Top cinéma des années 90

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Thaddeus
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Re: Classement DvdClassik des années 90

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Décennie absolument faramineuse, probablement celle qui m'est la plus chère, la plus fertile en films de chevet, sans doute parce que elle constitue la période où ma découverte du cinéma (et la passion qui a grandi en même temps) a été la plus fructueuse. Les vingt films de cette liste figurent dans mes cent préférés, c'est dire. Aucune autre décennie ne peut se prévaloir d'une telle adoration.
Ce top est trusté par le cinéma américain, dont les grands maîtres sont à leur apogée. Et c'est injuste tant bien d'autres cinématographies pourraient (devraient ?) être citées ici. Celles de Rohmer, Pialat, Kiarostami, Hou, Kusturica, Loach, Resnais et tant d'autres...


1. Casino (Martin Scorsese, 1995)
2. Les Affranchis (Martin Scorsese, 1990)
3. La Ligne Rouge (Terrence Malick, 1998)
4. JFK (Oliver Stone, 1991)
5. Batman, le Défi (Tim Burton, 1992)
6. Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991)
7. Sur la route de Madison (Clint Eastwood, 1995)
8. Eyes Wide Shut (Stanley Kubrick, 1999)
9. Impitoyable (Clint Eastwood, 1992)
10. Jackie Brown (Quentin Tarantino, 1997)
11. Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994)
12. Fargo (Joel & Ethan Coen, 1996)
13. Le Parrain, 3ème Partie (Francis Ford Coppola, 1990)
14. Short Cuts (Robert Altman, 1993)
15. Edward aux Mains d'Argent (Tim Burton, 1990)
16. L'Impasse (Brian De Palma, 1993)
17. The Big Lebowski (Joel & Ethan Coen, 1998)
18. Reservoir Dogs (Quentin Tarantino, 1992)
19. The Truman Show (Peter Weir, 1998)
20. Un Jour sans Fin (Harold Ramis, 1993)


1990
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1. Les Affranchis – Martin Scorsese

Lorsque Scorsese met le paquet, le cinéma chancèle. Vériste scrupuleux au brio inouï, il déchaîne une tragi-comédie incandescente et dresse l’affolant instantané de la corruption morale. Le rire s’étrangle de malaise (Funny how ?), le maelstrom effarant de la mise en scène consume jusqu’à l’os la spirale infernale du crime et de la paranoïa, et les années de puissance et de mort s’achèvent face caméra, dans la peau d’un plouc à la vie minable. Rarement le septième art aura atteint de telles cimes.

2. Le Parrain, 3ème Partie – Francis Ford Coppola

Simulacre des alliances familiales, rapport au temps, rédemption, mélancolie... Le chapitre conclusif de la saga Corleone intègre la réflexion sur l’argent corrupteur, la vanité du pouvoir, le pourrissement du système politique dans une dimension plus tragique et poignante que jamais. Magnifique kermesse funèbre digne du Roi Lear, cette somptueuse fresque aux ors bistres et feutrés déploie sa crépusculaire majesté jusqu’à l’apothéose du Cavelleria Rusticana final. L’art seul détient l’éternité.

3. Edward aux Mains d’Argent – Tim Burton

La banlieue pavillonnaire middle class, toute de vert, bleu, rose et jaune pastel, est dominée par le nouveau manoir de Frankenstein, que borde un jardin labyrinthique aux buis fabuleux. Burton dessine une topographie de l’imaginaire, parcourt la frontière séparant le conte de fées de la réalité la plus domestique – celle de la cruauté et de l’exclusion. Telle un voile de blanche neige, l’aveuglante naïveté de la fable recouvre un vaste champ symbolique, et fait naître une poésie zénithale.

4. À la Poursuite d’Octobre Rouge – John McTiernan

Nouveau capitaine Achab, Ramius s’assied, tourne la tête, et son regard croise celui du laconique officier-mécanicien qui remonte des soutes la clope au bec. Leurs deux intelligences s’accordent ; l’instant est électrisant. Le film n’est fait que de ces allusions muettes, silences entendus, déductions psychologiques. L’authentique noblesse qui le parcourt, l’extrême raffinement de son exécution, sa concentration immobile, en font le suspense le plus beau – et sous-estimé – de son époque.

5. Miller’s Crossing – Joel & Ethan Coen

Années 30, la Prohibition, une ville enfumée, poisseuse, corrompue jusqu’à l’os. Les frères Coen jouent sur du velours, peaufinant avec une exquise jubilation un étourdissant jeu de dupes, de voltes et de masques, taillant leur polar grinçant dans l’étoffe des plus beaux films noirs. Défricheurs virtuoses du patrimoine américain, ils règlent un ballet millimétré, d’une ébouriffante inventivité formelle, et dont l’ironie ludique se couvre progressivement d’un voile de romantisme désenchanté.

6. Total Recall – Paul Verhoeven

Explorant jusqu’au vertige les potentialités dickiennes de son postulat, le réalisateur de Robocop persiste et signe dans le tableau d’un futur qui réfléchit la société contemporaine, métaphorisée de façon littérale par le règne généralisé de la duperie et de la manipulation mentale. Le numéro d’illusion est diabolique, nous propulsant dans tous les coins comme des boules de flipper, à la faveur d’une action effrénée aux atouts pour le moins accrocheurs – Sharon en garce perverse, mamma mia.

7. Danse avec les Loups – Kevin Costner

Le premier film de Costner cinéaste émet de puissantes ondes physiques, on respire mieux en le voyant, on voit large, on aère le mental. L’aventure humaine renvoie aux grands mythes de la nature, de la guerre et de la fraternité humaine, opère la fusion chimique des sentiments et des civilisations, tout en dénonçant la conquête de l’Ouest comme péché originel de l’Amérique. L’itinéraire moral se teinte d’amertume et de gravité, la fresque, ample et lyrique, invite à la méditation : grand film.

8. Cyrano de Bergerac – Jean-Paul Rappeneau

Prince du cinéma populaire, Rappeneau dépoussière un monstre de notre patrimoine culturel et cocardier, équivalent hexagonal de Don Quichotte. Panache, vivacité du tempo, décors en tableaux d’époque, chevauchées homériques, duels et fusillades épiques. Et par-dessus tout, goût du verbe, de ses inflexions et torrents, rendant justice à la grandeur janséniste du héros, humaniste blessé en rupture avec son époque, dont la fougue bravache dissimule l’amour éternellement tu. Un mélodrame héroïque.

9. Mo’Better Blues – Spike Lee

Comme un thème musical passant du mélodique à l’abstrait, ce portrait d’un trompettiste dévoué au jazz s’articule et se désarticule sans jamais filmer deux scènes à l’identique. Le fils devient père, l’élève devient maître, et les promesses de la jeunesse n’ayant été qu’en partie tenues, l’artiste échoit en pédagogue. Recourant à mille procédés de rhétorique qui ne cessent de stimuler l’émotion, l’auteur livre une œuvre aussi séduisante dans l’humour que le drame, le réalisme que le sentiment.

10. Les Anges de la Nuit – Phil Joanou

Phil Joanou n’a jamais réédité l’exploit de ce polar exemplaire, qui laissait augurer une carrière à la James Gray. Raison supplémentaire pour admirer la conduite d’un récit haletant qui tire un suspense tragique des dilemmes et des contradictions morales, apprécier la complémentarité d’un casting rendant grâce à la complexité des caractères, et s’enthousiasmer de la précision avec laquelle est dépeinte cette communauté irlandaise de New York, enferrée dans le cercle du crime et de la violence.


Sur le banc : Affaires Privées (Mike Figgis), 58 Minutes pour vivre (Renny Harlin), Darkman (Sam Raimi), Hidden Agenda (Ken Loach), Nikita (Luc Besson)...
1991
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1. JFK – Oliver Stone

Les trois heures passent comme un souffle, le rythme convulsif emporte tel un cheval au galop, le brio fulgurant du montage met en feu, le foisonnement des hypothèses et des réflexions, la concentration des séquences injectent un lyrisme fiévreux à l’enquête politique, morale, citoyenne. Cette maestria, cette densité incandescente sont dignes du Scorsese de Casino. L’exorcisme du passé exige de mettre sa vérité à nu, et ce film épique en est la démonstration la plus généreuse et galvanisante.

