J'ai un rapport conflictuel avec
Edward aux mains d'argent et j'en suis le premier agacé et malheureux, car c'est à l'évidence une œuvre remplie de qualités, et l'une de celles qui définissent le mieux la personnalité artistique particulièrement reconnaissable de Tim Burton. Si le cinéaste ne me convainc plus depuis une dizaine d'années,
Edward aux mains d'argent s'intercale dans ce qui était pour moi son âge d'or, cette époque bénie de la fin 80's-début 90's où, avec grand talent, il imposait au cinéma américain sa poésie magique et ses personnages tourmentés et marginaux au service d'un style plastique inédit et de thématiques axées sur la différence, la monstruosité, le flou identitaire, l'étrangeté.
A ce titre, ce n'est sans doute pas s'aventurer loin que d'affirmer qu'
Edward aux mains d'argent fait figure, avec
Batman le défi, de manifeste esthétique du style Burton. Motifs visuels renvoyant à l'imaginaire du conte de fées, expressionnisme des décors lorgnant vers le gothique biscornu, onirisme graphique assumé et directement constitutif de l'univers proposé, tissent ainsi une sphère esthétique d'une beauté renversante, à la fois naïve et d'une tristesse infinie ; une sphère dans laquelle des flocons de neige portés par les chœurs éthérés de Danny Elfman et effleurés par une adolescente virginale sont capables de submerger le spectateur d'une sacrée émotion. Conte de fée emprunt d'un chagrin immense,
Edward aux mains d'argent est une porte ouverte sur son géniteur, lequel fait partager sa perception solitaire du monde en s'identifiant totalement à son personnage, Edward. Sa différence artistique (il est capable de merveilles esthétiques insoupçonnables) et sa différence physique (ses doigts-ciseaux) renvoient bien évidemment à Burton lui-même, jeune cinéaste pâle, timide, solitaire et hirsute - il donne à Johnny Depp, futur acteur-fétiche avec lequel il se sent en symbiose, sa propre coiffure -, filiation confortée par le fait qu'une des grandes figures spirituelles de sa cinéphilie, Vincent Price, se trouve être le "père" d'Edward.
Vous allez me dire : mais alors, Demi-Lune, c'est quoi ton problème ? Eh bien,
Edward aux mains d'argent est un film que j'aimerais aimer totalement, mais qui ne m'emporte pas comme je le voudrais. Si sa réussite plastique est évidente, si son autoportrait en filigrane est intéressant, si sa musique est inoubliable, si Winona Ryder est belle à se damner et s'il contient quelques scènes d'une beauté fulgurante, je ne parviens pas à complètement apprivoiser ce film. A l'inverse des deux
Batman qui ont marqué mon enfance au fer rouge et qui font désormais partie intégrante de moi, au point de les aimer comme mes enfants, j'ai peut-être découvert
Edward trop tard. S'il s'achève certes sans happy-end, le film est bien moins torturé, plus tendre et plus naïf que d'autres Burton sombres vers lesquels mon admiration se porte. Il est clair que cette tendresse et cette naïveté sont totalement assumées puisque le film s'apparente à un conte, mais j'ai décidément bien du mal à supporter ces horripilantes voisines qui donnent à la première partie du film un aspect de farce grotesque et balourde, à laquelle je préfère définitivement la tonalité romantique et délicate de la seconde. J'ai par conséquent l'impression de n'avoir les yeux rivés que sur ce qui m'apparaît être les faiblesses, tandis que je pourrai me repaître des nombreuses qualités. Pour moi, toutes ces qualités seront présentes, sans les défauts, dans l'incroyable chef-d’œuvre
Batman le défi, suicide artistique d'une profondeur qui, là, ne lasse pas de me bouleverser.
C'est grave docteur Ratatouille ?