Le cinéma japonais

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Anorya
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Re: Topic naphtalinippon

Message par Anorya »

Abdul Alhazred a écrit : Pour Une page folle, le film n'a pas été franchement un succès (succès d'estime pour Donald Richie, échec commercial pour Tadao Sato, échec commercial et critique pour Noël Burch). La version restaurée de 1971 inclut musique et son, mais la musique commandée a été apparemment rejetée par Kinugasa. Peut-être pour ça qu'ils ont refait faire une musique par Satoru Wono.

Pour les benshi, ils n'ont commencé à décliner qu'au début des années 30, et à vraiment chuter en nombre qu'avec la généralisation du parlant en 1935. Ils disparaitront avec l'interdiction de la production de films muets par le gouvernement japonais fin 1941 (en 1937, encore 1/5 des films japonais produits étaient muets).
En tout cas, à l'exception d'un benshi célèbre spécialisé dans les films étrangers, les benshi n'ont pas du tout aimé Une page folle, qu'ils trouvaient incompréhensibles et quasi-impossible à raconter.

J'avoue que je me suis ennuyé dur pendant Une page folle. C'était histoire de pinailler. :mrgreen:

Comme je te comprend. J'ai souffert moi aussi comme tu le vois. :mrgreen:
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Anorya
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Re: Topic naphtalinippon

Message par Anorya »

Les plaisirs de la chair (Oshima - 1965).

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Devenu assassin pour venger Shoko, la femme qu'il aime en secret, Wakizaka doit accepter le marché que lui propose l'unique témoin du meurtre, un fonctionnaire coupable d'avoir détourné 30 millions de yen : garder le butin jusqu'à sa sortie de prison. Mais Shoko s'est mariée avec un autre, et Wakizaka décide de dépenser tout l'argent en un an, puis de se suicider...

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Décidément j'ai bien du mal avec le cinéma de Nagisa Oshima des 60's.

Après un premier essai surtout concluant essentiellement sur le plan esthétique (L'obsédé en plein jour), l'expérience prend à nouveau la même tournure : je n'accroche pas vraiment au film mais je lui reconnais des qualités techniques assez incroyables (et les captures vous donnent une idée). Et quand je compare avec des films plus tardifs du bonhomme que j'aime vraiment tels Furyo (1983) ou Tabou (1999), curieusement, je remarque que ce sont des films où la mise en scène se fait plus discrète (mais non moins maîtrisée) au profit d'une histoire souvent complexe mais passionnante où chacun des personnages est fouillé et mis en valeur. Ce qui me semble manquer ironiquement dans ce que j'ai vu de lui des 60's, ...cela manque de chair.

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Comme la dernière fois, un personnage principal tellement antipathique qu'on se désintéresse de lui dès le film commencé. Sa morale est tellement douteuse (avoir de l'argent et posséder alors n'importe quelle femme) que l'on a du mal à croire à ses rares remords dans un premier temps. Sur le plan psychologique, même si c'est bien amené d'un point de vue cinématographique (Wakizaka a des visions, soit de Shoko, comme si elle désapprouvait ses gestes et apparaissait pour le punir moralement à chaque fois; soit du fonctionnaire inquiétant qui rôderait près de lui, cela se traduit au montage par l'apparition desdit personnages à la jonction d'un arbre, lors d'un ralenti, lors d'un plan-séquence qui se trouve invalidé au plan d'après. D'un certain point de vue c'est presque sensitif), ça tombe à l'eau car disproportionné face au caractère irritant du personnage. Oshima semble critiquer ses congènères mais visiblement toute l'humanité est presque pourrie pour lui à ce stade.

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Et le comble, c'est que même les personnages les plus humains du film ne le sauveront pas forcément (le héros. Mais aussi le film cela dit). Mari, la petite prostituée muette au grand coeur s'est attachée à lui et lui sauve même la vie, mais notre grand couillon préfère revenir une dernière fois à son ancienne chambre d'étudiant. Pas de rédemption possible, donc. Quand à Shoko, c'est justement là bas dans un final presqu'en délivrance qu'il lui avouera tout avant qu'elle ne lui joue un dernier tour assez amer, bouclant le film sur un final qui se veut ironique mais qui à mes yeux le plombe finalement.

