Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Répondre
lowtek
Idiot du vintage
Messages : 1141
Inscription : 9 juin 03, 19:13

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par lowtek »

Je rajoute ça: ce qui faisait la beauté de Mauvais sang c'est les champs/contre-champs, les regards échangés entre les acteurs, qui laisse la possibilité de voir un personnage à travers les yeux d'un autre. Dans Holy Motors, il n'y en a jamais, c'est assez frappant: pas de dialogue ni de vis à vis! D'ailleurs Edith Scob tourne presque toujours le dos à Lavant. Eva Mendes le regarde à peine. C'est assez frappant. Dans la seule réelle seule scène de dialogue, dans la voiture, entre Lavant et sa fille, les deux acteurs sont côte à côte. Il n'y a jamais aucune possibilité d'identification. Le seul champs/contre champs doit être dans la scène où Lavant parle à lui-même.
Avatar de l’utilisateur
MJ
Conseiller conjugal
Messages : 12476
Inscription : 17 mai 05, 19:59
Localisation : Chez Carlotta

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par MJ »

Stark a écrit :Je laisse les vrais défenseurs réagir là-dessus. Pour ma part, c'est l'une de mes scènes préférées, peut-être la seule qui me touche un peu, parce que Carax laisse vivre ses personnages, qu'il se met totalement, et de manière très sobre, au service de ce qui se passe entre eux, à travers un échange à la fois simple et beau. Le spleen de l'ado, la manière dont la tendresse complice du père se change en une cruauté larvée, le sentiment d'un lien très fort en passe de se défaire à ce moment-là... Non vraiment, pour moi c'est une des scènes qui "marchent" le mieux.
C'est aussi ma préférée. :wink:
C'est pour ce genre de moments qu' Holy Motors est plus qu'un acte de guerre contre la dictature du sujet (et son corrolaire, le diktat du goût). C'est le rappel par un vétéran en pleine possession de ses moyens que le romantisme (le vrai, celui qui fait peur à tout le monde) n'est pas mort. J'ai complèment adhéré.
"Personne ici ne prend MJ ou GTO par exemple pour des spectateurs de blockbusters moyennement cultivés." Strum
Avatar de l’utilisateur
magobei
Assistant opérateur
Messages : 2654
Inscription : 11 sept. 07, 18:05

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par magobei »

J'adore Monsieur Merde (même si je préférais la version Godzilla de Tokyo!).

Pour le reste, je dois dire que ce Holy Motors m'a souvent ennuyé: trop théorique, expérimental quand Carax nous livre sa réflexion sur le cinéma, fait "son film sur le film". Dans ce genre de registre méta-fictionnel, je trouve toujours plus efficace quand l'action suscite la réflexion, non quand la réflexion est le moteur de l'action...

Heureusement, il y a quelques jolis moments à picorer, dont la scène music-hall avec Kylie Minogue (ben oui :oops: ) et le bel échange père-fille déjà cité plus haut.
"In a sense, making movies is itself a quest. A quest for an alternative world, a world that is more satisfactory than the one we live in. That's what first appealed to me about making films. It seemed to me a wonderful idea that you could remake the world, hopefully a bit better, braver, and more beautiful than it was presented to us." John Boorman
Strum
n'est pas Flaubert
Messages : 8464
Inscription : 19 nov. 05, 15:35
Contact :

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par Strum »

Vu hier. Un film impudique et désespéré sur la mort et le cinéma - à ce titre, le sujet du film est assez clair. Je comprends mieux pourquoi il divise autant. Autant la première partie m'a laissé de marbre ou m'a irrité (grotesques scènes des avatars et du cimetière), autant la deuxième partie mélancolique (après l'entracte) m'a ému. J'y reviens.
Strum
n'est pas Flaubert
Messages : 8464
Inscription : 19 nov. 05, 15:35
Contact :

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par Strum »

Holy Motors est dédié à Katarina Gobuleva, l'actrice et compagne de Leos Carax qui s’est donnée la mort. C’est ce que nous apprend le générique de fin du film, qui l’éclaire rétrospectivement tout entier. A ce titre, Holy Motors est à la fois pour Carax une manière d’exorciser cette mort en la faisant rejouer, en la mettant à distance, par le biais de la fiction mais aussi, peut-être, une mise en accusation du cinéma et du poids qu’il fait peser sur les actrices et les acteurs. J’ai le sentiment que c’est de cette manière impudique, en mêlant le film et la réalité, qu’il faut parler d’un film aussi impudique qu’Holy Motors.