2. Thelma et Louise – Ridley Scott

Cavale de deux femmes en détresse, dont le déroulé tragique s’éclaire paradoxalement d’une lumière radieuse. Paysages sublimes de l’Amérique profonde, avec ses mœurs rétrogrades, sa poussière dansante, ses champs pétrolifères et ses country clubs. Équipée sans retour à l’enivrante composition visuelle et musicale, ce road movie féministe souligne les traits conflictuels d’une société : c’est un voyage vers la libération et l’indépendance, chargé de rires et de larmes, d’énergie et d’exaltation.

3. Le Silence des Agneaux – Jonathan Demme

Clarice accepte le marché quid pro quo du monstre raffiné qui se tient derrière la paroi de verre : la mise à nu de son âme contre le portrait psychologique du nouvel Hadès qu’elle recherche. Ouvrant un gouffre devant les pieds du spectateur, Jonathan Demme distille une terreur d’ordre mental, qui naît de silences, de regards, des transitions fluctuantes entre la normalité et la folie, entre la fascination effrayée de la Belle et la suave perversité de la Bête. Un classique inaltérable.

4. Van Gogh – Maurice Pialat

Le trait bleu avale la toile – paysages brûlants, êtres tordus. La révolte intérieure de l’artiste transcende les peintures, dont les torsions répondent au style entrechoqué et pourtant magnifiquement fluide de la mise en images. Le vent souffle dans les arbres, les prostituées ont le corsage ouvert : bonheur inaccessible qu’une âme en peine échoue à retenir, en s’épuisant dans la création et l’intensité rugueuse de la vie. Van Gogh s’est consumé, il n’y a pas d’adieu, la mort est un mur bleu.

5. Terminator 2 : Le Jugement Dernier – James Cameron

Une fois de plus, Cameron repousse les frontières et donne dans la démesure. Il relègue ici l’essentiel des films de SF et d’action au rang de vieilles reliques, puisant dans la beauté coulante des métamorphoses, les scansions pulsatives de Brad Fiedel, la plasticité des images cinétiques nées du feu ou du métal, une inspiration presque divinatoire. Et sous le gant de fer, la main de velours d’un artiste qui interroge les responsabilités de l’homme face à sa technologie, son futur, son identité.

6. Aux Cœurs des Ténèbres : L’Apocalypse d’un metteur en scène – Fax Bahr & George Hickenlooper

La genèse prométhéenne d’Apocalypse Now nécessitait un documentaire à sa mesure. Voici le témoignage attestant de ce que fut cette aventure sans équivalent : une odyssée traumatisante, un tournage au bord du gouffre qui manqua d’emporter son réalisateur corps et âme. Par-delà les images précieuses d’un processus de création tutoyant sans cesse la folie et l’anéantissement, c’est bien l’ardeur de l’artiste à se confronter avec sa vérité intime qui offre une portée unique à ce sidérant making-of.

7. Barton Fink – Joel & Ethan Coen

Un jeune dramaturge exalté et naïf s’égare dans la jungle hollywoodienne de l’âge d’or, perd pied avec la réalité et fricote avec le diable, ou quelque chose d’approchant. Langoureusement, les frères Coen glissent de la comédie absurde au thriller étouffant, puis au fantastique kafkaïen. Leur Palme d’or atmosphérique sculpte les nerfs, satirise, malaxe les genres entre irrespect et nostalgie, métaphorise les affres de la création et de l’imaginaire en nous enveloppant dans une toile fascinante.

8. La Double Vie de Véronique – Krzysztof Kieślowski

Il existe un lien invisible entre la France et la Pologne, entre la vie et la mort, entre Véronique, qui pleure et rêve d’un clocher renversé, et Weronika, qui chante comme un ange et meurt sur scène en donnant la note la plus haute, la plus belle, celle qui brise le cristal de son cœur. Servi par la grâce d’Irène Jacob, Kieślowski signe un film de regard et de sensations, de mystère et de prédestination, d’appels à entendre et de signes à déchiffrer, reposant manifestement sur la transcendance.

9. Les Amants du Pont-Neuf – Leos Carax

Avec peu de mots, des musiques de toutes les couleurs et tant d’images que l’on en suffoque, ce poème d’amour fou galope dans la nuit vers la lumière, enveloppe de son romantisme naïf quelques solitaires écorchés qui se réfugient dans l’ilôt déglingué et fragile du Pont-Neuf. Pas de message, de démonstration ou d’esbroufe, mais une foule d’images intemporelles, de mouvements grandioses et de contractures dansantes où fusionnent, dans un feu d’artifices, la cruauté du réel et la démesure du rêve.

10. My Own Private Idaho – Gus Van Sant

C’est l’histoire d’un jeune gigolo homosexuel et cataleptique, à la recherche de sa mère, et du fils d’un riche sénateur, amputé d’un passé auquel il ne répond que par un avenir incertain. Le film s’équilibre entre deux pôles de la marginalité, celle qui est une fin et celle qui, démangeaison pubertaire prolongée, s’achève par un retour à la norme. Ses images surréalistes, ses ellipses et cadrages déroutants content avec poésie la douleur d’une trahison, la vente tragique d’une amitié amoureuse.


Sur le banc : Faut de preuves (Simon Moore), Le Festin Nu (David Cronenberg), Les Nerfs à Vif (Martin Scorsese).
1992
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1. Batman, le Défi – Tim Burton

Le premier volet était génial, le second est un triomphe artistique absolu. Désormais Tim Burton vogue seul en son territoire, orchestrant une farandole baroque au graphisme noir, peuplée d’âmes perdues et de monstres pathétiques, tissée de paradoxes freudiens et de visions fantasmagoriques. Cet état de transe américain est celui de l’inconscient collectif, dont la poésie gothique donne corps et émotion à des figures inoubliables, émanations directes de nos rêves et cauchemars d’enfance.

2. Impitoyable – Clint Eastwood

Le western est mort mais Clint taquine le cadavre. L’époque des héros d’autrefois, la légende des hors-la-loi épris de liberté, la gloire de l’histoire américaine forment le terreau d’une même illusion collective. En réveillant les fantômes de son pays, en démasquant sa violence séculaire et son simulacre de justice, Eastwood rappelle la solitude morale de l’homme, désacralise le mythe, recouvre la grande prairie d’un souvenir mélancolique, celui d’une époque qui n’a jamais existé. Impérial.

3. Reservoir Dogs – Quentin Tarantino

Ce serait une tragédie, une épure, s’il n’y avait pas, comme dans un drame élisabéthain, le corps étendu et ensanglanté de Mr Orange, se vidant de lui-même. Esthète du dialogue, du jeu intertextuel, du travestissement des icônes, le cinéaste fait tomber les masques, observe l’éveil d’instincts provisoirement mis en sommeil, opère la jonction entre film noir classique (versant Hawks) et réécriture moderne (versant Godard). Son fracassant premier film ne ressemble à rien d’autre qu’à du Tarantino.

4. The Player – Robert Altman

Ouverture sur un plan acrobatique et interminable qui voit les personnages discuter des grands plans-séquence de l’histoire du cinéma. A elle seule l’entame donne le ton d’un film entièrement placé sous le signe du dialogue entre fiction et réalité. La satire caustique du milieu hollywoodien s’opère en un lacis vertigineux de jeux de miroir, une toile virtuose de métaphores et de faux-semblants, un jeu de quilles incendiaire qui en déboulonne, dans l’allégresse, l’inconstance et la versatilité.

5. Dracula – Francis Ford Coppola

Coppola n’en finit pas de faire de l’or. Son prince des ténèbres est un damné romantique qui traverse les siècles pour retrouver sa bien-aimée, et son film un grandiose opéra couleur noir, rubis et carmin, dont la flamboyante inspiration esthétique sidère la rétine. Sang, ombre et cercle comme autant de motifs ensorcelants, visions de fièvre à la Füssli, merveilles gothiques et audaces baroques insensées emportent dans un torrent lyrique, une ode envoûtante à l’amour fou et à l’éternel retour.

