François Truffaut (1932-1984)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

les premiers films de Truffaut : le meilleur ?

Les 400 coups
57
41%
Tirez sur le pianiste
5
4%
Jules et Jim
9
7%
La peau douce
32
23%
Baisers volés
19
14%
Fahrenheit 451
6
4%
La mariée était en noir
10
7%
 
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Thaddeus
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par Thaddeus »

Je n'ai pas vu certains de ses films les plus secrètement admirés, à défaut des plus réputés. Je pense notamment aux Deux Anglaises et le continent, à La Chambre verte, voire à L'Homme qui aimait les femmes. Je compte bien les découvrir dès que possible.

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Les quatre cents coups
Truffaut est un écorché vif, très imprégné du cinéma de ses pères tutélaires, et ce film l’atteste de façon évidente. La poésie surgit d’un style et d’une inspiration prosaïques ; la mise en scène, dynamique, fluide, se met en totale synchronisme avec la logique de son jeune héros, dont les aspirations, les blocages affectifs, l’esprit de révolte se heurtent constamment au besoin de tendresse et de reconnaissance. A la fois drôle et cruel, savoureux et touchant, c’est un très beau premier film. 5/6

Tirez sur le pianiste
Première lettre d'amour du cinéaste à la série noire américaine, qu'il subvertit par un tout un jeu de décalages colorés, mi-burlesques mi-poétiques, et par la description pittoresque d'un milieu parisien relevant moins autant du folklore que de la notation sociologique. D'un collier de situations cocasses ou dramatiques, Truffaut extrait une impression tenace de tragédie en sourdine, brodant autour d'Aznavour de beaux portraits féminins, dans l'innocence romantique (Marie Dubois, fragile et gouilleuse) ou dans la sensualité (Michèle Mercier et ses seins). 4/6

Jules et Jim
D’un argument assez scabreux et potentiellement subversif, Truffaut tire une œuvre à la pureté harmonieuse, enveloppée dans une douceur totale. Tout à la fois hymne à la vie et danse des morts, le film parvient à faire sentir ensemble la palpitation au présent de l’amour et la mélancolie d’un temps révolu, d’une histoire déjà passée. Libre, aérienne, rapide comme le tourbillon de la chanson de Jeanne Moreau, cette œuvre magique, véritablement touchée par la grâce, emporte les plans et le récit dans une course tragique, tendue vers un terme inéluctable, mais avec la légèreté d’un papillon. 6/6

La peau douce
Cette fois, le style se fait sec, découpé, bien plus tranchant que dans le précédent film, pour mieux répondre à l’angoisse nerveuse du protagoniste. Truffaut fait d’un banal drame de l’adultère une œuvre grave et inquiète, aux accents de tragédie, qui traduit avec une sincérité glacée son mal-être face à la reconnaissance, à la routine bourgeoise et à la vie conjugale. Par le montage précis de ses regards, sa diffusion d’une morbidité latente dans la réalité banale, son inquiétante étrangeté, le film reste l’un des plus hitchcockiens de l’auteur. 5/6

Baisers volés
Suite des aventures d’Antoine Doinel, l’alter ego du cinéaste, débutées avec Les 400 Coups. La chronique intimiste se fait tour à tour grave et légère, mais toujours touchante, et surprend par la saveur de ses croquis, de ses dialogues et de son peinture du Paris pré-mai 68. Les premières conquêtes amoureuses, les premiers déboires sentimentaux sont évoqués en une sorte de vaudeville pittoresque, drôle et attachant, voilé d’une certaine nostalgie mélancolique. 5/6

L’enfant sauvage
Assez éloigné de la souplesse et de l’harmonie des précédents films, c’est une œuvre que l’on devine très personnelle, et dont l’apparente austérité formelle est constamment désamorcée par la sensibilité avec laquelle il exalte l’importance de la culture, de la pédagogie et de la transmission. Truffaut verse dans une forme d’épure pré-classique qui revient aux origines du dix-huitième siècle rationaliste. Le récit émouvant d’un éveil, d’une éducation, se développe à travers à travers un refus rigoureux de toute psychologie, au profit d’une observation stricte des gestes et des comportements. 5/6

