapeau melon qui finit par passer par la fenêtre
* la gueule du jeune - un face-palm de prestige - quand il se rend compte qu'il vient de sauver le néo-nazi du suicide.
En tout cas, j'adore vraiment cette écriture complètement barrée propre à la comédie italienne de cette époque
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Re: Luigi Comencini (1916-2007)

Message par Beule »

bruce randylan a écrit : Le commissaire est aussi un grand cru avec un Alberto Sordi immense et mémorable pour un scénario d'Age-Scarpelli formidable dont la dernière partie vire à la fable morale surprenante et ironique. Du coup, le rythme du film en pâtit un peu alors qu'on pense que l'intrigue va se finir avant de repartir. Mais me film regorge d'idées géniales et de dialogues savoureux.
Je le trouve effectivement très réussi ce Comencini apparemment considéré comme mineur. Il lui manque sans doute ce surcroît de méchanceté et de noirceur pour se hisser au niveau des classiques plus établis, mais, mine de rien, la peinture en creux d'une classe Italienne notariale indolente et paresseusement inféodée à la gouvernance tacite d'une autorité épiscopale hypocrite ne manque pas de sel. A tel point que l'individualisme et l'arrivisme forcené du commissaire adjoint Sordi finiraient presque par se transmuer rétrospectivement en réflexe humaniste et salutaire. A ce titre, je trouve Sordi absolument grandiose lors de la séquence du procès, lorsque, débonnaire, il endosse placidement le costume de juge et bourreau manipulateur que lui concocte le témoignage mensonger de son suspect. Il témoigne à ce moment d'une connivence intuitive à la lettre du script, plus subtile qu'il n'y paraît, qui à force de chausse-trappes et de développements constamment déceptifs - je m'attendais a priori à une variation féroce et carnassière autour d'un simili Clouseau dénué de tout flair, ce commissaire-là est tout le contraire - en vient à dessiner un portrait, à la marge, d'individu intègre envers et contre tout, lorsque progressivement se craquelle le masque des tares qui en fausse la perception initiale. Et l'exposé de ces tares est d'ailleurs propice à de véritables moments d'antologie soridenne. La violence avec laquelle il s'en prend à sa malheureuse fiancée, au simple motif qu'un témoin l'a confondue pour son aspect vestimentaire avec une prostituée, ou son autosastisfaction pleine de morgue et de mépris lorsqu'il soumet le hiatus dans la déposition du prévenu à la sagacité (inexistante) de son benêt de subordonné sont autant de fous rires. :D
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Message par daniel gregg »

Beule a écrit :
bruce randylan a écrit : Le commissaire est aussi un grand cru avec un Alberto Sordi immense et mémorable pour un scénario d'Age-Scarpelli formidable dont la dernière partie vire à la fable morale surprenante et ironique. Du coup, le rythme du film en pâtit un peu alors qu'on pense que l'intrigue va se finir avant de repartir. Mais me film regorge d'idées géniales et de dialogues savoureux.
Je le trouve effectivement très réussi ce Comencini apparemment considéré comme mineur. Il lui manque sans doute ce surcroît de méchanceté et de noirceur pour se hisser au niveau des classiques plus établis, mais, mine de rien, la peinture en creux d'une classe Italienne notariale indolente et paresseusement inféodée à la gouvernance tacite d'une autorité épiscopale hypocrite ne manque pas de sel. A tel point que l'individualisme et l'arrivisme forcené du commissaire adjoint Sordi finiraient presque par se transmuer rétrospectivement en réflexe humaniste et salutaire. A ce titre, je trouve Sordi absolument grandiose lors de la séquence du procès, lorsque, débonnaire, il endosse placidement le costume de juge et bourreau manipulateur que lui concocte le témoignage mensonger de son suspect. Il témoigne à ce moment d'une connivence intuitive à la lettre du script, plus subtile qu'il n'y paraît, qui à force de chausse-trappes et de développements constamment déceptifs - je m'attendais a priori à une variation féroce et carnassière autour d'un simili Clouseau dénué de tout flair, ce commissaire-là est tout le contraire - en vient à dessiner un portrait, à la marge, d'individu intègre envers et contre tout, lorsque progressivement se craquelle le masque des tares qui en fausse la perception initiale. Et l'exposé de ces tares est d'ailleurs propice à de véritables moments d'antologie soridenne. La violence avec laquelle il s'en prend à sa malheureuse fiancée, au simple motif qu'un témoin l'a confondue pour son aspect vestimentaire avec une prostituée, ou son autosastisfaction pleine de morgue et de mépris lorsqu'il soumet le hiatus dans la déposition du prévenu à la sagacité (inexistante) de son benêt de subordonné sont autant de fous rires. :D
Je passe directement par la case achat chez Amazon. :)
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Message par bruce randylan »