6. Maris et Femmes – Woody Allen

Que devient l’amour quand il meurt ? Où passe le désir après la pluie ? Politesse du désespoir, l’humour d’Allen est celui d’un homme guetté par la solitude. Sa chronique du délitement conjugal saisit les êtres au vol, surprend leurs disputes et leurs moments d’abandon, examine sans filtre, dans un style faussement brouillon, une série d’événements pris sur le vif, et trouve l’accord parfait entre lucidité et indulgence. L’une des ses plus grandes réussites sur le terrain de l’introspection.

7. Conte d’Hiver – Éric Rohmer

Il aura suffi d’un malencontreux lapsus pour faire perdre à Félicie l’homme qu’elle aime. Mais c’est avec une foi irrépressible en sa bonne étoile qu’elle suit sa ligne de vie, mettant des mots maladroits sur des intuitions nettes, inscrivant le prosaïsme de son existence dans une dimension spirituelle. Doux et poignant comme de la musique de chambre, le plus beau conte des quatre saisons mise, comme son héroïne, sur la confiance et la fidélité à soi-même, et infuse une sérénité à pleurer.

8. L.627 – Bertrand Tavernier

Tavernier accuse, et montre tout : les planques, la pose pastis, le manque de moyens, la misère quotidienne. Bétonnée par une documentation sans faille, sa plongée dans le quotidien d’une brigade des stupéfiants est un patchwork tragi-comique qui fait fi du temps mort et de la démagogie, passe d’un squat à l’autre, d’une affaire à la suivante, de l’action professionnelle au contrechamp privé selon une construction serrée aux joints invisibles. Le constat possède la vigueur offensive d’un brûlot.

9. Le Petit Prince a dit – Christine Pascal

Elle a douze ans, le cheveu dru, le sourire clair et des rondeurs attendrissantes. Lorsqu’il lui est diagnostiqué une maladie incurable, on imagine le pire mélo putassier, avec cortège de blouses blanches, traitement lourd et chantage à l’émotion. Sauf que Christine Pascal prend la tangente, fait défiler les paysages, troque le drame pour la gaieté et réconcilie l’irréconciliable – une famille en éclats, la vie et la mort, l’espoir de la rémission au sein même d’un fatalisme tranquille.

10. Un Cœur en Hiver - Claude Sautet

Stéphane, Camille, Maxime : trois prénoms asexués pour une analyse psychologique en forme d’épure. Trois acteurs qui illuminent tout, par un coup d’archet rageur sur un trio de Ravel, le bricolage minutieux du chevalet d’un violon ou l’ouverture de volets sur de grands arbres verts. Et c’est parce que le film est aussi un reportage concret sur la lutherie qu’il creuse ainsi le mystère des êtres, revalorisant un cinéma où faire un plan veut dire quelque chose et implique le désir d’un auteur.


Sur le banc : Arizona Dream (Emir Kusturica), Les Experts (Phil Alden Robinson), Porco Rosso (Hayao Miyazaki), Retour à Howards End (James Ivory), Versailles Rive Gauche (Bruno Podalydès)...
1993
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1. Short Cuts – Robert Altman

Au début, un vol nocturne d’hélicoptères vaporisant un insecticide sur la grouillante faune urbaine de Los Angeles. A la fin, un séisme banal renvoyant la mosaïque des existences à leur vacuité. En trois heures d’horloge, Altman conçoit une fresque intime et cruelle sans intrigue ni dramaturgie mais lestée d’une tension souterraine, une tapisserie contemporaine qui offre à ses personnages un peu de la compassion qu’ils ne demandaient pas, et renvoie de la fin de siècle un miroir sans concession.

2. L’Impasse – Brian De Palma

Faux nouveau départ pour Carlito, ex-baron de la dope de retour dans le barrio après quelques années de tôle, bien décidé à se ranger des pétoires. Heure du bilan pour De Palma, qui signe là son anti-Scarface, s’interroge avec une sincérité nue sur le passé qui rattrape, la maturité, le vieillissement, le conflit des générations, la destinée d’un homme – et l’état du cinéma de genre. D’une virtuosité affolante, le polar se charge d’une tristesse mélancolique et résignée, et frappe en plein cœur.

3. Un jour sans Fin – Harold Ramis

"Then put your little hand in mine…" Phil se réveille et entame la pire journée de sa vie. Insultes aux péquenots, cynisme satisfait. "Then put your little hand in mine…" Phil se réveille et fait fructifier mille stratégies d’un tempo qu’il commence à connaître. "Then put your little hand in mine…" Phil se réveille, prend conscience de ses erreurs et découvre le sens de la vie. Philosophie radieuse, humour exquis, émotion roulée dans le bonheur : cette comédie anaphorique est un pur trésor.

4. Jurassic Park – Steven Spielberg

Vendre un imaginaire breveté dans un parc qui serait l’ultime étape du merchandising disneyen. Spielberg, longtemps considéré comme le héraut du cinéma de consommation, fait dérailler ce rêve en cauchemar. L’esthétique train-fantôme engagée témoigne d’un sens exceptionnel de la prise en charge émotionnelle du spectateur, le fait frissonner d’angoisse, de plaisir ou d’émerveillement : l’entertainer est souverain en son royaume, et ce jeu de programmation théorique un fabuleux spectacle.

5. La Leçon de Piano – Jane Campion

Des doigts s’agitant sur l’ivoire des touches, un piano abandonné sur la plage, un dessin de cailloux dans le sable balayé par l’écume, des forêts humides aux troncs enchevêtrés : Campion invente un monde envoûtant qui pousse les sentiments à leur expression la plus élémentaire et fiévreuse. Elle ausculte les passions d’êtres tiraillés entre leur culture et leurs pulsions naturelles, suit l’éveil charnel et la libération progressive d’une femme, et réveille un romantisme tumultueux à la Brontë.

6. Au nom du Père – Jim Sheridan

A la pointe sèche et sans la moindre complaisance, mais avec une rigueur professionnelle et civique qui force l’admiration, Sheridan, grand cinéaste populaire, porte le fer dans la plaie de la guerre civile irlandaise. Il dénonce l’injustice révoltante d’un procès truqué avec les armes d’un militantisme engagé, d’une saine colère qui emporte tout sur son passage : film d’une intensité viscérale, mû par autant de générosité que de densité humaine, ce cri du cœur laisse épuisé mais l’âme en feu.

7. La Liste de Schindler – Steven Spielberg

Que reste-t-il du film le plus controversé du wonderkid hollywoodien ? Des questions éthiques auxquelles chacun répondra selon sa conscience et ses outils intellectuels. Mais surtout un requiem bruissant de noms et de visages, porté par la valeur de la vie, qui s’arrête aux portes de l’irreprésentable, là où il est encore possible de raconter une histoire, et nous crie que l’histoire de notre temps n’est pas faite que de naufrages acceptés. Film impossible, forcément imparfait, pourtant essentiel.

8. Le Temps de l’Innocence – Martin Scorsese

Œuvre mésestimée, pourtant une pièce maîtresse de la filmographie scorsesienne. Le cinéaste élabore une cruelle étude de mœurs, un mélodrame victorien fascinant de précision et de beauté feutrée, où la splendeur de l’organdi et du taffetas renferment les larmes d’une passion sacrifiée sur l’autel des convenances. A l’image des roses multicolores du générique qui s’ouvrent sous un voile de dentelle mortuaire, le film figure l’ultime battement d’un chagrin figé, d’un inconsolable renoncement.

9. Smoking / No Smoking – Alain Resnais

Il était une fois, dans une bourgade verdoyante du Yorkshire. Ou plutôt : il était deux fois, quatre fois, huit fois. Resnais lance les dés de la narration, multiplie les pistes contradictoires, joue sur les partitions ludiques de deux comédiens transformistes et nous perd dans un délicieux labyrinthe. C’est un jeu de l’esprit, une prodigieuse réflexion en actes autour des notions du hasard, du destin et de la liberté, doublé d’une célébration triomphale des pouvoirs de la fiction. Étourdissant.

