Fritz Lang : rétrospective personnelle

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Alligator
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

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Die Spinnen, 1. Teil - Der Goldene See (Les Araignées - Le lac d'or) (Fritz Lang, 1919)

Ayant vu les deux films l'un à la suite de l'autre, j'aurais bien du mal à jeter un regard très distinctif sur l'un plus que sur l'autre. M'enfin, je vais m'y efforcer, notamment en essayant de me rappeler mes premières impressions. Je sais tout de même que j'ai eu beaucoup moins de mal à suivre le premier chapitre que le second.

Par bien des aspects je dirais volontiers que ce premier élément emprunte bien davantage à la culture populaire des serials américains. Le goût du film est plus proche du héros Kay Hoog (joué par Carl de Vogt). Le lien avec ses aventures exotiques fait immanquablement penser à Indiana Jones mais peut-être plus encore à Tintin. Les similitudes avec beaucoup d'albums d'Hergé laisseraient à penser qu'Hergé a été très influencé par cette culture populaire et peut-être spécialement par les films de Fritz Lang.

La piètre connaissance des peuples sud-américains peut expliquer également la part de fantasmes et de mystère que Fritz Lang met sur cette peinture pour le moins baroque et chargée de ces étranges habitants. Sans doute faut-il y voir avant tout un moyen de créer un spectacle grandiose, effrayant en même temps que majestueux.

On croirait reconnaitre aussi certains aspects esthétiques chers au cinéaste allemand et qu'on retrouve dans "Les Nibelungen", chez Attila et ses Huns par exemple, une sorte d'État encore un peu sauvage, une ébauche de civilisation, primaire et périlleuse pour les occidentaux qui s'y perdent, un État où la nature impose formellement sa marque dans la pierre ou dans les habits.

De là l'exotisme que la mer, les forêts denses, les plages aux rochers escarpés ou les grottes envahies de fumerolles assassines condensent de façon si prégnante dans le récit.

On est encore et toujours dans le serial, car on enlève des femmes, des sociétés de criminels se tapissent dans l'ombre dissimulées derrière des parois escamotables, de grands espaces s'ouvrent à des cavalcades endiablées de cow-boys, des ballons dirigeables permettent d'échapper à l'ennemi, des serpents sont prêts de tuer de doulces demoiselles sans défense, etc.

Kay Hoog, le Tintin ou Indiana de Lang, passe son temps à parcourir le monde pour mettre à bas le plan des "Araignées", une mafia internationale dont l'un des leaders se trouve être une femme machiavélique Lio Sha (Ressel Orla).

Sur le papier, cela constitue un programme alléchant, plein de promesses, de rebondissements, d'évènements mouvementés et rocambolesques, or, on s'aperçoit que Lang laisse parfois durer trop longtemps certaines scènes, alourdissant du même coup le rythme de l'action. Aussi, très souvent, me suis-je ennuyé. Il faut concéder que les temps de lecture des films ont bien entendu considérablement évolué et que notre capacité d'absorption du récit s'est tellement amélioré de nos jours qu'on peut finir par trouver le temps long durant pas mal de séquences. C'est un peu triste, m'enfin, il ne sert à rien de se le cacher.
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Die Spinnen, 2. Teil - Das Brillantenschiff (Les Araignées - Le cargo d'esclaves) (Fritz Lang, 1920)

Ce 2e opus est beaucoup plus proche du Dr Mabuse me semble-t-il. On reste volontiers dans le monde dit "civilisé" et ce sont les coins et recoins de l'organisation des "Araignées" que l'on est censé explorer ici.

On pense également à la vue de ces criminels qui changent d'apparence au "Fantômas" de Souvestre et Allain. Double jeu, cache, pièges, hypnose, trahison et surtout vengeance forment le gros du scénario.

Certes, quelques phases du film peuvent à nouveau prendre les atours de l'aventure ébouriffante, du serial américain, très populaire à l'époque, avec bien entendu la figure sévère et obstinée du héros Kay Hoog (Carl de Vogt), mais je le répète, Fritz Lang se focalise dans ce deuxième film bien davantage sur cette société parallèle, vivante pour le crime, solide pour le mal et qui bâtit sa puissance sur la fidélité de ses membres. L'honneur est à l'envers. Cette organisation tisse sa toile et il faut donc un courage sur-humain pour pouvoir en venir à bout (ou bien la force des revanchards).