Au début d’Holy Motors, Carax est couché dans une chambre, terrassé sans doute par la mort de sa compagne. Oui, peut-être veut-il mourir. Puis, il entend un appel, l’appel répété d’une sirène de paquebot. C’est le paquebot fellinien du cinéma qui s’élance. Carax, comme nous-mêmes (un contre-champ sur une salle de cinéma nous offre le miroir de notre propre salle et nous rappelle que nous regardons un film), répond à cet appel. Il ouvre une porte avec une clef soudée à son doigt et, passant de l’autre côté du miroir (tel l’Orphée de Cocteau), se retrouve à nos côtés dans une salle de cinéma. La sirène continue de retentir. Il s’agit d’un chant de sirène pareil à celui des sirènes de l’Odyssée d’Homère : à force de trop écouter l’appel du cinéma et de le suivre jusqu’au bout, on peut finir par s’y perdre et se faire dévorer le cœur.

Commence alors le film, qui dresse un portrait du cinéma contemporain d’aujourd’hui. Le double de Carax, joué par Denis Lavant, y fait l’acteur conformément à de mystérieuses instructions écrites, dans une série de vignettes figurant les différents genres du cinéma actuel : film sur la finance, film social, film de SF et blockbuster d’actions, film d’horreur, film de gangsters, comédie de mœurs familiale, mélodrame romantique. Tout cela est inégal, et l’on atteint parfois des sommets de ridicule ; je pense au passage où Lavant incarne le Darth Maul de Star Wars avec son sabre laser double, et plus généralement des personnages en motion capture du cinéma numérisé sur fond vert, qui finit dans un grotesque accouplement extra-terrestre ; et dans une moindre mesure, à la séquence rendant hommage à la Hammer où Lavant, grimé en créature des égouts, terrorise les visiteurs d’un cimetière et enlève un mannequin qu’il déguise à son goût en en faisant un improbable alliage de Belphégor (de la série télévisée ORTF), de madone et de femme musulmane voilée (pauvre Eva Mendès).

On le voit, Holy Motors est un film bourré jusqu’à la lie de références cinématographiques extérieures, et fait office à ce titre de méta-film, conscient de ses effets et de ses références, brisant plus d’une fois par leur entremise la suspension de l’incrédulité du spectateur qui est pourtant la règle d’or du cinéma. Chaque retour de Lavant dans la limousine qui le conduit nous rappelle que nous sommes dans un film et que le monde cinématographique qu’une séquence vient d’esquisser n’est que chimère. Lavant a beau mourir lorsqu’il joue un personnage, il revit toujours dans le temps tronqué de la voiture. Tout est truqué, tout est faux au cinéma, ne cesse de nous répéter en boucle Holy Motors. Et l'on se croit par moment dans Sur les Terres Truquées, cette BD de Valérian où un démiurge vain recrée pour son plaisir fatigué des séquences historiques du passé terrestre. Dans Holy Motors, c’est le cinéma passé et présent qui est convoqué (y compris celui de Carax lui-même).

Lors de la première partie de Holy Motors, le film tient donc de l’objet théorique déroulant un catalogue des réjouissances peu inspiré. Je comprends ceux qui se sont endormis ou ont choisi de se fermer à la suite d’un film qui leur dit que le cinéma est vain et produit du faux. Car à quel titre dès lors Holy Motors produirait-il ce vrai que le cinéma ne parviendrait plus à produire ?