10. Meurtre Mystérieux à Manhattan – Woody Allen

Allen trouve le remède à sa séparation brutale avec Mia Farrow : rien moins que les retrouvailles ragaillardies avec Annie Hall. Et pour marquer le coup, il ne lésine pas sur le champagne : sous le feu roulant des répliques et des situations loufoques, on y distingue le pendant ludique de Maris et Femmes, le nouveau chapitre d’un journal conjugal qui, en plus de payer son tribut (haletant) aux classiques du film noir, fait l’éloge (spirituel) du jeu et du divertissement thérapeutiques.


Sur le banc : L'Arbre, le Maire et la Médiathèque (Éric Rohmer), Journal Intime (Nanni Moretti), Last Action Hero (John McTiernan), Raining Stones (Ken Loach), Les Vestiges du Jour (James Ivory)...
1994
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1. Pulp Fiction – Quentin Tarantino

Le rock défrisait les vieux barons du jazz, le rap décoiffait les kroumirs du rock… et Tarantino a déplu aux tenanciers d’une certaine idée du cinéma. Le temps a fait son œuvre, et entrer Pulp Fiction dans le sanctuaire des monuments pop, pour sa jouissance à cuisiner les junk-codes culturels à l’endorphine, pour son irrésistible tonicité et son invraisemblable brio, pour sa temporalité concassée et son jeu avec la morale, bref pour tout ce qu’il est et tout ce que les autres films ne sont pas.

2. Ed Wood – Tim Burton

Face à face, le temps d’une scène, le génie et le nullard – Orson Welles et Ed Wood, le premier expliquant au deuxième que l’important est de persister dans sa passion. Poursuivre son rêve, envers et contre tous : credo magnifique, sur lequel Burton construit une véritable chapelle ardente, réflexive et autocentrée. L’hymne à la gloire du cinéma devient alors un carrousel d’instants magiques, qui fait du paria un héros, transforme le raté en poudre de perlimpinpin et le toc en en poésie pure.

3. La Reine Margot – Patrice Chéreau

Sous la caméra de Chéreau, l’évocation du destin tragique de la reine Margot devient un long cauchemar halluciné fait de sauvagerie et de débauche, dont on sort avec la vision des huguenots massacrés sur la rétine et l’odeur de la mort au nez. Opéra de sang, de bruit et de fureur, c’est un Parrain à la sauce Médicis, un feuilleton morbide peuplé de personnages vampiriques et traversé de fulgurances baroques, qui rappelle comment les guerres civiles sont engendrées par les haines fratricides.

4. Les Patriotes – Éric Rochant

Chronique d’un idéal gagné par l’amertume, passionnant récit d’espionnage jouant la carte du réalisme pointilleux et documentaire, dissection des arcanes d’un univers implacable : le film est tout cela à la fois. Rochant, pris d'une ambition assez incroyable, plonge dans les dessous opaques des services de renseignement israéliens et stimule la plus profonde des réflexions sur l'engagement, la responsabilité et les compromissions entre morale individuelle et raison d'état. Réussite totale.

5. Petits Arrangements avec les Morts – Pascale Ferran

Éclosion d’une grande réalisatrice, à la croisée des expérimentations d’un Resnais (jeu avec le temps, objets insolites, mémoire ondulante) et des questionnements d’un Téchiné (la famille, ses liens indéfectibles, ses vieux remords). Trois récits enchâssés, trois personnages qui vivent avec leurs questions et leur culpabilité, trois expériences qui vagabondent de l’objectif au subjectif, de l’unité de lieu aux brutales ruptures de ton, couvées par une même bienveillance. Très subtil et émouvant.

6. Quatre Mariages et un Enterrement – Mike Newell

"Fuck ! Oh fuck ! Fuck fuck fuck !" L’entrée en matière est désopilante et la suite est à l’avenant, mais pas que. Car s’il sait titiller les zygomatiques avec un humour exquis, entre le raffinement feutré d’un Lubitsch et les allusions égrillardes d’un Scola, Mike Newell a le don de flatter aussi la corde sensible, avec la même élégance aristocratique. Entre retrouvailles gouleyantes, amours impossibles et coups de destin révoltants, c’est une fringante et délicieuse comédie romantique.

7. L’Enfer – Claude Chabrol

S’appropriant le film mort-né de Clouzot, Chabrol juxtapose l’étude clinique d’un cas pathologique à la savoureuse analyse des médiocres folies bourgeoisies, dont il est l’expert gourmet. Les tourments de son couple infernal – lui modeste ambitieux, elle trop belle pour être honnête – participent d’un régime filmique contradictoire qui traite la réalité avec un subtil décalage, comme les bribes d’un cauchemar assez gai, tout en épousant le délire progressif avec une sèche crédibilité. Très fort.

8. Quiz Show – Robert Redford

Un casting remarquable, un scénario en béton, des dialogues acérés, pas de bon ni de méchant mais des êtres qui s’épient, se scrutent, se fascinent alors qu’ils sont en train de se perdre. À contre-courant, Redford dépeint les illusions du rêve américain, nourrit un suspense reposant sur les mots, la manière dont chacun les manipule et les motifs secrets qu’ils dissimulent : la volonté de puissance, le besoin de reconnaissance sociale, la perte de l’innocence, le sacrifice de sa propre morale.

9. Last Seduction – John M. Dahl

John Dahl ne joue peut-être pas dans la division d’un Preminger ou d’un Hawks. Mais c’est peu dire qu’à l’instar de ce que Kasdan accomplissait dans La Fièvre au Corps, cet avatar du grand film noir nous prend dans les filets de sa diabolique intrigue, parvenant sans forcer à retrouver la séduction vénéneuse d’un genre depuis longtemps révolu. Quand à Linda Fiorentino, garce de compétition à la voix rauque et aux jambes interminables, elle va très loin dans le registre de la mygale toxique.

10. True Lies – James Cameron

Mission impossible pour Schwarzie : sauver le monde tout en recollant les morceaux de son couple en crise. D’un jet Harrier au dîner familial, même combat. Toujours plus haut, toujours plus fort dans la démesure, inscrivant une pyrotechnie ahurissante dans une mécanique vaudevillesque du meilleur aloi, Cameron raconte comment un homme et une femme qui s’étaient éloignés réapprennent à s’aimer. Car si son cinéma est celui du gigantisme logistique, il prouve qu’il est aussi celui du cœur.


Sur le banc : Hoop Dreams (Steve James), Little Odessa (James Gray), Le Péril Jeune (Cédric Klapisch), Pompoko (Isao Takahata), Trois Couleurs : Rouge (Krzysztof Kieślowski)...

La suite juste en-dessous...
Dernière modification par Thaddeus le 23 févr. 24, 20:09, modifié 38 fois.
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Re: Classement DvdClassik des années 90

Message par Thaddeus »

La suite, avec la deuxième moitié.


1995
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1. Casino – Martin Scorsese

Cintré dans son smoking rose, De Niro monte dans sa voiture, la démarre – boum ! Suit un film-monde éruptif et sidérant qui passe l’Amérique au tamis, démonte les rouages de l’ambition, de la réussite et du capitalisme, carbure au feu d’une virtuosité dionysiaque. Balloté du mythe à la tragédie, de l’épopée à l’avant-garde, le chant du cygne scorsesien est une furie d’images, de musiques et de passions, qui met la tête à l’envers, les nerfs en vrille et le cœur en vrac. Après ça, le cinéma peut mourir de sa belle mort.

2. Sur la Route de Madison – Clint Eastwood

Elle est une Bovary du Midwest, déchirée par un sacrifice qui figera la brève rencontre dans l’éternité du souvenir. Il est photographe, fixant sur pellicule beautés éphémères et instants fugaces. Le soleil de l’Iowa caresse ces deux amants emportés par la passion, leurs gestes et leurs regards furtifs, leur idylle protégée des mœurs conservatrices de l’Amérique profonde. Cinéma de cendres et de poussière, intime et méditatif, nourri d’une pudeur, d’une délicatesse, d’une émotion hors du temps.

3. Usual Suspects – Bryan Singer

D’une, un régal de polar postmoderne qui superpose magistralement ses secrets en un gigogne échafaudage, une réflexion sur la vérité à la Pirandello. De deux, le plaisir de la mystification personnifié par une ombre mythologique, Keyser Söze, véritable Mabuse du cinéma contemporain. De trois, l’orfèvrerie d’une mise en scène et d’un montage parvenant à imprimer les marques de la désillusion et de la fatalité sur un ébouriffant Cluedo grandeur nature. Pour résumer : un véritable coup de maître.