Shoko n'apparaissant qu'au début bien en chair, elle était d'emblée "éliminée" physiquement du récit dès qu'elle se mariait (validant en ça le triste constat d'une société japonaise encore bien machiste de l'époque où les femmes durent lentement gagner leurs droits --cf, lire à ce sujet l'intéressant livre "Japonaises, la révolution douce" d'Anne Garrigues). En revanche, sur le plan mental, ses apparitions comme métaphores du remords, même si elles n'apportaient pas grand chose par rapport au caractère du personnage, avaient le mérite d'être justifiable. Jusqu'a ce final, patatras, où Oshima se prend les pieds dans son film. Pas la première fois.

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Donc, la chair est triste.
En revanche, une fois de plus, Oshima fait des merveilles avec une caméra. Les cadrages, la composition et son degré d'agencement, tout fait penser à la peinture. Sans compter que le monsieur n'hésite pas à jouer aussi de multiples surimpressions pour renforcer la déchéance de son personnage vers une tournure presqu'onirique dans les scènes d'amour ou les souvenirs. Et là, j'applaudis vivement, c'est grandiose, soigné, incroyablement beau et les couleurs de ce cinémascope sont d'une richesse. Il est alors dommage que l'histoire ne suive pas tant que ça et si l'on arrive finalement un tant soit peu à s'intéresser au héros enfin vers la fin, le final plombe tout comme si Oshima nous faisait un doigt d'honneur en criant : tu les sens mes personnages, hein ? Tu les sens ? Vous n'avez pas idée mon cher Nagisa.

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Néanmoins avec le recul, j'avoue avoir préféré cette expérience Oshima à la précédente. Je n'excuse en rien les motivations du personnage principal, plus qu'antipathique, en revanche, les personnages féminins m'ont paru bien plus incarnés. Les actrices s'investissent à fond dans leurs rôles et on ne peut qu'avoir pitié des personnages qu'elles incarnent. Cet aspect là et la technique de mise en scène incroyable du bonhomme réhaussent le niveau d'un film somme toute assez banal quand on y pense.

3,5/6.
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beb
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Eigagogo
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Message par Eigagogo »

màj!
Interview With Kazuhiko Hasegawa

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Playwright Henrik Ibsen said that the devil is compromise. It is no surprise that the films associated with Kazuhiko Hasegawa are as uncompromising as the man himself. His rookie years in the film industry found him experiencing two very different film worlds. First, he cut his teeth as an assistant director under the steady hand of Shohei Imamura. Later, he would write and/or AD some of the more unique films for Nikkatsu as their Roman Porno films were artistically and monetarily climaxing. With a firm footing, Hasegawa would hold the reins like a pro for the only two feature films he would helm as director: The Youth Killer and The Man Who Stole the Sun. These two films wildly different on the surface, make a multitude of similar comments about authority, loneliness, and the nature of family. In the ‘80s, fed up with the studio system, Hasegawa gathered a dream team of directors to start the Director’s Company. They would make films on their terms for the next ten years. Films considered to be some of the best of the decade.
Abdul Alhazred
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Re: Topic naphtalinippon

Message par Abdul Alhazred »

beb a écrit :je n'arrive pas à trouver de détail sur le box office annuel au Japon depuis la guerre (avant-guerre non plus d'ailleurs). Cette information est disponible sur les 10 ou 15 dernières années mais rien avant.
je me contenterais parfaitement du top 10 par année.
Quelqu'un sait-il où trouver cette information, sur internet ou dans les livres ?
Merci.
En anglais, il y a bien http://www.eiren.org/statistics_e/index.html mais c'est uniquement pour des chiffres globaux (le détail http://www.eiren.org/boxoffice_e/index.html ne commence qu'en 2004).
En japonais, ça remonte jusqu'en 1980 pour le détail : http://www.eiren.org/toukei/index.html (c'est la liste par année sur la gauche. Pour avoir les titres en anglais, on peut se servir d'un traducteur auto)

Je n'ai pas d'autres références sous la main mais je jetterai un œil à tout hasard dans mes bouquins.
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Abdul Alhazred
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Re: Topic naphtalinippon

Message par Abdul Alhazred »

beb a écrit :Merci pour les infos. j'ai regardé le site dans tous les sens, et effectivement rien de plus ancien que 1980.
Si tu as plus je suis preneur...
Pas encore eu le temps de chercher dans mes bouquins mais je suis pessimiste. Par contre, j'ai cherché un peu avec mon japonais approximatif et j'ai trouvé des trucs intéressants sur le wikipedia japonais.