Domicile conjugal
Joies et difficultés de la vie de couple, adultère, séparation : Truffaut poursuit la saga Doinel en se calant à l’évolution intérieure de son personnage. Si elle ne retrouve pas le charme de Baisers Volés, cette nouvelle tranche de vie n’en témoigne pas d’une fraîcheur permanente, dépassant la banalité ordinaire de ses situations (dans lesquelles on peut tous se reconnaître) par une verve et un humour qu’on pourrait croire hérités de Lubitsch. Et puis Claude Jade, ah la la... 4/6

La nuit américaine
Le cinéma est-il supérieur à la vie ? Cette fameuse question, qui hante toute l’œuvre de Truffaut, n’a jamais trouvé chez lui de meilleur terrain de développement que dans ce film magique, véritable reportage romancé sur le sujet, qui organise tout un jeu de vases communicants entre la réalité vécue et les péripéties romanesques que le septième art invente sous nos yeux. L’hommage est poétique, vibrant, gagnant sur les deux tableaux du documentaire pédagogique et de la fiction idéaliste. 5/6

L’histoire d’Adèle H.
Histoire d’amour à un personnage, celle vécue par une héroïne écrasée par les absences conjuguées de son père (figure imposante, quasiment dévorante), de sa sœur disparue et de l’amant qui se refuse constamment à elle. Obsessionnel et monochrome, vampirisant le romantisme de son intrigue par son traitement presque maladif, c’est la dissection sans espoir de l’aliénation d’une femme enterrée vivante dans une passion fantasmée. Un film assez singulier. 4/6

Le dernier métro
Le grand film classique (ou académique, pour ses détracteurs) de Truffaut, celui qui entérine définitivement son penchant pour une "qualité française" depuis toujours honnie par les Turcs de la Nouvelle Vague. Personnellement j’aime beaucoup l’aisance romanesque avec laquelle le cinéaste s’empare de son sujet, la complexité des rapports qu’il élabore entre des personnages vibrants, écartelés, vrais, la justesse de son regard sur une époque troublée, et la sincérité de son questionnement sur la relation entre le spectacle et la vie, la réalité et l’illusion. 5/6

La femme d’à côté
Contre-pied à l’ampleur posée du film précédent. Truffaut fait la subtile autopsie d’une passion amoureuse en tordant le réalisme sobre et analytique de la chronique bourgeoise par des éclats brutaux de violence psychologique, qui semblent nourris d’un fantastique obsessionnel rappelant le cinéma d’Hitchcock. C’est presque un remake de La Peau Douce mais sur un mode plus tourmenté, et qui en aurait troqué la retenue sèche par une fièvre radicale. 4/6

Vivement dimanche
Le dernier film de Truffaut est une charmante fantaisie autour des motifs de la série noire, qui fait le choix d’une fraicheur tonifiante et malicieuse, loin des tonalités tragiques de l’opus précédent. Le cinéaste s’amuse à bousculer les règles du genre, donne à la femme (son égérie Fanny Ardant) un rôle actif et entreprenant, invente une plasticité ludique et stylisée. Le divertissement est pétillant, à la fois subtil et désinvolte, plein de charme et d’humour. 4/6

Pas vu les autres.

Mon top :

1. Jules et Jim (1962)
2. L’enfant sauvage (1969)
3. Les quatre cents coups (1959)
4. La nuit américaine (1973)
5. La peau douce (1964)

Pilier tutélaire du cinéma français, auteur d’une œuvre intime et fiévreuse qui oscille entre la subversion des conventions et le recours aux formes classiques, Truffaut est un réalisateur qui m’emporte souvent, et dont la magie et la force des films m’ont enthousiasmé.
Federico
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par Federico »

Demi-Lune a écrit :pour en revenir à la remarque de Federico qui plaidait pour Claude Jade dans le rôle de La Mariée était en noir, je trouve que ça aurait pu être intéressant, mais on en serait probablement revenu à cette "Frenchness" qui ne me semble pas forcément hitchcockienne. Je me disais que Julie Christie, que Truffaut venait de diriger dans Fahrenheit 451, aurait pu faire un choix intéressant : une blonde anglaise avec un visage à la fois suffisamment beau et suffisamment "dur" pour incarner les deux facettes de la protagoniste.
Je ne plaidait pas pour la délicieuse Claude Jade. Je la trouvais simplement plus hitchcockienne d'allure mais, comme je l'ai écrit, elle n'aurait sans doute pas eu la dureté suffisante pour incarner la veuve. Par contre, je suis d'accord sur le fait que Julie Christie aurait pu être idéale dans ce rôle. Ou, pour prendre une autre actrice britannique de l'époque : la grande Vanessa Redgrave, voire Glenda Jackson. A ce propos, je réalise en écrivant ça que Jeanne Moreau est aussi d'une certaine façon une actrice anglaise (du moins par sa mère).
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par Miss Nobody »