Pourtant, par des voies mystérieuses, le film parvient dans sa deuxième partie à émouvoir. Les rapports humains, totalement absents de la première partie du film, y participent. Une séquence entre un père et sa fille dans leur voiture prend en quelques plans la consistance interne de la réalité et noue l’estomac. Le désespoir de Lavant se fait ressentir de plus en plus de scène en scène, souligné par l’inquiétude d'Edith Scob qui conduit sa limousine. La nuit est venue (belle photo nocturne) avec son cortège de ténèbres où le film puise une mélancolie toujours plus épaisse. Et quand vient le suicide d’une des collègues de Lavant, actrice elle aussi, qui n’en peut plus de jouer, de faire semblant, on ne peut s’empêcher de se demander s’il ne s’agit pas là d’une recréation fictionnelle du suicide de Katarina Gobuleva, comme si, selon Carax, le cinéma l’avait tuée à force de lui demander de jouer du faux avec tout son cœur et ses tripes. Cette lassitude existentielle de l’acteur ou de l’actrice, cette remise en question du cinéma en tant qu’art créateur de vérité est au cœur du film. Lorsque Carax y distille des remarques sur la taille des caméras ou sur le fait que le cinéma d’avant était mieux, plus incarné, sur le fait que les moteur ou les motrices sacrés du cinéma sont maintenant condamnés à céder la place au virtuel, à un faux de plus en plus faux, devant des spectateurs de plus en plus absents ou endormis et ne pouvant plus voir la beauté, on perçoit un ressentiment ou une frustration de Carax vis-à-vis du monde du cinéma qui dessert son film. De même le desservent de trop nombreuses références cinématographiques. En témoigne cet épilogue superflu (inutile référence au Cars de Pixar), où des limousines arrêtées pontifient avec un certain humour sur la mort prochaine du cinéma. Quand en revanche, la mélancolie de Carax, sa certitude absolue que l’ancien cinéma est mort, se reflète non pas dans de stériles injonctions, mais sur les visages et dans les gestes désespérés et fatigués de Lavant, Scob et Minogue, jusqu’à dire qu’il n’y a rien que la mort ou une vie de singes hors le cinéma, engin sacré et sacré monstre, alors Holy Motors touche au coeur dans sa partie finale. La fin d’un film est toujours plus importante que son début.

Mais ce qui est sûr, c’est que le romantisme lyrique du Carax de Mauvais Sang et des Amants du Pont Neuf, qui croyait encore que le cinéma pouvait être à la fois plus beau et plus sombre que la vie, est lui bien mort.
Avatar de l’utilisateur
AtCloseRange
Mémé Lenchon
Messages : 25410
Inscription : 21 nov. 05, 00:41

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par AtCloseRange »

Jolie critique, Strum.
Avatar de l’utilisateur
Thaddeus
Ewok on the wild side
Messages : 6171
Inscription : 16 févr. 07, 22:49
Localisation : 1612 Havenhurst

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par Thaddeus »

AtCloseRange a écrit :Jolie critique, Strum.
Comme toujours.
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54772
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par Flol »

Strum a écrit :Judith Scob
Edith.
Sinon belle critique, évidemment.
Strum
n'est pas Flaubert
Messages : 8464
Inscription : 19 nov. 05, 15:35
Contact :

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par Strum »

Merci à vous. :wink: (corrigé pour Edith Scob. :oops:)
Avatar de l’utilisateur
locktal
Assistant opérateur
Messages : 2472
Inscription : 19 mars 11, 01:03
Liste DVD
Localisation : Dijon

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par locktal »

Oui, très belle critique, Strum ! Une approche vraiment intéressante de Holy motors...
"Vouloir le bonheur, c’est déjà un peu le bonheur"
ingoruptibles
Doublure lumière
Messages : 402
Inscription : 3 juil. 09, 16:20
Localisation : Lyon
Contact :

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par ingoruptibles »

Pour moi, un foutage de gueule intersidéral, un hold-up cinématographique, l’esbroufe élevée au rang d'art.