En premier, un classement global par recettes puis par entrées :
http://ja.wikipedia.org/wiki/%E6%AD%B4% ... 0%E7%B8%BE

Puis un classement plus détaillé par années (pour changer facilement d'année, il faut aller tout en bas de la page) :
http://ja.wikipedia.org/wiki/1962%E5%B9 ... 0%E7%94%BB
Par contre, le top 10 pour le Japon (日本) ne commence qu'en 1962.
Avant 1962, il n'y a que le box-office US (アメリカ), le détail des films sortis au Japon (日本公開映画), les prix (受賞), les naissances (誕生) et les morts (死去) de gens du cinéma.
beb
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Message par beb »

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bruce randylan
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Re: Topic naphtalinippon

Message par bruce randylan »

Buichi Saito n'est pourtant pas un inconnu grâce à sa participation à deux séries : Baby Cart et Lady Yakuza. :wink:
J'avais vu aussi à la MCJP Impossibe Retour et c'était pas très bon par contre.
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Re: Topic naphtalinippon

Message par 1kult »

Abdul Alhazred a écrit :Deux films de Tai Katô étaient projetés hier soir : Requiem pour un massacre (Minagoroshi no reika, 1968) et Chroniques guerrières du clan Sanada (Sanada fûunroku, 1963).
Je n’aime pas particulièrement donner mon avis en quelques lignes mais j’avoue avoir plusieurs fois profité de ceux postés sur ce forum, sur des films japonais peu connus dont il n’existait quasiment aucune critique en français ou en anglais. N’ayant pas trouvé d’avis sur ces deux films ici, je vais y consacrer quelques lignes. Les résumés sont ceux de la MCJP, pour cause de flemme et pour comprendre mes attentes.

Comme précisé quelques commentaires plus haut, je ne connais pas bien Tai Katô et je n’avais pas été convaincu par ses films sur La pivoine rouge. Deux films plus tard, je reste dubitatif et je pense qu’il est capable du pire comme du intéressant.

Requiem pour un massacre :
MCJP a écrit :Takako Yasuda, femme riche et oisive, est assassinée chez elle par un inconnu. Avant de la tuer, celui-ci l’a forcée à noter le nom sur une feuille de papier de quatre femmes…
Autre film noir réalisé par Katô pour le compte des studios Shôchiku.
Entre film de serial killer à la Le voyeur de Michael Powell et film de vengeance, c’est le type d’œuvre susceptible de plaire aux amateurs de thriller ou de films de serial killer. N’étant pas fan de ce dernier genre (je n’ai pas accroché au Voyeur justement, pour ne mentionner que le plus réputé), je n’ai pas été complètement convaincu.
Sur le plan stylistique, le film est très intéressant et nous a rappelé certaines œuvres de Seijun Suzuki par son côté quasi expérimental. Il y a certaines scènes superbes, surtout dans la deuxième moitié du film, plus rythmée et intéressante que la première. Mais j’avoue avoir trouvé le temps un peu long, ne me sentant pas franchement concerné par les péripéties du tueur et de ses victimes. Je ne suis pas fan de l’acteur principal, Makoto Satô, ce qui n’a pas aidé.

Au final, un film que je conseillerai tout de même, histoire de se faire sa propre opinion.
Il existe une critique dithyrambique en anglais, qui spoile tout le film : http://wondersinthedark.wordpress.com/2 ... -tai-kato/
Maintenant il y a aussi celle de Bruce Randylan, qui a certainement assisté à la même projection que toi :

http://www.1kult.com/2012/07/27/requiem ... -tai-kato/

:wink:
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Re: Topic naphtalinippon

Message par bruce randylan »

L'épée assassine (Daisuke Ito - 1929)