Je dois concéder que ce type de films et ces problématiques de la dissimulation ne m'intéressent pas des masses : je me suis beaucoup plus ennuyé ici que sur "Les Araignées 1" qui me parait être beaucoup plus mouvementé, plus dynamique. Ces sensations sont sans doute accentuées par le montage un peu trop large sur beaucoup de séquences : ça finit par faire long par moments.
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Demi-Lune
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Les Espions (1928)

J'ai l'impression qu'on évoque assez rarement ce film muet qui succède au gigantesque Metropolis. Eh bien, je dois dire que je comprends plutôt pourquoi : cela ne me paraît pas être un Lang très satisfaisant. Pourtant lorsque l'on se renseigne sur le film, on entrevoit les possibilités du sujet, inspiré de faits historiques récents, enrobé d'une grosse dose de romanesque par la plume de Thea Van Harbou. Sur le papier, le scénario est prometteur : vols de documents confidentiels, organisation criminelle tentaculaire dirigée par un personnage inquiétant et mégalo, un agent secret au matricule chiffré à sa recherche, une espionne russe chargée de le piéger mais qui finalement tombe amoureuse de lui, tout le monde surveille tout le monde, des écritures qui s'effacent, des traités secrets, des suicides, un livre qui arrête une balle... ces rebondissements précèdent une imagerie bondienne voire hitchcockienne (Les Enchaînés pour les dilemmes moraux de deux espions amoureux, Quatre de l'espionnage pour l'accident ferroviaire...) et suggèrent une cadence infernale. C'est d'ailleurs ce que confirme momentanément l'ouverture du film, leçon de cinéma où en seulement deux minutes effrénées et inventives, Lang raconte visuellement le contexte explosif et jette les enjeux à venir.

Pourtant, on se rendra rapidement compte que passée l'entame, le film stagnera dans un rythme emmerdant. D'un point de vue narratif il progresse toujours, il n'y a pas de véritable temps mort, et le scénario romanesque et exotique de Van Harbou dénote une ambition chorale similaire à celle de Metropolis (l'intrigue développe différents fils coordonnés par une demi-douzaine de protagonistes, qui vont tous se rejoindre peu à peu) ; par ailleurs, le film baigne dans un certain érotisme discret. Cependant tout ceci m'a été bien ennuyeux à suivre. Statique, la réalisation de Lang m'a déçu. Certes Les Espions n'est pas mu par la même monumentalité que Metropolis, son budget est bien inférieur, et les ambitions de Lang ne semblent pas être les mêmes : lui-même appréhendait cette œuvre sinon comme une récréation, du moins comme un contrepoint modeste au visionnaire Metropolis. Pourtant l'ouverture du film laissait augurer quelque chose de frénétique et génial visuellement. Or s'il y a bien des idées éparses, c'est quand même globalement plat pour quelqu'un d'aussi visuel que lui, surtout à cette époque. Tout est enfermé dans des décors en carton-pâte qui se révèlent vite oppressants (marrant parce que j'ai découvert quelques muets soviétiques ce mois-ci, et je suis beaucoup plus sensible à leur expression aérée, en extérieurs, bien en prise avec le réel et le quotidien). Énormément de gros plans, peu de plans larges, on étouffe.

C'est dans la dernière demi-heure que le film redécolle, avec ce complot ferroviaire auquel s'ensuivra une course-poursuite en side-car, des explosions, des scènes très dramatiques (Sonja ligotée, le gaz). Lang paraît alors s'amuser, dans le même temps qu'il retrouve le dynamisme et l'ampleur de la dernière heure non-stop de Metropolis. Au final, Les Espions m'apparaît comme un Lang mineur - frustrant surtout, parce que son scénario riche en péripéties n'est pas tellement sublimé par la mise en scène de Lang, relativement pépère. C'est d'autant plus regrettable que l'interprétation n'est pas outrancière (jolie Gerta Maurus par ailleurs, sur laquelle Lang flasha). C'est un film surtout intéressant pour ce qu'il dévoile d'héritages distincts ou lancinants sur le cinéma d'action populaire, et pour ce qu'il illustre possiblement de paranoïa dans une Allemagne de la République de Weimar, gangrénée par des ennemis de l'intérieur, des puissances de l'ombre malveillantes.
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Message par riqueuniee »

