Strum a écrit :Demi-Lune a écrit :me paraît plus équilibré et finalement puissant qu'une
Aurore certes techniquement irréprochable mais à la mièvrerie assez envahissante à mon goût.
Allez-y, balancez vos tomates
C'est drôle que tu dises cela, parce que j'avais trouvé le trait de Murnau pour Le Dernier des Hommes (que j'aime quand même beaucoup) justement plus épais ou plus forcé que dans l'Aurore, un film certes manichéen dans ses oppositions entre la ville et la campagne, la nuit et le jour, la femme tentatrice et la femme pure, mais où la grâce absolue de la mise en scène emporte tout. Un des films (Le dernier des hommes) se veut plus réaliste (il s'agit d'un drame individuel avec un discours social), l'autre (l'Aurore), plus poétique (ou naïf, selon les points de vue). Face au réalisme, je choisis la poésie.
Il faut dire que les thèmes développés par
Le dernier des hommes me touchent intimement. J'ai été en empathie totale pour ce vieux portier et sa déchéance n'a pas semblé être démesurément chargée de pathos (si ce n'est éventuellement par l'accompagnement musical, mais bon, on n'allait pas non plus avoir des maracas). Le jeu de Jannings est très digne et je n'ai pas trouvé que la mise en scène appuyait tellement sur la corde sensible. Les situations se suffisent à elles-mêmes. Quand la vieille surprend le portier à la porte des toilettes, et que tout le poids de l'humiliation et de l'abattement traverse son visage, ou quand le gardien de nuit vient le trouver et lui poser la main sur l'épaule et le couvrir de son manteau, moi ça me bouleverse. Murnau touche, en quelques champs/contre-champs, de simples petits gestes anodins, l’abîme indescriptible de détresse d'un homme brisé par la honte. Seul.
De fait, je n'ai pas réellement senti de côté "forcé" car le récit reste pour moi cohérent, aussi bien en termes dramatiques que psychologiques (jusqu'à la pirouette finale sur laquelle je vais revenir). C'est le reproche majeur que je formule à l'encontre de
L'Aurore qui bifurque sur un angélisme béat alors que quelques minutes plus tôt, le mari a quand même failli zigouiller sa femme. Tel que c'est amené dans le film, j'avoue avoir du mal à souscrire au fait que ce pouvoir transcendantal de l'amour, que dépeint Murnau, puisse effacer la mémoire de Gaynor à ce point. Elle a le pardon facile. Même si
L'Aurore se rattache à une fable, ou se veut un poème dédié à la pureté des sentiments, cette facilité scénaristique me gêne car elle tombe comme un cheveu sur la soupe, et ça affecte par conséquent toute mon appréciation de ce qui s'ensuit. C'est comme la fin du
Vent où Lilian Gish tombe dans les bras de son mari en lui disant "Ne vois-tu donc pas que je t'aime ?" alors que toute la construction du récit a dit l'inverse. C'est trop facile... ça ne fonctionne pas des masses à mes yeux.
De facilité il pourrait également en être question dans
Le dernier des hommes avec sa conclusion improbable, miraculeuse, qui jure justement avec ce qu'on vient de voir, elle aussi. Si Murnau n'avait pas "sauvé" le portier d'une manière ou d'une autre, honnêtement ça aurait été le film le plus déprimant jamais réalisé... Le truc, c'est que Murnau lui-même confesse cette improbabilité avec le carton d'intertitres. "Notre histoire aurait dû réellement s'achever ici. Dans la vraie vie, notre homme abandonné n'aurait plus rien eu à attendre d'autre que la mort. Cependant l'auteur a eu pitié de son héros, et lui a fourni un épilogue improbable". Et là du coup, ce n'est pas le même "problème" qu'avec
L'Aurore, car la cohérence interne est explicitement et volontairement brisée : le film s'en réclame même avec fierté. J'imagine que cette fin pourra déranger d'autres spectateurs, comme moi face au changement de ton de
L'Aurore. Cependant, je trouve ce carton à la fois terrible et magnifique. Terrible, parce qu'il admet l'irréalisme de cette conclusion, son côté factice. Ce n'est qu'une illusion pour alléger le désespoir. Mais elle est aussi magnifique, à mes yeux, justement parce que le film réfute tout déterminisme et choisit de rattacher le film à une fable, avec une morale de Justice sociale. Il fait le choix de l'humanisme en s'inventant un pouvoir de réécriture. La poésie, elle est bien là, et elle me touche, c'est vrai, beaucoup plus ici.