Le film durait lors de sa sortie un peu plus de deux heures et il reste aujourd'hui qu'un remontage de 26 minutes en format Pathé baby 9.5 mm destiné aux séances familiales.
Autant dire qu'il est très dure de se faire une idée du film tant la narration réduit chaque scènes à quelques plans. C'est frustrant car le film avait l'air très bon avec son arrière fond politique sur des paysans réprimés, un seigneur sans foi ni loi, des complots et des trahisons, un héros ronin qui délivre de touchante leçon de vie plutôt que d'assassiner les tueurs à ses trousses etc...
Il ne reste avant tout que des brèves scènes d'action bien maitrisées mais loin de la virtuosité ahurissante des autres Daisuke Ito muet que j'avais pu découvrir l'an dernier. Celà dit, il y a des passages haletants avec une gestion des scènes de foule impressionnante et un réel souci de dynamisme avec de longs et très fluides panoramiques plein de nervosité et des travellings intenses sur la course poursuite en chevaux qui ne manque pas de panache.

La séance était accompagnée d'un benshi excellent de Raiko Sakamoto (le plus jeune de la profession). Autant j'ai des réserves sur cette pratique pour les mélodrames, autant pour des comédies et des chambara, je trouve ça génial.
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Re: Topic naphtalinippon

Message par bruce randylan »

Le cachot aux murs épais (Akira Kobayashi - 1956)

Le film a été tourné en 1953 mais n'est sorti presque que 4 ans plus tard. La raison ? Kobayashi évoque la question des crimes de guerre vu depuis le point de vue des soldats condamnés pour leur actes. Ils se demandent pourquoi ceux qui leurs ont donnés l'ordre d'agir ne sont pas inculpés à leurs tours.
Un sujet tabou et délicat qui fit peur au studio qui demanda de nombreuses coupes. Kobayashi refusa et le film se trouva bloqué plusieurs années.

Celà dit quand on découvre le film, on se demande si le film est bien présenté dans un montage intégral tant la narration est chaotique et fragmentée. Bien trop car il est bien difficile de se plonger dans l'histoire et de toujours bien suivre l'intrigue. Il y a des sautes temporelles assez brutales, des enchainements de séquences sans logique, des passages d'un personnage à l'autre assez perturbant. On a l'impression qu'il manque des séquences de transition régulièrement.
Bref, la narration est maladroite et le discours est par moment vraiment flou. On sent que Kobayashi a quand même pris des pincettes et pratique l'auto-censure quoiqu'il en soit, qu'il n'ose pas aborder frontalement ce problème épineux ou qu'il n'a pas la maturité ou le recul pour le traiter comme il faudrait.

Reste quelque passages assez forts et des fulgurances graphiques époustouflantes comme une scène de cauchemar dans une cellule de prison d'une virtuosité plastiques extraordinaires.

Après ce film, Kobayashi fut contraint de tourner plusieurs films commerciaux avant de pouvoir revenir à des sujets personnels.
Est-ce toujours à cause de son sujet qui continue de déranger mais Le cachot aux murs épais semble désormais invisible au Japon. :(
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Re: Topic naphtalinippon

Message par bruce randylan »

Le démon (Yasuo Furuhata - 1985)

Un ancien yakuza qui cherche à tourner le dos à son passé, mène désormais une existence paisible avec sa famille dans un petit village du nord du Japon vivant de la pêche… jusqu’à ce qu’un autre yakuza débarque pour imposer un trafic de drogue

Par rapport à la Gare, on retrouve le même réalisateur, le même acteur, le même cadre (le village portuaire enneigé), le même genre de héros et le même genre de mise en scène.
Malgré donc ses qualités, l’effet de surprise ne joue pas et on se retrouve avant tout avec un curieux sentiment de redite, de stagnation voire de régression car la narration est plus traditionnelle et classique. De plus les personnages secondaires sont bien moins travaillés (la famille du héros est même quasi-inexistante et contrairement à la gare leur absence ne se justifie pas), le dosage entre explosions de violence et émotions contenues est également moins bien équilibrée. On peut même dire que le film est plus froid.
L’ensemble demeure tout de même bien joué et bien filmé (excellent passage où l’on découvre pour la première fois le tatouage du héros) mais les similitudes avec la gare sont bien trop nombreuses pour ne pas se montrer indulgent.
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Re: Topic naphtalinippon

Message par Anorya »

Je ne sais pas si la place de ce post est bien ici mais bon...