4. Underground – Emir Kusturica

Il était une fois la Yougoslavie, et deux bandits pétulants, forts comme des Cosaques, épris de ripailles et vivant de rackets. Kusturica invite à une épopée torrentielle et acharnée, un fleuve de sang, d’humour noir et de vilénies qui rugit autant sa fougue vengeresse que son humanisme furieux. Telle une tempête orgiaque, la kermesse déliquescente fait jouer la joie et la haine, le mensonge et la truculence : toute la folie d’un pays démembré. Rarement gueule de bois aura été aussi appropriée.

5. Une Journée en Enfer – John McTiernan

Retour de l’increvable John McLane, flanqué d’un alter ego aussi râleur que lui et confronté à un affreux délectable dans le genre surdoué facétieux. Au jeu du toujours plus, le film gagne à être connu : McTiernan enterre en bonne et due forme le film d’action. Sa technique, énergisée par mille intuitions géniales, atteint un degré ahurissant d’incandescence organique ; quant aux punchlines d’anthologie, elles dérident l’esprit pendant que le cœur est occupé à battre plus fort. Le panard absolu.

6. Heat – Michael Mann

L’inusable confrontation du flic et du truand qui se reconnaissent dans une même estime réciproque. Michael Mann lui apporte son sens de l’abstraction, l’inscrit dans une dimension épique, nourrie de pathos et de véritable grandeur. Il réveille une mythologie urbaine faite de nuits vaporeuses et de solitaires fatigués, prend le pouls de la cité des anges avec ce lyrisme mélancolique, cet art de l’attente et de la dilatation, de la fulgurance et la contemplation, dont il est l’actuel souverain.

7. Dead Man – Jim Jarmusch

Engourdi par les premières nappes du sommeil éternel, une balle fichée dans le cœur, William Blake déambule au son de la guitare hypnotique de Neil Young. A ses côtés, un passeur indien du nom de Nobody, survivant de ce génocide que la nation américaine a intégré jusque dans ses gènes. D’une ville-fantôme à la traversée du Styx, Jarmusch peint la vanité d’un homme mort qui n’arrive pas à mourir, le long d’une odyssée spirituelle qui envoûte par son rythme spectral et son élégiaque poésie.

8. La Cérémonie – Claude Chabrol

S’il y a du Buñuel et du Hitchcock dans cette œuvre admirable, il y a surtout un Chabrol au sommet de son art. Gourmet de la peinture sociale, entomologiste méticuleux du comportement, le cinéaste donne à ressentir, par l’accumulation de faits anodins, de gestes et de mots retenus aboutissant à une perte totale de repères, l’attisement intérieur d’une classe humiliée, scellée dans le secret d’une haine commune et qui, sans prévenir, se révolte. Tension souterraine, trait féroce, constat glaçant.

9. Land and Freedom – Ken Loach

C’est l’histoire d’un échec splendide et poignant, raconté avec les armes de l’utopie qui justifie la vie. Inutile de préciser qu’elle cimente toute l’œuvre de l’auteur, et qu’elle n’a jamais trouvé plus beau terrain d’épanouissement que dans cette analyse du glissement de l’idéalisme vers l’idéologie, et de la fraternité vers la tromperie. Mais s’il dénonce compromissions et lâchetés d’hier, Loach, l’artiste de l’honneur et de l’engagement, est aussi celui de l’espoir, envers et contre tout.

10. Smoke – Wayne Wang

Il se passe beaucoup de choses dans ce bureau de tabac de Brooklyn : bouffées de personnages, volutes de trajectoires. On en sort avec l’impression d’y avoir toujours vécu, dans un temps réel lesté de quotidienneté et de ruminations intérieures. Car ici, on se raconte une histoire, puis une autre, et encore une autre, et ça donne un film simple et chaleureux comme une conversation entre amis, dont l’harmonie capte le tempo de la vie comme elle va, en plus tendre. Un certain état de grâce.


Sur le banc : L'Armée des douze Singes (Terry Gilliam), La Fleur de mon Secret (Pedro Almodóvar), Le Garçu (Maurice Pialat), Prête à Tout (Gus Van Sant), Showgirls (Paul Verhoeven) ...
1996
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1. Fargo – Joel & Ethan Coen

La neige transforme le territoire américain en paysage abstrait, l’action s’engourdit dans une absurdité cruelle, et l’idiotie fait son œuvre. Chez les Coen, métaphysiciens sous cape, éthologues de la ruralité profonde, ce n’est pas une blague à prendre à la légère. Elle confronte à un trou noir, obéit à une terrible logique, et lorsqu’elle revêt les visages de la cupidité et de la violence, il ne reste plus qu’à ramasser les cadavres, et à rire de la spirale de l’échec pour ne pas en pleurer.

2. Breaking the Waves – Lars Von Trier

Une voix frêle s’élève au milieu du tumulte des éléments déchaînés et du rigorisme de la communauté presbytérienne : celle de Bess, touchée par la grâce. Telle une sainte laïque, elle ira candide jusqu’au bout d’un chemin de croix pavé d’hostilité et de turpitude sexuelle. Écorché, lumineux, travaillé par les questions de la croyance et de l’amour fou, le film marie l’incandescence des sentiments et l’assomption à une spiritualité vécue de manière extrêmement physique. On en sort en morceaux.

3. Mission : Impossible – Brian De Palma

Tel Tom Cruise retenu par un filin, entre sol et plafond, le renard De Palma accomplit un exercice de haute voltige. Car cet éblouissant divertissement est la pierre de touche théorique d’un édifice qui approfondit ses perpétuelles questions : qu’ai-je vraiment vu ? quand ai-je été leurré ? Il s’agit de remonter le fil d’Ariane, d’appréhender l’essence des images et leur mystification, en souscrivant à un pur instinct de jeu : la jubilation absolue. Brian, comment tu fais pour être un génie ?

4. Crash – David Cronenberg

Fluidité organique du réseau routier, érotisme glacé, tôle et chairs mêlés. Le film est comme un prototype post-humain, la reconfiguration de la sexualité par un être cybernétique qui en téléchargerait des informations, découvrirait notre relation avec la voiture et les associerait en un algorithme erroné. Au-delà de cette vision apocalyptique du devenir-machine frémit la douleur d’êtres désemparés qui cherchent à assumer leur nature mutante en la déplorant, et à vivre leur amour malgré tout.

5. Conte d’Été – Éric Rohmer

Les personnages de Rohmer sont souvent lestés d’une histoire à poursuivre, d’une idée fixe frisant l’obsession. Gaspar est au contraire un indécis dont le désir reste à inventer. C’est l’enjeu du récit qui, en suivant la découpe des côtes bretonnes, en accordant la clarté de sa mise en scène aux hésitations du héros, invente tout un système de réponses différées et de rébus inachevés. Pour mieux célébrer le bonheur d’une promenade ensablée ou d’une chanson improvisée dans les embruns.

6. Y aura-t-il de la Neige à Noël ? – Sandrine Veysset

C’est un conte, enraciné dans la réalité mais contenant sa part de mythologie – le père, ombre rugueuse et imprévisible, n’y est autre que l’Ogre. Sept petits poucets y sont couvés par la présence bienfaitrice de la mère, bottes rouges et tablier flapi, qui puise dans son amour la force de réenchanter la vie. Il arrive alors, à Noël, que l’on oublie le froid, la faim, la pauvreté, et que les éléments de cette nature hostile rythmant le travail du quotidien revêtent les couleurs de la féérie.

7. Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) – Arnaud Desplechin

Beaucoup n’y voient que les ratiocinations nombrilistes d’une caste d’intellectuels parisiens. L’accusation n’est pas sans fondement mais entérine l’audace d’un auteur qui prend tous les risques – celui d’agacer, de se faire mal comprendre, de perdre le contrôle d’une histoire-fleuve, romanesque, littéraire, inépuisable comme un grand livre ouvert. Dans ses pistes lumineuses comme dans ses couloirs obscurs s’y joue au plus juste la musique de nos désirs, de nos lâchetés et de nos renoncements.