Il vous reste 24h pour regarder le très bon documentaire François Truffaut, une autobiographie sur le site d'arte.
giftongue
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par giftongue »

Miss Nobody a écrit :Il vous reste 24h pour regarder le très bon documentaire François Truffaut, une autobiographie sur le site d'arte.
Merci pour l'info. J'en "sors" et c'est effectivement un documentaire intéressant : comme dans tous ces "genres" de reportages, j'apprécie moins les témoignages des "survivants" ou des passionnés (Desplechin par exemple ne dit rien de bien pertinent) que les extraits d'émissions de l'époque avec un Truffaut simple, intelligent et charmant. ( Un détail amusant sur sa "recette" de travail : "20% autobiographique 20% pris dans les journaux 20% pris dans la vie des gens que je connais autour de moi et puis 20% de fiction pure "....il manque 20% qui certainement doivent correspondre au "mystère de la création" ... :uhuh: )
La fin est très émouvante avec Amadeus qu'il ne verra jamais....( exceptée l'utilisation de la chanson de Vincent Delerm (quelle voix insupportable!))
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par bickle »

J'ai moi aussi beaucoup apprécié ce documentaire. A compléter par la lecture de la passionnante biographie de Truffaut par Antoine de Baecque et Serge Toubiana, disponible en poche.
Joe Wilson
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par Joe Wilson »

Demi-Lune a écrit : Malgré tout, je reste frustré par cet épilogue qui aurait dû être magnifique, et qui ne l'est pas totalement, à cause de la façon dont Léaud dit cette réplique quasi proustienne "Mais qu'est-ce que j'ai ? Je me sens vieilli". Il le dit avec un tel détachement qu'il pourrait se demander "Tiens ?! et si j'allais m'acheter une glace ?" ou "Mais qu'est-ce que j'ai fait de mes clés de bagnole ?!", que ça reviendrait au même. Ca aurait dû être le parachèvement émotionnel du film, quelque chose similaire à la fin du Temps de l'innocence, et malheureusement, ça conclue pour moi le film sur une fausse note. Superbe musique de Delerue.[/list]
Pour moi, une des plus belles fin du cinéma. La sécheresse de la voix-off, la sculpture, les enfants...autant de signes d'un décalage, d'une fuite du temps, d'un passé qui s'échappe. Le détachement de cette phrase traduit douloureusement une sensation de dépossession et accompagne les vagues de la sublime partition de Delerue.
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Demi-Lune
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par Demi-Lune »

Bon, j'ai encore fait plus long que je ne le voulais initialement, désolé. Spoilers, tout ça...