Beule a écrit :
bruce randylan a écrit : Le commissaire est aussi un grand cru avec un Alberto Sordi immense et mémorable pour un scénario d'Age-Scarpelli formidable dont la dernière partie vire à la fable morale surprenante et ironique. Du coup, le rythme du film en pâtit un peu alors qu'on pense que l'intrigue va se finir avant de repartir. Mais me film regorge d'idées géniales et de dialogues savoureux.
Je le trouve effectivement très réussi ce Comencini apparemment considéré comme mineur. Il lui manque sans doute ce surcroît de méchanceté et de noirceur pour se hisser au niveau des classiques plus établis, mais, mine de rien, la peinture en creux d'une classe Italienne notariale indolente et paresseusement inféodée à la gouvernance tacite d'une autorité épiscopale hypocrite ne manque pas de sel. A tel point que l'individualisme et l'arrivisme forcené du commissaire adjoint Sordi finiraient presque par se transmuer rétrospectivement en réflexe humaniste et salutaire. A ce titre, je trouve Sordi absolument grandiose lors de la séquence du procès, lorsque, débonnaire, il endosse placidement le costume de juge et bourreau manipulateur que lui concocte le témoignage mensonger de son suspect. Il témoigne à ce moment d'une connivence intuitive à la lettre du script, plus subtile qu'il n'y paraît, qui à force de chausse-trappes et de développements constamment déceptifs - je m'attendais a priori à une variation féroce et carnassière autour d'un simili Clouseau dénué de tout flair, ce commissaire-là est tout le contraire - en vient à dessiner un portrait, à la marge, d'individu intègre envers et contre tout, lorsque progressivement se craquelle le masque des tares qui en fausse la perception initiale. Et l'exposé de ces tares est d'ailleurs propice à de véritables moments d'antologie soridenne. La violence avec laquelle il s'en prend à sa malheureuse fiancée, au simple motif qu'un témoin l'a confondue pour son aspect vestimentaire avec une prostituée, ou son autosastisfaction pleine de morgue et de mépris lorsqu'il soumet le hiatus dans la déposition du prévenu à la sagacité (inexistante) de son benêt de subordonné sont autant de fous rires. :D
Voilà, c'est parfaitement évoquée. Le scénario est d'autant plus brillant que le film se permet de critiquer avec acuité autant les connivences entre la justice et le pouvoir, que les mentalités étriquées des bourgeois, des petits fonctionnaires et de l'italien tout en ridiculisant son (anti)héros à l'arrogance et la prétention touchante mais réelle. Le tout sans la moindre complaisance sordide du film à thèse. il y a des éclairs de lucidité brillantes comme l'un des derniers dialogues.

La mère : mais tu l'aime vraiment ?
La fille en haussant les épaules : C'est que je viens d'avoir 30 ans.