8. Mars Attacks ! – Tim Burton

Tim Burton n’est pas un méchant, et s’il prend pour cibles certaines sacro-saintes valeurs de l’Amérique, c’est la ferveur avec laquelle il embrasse toute sa ménagerie qui enchante. Chasseur des trésors les plus humbles, enyclopédiste de garage doté d’un goût exquis pour le spectacle arc-en-ciel et les collages contre-nature, il invente des rêves en solde avec des jouets cassés. Et c’est beau comme le baiser, parmi des Martiens en caleçons, d’une tête coupée et d’une femme au corps de chien.

9. Nos Funérailles – Abel Ferrara

Partagé entre sa fascination révulsée pour sa violence et son désir de pureté, le sanguin cinéaste italo-new-yorkais peint un huis-clos pétrifié où rôdent en permanence les forces du mal. Les femmes forment un sage chœur méditatif, les hommes sont mus par des névroses qui menacent d’exploser dans le sang, la famille est un ventre de tourments avec seule la mort au bout du chemin. Tragédie écrite par Sophocle, éclairée par Rembrandt et mise en scène par Ferrara : un bon petit film de genre, quoi.

10. Secrets et Mensonges – Mike Leigh

À deux doigts du vaudeville, à une encablure du mélo, en imposant une style dénué de ce réalisme paresseux et machinal qui nous inflige tant d’images sans regard, Mike Leigh raconte la famille, le quotidien du couple, les rapports intergénérationnels, la difficulté de communiquer, le poids des cadres sociaux. C’est un concentré d’intelligence et d’humour, de pudeur et d’humanité, qui joue à merveille de la comédie "tranches de vie" pour mieux puiser au plus juste des êtres et de leurs relations.


Sur le banc : Chacun cherche son Chat (Cédric Klapisch), Irma Vep (Olivier Assayas), Ponette (Jacques Doillon), Ridicule (Patrice Leconte), Un Air de Famille (Cédric Klapich)...
1997
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1. Jackie Brown – Quentin Tarantino

Comme si Speedy Quentin prenait conscience de sa propre usure, fatigué de toute la hype l’entourant, il échange la logique accélératrice des opus précédents avec l’inertie et épouse les états d’âme de ses héros fatigués. Trempé dans une chaude nostalgie, gouverné par une suave indolence et la plus douce des sensibilités, ce magnifique polar existentiel distille l’émotion fragile et pudique d’un amour qui ne dit pas son nom, et imprime au cœur une marque indélébile. Le plus beau film de son auteur.

2. Princesse Mononoké – Hayao Miyazaki

Il y a la glorieuse cohorte des sangliers marchant vers une ultime bataille. Il y a San, la fille-louve qui rejette son humanité, et dame Eboshi, flamboyante d’ambigüité. Il y a ces lucioles balayées par le vent, ce Dieu-cerf qui règle l’ordre du monde, cette symphonie de masques, d’animaux et de farfadets, ce souffle épique qui mêle chaos et féérie, conte shintoïste et tragédie shakesparienne. Il y le génie absolu de Miyazaki, qui signe un chef-d’œuvre digne de Kurosawa et de Mizoguchi.

3. Titanic – James Cameron

Film de rêve et de mythologie, défi lancé à tous les cynismes avec les armes intemporelles d’un romanesque fervent, éteint depuis David Lean. Cameron invente des images inouïes, le raccord du présent et du passé comme l’os de 2001, les richesses de l’ancien monde engloutis par les flots, les dizaines de corps frigorifiés que la mer n’a même plus la force d’avaler, le diamant rendu à l’océan qui emporte Rose, comme Lucy Muir autrefois, et scelle son union éternelle avec l’amour de sa vie.

4. Starship Troopers – Paul Verhoeven

Au premier abord, un spectacle SF qui déboîte à chaque plan, quelque part entre tract guerrier (pile, emphase martiale) et manifeste esthétique (face, texture grouillante des images pixellisées). En réalité, un geste politique d’une décapante subversion, démontant avec une férocité carnassière l’Amérique impérialiste de Bush et de CNN – celle-là même dont les armées revêtent un uniforme noir et un sigle proche de la swastika nazie. Au final, un pied-de-nez à l’iconoclasme incendiaire.

5. Contact – Robert Zemeckis

Imparfait sans doute, trop didactique probablement, mais porté par cette irrésistible efficience narrative dont est seul capable le cinéma hollywoodien. Zemeckis travaille un tempo singulier, fait d’attente et de concentration, que trouent d’authentiques moments de poésie plastique. Les questions du deuil et de la foi, la réversibilité des croyances, la complémentarité de la science et de la religion cimentent une merveilleuse aventure, que l’on suit le cœur serré d’espoir et d’exaltation.

6. The Full Monty – Peter Cattaneo

Quand tout va mal, qu’est-ce qu’il reste ? La solidarité et l’humour. Gaz, Gerald, Horse et les autres, banals laissés-pour-compte de la crise post-tatchérienne, se désapent pour reconquérir leur dignité. C’est tout bête, et ça procure un bonheur fou, parce que ce postulat est mû par un sens enchanteur de l’utopie quotidienne, et par la finesse d’un regard toujours responsable. Trésor d’optimisme roboratif, fantaisie hilarante, ce petit film rend heureux – et n’est donc pas si petit que ça.

7. Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal – Clint Eastwood

Arioso dolente, souplesse d’une caméra qui s’imprègne des volutes vénéneuses de Savannah, se déplace entre les tombes et les riches demeures, mêle présent et passé, salit le propre et lave l’impur. L’éclatement de la narration, le roulis entêtant du récit qui puise dans la chronique provinciale, le film noir alangui, la parabole sociale, offrent un nouveau visage à ce qui ne cesse de préoccuper l’auteur : l’exploration de l’Amérique contemporaine, mise à l’épreuve de tous les régimes de vérité.

8. Le Goût de la Cerise – Abbas Kiarostami

Quête obstinée, solitude profonde, désespoir calme. Les visages se succèdent dans la voiture (un jeune soldat kurde, un religieux afghan, un taxidermiste turc), comme autant d’instantanés de la réalité iranienne. La fascinante aridité du décor, la transparence du dispositif, les enjeux métaphysiques atteignent une dimension élémentaire, car lorsqu’un homme s’engage dans un parcours tortueux pour retourner à la terre, il ne reste que la poussière, et une traînée de paroles qui échappe au vent.

9. On Connaît la Chanson – Alain Resnais

Resnais s’impose à nouveau en expérimentateur génial autant qu’en alchimiste de l’intériorité. Ce qui ne pourrait être qu’un gigantesque jeu de société devient une cavalcade d’amours bricolées et de rendez-vous manqués, qui teste un certain savoir-vivre ensemble. Dépressifs, hypocondriaques, névrosés s’y agitent dans un maillage d’émotions et de phobies où flottent de lumineux fantômes, méduses de ces grands fonds humains dont les ondulations épousent les variations infinies de la vie elle-même.

10. Hana-Bi – Takeshi Kitano

L’argument est apte à faire couler des torrents de larmes. Mais par sa nature, Kitano ne cède pas si facilement du terrain, ayant plutôt tendance à inverser la vapeur des émotions, à filmer les mouvements de sollicitude comme on retient une gifle, à toiser les accès de cruauté d’un œil naïf, mi-Ozu mi-Chaplin. Troublants moments où les extrêmes entrent en osmose, où le chaos mental se conjugue à l’épure ikeba, et où tout repose à sa place, dans la géométrie d’une idée et la perfection d’un plan.


Sur le banc : Boogie Nights (Paul Thomas Anderson), Cure (Kiyoshi Kurosawa), Harry dans tous ses états (Woody Allen), Marius et Jeannette (Robert Guédiguian), Western (Manuel Poirier)...
1998
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1. La Ligne Rouge – Terrence Malick

On voit le caïman, dragon du jardin d’Éden, s’immerger dans les flots. On surprend une faune émergeant du vert absolu des arbres comme d’une tapisserie médiévale, une Dame à la licorne tropicale. On pleure une terre aux splendeurs violées, devenue lunaire sous la mitraille, et la peur des soldats qui n’ont comme viatique que de fugaces éclats de rêve. Traversée par un souffle cosmique, cette cathédrale de lumière, de consciences et d’incantations replace la destinée humaine dans le cycle éternel de l’univers.

