Dirk Diggler a écrit :Fini la saga Doinel avec "L'amour en fuite".
Je ne reviendrai pas sur la tournure ultra-sentimentale que prennent ses aventures, on dirait que selon Truffaut la vie en France se résumait aux sentiments, le travail étant parfaitement disponible (j'ai bien ri en entendant la remarque de Léaud à son fils sur les grands musiciens et les critiques musicaux, mais elle dénote aussi une belle insouciance, qui devrait être obsolète de nos jours, quant aux questions professionnelles et sociales).
Cette insouciance était déjà d'un autre temps en 1979 mais Truffaut était un romantique nimbé dans la littérature du 19ème siècle et trouvait/voulait que le cinéma soit plus beau que la vie. Du reste, il a fait beaucoup de petits dans le cinéma d'aujourd'hui, de Philippe Harel à Mikhaël Hers (pour prendre deux des plus intéressants).
Mais je crierai haro sur l'horrible chanson du tandem Souchon-Voulzy arrangée aux oignons pouet-pouet qui vient dater le film, là où les précédents ne présentaient aucun signe de compromission avec le temps.
Elle est datée mais elle est parfaitement raccord avec le ton du film. Truffaut était aussi un passionné de chanson française et on entendra chez lui Guy Béart, Trénet, Bobby Lapointe... sans oublier bien sûr les ritournelles de Serge Rezvani et qu'il donna un de ses rôles les plus magnifiques à Aznavour (bien que ce dernier chantera chez son "ami" Godard).
Et je critiquerai sans réserve les flash-backs qui utilisent les scènes des précédents, parfois in extenso ; c'est nostalgique, certes, mais c'est aussi une grande paresse de l'âme. Les épisodes bouche-trou de "Friends" ou de "Notre Belle Famille" utilisent le même procédé
Là, je suis d'accord, c'est efficace mais le procédé "
Souvenez-vous..." est un peu facile.
Je proclamerai aussi que Jean-Pierre Léaud est de moins en moins aimable au fil des films.
D'accord là-dessus aussi. Pour faire rapide, je dirai que ce dernier chapitre de la saga Doinel ne s'imposait pas même si quelques séquences restent émouvantes.
Malgré toutes ces réserves, le film m'a quand même touché. Il me laisse penser que François Truffaut est mort de tristesse plutôt que d'un cancer. Toute cette mélancolie qui s'étale ici, et qui s'étale aussi dans "L'homme qui aimait les femmes", certainement dans "La Chambre Verte" (le prochain sur ma liste), et j'imagine finalement dans la plupart de ses derniers travaux. Ce ressassement du mal, c'est le signe d'un enracinement précoce et profond d'une tumeur qui finira par le tuer. Truffaut disait qu'il savait au moment même où il le tournait qu'il faisait une connerie. C'est vrai. Il enracine ce personnage, qui est presque un double, dans les joies fortes et éphémères, les chagrins lents et lourds, et à qui l’ambiguïté du monde fait nécessairement plus de tort (la relation Sabine-Xavier couvre le propos de l’œuvre d'un gros voile bien sombre et trahit l'impression de happy end). Ce refus de changer d'horizon, qui se complète sans paradoxe par une facilité d'émerveillement que Spielberg avait bien sentie, me semble avoir mené Truffaut droit vers la maladie et la mort. "L'amour en fuite", qui est un exemple brouillon de cette recherche absolue et indéterminée, ne fait que renforcer l'affection que j'ai pour cet homme.
Ton sentiment n'en sortira que renforcée après la découverte de
La Chambre Verte, le film le plus personnel, intime et audacieux de Truffaut mais qui peut décontenancer.
Par contre, je te suivrais moins dans ton parallèle entre sa tristesse et le cancer qui allait le ronger. La tristesse est inhérente à la plupart de ses films, dès le début. Je peux me tromper mais je ne pense pas qu'il avait déjà cette épée de Damoclès en 1979. Je me rappelle très bien du jour où une amie qui travaillait dans le cinéma m'avait appris que Truffaut allait très mal et c'était en 1983.