Antoine et Colette (1962) - sketch tiré de L'amour à vingt ans
  • Sans crier gare, Antoine et Colette m'a totalement conquis, alors que je craignais que la concision de l'exercice ne convienne guère au réalisateur et que la découverte de L'amour en fuite et de ses flash-back n'altère l'intérêt de cette découverte. Il n'en fut rien, j'ai trouvé ce segment charmant et remarquable. Alors qu'il semble devoir se contenter de places secondaires dans les évocations de la filmographie de Truffait, j'y vois au contraire l'un de ses meilleurs travaux. Dans la droite lignée spirituelle et plastique des 400 coups, on fête les retrouvailles avec un Antoine Doinel désormais jeune adolescent et repêché de ses bêtises, ayant acquis l'indépendance dont il rêvait, et s'éveillant à un premier amour. En 25 minutes, Truffaut orchestre une histoire tendre et précise, tout à fait dans le style de son premier coup de maître dont la narration était serrée et dans lequel le cinéaste mettait de côté toute tentation stylistique. Il met encore cette fois l'accent sur la quotidienneté de son intrigue, afin de rehausser le réalisme de ses personnages : qu'il filme le pressage d'un disque (a priori tout le monde s'en fout, non ? et pourtant, la scène est passionnante), l'ennui dans des appartements modestes ou les artères de Paris, on est dans une approche très vivante qui est appuyée par la spontanéité des deux jeunes acteurs - un Jean-Pierre Léaud timide et mesuré, et une Marie-France Pisier au phrasé mi-mondain mi-vulgaire inimitable. L'attention accordée à ses gestes, tels que le mordillement de son pendentif, les effleurements de ses cheveux ou les décroisements de genoux, laissent potentiellement deviner la fascination de Truffaut pour sa jeune actrice sur laquelle, dans le même temps, il plaque probablement des souvenirs douloureusement autobiographiques (un amour déçu rencontré sur les bancs de la Cinémathèque). Émouvante au premier degré - la fin est terrible, de l'étoffe de celles qui nous parle intimement -, l'histoire simple d'Antoine et Colette (qui n'a jamais aimé à sens unique une fille qui ne vous veut que comme ami ?) conquiert par conséquent aussi pour ce qu'elle laisse entrevoir, comme tant d'autres de ses œuvres, l'homme Truffaut, qui exorcise son passé en le rejouant sous les traits de son jeune alter-ego. Dernière pièce du puzzle dans mes découvertes désordonnées de la saga Doinel, Antoine et Colette apparaît par ailleurs être un sésame important, la déception amoureuse que représente Colette pour Antoine étant peut-être plus profonde et déterminante psychologiquement pour ce personnage que ce qu'il veut bien le laisser montrer dans les opus suivants. Et si sous ses allures rêveuses et immatures, se cachait un romantique torpillé dès l'adolescence ?
La peau douce (1964)
  • Truffaut délaisse le Cinémascope et les expérimentations visuelles plus ou moins boiteuses. La peau douce sera réalisé de manière plus sèche, plus découpée, comme s'il voulait analyser de manière clinique les ressorts d'un adultère. La pénibilité du tournage se fait au bénéfice du film, qui transpire une rigueur et par endroits une fièvre tout à fait au service du sujet. La singularité de La peau douce réside dans son approche "anti-poétique" de l'amour. L'expression très littéraire des sentiments amoureux, récurrente chez Truffaut, bute ici face au mur d'une forme volontairement austère, des cadres précisément ciselés comme pour enfermer les personnages, un réalisme brut des dialogues, l'ancrage de l'intrigue dans un quotidien somme toute très banal - il faudra quasiment attendre La femme d'à côté pour retrouver cette approche dépouillée. Le film dissèque avec une grande acuité les mécanismes apparemment anodins qui vont pousser un homme de lettres marié et une hôtesse de l'air à se fréquenter dans le plus grand secret : on est frappé par la pertinence et la simplicité de la construction, qui débute par des échanges de regards, une promiscuité dans un ascenseur, une tension indicible. Mais ce qui retient encore plus l'attention, c'est tout ce que le réalisateur nous dit à demi-mots sur les états d'âme de ses personnages par la force de sa mise en scène (les champs/contre-champs hitchcockiens qui valent bien des discours) ou des gestes tout simples (ne serait-ce que pour rester au début du film, Desailly qui cherche un prétexte pour téléphoner dans la chambre de Dorléac, joue des politesses avec son interlocutrice qui n'est pas dupe, essuie un échec avant que cette dernière ne le rappelle et accepte de le revoir, à la suite de quoi, transporté par un élan de bonheur, il allume toutes les lumières de sa chambre de manière quasi chorégraphique). La peau douce déploie dès lors son mélange de pudicité (le baiser dans la pénombre, avec Dorléac prise par la main comme une enfant qu'on tente de rassurer), de douceur et de fétichisme (la caresse des bas, le jean changé pour une jupe) pour retracer les étapes d'une passion adultérine et maladroitement assumée par le mari trompeur, écartelé entre son amour sincère pour Nicole (cf. le télégramme) et sa faloterie naturelle, bourgeoise (cf. le télégramme qu'il jette, ou le désastreux voyage à Reims). La bonne idée de Truffaut est de confier le rôle de Lachenay aux traits communs et bonhommes de l'impeccable Jean Desailly : par opposition à ce Monsieur-tout-le-monde, le film n'en brûle que plus pour Françoise Dorléac, lumineuse, excellente, qui se montre d'abord mystérieuse et réservée avant d'entrouvrir, après l'humiliation de Reims, les portes d'un cœur tourmenté et sensuel ("j'aime [faire] l'amour"). Chaque scène est minutieuse, rien n'est laissé au hasard. Le scénario n'oublie pas pour autant de soigner la troisième personne du triangle : l'épouse bafouée, interprétée avec ferveur par Nelly Benedetti. J'ai presque tendance à trouver en elle le plus beau et le plus tragique du film. Les scènes où elle intervient figurent parmi les plus réussies de La peau douce voire peut-être de l’œuvre entière de Truffaut. La composition de l'actrice sert admirablement la thématique de Truffaut sur les ravages de l'amour et anticipe bien des portraits féminins ravagés (je pense notamment à Adèle Hugo). La scène où elle craque et démolit le dragueur est géniale et je trouve que ce dernier plan sur son sourire apaisé et suprême, après son terrible geste, est l'une des images les plus belles et les plus essentielles de la filmographie de l'auteur - la revanche de la femme.
La sirène du Mississippi (1969)