Puisque tu parles de Hitchcock, le livre qui arrête une balle, on retrouve ça dans les 39 marches (une Bible dans la poche de la veste que le héros a rmpruntée, si je me souviens bien).
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ed
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Message par ed »

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riqueuniee
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par riqueuniee »

Merci pour la précision. Dans mon souvenir, c'était une Bible (mais je ne suis pas tombée loin).
jacques 2
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Message par jacques 2 »

riqueuniee a écrit :Puisque tu parles de Hitchcock, le livre qui arrête une balle, on retrouve ça dans les 39 marches (une Bible dans la poche de la veste que le héros a rmpruntée, si je me souviens bien).
Et dans le "Sleepy hollow" de Tim Burton ...
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Message par Federico »

M le maudit a écrit :Image

Le diabolique docteur Mabuse
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Après l'échec critique de son diptyque indien, Lang reçoit l'offre de tourner un remake du Testament du docteur Mabuse, qu'il refuse. L'idée d'un nouveau Mabuse ne lui déplaît toutefois pas, et le scénario prend racine, comme souvent chez Lang, dans un article de journal (cette fois sur les armes de plus en plus efficaces de l'armée américaine ainsi que sur certaines informations révélées par le dévoilement de documents d'archive nazis). Il y a longtemps que j'attendais une chance de visionner ce film, dernier de Fritz Lang avant sa mort en 1976. Avec la sortie chez Masters of Cinema du "Complete Fritz Lang Mabuse Box Set", j'ai enfin pu me gâter. Il faut bien le dire, je n'avais absolument aucune attente envers cette oeuvre que je voyais simplement comme une curiosité. Réalisé peu après le retour de Lang en Allemagne, ce chant du cygne du grand cinéaste aurait certainement pu être meilleur... mais il aurait surtout pu être bien pire.

Lang reprend son personnage du Dr. Mabuse en le transposant au contexte de la Guerre Froide, lui attribuant toujours des visées de destruction de la société, cette fois à l'aide d'équipement moderne tel que des fusils à air comprimé et des miroirs-caméras. Lang veut faire ressortir les dangers de cette modernité mais réussit modérément dans son entreprise. Qu'on se le tienne pour dit, il ne réinvente pas la roue, allant même jusqu'à calquer une ou deux scènes des précédents films. L'intrigue est assez prévisible, mais on ne s'attend pas vraiment à plus. Disons que c'est en continuité avec les deux autres Mabuse, mais que Lang ne se force plus tellement pour être original. Il veut créer un bon film d'espionnage et ce sans prétention.

