Obsessions (1943)
Une des belles réussites de la période américaine de Julien Duvivier qui signait là son deuxième film à sketch d'affilée après
Tales of Manhattan réalisé pour la Fox l'année précédente. Duvivier se trouve pleinement dans son élément ici à travers trois sketch dont les sources d'inspiration diverses (des scénarios originaux se mêlant à une adaptation de la nouvelle d'Oscar Wilde
Le Crime de Lord Arthur Savile pour le deuxième sketch) forment un tout cohérent autour du thème de la destinée, source de bonheur ou de tourments pour qui sait se détacher ou se soumettre à la connaissance qu'il en aura au cours des différentes histoire. L'argument de départ tient dans la rencontre de deux amis à leur club, l'un (Robert Benchley) confiant à l'autre son trouble. La veille, une voyante lui a prédit qu'il agirait d'une certaine façon tandis que dans la nuit un rêve prémonitoire le montrait faire l'exact contraire. Son ami va donc lui faire lire trois histoires qui vont le guider dans son dilemme. Les trois sketches se tiennent plutôt tous bien, les deux premiers captivant par leur esthétique et atmosphère tandis que l'émotion sera au rendez-vous surtout dans le troisième.
La première histoire se déroule à la Nouvelle Orléans en plein Mardi Gras. La jeune Henrietta (Betty Field) n'est pas de la fête, rongée par la solitude et la rancœur. Son physique disgracieux la complexe et la noie dans la haine et la solitude, à contempler son voisin étudiant (Robert Cummings) dont elle est amoureuse et qui ne la voit pas. Un être mystérieux lui donne alors un masque sous lequel elle paraîtra belle aux autres, le charme s'estompant le matin. Ambiance nocturne envoutante où l'animation, les farandoles et les costumes de ce Mardi Gras prennent des tours de rêve éveillé et de pure féérie. Ce foisonnement visuel s'estompe progressivement pour laisser se découvrir et s'aimer les deux amoureux fraîchement rencontrés. Betty Field (dont l'allure masquée annonce
Les Yeux sans visages) au jeu volontairement forcé au départ avec ce maquillage l'enlaidissant finit par exprimer une fragilité et une retenue surprenante une fois masquée, l'émotion fonctionnant par sa voix douce, ses regards et sa gestuelle délicate. Enfin préoccupée de l'autre et plus de son propre mal être, Henrietta va enfin découvrir qu'elle peut être belle. Joli moment.
La deuxième histoire voit l'avocat Marshall Tyler (Edward G. Robinson) victime d'une prédiction du voyant Podgers (Thomas Mitchell) lui annonçant qu'il commettra un meurtre. Perturbé par la nouvelle, Tyler cherche à devancer l'évènement et à commettre un crime, sans succès jusqu'à la pirouette finale. Le déroulement est attendu mais Duvivier instaure une ambiance gothique oppressante avec les jeux d'ombres fabuleux de la photo de Stanley Cortez et des décors conçus par Robert Boyle. Edward G. Robinson livre une savoureuse prestation schizophrène.
La transition se fait à même le récit précédent pour amorcer le dernier sketch. Charles Boyer est un funambule victime d'un rêve prémonitoire avant son numéro où il chute à au cri d'une femme ayant les traits de Barbara Stanwyck. Il finira par la rencontrer en chemin pour sa prochaine prestation à Londres. Barbara Stanwyck dégage charme, mystère et fragilité avec son brio habituel et forme un beau couple avec un Charles Boyer parfait de séduction. Le sketch résume bien la thématique du film avec cette menace planant sur le couple s'il demeure ensemble, la soumission au destin se confrontant aux sentiments dans un magnifique dilemme. Au passage Duvivier réalise une jolie prouesse visuelle pour illustrer le numéro virtuose de Boyer. La finale séparation finale est très touchante et fait définitivement de ce segment le meilleur du film.
Un quatrième sketch fut d'ailleurs coupé au montage le mort découvert dans la première histoire en étant issu, tueur emporté dans une tornade et ayant échoué là. Universal préféra couper cette partie pourtant coûteuse mais recyclé dans une autre production Universal. 4,5/6