J'ai lu et je comprends les avis de ceux parmi vous qui ont apprécié le film mais pour ma part j'en suis sorti révolté, avec la désagréable impression de m'être fait voler par un imposteur.
Avatar de l’utilisateur
Thaddeus
Ewok on the wild side
Messages : 6171
Inscription : 16 févr. 07, 22:49
Localisation : 1612 Havenhurst

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par Thaddeus »

Il y a vraiment très peu d'arguments dont j'estime qu'ils sont illégitimes. En d'autres termes, j'estime que l'on peut critiquer un film sur beaucoup de choses, et pour beaucoup de raisons. Mais s'il y a bien une chose que je n'ai jamais compris (et que je ne ferai jamais, à titre personnel), c'est le fameux truc de l'"imposture" : attaquer un réalisateur sur sa bonne foi, prétendre qu'il se fout de la gueule du public.
monfilm
Machino
Messages : 1242
Inscription : 19 août 08, 05:09

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par monfilm »

ingoruptibles a écrit :Pour moi, un foutage de gueule intersidéral, un hold-up cinématographique, l’esbroufe élevée au rang d'art.

J'ai lu et je comprends les avis de ceux parmi vous qui ont apprécié le film mais pour ma part j'en suis sorti révolté, avec la désagréable impression de m'être fait voler par un imposteur.
Typiquement le genre de formulation qui m'agace prodigieusement. :roll:
ImageImage
Tout le reste est dérisoire.
ingoruptibles
Doublure lumière
Messages : 402
Inscription : 3 juil. 09, 16:20
Localisation : Lyon
Contact :

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par ingoruptibles »

monfilm a écrit :
ingoruptibles a écrit :Pour moi, un foutage de gueule intersidéral, un hold-up cinématographique, l’esbroufe élevée au rang d'art.

J'ai lu et je comprends les avis de ceux parmi vous qui ont apprécié le film mais pour ma part j'en suis sorti révolté, avec la désagréable impression de m'être fait voler par un imposteur.
Typiquement le genre de formulation qui m'agace prodigieusement. :roll:
C'est pourtant mon ressenti. J'étais, pour le coup, extrêmement agacé pendant et après le film et il m'a fallu un moment pour me calmer.
Mais encore un fois, c'est un avis personnel. J'imagine qu'une discordance similaire peut exister entre ceux qui admirent l'art abstrait et ceux qui trouvent ça quelconque. Perso, j'ai du mal à m'enflammer pour "Carré noir sur fond blanc"...
Avatar de l’utilisateur
cinephage
C'est du harfang
Messages : 23899
Inscription : 13 oct. 05, 17:50

Re: Holy Motors (Leos Carax - 2012)

Message par cinephage »

Mouais... Tu n'as pas aimé, les choix du film te déplaisent et ne te parlent pas. Tu as l'impression d'un déballage qui te laisse froid et tu ne comprends pas l'enthousiasme qui l'entoure, que tu ne peux expliquer que par un quiproquo, les gens applaudissant une chose sans mérite. Bon.

Après, c'est le film d'un cinéaste qui cherche à monter des projets depuis de nombreuses années, et qui lui a pris plus d'un an de travail. Dans ce type de circonstances, s'imaginer qu'il a passé plus d'un an à monter un canular ou un pied de nez à la société me parait limite délirant.

Tu n'as pas été victime d'un hold-up, tu a décidé d'aller voir un film. Personne ne t'a rien volé. Tu n'es otage de personne, à tout moment tu étais libre de partir, comme tu es libre de dire le mal que tu penses du film.

Après, reste l'esbroufe, pour certain, ça relève du génie, pour d'autres c'est du vent... C'est sans doute ce qu'il y avait de plus intéressant à tirer de ton post très caricatural, tout de même...
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
Répondre