  • Après La Mariée était en noir, Truffaut se ressaye au polar de William Irish et délivre encore une fois un film malade. Tout commence pourtant dans la plus magistrale des manières. Le pitch est on ne peut plus hitchcockien : à la Réunion, un riche propriétaire célibataire passe une annonce matrimoniale dans un journal et correspond avec une femme nommée Julie Roussel. Seulement voilà, lorsqu'il vient la réceptionner sur l'île, la femme se présentant sous ce nom ne ressemble absolument pas à la photo que sa correspondante épistolaire lui avait envoyée. Quelques vagues explications sont fournies (une tromperie photographique intentionnelle causée par la crainte de décevoir), paraissant de toute manière superflues tant notre célibataire est foudroyé par la beauté de "Julie Roussel". Le spectateur se doute qu'il y a quelque chose de pas net là-dedans, et durant la première partie du film, Truffaut tisse avec délectation les fils d'un trouble qui se révèle être son hommage le plus beau et le plus abouti à son maître Hitchcock. Ce n'est pas qu'il cherche à imiter son style visuel. En effet, les cadres larges, cette distance que prend la caméra avec les acteurs englobés dans un gros Cinémascope, évoquent peu le cinéaste anglais. Ce que Truffaut digère ici, c'est la gestion rigoureuse du tempo, cette progressive montée vers l'anormalité, l'accumulation d'indices, la primeur donnée sur ce que la mise en scène peut renseigner ou laisser entrevoir, et non sur les dialogues. Ce système est mis en application dès l'apparition de Deneuve - ou devrai-je dire plutôt, la non-apparition de Deneuve, puisque l'étrangeté du personnage est d'ores et déjà signifiée par le fait que l'on entende d'abord sa voix hors-champ, apostrophant Belmondo, qui ne comprend pas, tandis que la caméra panoramique doucement en suivant l'acteur, laissant découvrir en même temps que lui cette femme se tenant d'ailleurs relativement éloignée, comme si ce curieux positionnement induisait déjà sa nature.
    Une autre scène démontre encore mieux ceci. Alors que Belmondo découvre l'oiseau mort de Deneuve, et monte pour le lui dire, il se montre intrigué et décontenancé par la réaction détachée de son épouse à travers la porte de la salle de bain. On en aurait pu en rester là, seulement la scène se poursuit et cette poursuite appuie du coup le caractère anormal d'une situation a priori anodine. Truffaut choisit de filmer Belmondo, pensif, visiblement turlupiné par le détachement de sa femme, en train de redescendre lentement les escaliers, puis rester planté, là, sur le perron de sa villa. Truffaut revient alors à l'étage par une coupe, devant la porte de la salle de bain : Deneuve entrouvre la porte et on comprend à la mine de son visage qu'elle est préoccupée par le ton détaché dont elle vient de faire preuve - comme si elle avait commis une gaffe. Elle regarde par-dessus les escaliers, vers le rez-de-chaussée. La mise en scène nous fait comprendre que son esprit est tourné vers son mari. Ce qui suit est très fort, typiquement hitchcockien : après un moment de réflexion, Deneuve dégrafe volontairement le haut de son corsage, et appelle Belmondo du haut des escaliers pour qu'il l'aide. La force de la mise en scène, ici, est de donner au spectateur, à la manière de Hitchcock, un temps d'avance sur le personnage de Belmondo : on vient d'assister à une réaction calculatrice de la part de "Julie Roussel", qui va miser sur un trait érotique (le corsage - notons qu'il n'est pas improbable à ce stade de l'intrigue que le couple n'ait pas encore consommé leur mariage) pour repêcher dans ses filets un mari dont elle vient de sentir qu'il s'était posé instinctivement des questions sur son compte. Le spectateur a dès lors la confirmation que le personnage de Catherine Deneuve n'est pas naïf et cache effectivement quelque chose. Le suspense n'est dès lors plus "peut-on faire confiance à ce personnage féminin ?" mais "quand et comment va-t-elle montrer son vrai visage à Belmondo ?".
    Évidemment, la présence de Catherine Deneuve confirme cette filiation : sa blondeur vénitienne, ses traits délicats, la forme de son visage qui rappelle un peu celui de Grace Kelly, sa distinction humble, sa démarche, ses coiffures, ses vêtements, évoquent largement les constructions féminines et idéalisées de Hitchcock. A cela s'ajoute par ailleurs, comme chez le Maître, le sentiment amoureux éprouvé pour l'actrice. Il est difficile de ne pas penser, comme pour La Mariée était en noir, à la figure de Marnie pour le personnage de Deneuve : belle dans son inaccessibilité et son instabilité. Le hic est qu'à cette première partie excellente succède une nouvelle direction, plus truffaldienne, qui se trouve en l'occurrence être plus fragile. Dès lors que Belmondo retrouve sa voleuse usurpatrice, et ne peut se résoudre à la tuer (scène moyennement convaincante d'ailleurs), le film bascule vers un drame amoureux et conjugal plus inégal. Le suspense policier devient accessoire, ce qui est pour moi parfaitement regrettable car il permettait au film une tension et une rigueur : il suffit de voir le traitement réservé à Michel Bouquet, c'est presque honteux de l'employer pour si peu. Jusque là impeccables (c'est rare que Bébel soit aussi juste et aussi sobre), je trouve que les deux acteurs ont du mal à exprimer la mesure de l'amour dévorant, fiévreux, inextricable, qui est censé être au fondement de leur relation. Le récit devient un peu ampoulé, malgré quelques pics formidables liés à la dimension sexuelle du couple (la scène au coin du feu), notamment la frigidité épisodique de Marion, ou à l'ambivalence psychologique de cette dernière: cf. cette très belle scène où elle enregistre sur disque une touchante déclaration d'amour ; le disque se brise quelques instants plus tard, et elle ne semble pas démesurément désolée, comme si ce n'était pas plus mal que son mari ne sache rien de cette confession intime. Il est évident que Truffaut brasse des thèmes très personnels, et que la culpabilité malsaine qui unit ce couple l'intéresse au plus haut point dans les répercussions comportementales que cela peut avoir sur ses personnages (on remarquera notamment l'alternance du vouvoiement et du tutoiement). Mais le mystère autour de Marion étant éventé, il ne parvient plus à retrouver l'aura fascinante de la première heure, et, paradoxalement, lorsqu'elle tente d'empoisonner Belmondo, le drame indiffère quelque peu. Malgré la beauté plastique de la conclusion, j'aurai franchement aimé sentir plus, précédemment, cette "souffrance" et cette "joie" simultanée, contradictoire, qui résume l'amour que voue Louis à Marion.
    Je n'ose imaginer ce qu'aurait pu donner le film avec une partition de Bernard Herrmann.
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par Federico »