En 2 phrases, le film dit vraiment énormément de chose avec une concision qui en dit long sur les relations entre les personnages et leurs psychologie... avec en plus un humour et un sens du détail admirables.

ed a écrit :
bruce randylan a écrit : Les russes ne boiront pas de coco-coca (Italian Secret Service - 1968)
Tiens, je suis allé voir celui-là, et j'ai passé un très bon moment, avec effectivement une mise en place un peu longuette. Mais je trouve qu'à partir du premier voyage à Londres (quand on apprend que l'homme qu'ils ont tué était... enceinte :lol: ), ça devient un vrai festival pendant une bonne demi-heure, avec en particulier deux moments qui m'ont vraiment fait rire :
* le tirage au sort, dans le train, avec le gosse, et le chapeau melon qui finit par passer par la fenêtre
* la gueule du jeune - un face-palm de prestige - quand il se rend compte qu'il vient de sauver le néo-nazi du suicide.
En tout cas, j'adore vraiment cette écriture complètement barrée propre à la comédie italienne de cette époque
Oui, le coup du suicide avorté, j'étais pliée en deux. :lol:

Je me demande du coup si je ne suis pas un peu trop dur avec le cinéma de Comencini mais je dois avouer que c'est loin de la révélation que la rétrospective Monicelli avait été.
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Demi-Lune
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Re: Luigi Comencini (1916-2007)

Message par Demi-Lune »

Un vrai crime d'amour (1974)

Pas aussi déchirant que L'incompris mais néanmoins réussi. La caractérisation et la progression dramatique me feraient presque penser à du Sautet, avec ce trait fin et retenu, cette économie de mots donnant aux personnages leur densité (mention à celui de Stefania Sandrelli), ou cette forme de langueur qui permet au film de s'imprégner d'un réalisme social. Un vrai crime d'amour semble constamment en suspension, aérien et néanmoins pressant comme ce brouillard qui enveloppe les images du film, réminiscence plastique du Désert rouge dont les considérations socio-professionnelles pourraient être rapprochées. Le discours social est néanmoins beaucoup plus marqué chez Comencini qui ancre son intrigue en usine à Milan pour en évoquer directement la dimension laborieuse. C'est un film "prolo", un film de petites gens et de quotidien morose, comme Norma Rae que j'ai découvert il y a quelques semaines. L'histoire d'amour du Comencini n'en est que plus tendre, comme une bulle immaculée d'espoir dans toute la saleté et le bruit des machines. Stefania Sandrelli donne notamment beaucoup de relief à son personnage de jeune ouvrière du Sud amoureuse pour qui officier à l'usine est une fierté, une preuve d'utilité sociale aux yeux de sa famille immigrée de Sicile, en la dotant d'une candeur, d'une fragilité et d'un orgueil très attachants (ah, le coup de la valise remplie de patates). On a envie de l'aimer, nous aussi. Et c'est là que, remarquablement, Comencini parvient à faire un film militant sans lui en donner les atours, les développements tumultueux de son histoire d'amour conduisant à une résolution en forme de coup de massue qui jette un pavé dans la mare au sujet de la condition ouvrière italienne, ou de l'inefficacité des syndicats ironiquement incarnés par l'amoureux Nullo. Intéressante aussi est l'opposition de mentalités entre Italie du Nord et Italie du Sud au travers de Nullo et de Carmela.
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Jeremy Fox
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Re: Luigi Comencini (1916-2007)

Message par Jeremy Fox »

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Le Grand embouteillage (L'ingorgo) 1979