2. The Big Lebowski – Joel & Ethan Coen

Rêveur hirsute, parangon d’oisiveté, le Dude est le Marlowe d’aujourd’hui, traînant sa nonchalance envappée dans une faune californienne sortie d’une rêverie surréaliste, nourrie aux classiques hard-boiled, et où les numéros de Busby Berkeley seraient chorégraphiés à l’Acid. Les frères Coen nous envoient en l’air : leur incroyable flair pour saisir l’esprit déjanté d’une époque, leur sens du détail qui tue, leur génie du tempo, leur galerie de figures truculentes n’ont pas de prix. Cultissime.

3. The Truman Show – Peter Weir

Quelle est la nature du monde dans lequel nous vivons ? Quel envers se cache derrière l’ordre qui le régit, quelle vérité surgit lorsque les apparences, soudain, se fissurent ? Un Dieu aux cinq mille yeux surveille le héros, des millions d’autres, anonymes, aliénés par le spectacle et l’identification, y projettent leur existence. En racontant l’aventure de son Truman, l’explorateur qui cherche à abattre les murs invisibles de sa condition, Weir nous invite à la plus vertigineuse des allégories.

4. New Rose Hotel – Abel Ferrara

Film-puzzle, film-cerveau comme on dit aujourd’hui, conçu en une agrégation d’éléments a priori disparates mais nourrissant la même matière vénéneuse et mémorielle. D’une obscure histoire d’espionnage industriel à l’ère cyberpunk, Ferrara tire un poème désespéré, bardé de fulgurances, où il entrelace les régimes d’images comme autant de franges de la conscience, et où il porte à la plus évanescente abstraction remords et ressassements d’un homme emprisonné dans le souvenir d’un amour fou.

5. Festen – Thomas Vinterberg

Il faut oublier les anti-ornementations médiatiques du Dogme pour apprécier ce coup d’éclat à l’aune de ce qu’il est vraiment : une dissection implacable, nourri d’une ironie grinçante, des horreurs domestiques et du poison étouffant des secrets. La thérapie familiale orchestre un crescendo dramatique ahurissant ; Vinterberg s’y approprie la saine colère de son héros hamletien, y lézarde le rituel bourgeois, le détraque et le débusque dans sa lâcheté et son hypocrisie. Très fort.

6. Snake Eyes – Brian De Palma

Que perçoivent les yeux du serpent ? Sont-ils dupés par la subjectivité du regard et l’illusoire vanité du contrôle absolu ? De Palma met en scène un monde de corruption en forme de trompe-l’œil généralisé, sur lequel règne une caméra dictant au film sa structure, ses morceaux de bravoure, sa vérité. L’innocence y est incarnée par une jeune femme myope, la dignité conquise par un inspecteur ripou qui devra synthétiser le jeu des points de vue. Un thriller virtuose, sophistiqué, époustouflant.

7. Conte d’Automne – Éric Rohmer

L’automne est la saison de la plénitude inquiète, qui succède à l’été des jeunes filles en fleurs. Celles-ci ont vieilli, et c’est un plaisir de retrouver Béatrice Romand et Marie Rivière dans un de ces marivaudages ludiques dont le cinéaste a le secret. Le bonheur du verbe, la beauté des vignes du Rhône, la sérénité mélancolique et cette impression d’évidence absolue qui fait de son auteur un héritier inattendu de Hawks : la petite musique de Rohmer, grave et légère, si subtile, si essentielle.

8. Les Fleurs de Shanghai – Hou Hsiao-hsien

Un bordel de Shanghai, à la fin du XIXème siècle. Hou capte le grésillement humide des pipes d’opium, les robes lourdes des courtisanes faussement soumises aux noms de bijoux, les rites des hommes entre eux et les silences des femmes entres elles, dans une fascinante et infinie réitération de séquences rougeoyantes qui traquent la violence des sentiments et l’étouffement des hiérarchies sociales. Filmée en apesanteur, comme emportée par la fuite des jours, une œuvre d’un raffinement rare.

9. La Vie Rêvée des Anges – Érick Zonca

Parfois Zonca souligne un peu les choses, force la note, fait primer le discours (social, notamment) sur le mouvement naturel du récit. Mais ces micro-réserves ne pèsent rien face à la sincérité rugueuse et aux élans de tristesse débordant de cette romance des rues. Comme chez Pialat, c’est le tremblement des corps, les débris d’illusions, les arythmies des regards qui guident une expression à fleur de peau, et c’est la lumière cruelle des parcours qui s’entrechoquent que l’on emporte avec nous.

10. Sombre – Philippe Grandrieux

Le film s’ouvre sur une assemblée d’enfants poussant des cris de terreur délicieuse devant un théâtre de marionnettes. Puis il plonge dans les ténèbres d’une nuit hantée par des pulsions de mort et de fuite, des battements de cœur et des halètements affolés. Calme pernicieux d’un lac, jeune vierge et loup terrifiant, plastique en clair-obscur et bande-son ensorcelante, lourde terre et eau scintillante… Ce conte envoûtant, à la fantasmagorie maléfique, retrouve la force primitive du cinéma muet.


Sur le banc : Dieu seul me voit (Bruno Podalydès), Le Général (John Boorman), Les Idiots (Lars von Trier), Rushmore (Wes Anderson), Un Plan Simple (Sam Raimi)...
1999
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1. Eyes Wide Shut – Stanley Kubrick

Cosmogonie du XXè siècle, radioscopée à travers la lorgnette d’un couple de bourgeois désaccordés. D’un cérémonial décadent où s’épuisent les vestiges de la représentation capitaliste à l’intimité de la chambre à coucher, Kubrick explore un vaste et mystérieux continent, montre le vacillement d’un héritage culturel confronté à des pulsions incontrôlables et la force d’un amour qui s’égare avant de se retrouver. Signer un monument aussi définitif en guise de révérence est digne de son génie.

2. Le Projet Blair Witch – Daniel Myrick & Eduardo Sanchez

Au plus profond d’une forêt du Maryland, les peurs archaïques prennent forme. La nuit exhale des gémissements lointains, des craquements produits par l’humus, des mouvements invisibles, là, dans l’ombre, juste au-delà de ce que l’œil perçoit. Je ne me suis jamais remis de cette terreur blanche, de ces rires entendus derrière la toile de tente, de ces fagots vaudous retrouvés au matin, de cette bicoque perdue au fond des bois, avec ses traces de mains aux murs et ses maléfices à glacer le sang.

3. Révélations – Michael Mann

L’esthète Michael Mann grave en lettres d’or sa foi en un cinéma d’engagement citoyen et démocratique, et donne un tour de vis à ses ambitions formelles. Épique, le suspense d’investigation implique la politique, le social, l’humain, dresse l’instantané du capitalisme américain, des collusions complexes entre lobbies industriels et information, liberté médiatique et conscience individuelle, et célèbre la croisade amère de deux chevaliers isolés dans le même combat. Du très grand cinéma.

4. Man on the Moon – Miloš Forman

Andy Kaufman était un trublion facétieux jouissant à mettre l’Amérique le nez dans ses contradictions. Ou peut-être un simple d’esprit que le hasard a fait passer pour un génie. Ou encore un agitateur dadaïste, un farceur conceptuel… Forman épouse les insaisissables trompe-l’œil de sa vie en autant de méandres et de double-fonds, pousse jusqu’au vertige la réflexion sur l’ambigüité de la vérité et la relativité de toute représentation. Last but not least, Jim Carrey n’a jamais été aussi dément.

5. Toy Story 2 – John Lasseter

Dire d’abord les cascades de rire que me vaut cette étourdissante parade d’idées folles et de clins d’œil malicieux, du (faux) Buzz lancé dans une délirante opération commando à la Barbie plastifiée dans sa chirurgie faciale. Rappeler ensuite à quel point, sous l’euphorie du divertissement, effleure l’inquiétude de nos héros, confrontés à la menace de l’oubli. Chanter enfin l’humanité qui transparaît sous les habits déglingués de ces jouets, liés par une fidélité et un sens de l’amitié à pleurer.