Bravo pour tes analyses si approfondies, Demi-Lune !
Antoine et Colette est un joyau dans la filmo de Truffaut et peut-être le meilleur épisode de la saga Doinel. Comme tu l'as écrit, Truffaut exorcise ici sûrement de douloureux souvenirs amoureux, accentués à l'écran par le contraste flagrant entre le visage et les attitudes encore très gamins de Léaud et ceux d'adulte un peu forcée de Pisier, mini-grande bourgeoise qui prend un plaisir pervers à jouer au chat et à la souris. Un moment bonne copine et l'instant d'après hautaine et égocentrique (quelle cruelle séquence que celle où Doinel va la chercher chez ses parents et où elle finit par le planter devant la télé familiale pour sortir avec des amis plus "raccords").
Autre diamant, La peau douce où Truffaut prouve toute la différence qu'il existe entre un "homme à femmes" et un macho. Chez lui, les femmes ont toujours les plus beaux rôles et sont les personnages les plus forts. Comme pour le film précédent, il y a une opposition totale de figures : Dessailly a un côté gros bébé indécis et mou, subjugué par la classe folle de Dorléac. Ce film contient parmi les plus troublantes phrases offertes à une actrice par l'audacieux-timide Truffaut (avec celles que prononcera bien plus tard Fanny Ardant dans La femme d'à côté).
Par contre, j'ai toujours eu beaucoup de mal à accrocher à La sirène du Mississippi. Il y a comme un flou et une maladresse qui me gênent ici. Belmondo (pourtant si fabuleux à cette époque) semble déplacé, téléporté dans un univers qui n'est pas le sien (j'éprouve le même malaise à le voir dans L'aîné des Ferchaux, un des rares Melville qui me laisse froid). Malgré la fascination qu'éprouve visiblement Truffaut pour Deneuve, ça ne marche pas. Il faut croire qu'il tenait à ce film (ou bien gardait sur le coeur son échec public) puisqu'il refera prononcer le même dialogue sur la joie et la souffrance et à nouveau avec Deneuve dans Le dernier métro ainsi que les derniers mots de La sirène... : "Je viens à l'amour, Louis, ça fait mal. Est-ce que l'amour fait mal ?".
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par Commissaire Juve »