Premier jour de l’été. Dans un coin reculé de campagne entre Rome et Naples, des centaines d’automobilistes sont coincés dans un gigantesque embouteillage ; un bouchon tellement colossal que les voitures sont totalement immobilisées. Sur cette portion de route quasi-surréaliste par la présence d’une casse automobile à proximité et d’une autoroute en construction laissée à l’abandon, des personnes d’origines sociales différentes sont alors obligés de se côtoyer le temps d’une longue succession d’heures : un entrepreneur haïssable d’hypocrisie et de méchanceté (Gino Cervi), une famille napolitaine se déchirant pour garder ou non un futur ‘batard’, un couple en partance pour leur anniversaire de mariage et qui va vite se déchirer à cause de la perte d’une clé (Annie Girardot et Fernando Rey), une jeune et belle féministe (Angela Molina), un homme fou d’amour et de désir dans l’attente de retrouver sa fiancée (Patrick Dewaere), un vieil acteur désabusé (Marcello Mastroianni), quatre vieux mafioso, trois jeunes néo-fascistes, un triangle amoureux (Gérard Depardieu, Miou-Miou et Ugo Tognazzi)… L’agacement et le désordre aidants, les comportements de la plupart deviennent excessifs ; certains n’en sortiront pas indemnes...

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"Sauve-nous oh Seigneur ! Sauve-nous du plastique. Sauve-nous des déchets radioactifs. Sauve-nous des multinationales. Sauve-nous de la politique de puissance. Sauve-nous de la raison d'état. Sauve-nous des parades, des uniformes et des marches militaires. Sauve-nous du mépris pour le plus faible. Sauve-nous des faux moralismes. Sauve-nous du mythe de l'efficacité et de la productivité. Sauve-nous des mensonges de la propagande. Respectez la nature. Aimez la vie. Unissez-vous charnellement dans le respect du prochain. Forniquer n'est pas un péché, si cela est fait avec amour. Amen"

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Cette prière très peu cléricale mais fortement humaniste pourrait être la profession de foi du cinéaste italien ainsi d'ailleurs que de la plupart de ses confrères de la même génération. Une oraison qui montre d’emblée que le film de Comencini est toujours autant d’actualité car il s’agit de celle récitée par un jeune prêtre lors d’une des dernières séquences du Grand embouteillage, celle se déroulant au chevet d’un homme décédé dans une ambulance au moment même où il commençait à apprécier sa condition de moribond par le fait d’avoir calculé combien sa situation lui rapporterait en dommages et intérêts !!! Une scène et deux personnages qui résument assez bien le film (et une grande partie du cinéma italien de ces années là), d’une ironie mordante et dans le même temps profondément humain. On pourrait donc croire à la simple description de cette séquence se trouver devant une de ses comédies italiennes caustiques qui ont pullulé durant les années 60/70 et dont le plus célèbre (et plus ancien) exemple pourrait être Les Monstres de Dino Risi. Mais si Le Grand embouteillage s’avère effectivement puissamment corrosif et parfois très drôle (Fernando Rey insultant un autre automobiliste par conducteur interposé ; la vielle dame ne sachant jamais vraiment où elle se trouve…), ce n'est pas pour autant que l'on peut le taxer de comédie, pas plus d'ailleurs que de film à sketchs contrairement à la manière dont il a été ‘vendu’ à l’époque. Il s'agit plutôt d'une chronique sombre et ironique […] la radiographie de la société italienne arrivée à un paroxysme de la confusion et du délabrement" tel le définira avec justesse le spécialiste français du cinéma italien, Jean A. Gili. Autre paradoxe : alors qu’il est aujourd’hui souvent considéré comme l’une des plus puissantes critiques sociales du cinéma italien des années 70, il fut très mal reçu à l’époque par une bonne partie de la critique française (que ce soit à droite ou à gauche) le trouvant manquer de mordant ou d’impact, regrettant "que Luigi Comencini soit resté si souvent à la surface des choses" (Le Figaro) ou que "le cinéaste ait cédé au charme facile de personnages stéréotypés" (Libération).