Beauté de la beauté (Kiju Yoshida - 1973 / 1977).

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A partir de 1973, Kijû Yoshida réalise Beauté de la beauté, une entreprise d'une ampleur sans égale dans l'histoire du cinéma sur les formes artistiques, aussi scrupuleusement documentée qu'ouverte à l'imaginaire. Sélectionnés parmi les 94 chapitres qui composent cette oeuvre-somme, les 20 épisodes proposés ici sont consacrés aux maîtres de la peinture occidentale. Confrontant les oeuvres à leur environnement géographique et intellectuel, le cinéaste fait entendre à nouveau, au creux des paysages, dans les blancs du tableau, la rumeur d'époques révolues.



"Tout le temps que j'ai consacré à Beauté de la beauté, j'ai tâché de garder le silence. Devant moi et la caméra, les oeuvres d'art déjà se tenaient là. Aussi n'était-ce pas moi qui les regardait, mais elles qui m'observaient. C'est pourquoi, écartant autant que possible toute information les concernant, je me suis efforcé d'enregistrer ce regard qu'elles tournaient ainsi vers moi. Je me suis également interdit d'utiliser les adjectifs "beau" ou "belle". Car ce qui est "beau" ne l'est que dans la mesure où le spectateur de Beauté de la beauté le ressent comme tel : seule son imagination pourrait y trouver quelque "beauté" que ce soit." (Kijû Yoshida)



L'ambition de Yoshishige Yoshida alias Kijû Yoshida de 1973 à 1977 est assez vertigineuse comme le rappelle Mathieu Capel, historien du cinéma et traducteur dans le prologue de l'oeuvre (en dvd). A l'origine, plus qu'exténué après Coup d'état (1973), Yoshida se sent lessivé, il aimerait sortir du cadre du cinéma et sans doute aller inconsciemment au delà de l'étiquette cinéma d'auteur qu'il se trimballe depuis ses débuts dans la nouvelle vague japonaise. Et c'est ainsi qu'il accepte une série de documentaire où il va se charger tout en même temps de la narration, de la "scénarisation" et de la mise en scène d'une majeure partie de ces "épisodes" souvent chapitrés en plusieurs parties pour un même peintre. L'artiste paye même d'une certaine manière de sa personne puisqu'il sa silhouette se promène devant chaque tableau, ouvre parfois les panels avant de lentement s'effacer tandis que la caméra se rapproche lentement de l'oeuvre en question. Il y a là une volonté d'investissement des plus totales où le cinéaste se fait aussi sur l'instant pédagogue. Yoshida s'impose une équipe réduite, travaille avec des ingénieurs du terrain pour un travail évidemment plus destiné à la télévision qu'au grand écran, ce qui explique la faible qualité d'image et sans doute qu'elle n'ait pas été remastérisée au même titre qu'un long-métrage mais qu'importe parce que même avec ses petits travers, le travail du réalisateur d'Eros+massacre s'avère rudement passionnant.

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Le jardin des délices, intégralité du tryptique (Jérôme Hieronimus Bosch - 1503, huile sur bois).

A ce titre, Yoshida n'est pas tout à fait exact avec lui-même quand il dit qu'il a tâché de garder le silence car le bonhomme parle constamment sur de nombreuses oeuvres des 8 peintres croisés dans ce coffret mais c'est justement ce qui fait tout le sel de l'oeuvre, l'artiste s'étant documenté et faisant montre d'une intelligence et d'une rare sensibilité pour à chaque fois replacer le contexte historique (par exemple pour les flandres et la Hollande d'alors en ce qui concerne Bosch --ce qui l'amène à parler d'un "peintre hérétique"-- ainsi que Bruegel --où il met en exergue la domination espagnole d'alors et comment le peintre se fait l'écho des soubresauts qui agitent son pays, n'hésitant pas par exemple à transposer une scène biblique où les romains cherchent tous les nouveaux-nés après la naissance de Jésus pour les tuer, dans son pays-même, à son époque-même, dans un village flamand bordé de neige et où les soldats habillés de rouge et à cheval n'ont plus rien à voir avec l'envahisseur romain de l'Antiquité mais plus les tyrans hispaniques) ainsi que ses propres idées.