C'est d'ailleurs exactement ce qu'est Die 1000 Augen des Dr. Mabuse. Qui s'attendrait à plus serait amèrement déçu. Toutefois, Lang fait quand même montre du talent qu'on lui connaît dans l'élaboration d'un thriller sans temps morts. On parle quand même de l'homme qui a littéralement inventé le genre avec Dr. Mabuse le joueur et Espions, ses deux classiques muets. L'ambiance de film d'espionnage des années 60 à la James Bond est bien présente, et c'est d'ailleurs à ce niveau que s'opère la plus grande rupture avec les deux films précédents. Quand même, entre les hommes aux mille masques, les agents doubles, les fusillades, les repères secrets et les poursuites en voiture, ce pionnier du septième art prouve qu'il est encore dans le coup, et ferme la boucle d'une carrière remplie de chefs-d'oeuvre. Il ne tournera plus jamais.
Je ne l'avais plus revu depuis des lustres mais j'en avais gardé un assez piteux souvenir. Je viens de le redécouvrir et... malheureusement, je reste sur ma première impression.
Les trop rares passages sympathiques à sauver : un "transparent" assez original au début avec les automobiles sur plusieurs plans, la surprenante explosion du téléphone dans le bureau du commissaire et quand l'assureur dérobe une nappe pour aller retrouver le chien. Même le coup du médium aux yeux vitreux fatigue assez vite. La jolie Dawn Addams semble juste là pour la caution "romantique" et quand à Gert Fröbe, il ne fera pas oublier Otto Wernicke (le commissaire Lohmann de M, le maudit et du Testament du Dr Mabuse).
A part ça, l'atmosphère est aussi plombée que la grise RFA de l'époque. Personnages falots (on a connu Peter Van Eyck plus expressif même si il n'a jamais été génial) ou exagérément grotesques (insupportable numéro du VRP en assurances, véritable Séraphin Lampion d'Outre-Rhin, dont on pige trop vite qu'il ne peut être ce qu'il surjoue)
Bref, un film cent fois plus daté que les deux premiers Mabuse et qui n'était donc pas - ou plus - à faire pour un des grands maîtres de l'histoire du cinéma.
Dernière modification par Federico le 7 avr. 12, 12:25, modifié 1 fois.
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Profondo Rosso
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Message par Profondo Rosso »

L'Ange des maudits (1952)

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Pour venger le viol et le meurtre de sa fiancée, un cow-boy, Vern Haskell, traverse les États-Unis à la recherche de son assassin. Par diverses informations, il apprend que celui-ci se trouve dans un ranch tenu par une aventurière, Altar Keane. Ce ranch appelé " Chuck-a-Luck" ("Coup de Chance ") accueille et héberge les bandits en fuite.

Rancho Notorious constitue la troisième et dernière incursion de Fritz Lang dans le western durant sa période américaine après le très bon Retour de Frank James et Les Pionniers de la Western Union réalisés douze ans plus tôt pour la Fox de Darryl Zanuck. C'est clairement sa meilleure tentative dans le genre, celle où il le soumet entièrement à sa vision plutôt que de s'y adapter.

Lang retrouve ici son thème récurrent de la vengeance et ses conséquences. Un des grands atouts ici est le scénario assez atypique de Daniel Taradash (adapté du roman Gunsight Whitman de Sylvia Richards) qui emprunte des directions narratives inattendues. Le point de départ est donc bien la vengeance avec le cow boy Vern Askell (Burt Kennedy) dont la fiancée est violée et tuée lors d'une scène aussi sobre que glaçante. Notre héros fou de douleur se lance donc à la recherche de l'assassin mais à la place de la course poursuite haletante attendue, l'intrigue prend plutôt une tournure de film noir dans l'Ouest. Askell découvre que le meurtrier se dissimule dans un lieu appelé " Chuck-a-Luck" ("Coup de Chance ") dont le seul lien est une chanteuse de saloon disparue nommé Altar Keane (Marlène Dietrich). La quête du coupable s'estompe alors un temps pour une sorte de Laura/Citizen Kane western où se dessine le portrait d'Altar Kane à travers l'enquête d'Askell qui remonte la piste et de nombreux flashback rendant le personnage fascinant avant son intervention concrète dans le récit. On découvre ainsi la déchéance de cette femme flamboyante et adulée par les hommes qui se perdra en se liant au hors la loi Frenchy Fairmont (Mel Ferrer).