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Ces critiques ne sont pas nécessairement infondées et cette suite de vignettes s’avère incontestablement inégale, certaines effectivement plus ‘faciles’ ou moins bien rythmées que d’autres, le film se mettant même à patiner sur la fin, non exempt de quelques longueurs ; mais l’impact de ce brulot reste néanmoins aujourd’hui toujours aussi puissant. Par l’intermédiaire de son film à la construction plus proche d’un film catastrophe que d’un film à sketchs (puisque revenant sans cesse sur les mêmes personnages et ne les abandonnant jamais en cours de route), Comencini scrute le comportement de ses contemporains placés dans une situation ubuesque et nous livre un tableau de la société italienne féroce et peu reluisant, une terrible dénonciation du capitalisme, de la méchanceté et de l’abrutissement qui en découle. L’idée de départ est assez géniale : concentrer tout un panel de la société au milieu d’un embouteillage géant, tellement colossal qu’il en est totalement irréaliste ; en effet qui a jamais vu un bouchon faire s’arrêter les voitures à la même place durant plus d’une demi-journée ? D’où cette ambiance ‘surréalistico-apocalyptique’ voulue par le cinéaste (on se bat pour une bouteille d’eau ou des petits pots de bébé ; un hélicoptère survole la file de voitures pour communiquer sur la situation…) et qui renforce son propos par ce mélange de fantastique et de réalisme qui confine parfois à de la poésie (l’usine éclairée au loin dans la nuit), ce qui permet au spectateur de sortir la tête de l’eau, l’ignominie de beaucoup de situations ayant probablement rendue l’ensemble insupportable sans ces touches poétiques. La musique inquiétante de Fiorenzo Carpi et les décors naturels utilisés ne font qu’accentuer ce côté fable moderne alarmiste. Cet aspect sombre et pessimiste, on aurait pu s’en douter d’emblée si l’on avait su que Comencini avait eu l’idée de son film en voyant le tableau de Bruegel ‘La parabole des aveugles’ qui, dans l’Évangile, est décrite de la sorte : "Si un aveugle conduit un aveugle, tous deux tomberont dans une fosse" et qui dans le tableau se décline sous la forme de six aveugles se guidant l’un l’autre, le premier étant déjà en train de chuter au fond d’un fossé ; autant dire qu’il n’y aura aucun espoir pour les autres qui suivront leur guide dans la mort. A la fin du film, on ne saura pas si les voitures repartiront où resteront définitivement bloquées, si les aveugles sont tous tombés ou non. Comencini, après Jean-Luc Godard dans Week-End et avant David Cronenberg dans Crash, fait donc de l’automobile la figure métaphorique d’une société de consommation déliquescente et abêtissante ainsi que du capitalisme galopant. Non seulement elle pollue mais elle consomme de l’énergie, provoque quotidiennement des embouteillages ou accident, nous enferme encore plus dans notre égoïsme et nous rend agressifs.