S'il dit ne pas juger les oeuvres, c'est tout simplement parce que Yoshida ne cherche pas à proprement parler les expliquer mais en livrer une possible interprétation à même de faire sens avec ce qui est perçu (l'aspect visuel, la matière) et ce qui reste invisible (tout autant le contexte que la création). Et malgré une musique parfois hypnotique et un ton monocorde aussi lent et mesuré que le débit de nombreux films japonais (oui, il ne faut d'ailleurs pas être fatigué quand on lance un ou plusieurs épisodes à la suite à ce propos), le cinéaste nous capte totalement par un texte toujours bien écrit qui a le mérite de faire réfléchir, d'interloquer, de nous ouvrir des horizons. La situation est toujours la même pourtant : le cinéaste arrive devant le tableau. De dos, il ne nous présente que sa nuque. Si c'est une oeuvre en tryptique, il l'ouvre devant nous. Puis quand il parle, la caméra se rapproche, la vue d'ensemble se fait détail. D'un point en haut de l'image, on parcours la toile et vice-versa. On revient parfois à un autre endroit, dans un autre sens. Ce que dans la vie réelle l'oeil parcourt en arpentant la matière d'une toile, le cinéaste le fait ici pour nous, créant ainsi naturellement un montage et un rythme, certes imposés, mais dont la vocation reste avant tout de nous montrer ce qu'on ne remarque pas toujours au premier abord. Puis la caméra s'éloigne pour ressaisir l'ensemble une dernière fois avant de passer à une autre oeuvre, ou un autre lieu (les paysages et monuments faisant tout aussi bien office de transition que d'instant de recontextualisation historique).

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(Le jardin des délices - détail)

Il est vrai qu'on pourrait regretter au final que l'objet ne soit pas plus remastérisé que ça tant certaines toiles sont une belle découverte mais c'est chipotage puisque d'un autre côté, de nombreuses oeuvres peuvent après coup être recherchée par nous-même pour notre propre plaisir sur la toile ou dans des livres d'art. Ce qui est intéressant, et je tiens à le souligner, c'est que cela permet parfois d'avoir une vision globale de certaines oeuvres, voire en découvrir bien d'autres (Brueghel que j'adore, moi ça se limitait pourtant à la tour de Babel ou Chasseurs dans la neige --son chef d'oeuvre pour moi). Prenons Le jardin des délices de Bosch. Jamais encore je n'avais pu avoir une vision d'ensemble du tryptique, juste des extraits, des fragments qui, de par leur propre singularité, pouvaient d'ailleurs très bien vivre par eux-même, détachés de leur référent. En témoigne par exemple cette image (qui n'est qu'une infime partie en fait de l'immense toile !) qui fut reprise par le groupe Dead can dance pour leur album Aion, c'est dire (c'est justifié puisque l'album est un petit bijou faisant référence aux musique du Moyen-âge).

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Le détail est d'ailleurs repris à l'identique. On a juste mis le nom du groupe et le titre de l'album !

D'autant plus que Yoshida, fermement convaincu des pouvoirs de l'imaginaire, laisse entendre des bruits en fond qui pourraient très bien être l'illustration de ce qu'on pouvait parfois alors entendre à l'époque où la peinture fut crée. Ce n'est jamais redondant puisque le son est volontairement plus bas que la parole. Néanmoins l'effet permet un supplément d'immersion, certes minime comparé à ce qu'obtenaient Tarkovski et Argento quand ils choisissaient de mettre en valeur la peinture comme monde à part mais ce n'est pas négligeable. Si vous vous rappelez des sons qu'Andréï Tarkovski fait sourdre dans Solaris (1972) quand Kris regarde la superbe toile des Chasseurs dans la neige de Brueghel; ou ceux qu'Argento met en exergue, sans doute avec plus de grandiloquence et moins de retenue dans Le syndrome de Stendhal, vous comprendrez l'effet produit, même s'il est ici bien moins audible.