Federico a écrit :...Antoine et Colette est un joyau dans la filmo de Truffaut et peut-être le meilleur épisode de la saga Doinel...
Joyaux, oui... de là à dire que c'est "le meilleur", n'exagérons pas. C'est comme si tu disais que le sein gauche de Claude Jade est plus joli que le sein droit ! :uhuh:
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par Demi-Lune »

Federico a écrit :Par contre, j'ai toujours eu beaucoup de mal à accrocher à La sirène du Mississippi. Il y a comme un flou et une maladresse qui me gênent ici. Belmondo (pourtant si fabuleux à cette époque) semble déplacé, téléporté dans un univers qui n'est pas le sien
En général, je ne suis pas fan du tout de Belmondo mais j'ai trouvé que c'était une bonne idée de prendre un acteur de son registre pour jouer un anti-héros puceau se faisant entourlouper. Cela offrait un décalage intéressant. Mais l'échec du film a été effectivement souvent imputé au fait que le public n'ait pas apprécié que Belmondo campe un personnage aussi vulnérable et aveugle d'amour.
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par Kevin95 »

Surtout que durant cette période (fin des années 60), Belmondo se risquait à des rôles très différents de L'Homme de Rio comme pour Louis Malle (Le Voleur) mais surtout pour Robert Enrico (Ho !) où il joue un gangster à la petite semaine, arrogant, égocentrique et finalement très gauche.

Aucun de ces trois films (avec le Truffaut) n'a marché à l'époque incitant l'acteur à retourner vers des rôles plus proches de son image de marque.
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par Miss Nobody »

Ha bon? Il me semblait que l'Homme de Rio avait plutôt bien marché, non? Et puis, le film reste assez proche de son registre habituel (si on admet qu'il en avait déjà un dans les années 60) tout de même: c'est du grand divertissement d'aventure.
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Demi-Lune
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par Demi-Lune »

Miss Nobody a écrit :Ha bon? Il me semblait que l'Homme de Rio avait plutôt bien marché, non? Et puis, le film reste assez proche de son registre habituel (si on admet qu'il en avait déjà un dans les années 60) tout de même: c'est du grand divertissement d'aventure.
Je crois que c'est en substance ce que disait Kevin95. :wink: Les trois films auxquels il faisait référence étant Le Voleur, Ho et La sirène du Mississippi. En tout cas c'est comme ça que je le comprends.
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Miss Nobody
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par Miss Nobody »

Demi-Lune a écrit : Je crois que c'est en substance ce que disait Kevin95. :wink: Les trois films auxquels il faisait référence étant Le Voleur, Ho et La sirène du Mississippi. En tout cas c'est comme ça que je le comprends.
Ha oui d'accord! :uhuh:
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Major Tom
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Re: François Truffaut (1932-1984)

Message par Major Tom »

HS: Et tu parles d'un sacré succès pour L'homme de Rio: aux États-Unis, il a même eu le droit à une publicité énorme lorsque Robert Kennedy est allé le voir en famille, sans savoir que le film était en français. Sa femme est retournée à la caisse pour se faire rembourser, la caissière ne voulait pas, elle a insisté auprès du directeur du cinéma et elle a eu son remboursement, mais en retournant chercher Robert et ses bambins, ils ne voulaient plus partir tellement ils étaient pris par le film... Et puis bien plus tard, Spielberg l'a mentionné comme un de ses films favoris... Bon. :D
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