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Mais, pour vous donner un aperçu plus juste du film, quoi de mieux que de vous présenter le détonant bestiaire que nous met sous les yeux Luigi Comencini, en prenant néanmoins la précaution de prévenir ceux que les spoilers gênent que presque tout sera dévoilé. Pour commencer, l’apparition cocasse de silhouettes qui ne feront que passer en sillonnant imperturbablement à travers ce labyrinthe de voitures : un joggeur puis un cycliste ; ou encore un photographe invisible qui profitera de ce long arrêt pour prendre des clichés de ses mannequins sur le toit des automobiles. Le personnage le plus important du film par son temps de présence à l’écran, que l’on voit dès les premiers plans interprété par un très grand Gino Cervi, est celui de l’entrepreneur égoïste, hypocrite, arrogant, cynique, malpoli... plus simplement intégralement haïssable par le plaisir qu’il prend à rabaisser ses semblables. D’emblée, on le voit condescendant envers son assistant qu’il considère un peu comme son esclave et on constate immédiatement qu’il se croit tout permis en prenant le sillage d’une ambulance pour avancer plus vite. On le verra ensuite proposer un emploi à une jeune fille avec comme arrière pensée de pouvoir l’amener dans son lit, accepter l’aumône aux pauvres d’une bouteille d’eau qu’il était prêt à payer une fortune, regarder ces derniers avec mépris ("Les pauvres ne sont jamais bons")… Cette famille de pauvres gens entassée dans une petite voiture ne semble guère plus reluisante, se disputant comme des chiffonniers pour savoir s’il faut ou non faire avorter l’une des filles enceinte d’un ‘bâtard’ ("Je te ferais bien avorter à coups de baffes mais désormais un père se doit d’être compréhensif"). L'on croise aussi une jeune féministe harcelée puis outragée par trois jeunes beaux blonds néo-fascistes devant les yeux de quatre ‘mafioso’ qui, au lieu d’aller lui porter secours, discutent du bien fondé ou non de cette possible action, se demandant si par hasard ce viol ne plairait pas à la jeune fille tout en se rinçant l’œil du 'spectacle' "qu’en ville, on paierait surement pour voir". Il s’agit évidemment de la séquence la plus insoutenable du film autant par le viol en lui-même que par le cynisme de ses voyeurs, et qui rappelle étrangement par sa manière d’être mise en scène et éclairée celle d’Orange Mécanique de Stanley Kubrick, l’un des prédécesseurs les plus prestigieux au film de Comencini quant à la critique impitoyable de notre société moderne. Avant de subir ces outrages, le personnage joué par la superbe Angela Molina aura, en leur jouant de la guitare, fait venir quelques sourires sur le visage d’enfants qui une fois encore chez Comencini représentent pour lui l’espoir de l’humanité, souvent plus matures que les adultes qui les entourent (voir les superbes L'incompris ; Cuore ; Un enfant de Calabre...)

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Et justement, dans une des dernières séquences, nous entendons une mère expliquer qu’elle garde la conviction et l’espérance que son fils muet reparlera un jour. Une nouvelle raison de croire en l’être humain au milieu de cet océan d’ignominie après déjà la prière du jeune prêtre et le désir de violence refoulé du mari cocu (Gérard Depardieu) ou de l’homme agressé (Harry Baer). Les coupables repartiront sans être inquiétés, leurs crimes demeureront certes impunis, mais pour compenser, la tout autant exécrable auto-justice n’aura pas eu lieu. Car, comme déjà dit ci-dessus, Comencini croit en l’homme malgré tout : il réfute juste le système qui fait qu’ils en sont arrivés à de telles extrémités d’égoïsme, de mépris de l’autre ou encore à une telle détresse. A ce propos, le personnage de pathétique solitaire joué par Patrick Dewaere, est tellement impatient de désir d’aller faire l’amour à sa fiancée, qu’il va finir, dans un surprenant accès de folie, par simuler le coït avec sa voiture, la faisant emboutir celle de devant dans une série de va-et-vient entre deux pare-chocs, tout en poussant des cris bestiaux de jouissance. Autre protagoniste 'en détresse', celui interprété par Marcello Mastroianni dans la peau d’un acteur célèbre effrayé par les manifestations hystériques de ses fans, allant faire les frais d’un vil chantage consistant à être obligé de faire embaucher un pauvre homme comme chauffeur à Cineccitta sans quoi ce dernier révèlerait sa nuit d’amour calamiteuse avec son épouse qu’il a lui-même poussé dans le lit du comédien. Un coup monté peu glorieux de la part de ce couple dont la femme est interprétée par la pulpeuse Stefania Sandrelli : une séquence un peu à part car se déroulant en dehors de l’embouteillage, dans une maison miteuse le surplombant ; dommage que ce huis-clos routier ait été un peu scindé en deux par ce ‘sketch’ qui, s’il ne dépare pas du reste concernant 'la démonstration', s’avère un poil trop étiré, cassant un peu le rythme de l’ensemble, tout comme le segment Depardieu/Miou-Miou/Tognazzi, peut-être un peu moins captivant que le reste. Quant à la section mettant en scène le couple joué par Annie Girardot et Fernando Rey, il aurait eu tout à fait sa place dans un film à sketch comme Les Monstres sauf que la sensibilité de Comencini lui donne une conclusion aussi touchante que grinçante, les larmes de la femme laissant comme un arrière goût de triste amertume devant la preuve de l’échec de leur couple, s’étant balancés à la figure leurs quatre vérités par la faute d'une banale clé égarée.