Ce parti pris se poursuit durant la toute aussi surprenante seconde partie. Altar enfin révélée se trouve à la tête d'un ranch refuge pour criminels en cavale qui lui verse un pourcentage de leur butin en échange d'une planque de quelques semaines. On a alors une forme de thriller whodunit (d'autant plus retors que le spectateur connaîtlui le coupable) où Askell devra trouver parmi les bandits hébergés lequel est celui qu'il cherche. L'intrigue est donc fort astucieuse et prenante mais c'est vraiment ce que Lang va exprimer à partir de cela importe. C'est une tragédie funeste qui s'annonce pour tous les personnages, tous destinés à être brisés par les choix qu'ils auront effectués. Frenchy Fairmont aura le cœur brisé par la seule humanise encore le tueur impitoyable qu'il est, Askell assoiffé de vengeance finit par ressembler de plus en plus à ce qu'il poursuit au contact de ces criminels et Lang joue sur le mimétisme progressif d'attitude avec Frenchy tel la virtuosité au tir. Le parcours le plus passionnant est bien sûr celui d'Altar, femme dure qui s'est élevé par sa seule détermination mais qui en tombant amoureuse d'Askell comprend peu à peu la barrière qu'elle a franchi. Si Mel Ferrer est d'une élégance effacée mais néanmoins menaçante, Arthur Kennedy est lui impressionnant d'intensité avec un regard fou où se lit constamment la douleur de la perte qu'il a subie. Marlène Dietrich est quant à elle superbe entre dureté et mélancolie et on comprend l'astuce du scénario qui montre ses tourments sans surlignage inutile. La femme désirable, joyeuse mais dépendante des flashbacks trouve ainsi son pendant opposé au présent avec une Dietrich imposante mais à l'allure lasse, rongée par le désir. Les scènes de chant ne font absolument éléments rapportés et s'intègrent parfaitement à la progression de l'intrigue.

Lang instaure ici un lyrisme et une tonalité funèbre envoutante par ses choix esthétique. Les extérieurs sont rares et on devine constamment le studio dans leur extrême stylisation notamment les scènes nocturnes révélatrices. Les envolées de la ballade chantée The Legend of Chuck-a-Luck (premier titre du film avant qu'Howard Hughes exige son changement malgré la chanson) décrivant les évènements et les sentiments des personnages accentue cette emphase de tragédie inéluctable. S'il cède bien volontiers aux morceaux de bravoures attendus (une bagarre nerveuse chez un barbier qui annonce les empoignades musclés de certains Bond de Connery, le gunfight final) c'est bien durant les moments intimistes que Lang déploie son brio formel. On pense aux entrevues chargées de séduction et d'érotisme entre Arthur Kennedy et Marlène Dietrich mais que Lang brise toujours avant l'explosion, ce chemin étant désormais refusé aux personnages qui se sont perdus. Plus de rédemption ni d'autres lendemain possible dans un final où la mort, la solitude et la tristesse seront les seules issues. Narration brillante, ambiance originale et interprétation habitée, un remarquable et surprenant western. 4,5/6
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par Federico »

Bertrand Tavernier n'aime pas beaucoup ce film et les westerns de Lang en général, ce qui est tout à fait son droit (de plus, il écrit un truc très rigolo à propos de poireaux :lol: ) mais je n'avais pu m'empêcher de lui répondre que je le trouvais un peu dur à propos de Rancho notorious. Le seul point où je le rejoins c'est sur le jeu de Mel Ferrer, mais je n'ai pas trop le souvenir d'avoir jamais vu cet acteur très intéressant dans un film. :wink:
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par Profondo Rosso »

Oui pas encore vu Western Union mais je le trouvais aussi injuste sur les autres western de Lang, j'aime beaucoup Le Retour de Frank James aussi donc plutôt convaincu par ses essais dans le genre. Je n'aime pas trop Mel Ferrer d'habitude mais là j'ai été plutôt convaincu, il a toujours ce côté un peu fade mais arrive bien à croiser les registres dangereux et romantique c'est bien passé et ça offre un pendant nuancé à Arthur Kennedy lui prêt à exploser à tout instant. Bien défendu dans les commentaires avec Ballantrae :wink: après Tavernier reconnaît lui même être minoritaire dans son opinion du film.
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par Jeremy Fox »

En revanche, à ce sujet, je me range aux côtés de Tavernier. Seul Le Retour de Franck James me convient concernant les 3 westerns de Lang.
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par feb »

J'aurais pensé, bien au contraire, que tu étais un amateur de ce film Jeremy :|
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par Jeremy Fox »

Je l'étais ; il a longtemps fait partie de mes westerns préférés à l'adolescence. Désormais, sans m'ennuyer, il ne me passionne pas des masses non plus. En le revoyant plusieurs fois récemment, je me demandais ce que j'avais bien pu lui avoir trouvé.
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par feb »

Comme quoi les gouts évoluent fortement avec le temps et l'influence d'autres films :wink:
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