Il y a une pudeur de Yoshida qui est tout à son honneur. Sans doute peut-on y voir quelque chose qui, pris dans l'ensemble, entrave un peu la forme du documentaire, le faisant parfois un peu prendre la poussière et en même temps, son flux de paroles presque Bressonnien se révèle plus que passionnant. C'est donc au final un documentaire plus qu'essentiel si vous désirez confronter votre connaissance des Arts à une autre dimension où l'historique s'imbrique au social, permettant un voyage qui reste encore assez marquant aujourd'hui tant sa portée reste au fond universelle. La jaquette rouge me laisse m'interroger, et au vu de tout ce qui reste de cette immense saga, je me demande si Carlotta n'envisage pas plus tard d'évoquer les épisodes liés à l'Egypte (une bonne dizaine apparemment) ou à l'Asie avec des coffrets de différentes couleurs ? Nous verrons bien mais je ne serais pas contre...

4,5/6.
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Anorya
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Re: Topic naphtalinippon

Message par Anorya »

Goyokin (Hideo Gosha - 1969)


Au milieu du 19ème siècle, sur les cols enneigés de l'île de Sado, le samouraï Magobei, après trois ans d'absence rentre chez lui, malgré le traumatisme engendré par un massacre perpétré par son clan. Alors qu'il s'apprête à ranger son sabre pour renoncer à son statut de samouraï, il apprend qu'une nouvelle tuerie se prépare...

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Mon premier Hideo Gosha et ça commençait bien mal puisque la première demi-heure, je fus assez décontenancé par une mise en scène parfois classieuse, souvent assez expérimentale (passer après Akira Kurosawa, ça fait mal). Et hop, lens-flare à l'ouverture d'une porte pour un plan qui va bien durer suivant le rythme assez lent du cinéma asiatique (J.J.Abrams, paye ta cinéphilie, capture 1). Et hop, caméra qui va bouger de droite à gauche comme si le caméraman était bourré (exemple capture 2). Et hop, cris incessants, dissonants et casses-couilles des corbeaux qui soulignent constamment la tragédie. D'ailleurs on s'attarde bien sur les corbeaux, comme si on avait pas compris le drame à l'oeuvre. Et hop, un ptit effet de filtres, ça mange pas de pain. Pas facile de s'attacher à un film s'il décide de nous malmener dès le début. C'est donc ça le fameux Goyokin, après tout ce que j'en ai lu dessus ? :o

Heureusement par la suite, ça se calme pour qu'on puisse enfin profiter du récit et passé sa première demi-heure qui me faisait vraiment craindre le pire, Goyokin récèle de belles qualités. En particulier Tatsuya Nakadai et Tetsuro Tanba, rocs impassibles et charismatiques qui s'étaient déjà affrontés sur le Hara-Kiri (1962) de Kobayashi et se recroisent à nouveau pour un duel à mort, toutefois entâché des valeurs morales et bafouées autant du clan que de l'amitié entre les deux personnages. Jusqu'au bout le film montre qu'il n'y a pas de retour en arrière et participe au renouveau d'un chambarra crépusculaire qui se renouvelle en même temps que le western-spaghetti de l'autre côté du globe vivait ses plus belles heures.

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J'évoque le western-spaghetti mais je me demande si on peut comparer. Pourtant après avoir revu Django (1966) dernièrement puis ce Goyokin, je reste étonné par de nombreux détails qui se rejoignent, sans doute plus lié à la structure interne du script et des genres du western et du film de sabre qu'à un vrai rapprochement nourri d'influences entre les deux genres (un spécialiste est demandé dans l'assistance) même si je me doute que cela a pu exister. Après tout, Akira Kurosawa et son Yojimbo n'ont-ils pas influencé Leone pour Pour une poignée de dollars ? Ici, on retrouve un héros rongé par le remords et la culpabilité, une ville abandonnée et potassant dans sa boue et sa mélasse. Après, Goyokin a pour lui l'originalité de se dérouler entièrement en hiver et il en résulte des scènes originales et fascinantes (le duel final où les deux protagonistes tentent de se réchauffer les doigts nus qui tiennent les sabres, ce passage où le héros tombe dans un trou à même la neige), rehaussées par la photographie assez sublime de Kozo Okazaki. Du coup je reste partagé car même si j'ai eu l'impression d'assister à un grand film, que de mal ai-je eu au départ. J'en reste sur une impression qui me donne à penser que le film reste sans doute trop surévalué par les cinéphiles, il faudra que je le revoie.

4/6.
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