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Des gens fermant les yeux sur les actes les plus odieux, d’autres méprisants les plus faibles qu’eux, des relents de fascisme renaissant, la perte des repères, la dégradation des relations humaines... Dans cette fausse comédie à l’impressionnant casting européen, méditation amère, acerbe et désespérée sur une civilisation qui va droit dans le mur, Comencini et ses scénaristes, avec une forte rage, mènent avec une belle fluidité et une précision redoutable les destins croisés de leurs innombrables personnages, sans presque jamais que cela fasse ni film à sketchs (évitant même le systématisme trop souvent présent dans ce genre), ni film à thèse malgré l’évidence de la démonstration. L’œuvre n’en pose pas moins au travers de son symbolisme (par exemple la casse auto comme urinoir géant) un questionnement politique, morale, sociologique et philosophique évitant la plupart du temps toute lourdeurs, férocité et cocasserie s’imbriquant assez harmonieusement au sein de cette idée très bien exploitée de l’huis-clos en extérieur. Mais, Comencini oblige, malgré les horreurs et les ignominies décrites sans complaisance, l’humain arrive néanmoins à transparaitre ; la preuve en étant que les paroxysmes de violence attendus (hormis le viol) n’arrivent jamais, ceux allant faire en sorte que des actes de vengeances soient perpétrés se rétractant au dernier moment. Un conducteur colérique arrive même à se transformer en un homme totalement déstressé. Et enfin l'atypique sermon du prêtre vient parachever cet espoir. Luigi Comencini est un réalisateur assez étonnant par le fait de pouvoir passer avec une facilité déconcertante de la fantaisie au pamphlet, du mélodrame à la comédie. Qui pourrait penser que c’est le même homme qui nous a fait sourire avec Pain, amour et fantaisie, pleurer avec L’incompris ou Cuore, fait grincer des dents avec L’argent de la vieille ou effrayer avec ce Grand embouteillage, film atypique et dérangeant, critique virulente de notre civilisation toujours plus soucieuse d’efficacité et de productivité au détriment de l’homme, fable moderne et visionnaire toujours autant d’actualité. Un film mosaïque très ambitieux dans sa démarche (dresser un tableau complet de la société italienne de la fin des années 70) qui débouche sur un triste constat. Certes acide, cruel et implacable, presque apocalyptique même (on ne compte plus les manifestations de puritanisme, de mépris, de malhonnêteté, d’hypocrisie, de méchanceté et d’arrivisme), mais pas forcément nihiliste ; Comencini nous fait comprendre in fine qu’il reste un tout petit espoir de sauver cette humanité défaillante, cette société de consommation qui nous rend de plus en plus individualiste. Faisons lui confiance !
Lino
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Re: Luigi Comencini (1916-2007)

Message par Lino »

Il Gatto, produit par Sergio Leone, vient de sortir en DVD, Italie.

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xave44
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Re: Luigi Comencini (1916-2007)

Message par xave44 »

Lino a écrit :Il Gatto, produit par Sergio Leone, vient de sortir en DVD, Italie.

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Haaaaa...Dalila Di Lazarro, la copine de Delon dans 3 hommes à abattre... :oops:
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Bogus
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Re: Luigi Comencini (1916-2007)

Message par Bogus »

Encore la découverte d'une perle du cinéma italien avec Le grand embouteillage.
Outre un casting impressionnant (Mastroianni, Depardieu, Tognazzi, Sordi, Dewaere, Girardot...), je suis une nouvelle fois admiratif devant ce mélange parfait entre humour (souvent féroce) et émotion caractéristique du cinéma italien.
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