6. Virgin Suicides – Sofia Coppola

L’adolescence est-elle une prison dorée, dont les supplices et les délices agissent comme autant d’anesthésiants fatals ? A en croire le premier long-métrage de Sofia Coppola, aussi entêtant et volatile qu’un songe, on n’a aucun mal à y croire. Avec ce délicat coup de maître, la réalisatrice manie sa caméra comme un pinceau, éclaire le mystère d’une tragédie trempée dans une grâce mortifère, une suavité alanguie, et dit la secrète détresse de ses nymphes évanescentes emportées par la mélancolie.

7. Tout sur ma Mère – Pedro Almodóvar

Un zeste d’Opening Night, une pincée de De Palma, le souvenir d’Un Tramway nommé de désir. Mais surtout l’univers fantasque et insolent d’Almodovar, qui accélère et amplifie les choses de la vie en un cataclysme d’amour et d’utopie. Sur des décombres, des terrains vagues, des hôpitaux, au milieu des morts du sida et de la dope, le cinéaste édifie son éloge de la bonté, élève la figure de la pietà à sa sauce personnelle, le long d’une pure tragédie qui s’achève en happy end.

8. Ça commence aujourd’hui – Bertrand Tavernier

État des lieux dans une maternelle du Nord, ce pays où l’on hérite d’un tas de cailloux et du courage qui va avec pour le soulever. Malgré la misère, les règlements aveugles, la hiérarchie pesante, le quotidien est parfois ensoleillé par la douceur des comptines et la promenade des enfants soudain déguisés en lutins pour escalader la colline des crassiers. Cinéma de chaleur et de colère, qui remue et indigne, incite à l’engagement avec les armes d’un humanisme généreux. Du grand Tavernier.

9. Sixième Sens – M. Night Shyamalan

Une histoire de fantômes via à travers les yeux en effroi d’un garçonnet muré dans le désarroi et la solitude, en quête désespérée d’une oreille attentive. Le talent révélé de Shyamalan est inversement proportionnel à la mesure chuchotée et mélancolique de son expression. Soit une mécanique en or, sans tapage ni effets spéciaux, dont la force émotionnelle et l’extrême finesse psychologique renvoient aux abîmes et à la solitude infinie de l’enfance. Rarement peur a-t-elle été aussi poignante.

10. Karnaval – Thomas Vincent

Dunkerque, en plein carnaval. Le cri cuivré des fanfares, les vapeurs de la bière qui coule à flot, l’éphémère passivité apportée par le déguisement installent dans une étrange et surréelle euphorie. Au cœur des cris et des éclats de rire, comme portée par l’énergie un peu monstrueuse de la foule en fête, nous est racontée la chancelante histoire d’une rencontre mi-amicale mi-amoureuse, calée sur les pulsations d’un trio emporté par le rythme emballant de la vie. Formidable premier film.


Sur le banc : À Tombeau Ouvert (Martin Scorsese), Beau Travail (Claire Denis), Kennedy et Moi (Sam Karmann), Sleepy Hollow (Tim Burton), Une Histoire Vraie (David Lynch)...
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Re: Classement DvdClassik des années 90

Message par vic »

1/ Lost Highway (David Lynch)
2/ Beast Cops (Gordon Chan & Dante Lam)
3/ Chasing Amy (Kevin Smith)
4/ The Mission (Johnnie To)
5/ La Rivière (Tsai Ming-liang)
6/ Wild at heart (David Lynch)
7/ Moe no suzaku (Noami Kawase)
8/ Haut Bas fragile (Jacques Rivette)
9/ Showgirls (Paul Verhoeven)
10/ Snake eyes (Brian DePalma)
11/ Délits flagrants (Raymond Depardon)
12/ Happy Together (Wong Kar-wai)
13/ Full Alert (Ringo Lam)
14/ Sonatine (Takeshi Kitano)
15/ Triple Cross (Kinji Fukasaku)
16/ Song of the Exile (Ann Hui)
17/ Once upon a time in China 2 (Tsui Hark)
18/ Perfect Blue (Satoshi Kon)
19/ Princesse Mononoke (Hayao Miyazaki)
20/ New Dragon Gate Inn (Raymond Lee)
Dernière modification par vic le 18 janv. 13, 16:42, modifié 1 fois.
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hellrick
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Re: Classement DvdClassik des années 90

Message par hellrick »

Je sais qu'il y a des sujets similaires sur les années 80 et 2000, il y en a t'il sur les décennies précédentes ?
Critiques ciné bis http://bis.cinemaland.net et asiatiques http://asia.cinemaland.net

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Jeremy Fox
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Re: Classement DvdClassik des années 90

Message par Jeremy Fox »

hellrick a écrit :Je sais qu'il y a des sujets similaires sur les années 80 et 2000, il y en a t'il sur les décennies précédentes ?
Il ne me semble pas avoir planché sur les décennies précédentes. :wink:
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Re: Classement DvdClassik des années 90

Message par Best »

Thaddeus a écrit : Dracula (Francis Ford Coppola, 1992)
C'est là que je me rend compte que je ne l'ai encore jamais vu :oops:

Au moins il ne devrait pas être trop difficile à trouver !
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Thaddeus
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Re: Classement DvdClassik des années 90

Message par Thaddeus »

Cinq semaines avant la date butoir on en est à environ 25 votants, ce qui est bien mais pas top.

Billy Budd, AtCloseRange, vous penserez à classer et compléter votre liste si vous voulez qu'elle soit prise en compte. :wink:
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Re: Classement DvdClassik des années 90

Message par Billy Budd »

Complété, même si le classement n'a aucun sens - il y a au moins 30 films de cette décennie qui sont dans mon top 100.
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Re: Classement DvdClassik des années 90

Message par Flol »

Thaddeus a écrit :Cinq semaines avant la date butoir on en est à environ 25 votants, ce qui est bien mais pas top.
J'ai la flemme. :|
En gros, c'est comme pour le top 100 : ça me parait insurmontable.
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Re: Classement DvdClassik des années 90

Message par Thaddeus »

Fais-le. Pour Edward Scissorhands.
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Re: Classement DvdClassik des années 90

Message par Flol »

Ouais forcément, si tu joues sur cette corde-là...
Allez, sors-moi la liste complète des films du monde entier sortis dans les 90's. Je te remercie.
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Re: Classement DvdClassik des années 90

Message par AtCloseRange »

J'ai rangé (page 3).
J'avoue qu'au-delà des 5 premières places, l'ordre n'a quasment plus aucune signification.
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Re: Classement DvdClassik des années 90

Message par Thaddeus »

Ratatouille a écrit :Ouais forcément, si tu joues sur cette corde-là...
Allez, sors-moi la liste complète des films du monde entier sortis dans les 90's. Je te remercie.
Hé hé... :mrgreen:
Personne n'a dit que c'était facile, hein. J'avoue que l'exercice est simplifié par la tenue régulière des tops et des classements, et que se lancer comme ça sans aucune base de données doit être un peu décourageant. Tu fais comme tu veux, bien sûr. :wink:
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Re: Classement DvdClassik des années 90

Message par Flol »

Non mais là je fais mon relou, mais je vais le faire mon top. :)
D'autant plus que j'ai une base de données...j'ai juste pas mis les années de production dedans.
Tant pis, je vais me débrouiller sans.
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Re: Classement DvdClassik des années 90

Message par Thaddeus »

AtCloseRange a écrit :J'ai rangé (page 3).
J'avoue qu'au-delà des 5 premières places, l'ordre n'a quasment plus aucune signification.
Merci.
Vous allez tous finir par me culpabiliser à dire que l'ordre ne veut rien dire, comme si cette règle imposée était absurde. Je peux le concevoir (moi le premier, je ne pourrai affirmer avec certitude que je préfère mon n°14 à mon n°16), mais il faut bien comprendre aussi que sans elle et sans la rigueur qui va avec, on n'arrivera pas à constituer un palmarès général. :?
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